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Extraits d'interviews
de Catherine Deneuve

Le
choix du film
J'ai écrit à
Lars von Trier un soir, dans un élan, parce que j'avais été
très bouleversée par "Breaking the waves",
et que j'avais entendu parler d'un projet qu'il devait tourner sur
dix ans - il l'a abandonné depuis. En France, une tradition
veut que tout parte du désir du metteur en scène, qui
est souvent auteur, et c'était donc la première fois
que je faisais une telle démarche. Il m'a répondu par
une lettre charmante, en m'expliquant que, outre le projet précité,
il avait celui d'une comédie musicale. |
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J'ai effectivement écrit
à Lars von Trier après avoir vu "Breaking the Waves",
lui exprimant mon admiration et l'émotion que le film m'avait
procurée. Il m'a gentiment répondu en m'évoquant
ce projet de film musical dont je ne savais absolument rien et m'a
proposé plus tard le rôle de Kathy. |
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Après "Breaking the waves", j'ai écrit à
Lars von Trier. C'est la première fois que je faisais ça.
J'avais entendu parler de son projet de tourner un film sur vingt
ans avec des acteurs différents au fil du temps. Je lui ai
fait savoir que ça m'intéressait, mais il était
déjà passé à autre chose : une comédie
musicale, "Dancer in the dark", dans laquelle j'ai fini
par jouer. Ensuite, ma démarche d'aller vers lui a pris une
ampleur totalement disproportionnée par rapport à la
réalité. Car Lars est assez manipulateur dans ce domaine
: ça lui permettait de dire deux ou trois trucs amusants aux
journalistes sans avoir besoin de parler de son film. |
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C'était une aventure
que je n'aurais pas tentée si je n'avais pas eu une absolue
confiance dans le metteur en scène. De plus, le tournage était
en anglais, avec une marge d'improvisation, c'était une aventure
que je n'aurais pas voulu manquer, persuadée dès le
départ que cela pouvait donner une chose très particulière,
très mouvementée. |
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Je lis beaucoup de scénarios,
et depuis longtemps, donc j'arrive à lire et à regarder
le personnage en même temps. Mais par exemple, lorsque j'ai
lu "Dancer in the dark", si je n'avais pas su que Lars von
Trier me l'avait envoyé en me disant bien qu'au départ
le rôle n'avait pas été écrit pour moi
mais pour une Américaine black de 40 ans, je ne suis pas sûre
que j'aurais eu envie de le faire si ça n'avait pas été
lui. |
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Le
personnage
Le caractère du
personnage est bien sûr défini dans le scénario,
mais c'est un portrait ouvert que l'on pouvait influencer et développer.
On pourrait dire que le portrait était tracé en noir
et blanc, et que nous pouvions intervenir avec notre propre gamme
de couleurs. Kathy, mon personnage, n'a pas réellement une
histoire à elle, et on discerne mal ce qui lui est arrivé,
ses expériences antérieures. Là, il y avait place
pour apporter soi-même quelque chose. Et Lars nous a laissé
la possibilité d'improviser autour des dialogues. [...] La
mémorisation des dialogues est une chose, mais travailler dans
une langue qui n'est pas la vôtre fait un peu peur. Et c'est
la première fois que je m'aventure dans un projet qui a des
bases aussi floues. Ce n'est déjà pas facile d'improviser
en français... |
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Les gens qui me connaissent
bien dans la vie trouvent que c'est un personnage qui me ressemble
beaucoup, tant dans le côté pragmatique que dans le côté
physique. Je suis une femme plutôt débrouillarde, je
n'ai pas de problèmes pour manipuler des choses importantes,
je peux même faire de la mécanique du moment que ça
m'amuse. Je me suis sentie bien sur ce tournage, parce que j'étais
naturelle, je n'étais pas maquillée, et ça donne
une vraie liberté puisque l'on n'a pas à se soucier
des raccords, de la coiffure, de la lumière. |
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Lars von Trier est un
metteur en scène très subversif. Ses fans lui vouent
une admiration sans bornes tandis que ses réfractaires le trouvent
irritant et agaçant. De plus, le public a réagi violemment
sur le sujet de fond du film, qui tourne autour de la rédemption
et du sacrifice. |
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Travailler avec Lars a
été très stimulant. J'aime son sérieux.
C'est peut-être une sorte de sérieux nordique. Mais il
possède une force particulière, tout en étant
très sensible, très torturé. Il a un fort besoin
de sécurité, en même temps qu'il transmet une
sensation de sécurité. [...] Son contact avec les acteurs
est extrêmement direct et présent. Et surtout, il est
lui-même derrière la caméra. Cette présence
est très reposante et stimulante. Elle crée une confiance
qui facilite la prise de risques : ceux-là mêmes qu'il
attend qu'on prenne pour lui. |
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Cette caméra [numérique]
donne une aisance et des possibilités illimitées. Mais
cela ne veut pas dire qu'elle peut faire des miracles entre toutes
les mains. Lars von Trier est un maître en la matière
car il possède la vision requise. Je ne pense pas renouveler
cette expérience avec n'importe quel réalisateur. Il
faudra du temps avant que chacun puisse utiliser ce nouveau système
d'une manière efficace. Imaginez un peu que toutes les scènes
musicales, ainsi que la scène du meurtre, ont été
réalisées à l'aide de 100 caméras tournant
au même moment. Un véritable casse-tête pour le
monteur ! |
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C'est
une manière très différente de travailler. Sur
"Dancer in the dark", on répétait très
peu, parfois pas du tout. Lars, qui sait remarquablement utiliser
cet outil, improvisait sans cesse. Il faut que le film s'y prête,
car le danger, ce sont les mouvements: comme la caméra est
très maniable, on se retrouve souvent face à une image
qui bouge tout le temps. |
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[à propos de la
caméra numérique]
Je suis très prudente face à cette opportunité.
Cela demande une grande intelligence de cinéaste. Quand on
filme tout avec une petite caméra, il est difficile de rester
à la bonne distance et, après, de savoir quoi garder
ou jeter. Se lancer ainsi dans le vide, tout enregistrer, c'est une
chose, mais encore faut-il savoir ce qu'on va faire du résultat.
Ce n'est pas une aventure que je serais prête à tenter
avec le premier venu. Il me faudrait une grande confiance, moins dans
le projet, d'ailleurs, que dans la personnalité du cinéaste.
Cela m'est égal de prendre des risques, si c'est au service
d'un vrai regard. |
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Tourner avec Lars von
Trier, pratiquement pas maquillée ni coiffée, à
peine éclairée pour être belle, cela donne une
certaine liberté. Il y avait sur ce film un souci des apparences
bien moindre que sur un film classique. Or ce souci et la préparation
physique qu'il implique tous les matins sur un plateau m'ont toujours
pesé, et de plus en plus. |
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Me montrer à la
caméra sans maquillage ne me posait aucun problème.
J'ai fait entièrement confiance au directeur de la photographie,
même si je savais qu'il n'y avait aucune lumière artificielle.
C'était un tournage différent dans tous les sens du
terme mais l'expérience était trop unique pour ne pas
la tenter. Avec le recul aujourd'hui, c'était très agréable
de ne pas passer par la séance de poudrage journalière.
Tout était léger, les costumes, les caméras,
le maquillage ! |
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Tourner en vidéo
est très différent. Il n'y a pas de rushes, par exemple,
ce qui est très frustrant. Même si, finalement, cela
devient une forme de liberté. Quand on tourne avec Lars von
Trier, il y a des choses que l'on sait à l'avance. Moi, je
savais que ce serait très excitant. J'ai aussi découvert
à quel point le fait que la plupart des techniciens soient
absents du plateau donne un sentiment de grande intimité aux
acteurs. |
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Björk
La présence de
Björk a certainement influencé ma décision de participer
à cette aventure. A la première lecture du scénario,
j'ai immédiatement su que Lars Von Trier avait écrit
le personnage en pensant à elle. A l'origine, elle n'était
censée que composer la musique mais je ne pouvais à
aucun moment imaginer une autre comédienne dans la peau de
Selma. |
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[à propos de Björk]
Je connais ses disques et ses vidéos depuis longtemps. Les
premières fois où je l'ai écoutée, ou
je l'ai vue, j'ai tout de suite été frappée par
son originalité. Par ce mélange de sophistication et
de force. C'est sans doute l'une des femmes [
] les plus singulières
d'aujourd'hui. Nous sommes tous uniques, mais elle l'est un peu plus
que les autres ! [
] C'est une artiste qui ne vit que pour la
musique. [
] C'est un petit elfe incroyablement doué,
très fragile et très solide à la fois, très
délicat et très puissant
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Catherine Deneuve, Studio Magazine
2000
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Björk n'est pas une
actrice. C'est ce qui a d'ailleurs été sa grande souffrance,
sur le tournage : elle ne jouait pas, elle "était"
son personnage. C'était très dur pour elle, moralement
et physiquement. |
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[sur les rapports entre
Björk et Lars von Trier]
Ce sont des personnes très entières, très douces
comme ça en apparence dans les contacts, mais l'un et l'autre
ont en eux une grande violence contenue. Ce sont des artistes très
déterminés, à la personnalité très
forte ; c'est normal que ce soit compliqué pour eux de collaborer.
Alors, parfois, il y a eu des clashes, des étincelles, comme
des décharges électriques
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Catherine Deneuve, Studio Magazine
2000
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J'étais assez protectrice
Je la sentais
très vulnérable. Et comme, avec moi, elle était
en confiance, nous avions un rapport de totale complicité,
de totale liberté, sans aucune rivalité. Presque ludique
parfois. C'était des rapports d'une grande douceur, même
si on sent toujours chez elle une grande violence contenue. [
]
On se voyait très peu en dehors du tournage, mais sur le plateau,
elle était comme une petite sur
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Catherine Deneuve, Studio Magazine
2000
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Björk est quelqu'un
de très responsable, qui n'a besoin de personne et qui est
de surcroît très timide. Je me contentais juste de l'épauler
de temps en temps puisque après tout, c'était son vrai
premier grand film. |
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Je ne suis pas l'ange
gardien de Björk. Simplement, dès qu'elle était
là, un sentiment de protection s'installait. Elle n'avait pas
d'expérience d'actrice et je voulais lui éviter des
douleurs inutiles. |
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2000
Danemark
Couleurs
2h19
Rôle de Kathy |
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Réalisateur
: Lars von Trier
Acteurs : Björk, David Morse,
Peter Stormare, Jean-Marc Barr
Scénario : Lars von Trier
Photo : Robby Müller
Musique : Björk
Résumé
: Emigrée aux USA, Selma est ouvrière. Secrète,
elle a une passion pour la musique et n'a dit à personne qu'elle
perdait la vue et que son fils, s'il n'est pas opéré,
connaîtra le même sort.
Festival
de Cannes 2000
Prix
Festival
de Cannes 2000 : Palme D'Or / Prix d'Interprétation Féminine
(Björk)
National Board of Review 2000 (USA) : Performance Musicale par une Actrice
(Björk)
Icelandic Film and TV Academy Awards 2000 : Actrice (Björk)
European Film Awards 2001 : Meilleur Film Etranger
Goya 2001 : Film Européen
Bodil 2001 : Actrice (Björk)
Golden Satellite Awards 2001: Chanson
Independent Spirit Awards 2001 : Film Etranger
Online Film Critics Society Awards 2001: Espoir Féminin (Björk)
Nominations
Golden Globes 2001 : Chanson / Actrice Drame (Björk)
Oscars 2001 : Chanson
Césars 2001 : Film Etranger
British Academy Awards : Musique
Chicago Film Critics Association Awards 2001 : Actrice / Musique
Cinema Writers Circle Awards (Espagne) : Film Etranger
Bodil 2001 : FIlm
Golden Satellite Awards 2001 : Film (Drame), Actrice Drame (Björk),
Second Rôle Féminin Drame
Las Vegas Film Critics Society Awards : Actrice (Björk)
Online Film Critics Society Awards 2001: Film / Réalisateur /
Actrice (Björk) / Montage / Musique
Photos du tournage





Photos du film


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