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L'ambiance des tournages

Pour les acteurs, le moment le plus exaltant de
la vie, est le moment où l'on tourne. C'est un moment merveilleux.
On ne travaille pas vraiment... On ne peut pas dire qu'on travaille. |
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C'est le moment le plus
agréable pour les acteurs, on peut dire non à tout ce
qui n'est pas le film. C'est une forme d'inquiétude parce qu'il
y a toujours des moments de tension mais, en même temps, c'est
une telle liberté. On est protégé quand on tourne.
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Le tournage a beau être
le moment que je préfère, jouer est à la fois
un plaisir et une souffrance. On n'est pas exactement comme on aurait
voulu être. On n'est pas non plus toujours à la hauteur
de ses propres ambitions. C'est vrai qu'il y a des moments où
la souffrance l'emporte sur le plaisir. [...] J'ai désormais
plus de plaisir que d'appréhension. Même s'il y a encore
des moments où le trac m'envahit, où j'ai peur... |
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Faire des films est vraiment
la chose que j'aime faire dans la vie. Ce qu'il y a autour, et tout
ce qu'il y a avant... Tourner est pour moi le moment le plus douloureux,
mais c'est celui que je préfère. C'est un passage toujours
très difficile, même s'il y a des moments de bonheur.
Il y a une telle exigence de mieux faire ! [...] Ce qui est certain,
c'est que le moment de ma vie que je préfère, c'est
le tournage. |
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Les tournages sont les
périodes les plus légères que je connaisse. Ce
sont des parenthèses formidables. On est sur un plateau et
l'on ne peut faire qu'une seule chose : travailler. Le reste ne compte
pas. Il n'y a ni rendez-vous ni téléphone. Pour un acteur,
c'est vraiment la période idéale. |
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J'ai interprété
beaucoup de rôles dramatiques, mais j'aime beaucoup les personnages
de comédie. Tout est plus agréable et l'ambiance du
tournage est très particulière lorsque l'on tourne un
film léger. |
Catherine Deneuve, citée
dans le livre de Philippe Barbier et Jacques Moreau 1984
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J'adore le travail d'équipe
et en même temps il existe cette frustration de savoir que ce
n'est pas forcément le meilleur de vous-même qui va rester.
Ce qui me plairait, c'est que chacun puisse donner au même moment
son maximum. |
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Je me sens comme un
instrument, j'aime l'idée d'évoluer dans une petite
formation comme dans un grand orchestre. |
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C'est étonnant
de constater à quel point, le premier jour, malgré l'expérience,
on peut se sentir démuni face à des inconnus... [...]
On me dit souvent : "Tu ne te rends pas compte, mais tu les impressionnes".
Je réponds : "S'ils savaient à quel point j'ai
la trouille..." Les gens du film attendent tellement de vous
! Cette peur alourdit encore ma responsabilité. |
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Même des gens
que je ne connais pas ou des cinéastes avec qui je n'ai jamais
travaillé, je sens bien qu'ils m'abordent avec une certaine
appréhension, je peux sentir leur trac ou leur timidité
qu'ils arrivent d'ailleurs à me donner, d'abord parce que je
suis quand même un peu timide dans la vie et que souvent, j'ai
cette responsabilité de devoir abaisser toutes les barrières
et de devoir aller vers l'autre parce qu'on me dit : mais tu ne te
rends pas compte, tu es impressionnante pour les gens. C'est sans
doute vrai, mais c'est vrai que ça fait un lourd rôle
à porter, un peu j'imagine comme si on était comme ça
un peu chef d'Etat et qu'on se devait si vous voulez, de toujours
avoir la pensée, l'attention, le geste, le regard, pour l'autre
qui n'ose pas forcément peut-être vous aborder normalement.
Alors... et moi qui aime pourtant plutôt les rapports simples
et directs et naturels, c'est vrai que... j'essaie d'y penser plus
maintenant si vous voulez, pour gagner du temps, pour arriver plus
vite à un rapport plus simple. |
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Sur un tournage j'ai le
sentiment que mes rapports sont beaucoup plus naturels. Bien sûr,
selon les scènes ou les jours, je peux être plus ou moins
angoissée, avoir le trac, mais je dirais que ça reste
un environnement très familier. Même si je n'aime toujours
pas qu'il y ait du monde autour de la caméra au moment du "Moteur".
Je crois que je suis très attentive à tout et je vis
assez bien avec le tournage, c'est-à-dire avec les techniciens,
la lumière, le son, la caméra... |
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Plus on a d'expérience, plus on "grandit" pour les
gens, et plus ils ont tendance [...] à me considérer
comme quelqu'un qui "sait". Qui sait, qui a de l'expérience,
et je trouve cela dangereux parce que les acteurs, heureusement, ont
une vision des choses très partielle et très particulière,
souvent aussi très juste puisque c'est une vision "de
l'autre côté", où personne ni rien ne dépend
d'eux. C'est une vision globale et partielle à la fois. |
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Plus ça va et pire c'est. Quand vous avez
fait un certain nombre de films, on voit bien sur le plateau et dans
le regard des gens que vous représentez un poids d'expérience.
On me connaît, j'ai un passé, et on attend certaines
choses de moi. Il faut que j'arrive à donner au moins ce qu'on
attend de moi, et en plus surprendre, étonner les gens, et
me surprendre moi. Plus vous êtes connue, moins on vous remet
en question, vous êtes une sorte d'institution. Si ce n'est
pas moi qui me remets en question et qui me bouscule parce que j'ai
peur, les gens me prennent pour ce que je suis, on vous met sur la
commode et c'est dangereux. |
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Sur les tournages, j'ai
besoin d'harmonie. Je n'aime pas les conflits. |
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II n'y a pas souvent de
plaisir lors d'un tournage. Plutôt de l'excitation, de la curiosité. |
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Je fais un métier que j'aime beaucoup
et que je commence à connaître assez bien. Dans certains
cas même, je peux donner des conseils aux jeunes metteurs en
scène avec lesquels je travaille. Je suis très perfectionniste.
J'adore l'atmosphère des studios. Je connais les fils d'un
film, ses ressorts, je connais les tensions d'un studio comme je connais
les perfectionnements que l'on peut apporter à certaines scènes.
Et si c'est possible, ou si c'est indispensable, ou si ça peut
simplement être utile sans jeter de trouble j'essaie d'y aider. |
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On a toujours un pouvoir quand on a un rôle
important. Il s'agit simplement d'influence par expérience
sur des gens qui ont confiance en vous et avec qui on essaie d'entretenir
des rapports de collaboration. C'est ce qui m'intéresse le
plus. D'aider, pas seulement à ce que je fais, mais au film,
à l'intérêt général, aux scènes,
par rapport à des choses qui, soi-disant, ne concernent pas
les acteurs a priori, que ce soit la lumière ou les autres
acteurs... Je me sens partie intégrante d'un film, je ne
me contente pas de sortir de ma loge pour aller répéter
ma scène et la tourner.
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Je me mêle déjà
de tellement de choses qui ne devraient pas me regarder et dont je
considère, moi, qu'elles me concernent... [...] Evidemment,
j'essaie de ne pas faire "Gnagnagna, et pourquoi ci et pourquoi
ça ?" à tout bout de champ. Mais je pose des questions.
[...] Sur mon personnage. Sur ceux de mes partenaires. Sur la mise
en place des scènes. |
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C'est un bon dérivatif
à l'angoisse de regarder les autres travailler. Ma façon
de me concentrer c'est de me déconcentrer, donc d'observer,
de regarder les techniciens, les autres acteurs. J'observe beaucoup.
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On ne tourne que quelques
minutes par jour et puis l'équipe technique est très
occupée, chacun a quelque chose à faire, vous ne vous
sentez pas observée. Il faut vraiment qu'il y ait beaucoup
de figuration pour que vous vous sentiez clouée au pilori,
observée de toutes parts. C'est ce que ne comprennent jamais
les gens qui viennent sur les plateaux, qui vous demandent "Comment
faites-vous pour supporter toute cette attente entre les prises ?
Vous ne vous ennuyez pas?" Mais l'attente du cinéma n'est
pas angoissante car elle n'est pas vide, ce n'est pas une attente
neutre. C'est une attente chargée, on est dans un état
de tension et de veille permanentes. C'est très usant... |
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La chose terrible pour
un acteur, c'est qu'il est très difficile de combler cette
attente. [...] C'est très difficile pour un acteur de faire
quelque chose, surtout qu'on ne sait jamais combien de temps va durer
l'attente. On est toujours un peu comme les sportifs au moment du
départ : on est toujours tendu. Moi, j'ai une grande force
par rapport a certains parce que j'arrive à dormir. C'est une
grande force de récupération parce qu'être acteur
est aussi un métier physique. |
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Pour moi, l'attente est
moins dure que pour d'autres, parce que j'ai la chance de pouvoir
dormir sur un tournage. Les gens qui viennent sur un tournage sont
toujours étonnés : "Mais comment pouvez-vous attendre
comme ça ? Les tournages, c'est tellement dur !" On ne
se rend pas compte que l'attente des acteurs n'est jamais vide mais
au contraire très tendue. Les moments entre les plans font
partie du film, même si parfois on les trouve longs, ils font
aussi partie du tournage. J'ai cette chance formidable de pouvoir
dormir, donc de récupérer, et ça me permet de
tenir. Mais je ne suis pas du tout détendue, mon sommeil n'est
pas profond, c'est un sommeil de récupération qui m'aide
à avoir cette résistance dont j'ai besoin pour tourner.
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Quand je tourne, je dors
comme les chats. Mais je dors à moitié, je somnole et,
en vérité, je pense au film ou à la scène,
ou à des choses qu'on a déjà faites... J'essaie
de rester dans la continuité du film, c'est donc plutôt
les scènes précédentes que je relis. J'essaie
d'oublier que je connais le scénario, c'est-à-dire j'essaie
de ne jamais lire les choses au moment où l'on doit les faire,
sauf si ce sont des scènes très difficiles, j'essaie
d'arriver avec assez de fraîcheur sur le texte. Pour laisser
naître l'émotion... |
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J'ai des principes absolus
par rapport à la vie privée mais j'essaie plutôt
de vivre à peu près normalement. A la fin d'une journée
de tournage, le film et le tournage restent toujours dans ma tête,
mais j'arrive vraiment à couper. D'ailleurs mes amis sont toujours
étonnés que je parle si peu de mon travail. D'abord,
le mot travail me fait sourire, ce n'est pas vraiment un travail.
J'ai quelques amis, cinéastes ou techniciens, et d'autres totalement
en dehors du monde du cinéma, mais le travail sur un tournage
ne me semble pas du tout communicable, sauf avec des gens de cinéma. |
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Mes amis me disent souvent
: "Tu dis que tu adores les tournages, mais en même tu
ne te rends pas compte de l'état dans lequel tu es pendant
les tournages, la souffrance, le doute..." Je leur réponds
: "Oui, mais la chance, c'est qu'après le tournage, on
oublie, et il reste le film". C'est comme un accouchement : un
truc incroyablement douloureux mais auquel, peu de temps après,
on ne pense plus et heureusement ; sinon les femmes n'auraient jamais
plus d'un enfant. |
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Aujourd'hui,
je profite plus de certaines choses, en même temps je souffre
plus aussi parce que s'il y a des problèmes je le vois plus
vite donc je suis moins protégée. On a d'autres formes
de doute parce que quand on avance, que l'on continue à travailler
que l'on est quand même connue et reconnue et qu'on attend quelque
chose de vous, il y a l'idée de ne pas être toujours
aussi à la hauteur de la journée, c'est même pas
la situation mais disons il y a des jours où l'on est plus
ou moins en forme, vous voyez, et on sait que quand on est moins en
forme et bien ce jour là malgré tout, il n'y a rien
à faire on va quand même imprimer la pellicule, il y
aura quand même la scène donc c'est un peu frustrant
quand même ! |
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Les rushes

Je n'aime pas me voir
au cinéma. Pourtant, paradoxalement, je vais toujours aux rushes.
Ça m'aide à construire mon travail. Là, je me
regarde comme je regarderais quelqu'un d'autre : c'est un dédoublement
authentique. Et puis, je suis toujours insatisfaite de moi, sauf peut-être
dans "Le dernier métro"... |
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Par moments, je me sens
aux limites de la schizophrénie. Je n'en suis pas encore à
parler de moi à la troisième personne, mais il y a un
authentique et profond dédoublement : lorsque je me vois en
projection, quand je vois mon image sur l'écran, ce n'est pas
moi que je regarde. Ou ce que je vois de moi, c'est tout ce que je
repousse, tout ce que je n'aime pas. Je n'ai aucun attendrissement,
aucune indulgence pour la personne que je vois à l'écran.
De toute façon... j'ai très peu d'indulgence pour moi. |
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J'ai besoin d'y aller
[aux rushes]. D'abord, pour voir comment fonctionnent le maquillage
la coiffure... Et, surtout, parce que l'on apprend beaucoup de choses
sur les techniciens avec lesquels on travaille et qu'on ne connaît
pas forcément, sur ses partenaires aussi... Je trouve que c'est
un gain de temps. C'est étrange de ne pas voir la concrétisation
de son travail, de ce qu'on a imaginé... |
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Je vais toujours voir
les rushes des films que je tourne. Et même si je ne suis pas
dans la prise. J'en tire des enseignements. |
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Je vais voir les rushes,
je vois tout, je vois tout le monde, on sait qu'on peut me demander
des choses. Il m'est arrivée de faire des films avec des metteurs
en scène qui n'allaient pas voir les rushes, et qui m'appelaient
ensuite pour me demander mon avis. Il y avait un sentiment de confiance
réciproque, c'était pour moi le signe d'une confiance
absolue : on fait les choses ensemble, on peut se tromper, recommencer. |
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Le tournage, c'est un jeu sérieux. Le plaisir,
c'est après, aux rushes, la confrontation entre ce qu'on a
pensé et ce qu'on voit. Avant, je ne pense pas tellement au
public, mais là, je suis la première spectatrice du
film, et après je vais voir les films en salle avec le public.
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Ce que j'aime, c'est aller aux rushes, parce que
là, j'ai encore du pouvoir pour changer les choses, modifier,
et j'apprends à connaître les gens, les techniciens,
mes partenaires. Au tournage, on est complètement pris par
l'aspect technique des choses. Aux rushes, je me dédouble complètement.
Il n'y a aucune identification, c'est quelqu'un d'autre que je regarde
et que je juge, ce n'est plus moi. C'est à la limite de la
schizophrénie. |
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C'est le seul moyen, pour un acteur,
de sentir un film avant qu'il ne soit fini, qu'il ne soit trop tard.
Et puis, on apprend plein de choses. Sur son réalisateur, si
on ne le connaît pas très bien. Sur ses partenaires.
Sur soi. [...] Souvent, je me dis "Non là, c'est pas bon,
c'est pas ça". Ça me déprime mais, en même
temps, ça m'aide à avancer... |
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[Le montage] est ce
qui donne au film son poli, mais ce n'est pas le montage qui fait
le film, ou alors ce serait réduire le film à sa technique.
Or, quand les metteurs en scène sont vraiment des auteurs,
ils ont une vision, une représentation de leur film avant même
qu'il soit tourné, et c'est cela qui est déterminant.
Il y a aussi quelque chose d'essentiel dans le moment du tournage,
dans les rapports, dans ce qui va ou ne va pas prendre... Voilà
pourquoi il faut un scénario impeccable, ce qui est trop peu
souvent le cas : il y a tant de problèmes qui surgissent, d'embûches
imprévues durant un tournage. Au fond, le cinéma, c'est
un métier de perpétuels compromis : avec le temps, avec
les partenaires, avec les techniciens... Et, parfois, le résultat
peut être fulgurant, surprenant. |
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Avant
et après les tournages

On est décalé,
quand même. On ne peut pas vraiment faire des choses importantes
quand on ne tourne pas. On est inquiet. On est en attente. |
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Nous avons la chance de faire un métier merveilleux et passionnant.
Ce n'est pas non plus "la grande famille", mais les rapports
sont chaleureux et je souffre souvent de la brutalité des séparations
après chaque tournage. On se quitte après plusieurs
semaines de vie commune sans savoir quand on se retrouvera. Tout va
beaucoup trop vite. |
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Les acteurs et les metteurs
en scène sont souvent volages. On s'adore et après on
s'oublie. On noue des amitiés très fortes au cours d'un
tournage et à la fin chacun s'en retourne à ses projets.
C'est ainsi et je ne me sens pas plus trahie que les autres ; ce qui
est important, c'est de le savoir avant. J'aime bien ces contacts
fugaces et forts, se perdre, se retrouver sur un autre plateau, ce
rapport éphémère qui fait que la relation est
forte. |
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[A propos de la fin des tournages]
Moi, justement, je ne veux pas le voir comme une hémorragie,
mais comme une opération où l'on fait sans arrêt
des garrots. Sinon les acteurs auraient tendance à être
complètement exsangues. Certains sont complètement bouffés,
usés. Ce n'est pas seulement le travail, c'est de ne pas arriver
à faire la part des choses et de continuer cet engrenage en
dehors des périodes de travail. Alors le sang continue de partir
comme ça... Il faut accepter de faire des choses avec une certaine
lucidité et un certain recul, sinon je pense qu'on est dévoré
complètement. |
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Comme
je deviens plutôt mélancolique, une fois que les choses
sont faites comme beaucoup d'acteurs j'ai envie de refaire, j'ai souvent
tort, parce que ce n'est pas parce qu'on refait qu'on fait mieux...
Donc je ne me fais pas trop confiance, je suis assez pessimiste, positive
mais tout de même pessimiste, alors je sais qu'il faut que je
fasse attention à ce que je pense et à ce que je vois.
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Parfois il y a un monde entre le film rêvé sur le papier
et sa conclusion. Il arrive même que ce ne soit plus du tout
le même film ! |
Catherine Deneuve, Cinématographe
1986
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Si je souffre pendant
un tournage, une récompense ne va pas en effacer le souvenir.
Ca m'est arrivé quelquefois. Heureusement. Ca fait partie de
la vie. Ma vie est peut-être une belle histoire d'amour, mais
certainement pas un conte de fées. |
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On a toujours peur que ça s'arrête.
On y pense tout le temps quand on ne tourne pas pendant trois ou quatre
mois. Quand on est encore sur un film, qu'il n'est pas sorti, qu'il
y a un doublage à faire, ça va, mais c'est après
que ça devient difficile
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