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Extraits d'interviews
de Catherine Deneuve

Au départ, Gérard
désirait uniquemenI produire le film parce qu'il n'était
pas sûr de vouloir tenir ce rôle. Et puis, il avait d'autres
projets en tête. François Dupeyron a donc attendu que
Gérard soit libre. Sur le tournage, c'est quelqu'un de fort
qui pousse ses partenaires et qui apporte beaucoup au film. Il est
très généreux. |
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C'est un personnage qui m'a beaucoup
apporté mais qui m'a également beaucoup pris, à
cause aussi de la difficulté du film et des relations sur le
tournage... Quand on tourne des scènes très très
longues, au bout d'un moment, on n'a plus de ressort. On ne peut plus
jouer, on est obligé d'être très nu et c'est finalement
quelque chose de très douloureux. Plus ça va, plus on
est nu et plus on a froid et plus ça vous enlève des
défenses et de la résistance. Et j'estime qu'il faut
toujours garder quelque chose de soi en soi. Il faut toujours avoir
présent à l'esprit, même inconsciemment, que ce
n'est qu'un jeu, qu'une situation qu'on joue et qu'il faut donc garder
une certaine distance. Pour son équilibre mental. |
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On tournait très
souvent la nuit et je dormais très peu, alors au lieu de me
cacher les cernes on ne me les cachait pas. Et comme j'ai les lèvres
pâles, ne pas me mettre de rouge à lèvres me fait
paraître beaucoup plus vulnérable. |
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Quand vous tournez de nuit à
Paris, il y a partout des zones de lumière, des points de chaleur.
Cela palpite, vit. Là, c'était comme au cirque. Il y
avait un trou de lumière et nous au milieu, dans ce cercle,
il du cyclone, sous les projecteurs, désarmés,
vulnérables, à la merci des autres, pourtant ils nous
aimaient, pourtant ils y croyaient autant que nous à ce film.
Mais on était seuls. Totalement seuls. |
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Je n'étais alors qu'un petit
soldat qui, à 6 heures du matin, le visage figé de froid,
avait envie de déposer les armes. |
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Je me suis nourrie de
vitamines, comme les Américains, pour tenir le coup, j'ai peu
dormi et j'ai été surprise de constater à quel
point l'organisme était résistant quand il s'agissait
de survie, je me suis tapée parfois la tête contre le
mur, j'ai douté, mais j'ai gardé le désir. |
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Ce film m'a changée.
Je ne suis plus la même. J'ai beaucoup appris, sur les autres
et sur moi-même. Mes limites, mes résistances. J'étais
au pied du mur. Je me suis surprise... |
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On avait beaucoup de plans-séquences
à faire, et la nuit, c'est compliqué à préparer,
c'est long... Alors on avait l'impression de travailler moins, et
quand, enfin, on avait à travailler, on avait tellement attendu
que la tension était très forte... Les plans-séquences
de nuit, c'est très long à éclairer et lui (elle
montre Depardieu), il était comme un lion en cage ! Moi je
dors, ou je lis, ou je regarde ce qui se passe, lui, il devient fou
! |
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Pour "Drôle d'endroit...",
on a beaucoup tourné de nuit. Rien ne vaut la nuit pour se
rapprocher, c'est vrai, et on s'est parlé plus, mieux. Enfin,
moi, j'ai l'impression que c'était mieux... A cause de la nuit,
du froid, des problèmes techniques divers que nous avons eus
et qui ont contribué à souder tout le monde, je me suis
rapprochée de Gérard. Sa caravane était la plus
proche de la mienne, on était dans le même hôtel,
on a tourné presque tout le temps ensemble, on s'est donc vus
le jour, la nuit, tout le temps. |
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On peut dire que Gérard m'a
portée, poussée et que mon rôle dans le triangle
a été de calmer Gérard. |
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C'est curieux d'ailleurs, parce que
l'équipe était assez importante, mais c'était
une équipe très serrée, très intime et
comme c'était un tournage difficile, très violent, très
dur, on s'est quand même beaucoup amusés, peut-être
aussi parce que c'était un besoin... |
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François Dupeyron, c'est quelqu'un
de dur, et il a parfois raison de l'être, parce qu'il savait
ce qu'il voulait, mais il ne savait pas toujours comment l'obtenir.
Donc, il y avait des moments où on le sentait en attente de
quelque chose qui ne venait pas comme il le voulait. Et on n'avait
pas les moyens d'attendre... Ce qui est bien, quand les metteurs en
scène sont difficiles, c'est qu'on ait l'impression d'avancer,
de progresser... Et le problème, avec la dureté et l'obstination,
c'est qu'il y a des moments où les choses se figent alors qu'elles
devraient s'éclater et s'ouvrir sur quelque chose d'autre.
Par moments, les choses se bloquent, plus rien ne bouge... |
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François Dupeyron
était abrupt. Absorbé par son histoire. N'imaginant
pas une seconde que son film nous intéresserait Gérard
et moi. De nous avoir comme interprètes l'a rendu nerveux.
Nous avons eu aussi d'énormes problèmes techniques.
Bref, François a parfois été cassant. Pas grave,
Je préfère ça à la flagornerie. La seule
chose qui importe, c'est le résultat. Pas la "cuisine"
intérieure, et le résultat m'a épatée.
Qu'on aime ou non, on ne peut le nier : ce film existe... |
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Peut-être qu'il n'est pas complètement
réussi, mais même comme ça, je le trouve beaucoup
plus intéressant que d'autres films plus carrés. C'est
un film profondément original et dérangeant. C'est bien
parfois d'être dérangé au cinéma. |
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Dans la rencontre avec Gérard
pour Studio, j'ai au contraire essayé de ne pas rester sur
l'anecdote - même si elle a été grave pour nous
-, de dépasser ce débat-là. C'est vrai que je
pourrais dire des choses dures sur Dupeyron mais parce que, comme
j'avais beaucoup d'admiration pour lui et ce qu'il avait écrit,
j'ai été très exigeante, j'avais mis la barre
très haut mais j'avais sans doute oublié que je travaillais
avec quelqu'un qui n'avait pas l'expérience des acteurs. |
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J'ai eu une expérience
difficile, mais qui s'est révélée quand même
positive, avec François Dupeyron, dont j'ai fait le premier
film, "Drôle d'endroit pour une rencontre". Le scénario
était magnifique. Le tournage a été très
difficile, car il avait du mal à diriger ses acteurs. Après
les prises, il ne savait pas exprimer ce qui n'allait pas. C'était
un désarroi terrible, et j'ai pas mal souffert sur ce film,
que j'aime beaucoup, avec ses erreurs et ses faiblesses. C'est un
film très attachant et très original, mais le tournage
a été très difficile. [...] Aujourd'hui, je ne
sais pas comment il est avec les acteurs, mais à l'époque,
c'était son premier film, il fallait qu'il tourne avec des
acteurs mais on sentait qu'il avait du mal, beaucoup de mal dans les
contacts humains. |
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"Drôle d'endroit
pour une rencontre" de François Dupeyron a été
un échec commercial mais ça reste un film important
pour moi. Je préfère à jamais les gens qui ont
du talent, à ceux qui réussissent. |
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Extraits d'interviews de
Gérard Depardieu

Ce qui m'avait plu, dans le scénario,
c'était qu'il racontait une rencontre. Catherine m'a communiqué
son envie de jouer cette rencontre. Et puis, je le sentais bien,
Catherine, elle aussi, était en quête de quelque chose. |
Gérard Depardieu, Paris-Match
1988
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Ce qui m'avait plu dans le scénario,
c'était la féminité du personnage masculin.
A mes débuts, à l'époque des "Valseuses",
ce qu'on demandait aux acteurs masculins, pour parler crûment,
ce n'était pas autre chose que des couilles. On a longtemps
voulu me cantonner dans ce rôle de brute et beaucoup de critiques
n'essaient toujours pas de me voir autrement. Parce que la féminité,
ou si vous préférez la poésie, chez un homme,
c'est encore très mal vu. |
Gérard Depardieu, Paris-Match
1988
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Le personnage de France est une
femme désarmée. Elle ne veut plus bouger. Elle croit
qu'elle peut continuer à vivre une passion alors que tout
est fini avec l'homme qu'elle aime. Elle ne veut plus voir l'évidence.
C'est une femme- oiseau. Attention, je n'ai pas dit une femme-enfant.
France est au-delà de ça, bien au-delà. Elle
brûle, elle souffre. Elle est là, légère
et tellement volontaire en même temps... |
Gérard Depardieu, Paris-Match
1988
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Sur le plan de la technique d'acteur,
j'ai toujours su de quoi Catherine est capable. Ce qui m'a étonné,
en revanche, c'est son courage, les risques qu'elle a pris en tournant
ce film et sa façon d'aller au combat, comme ça, mine
de rien... Sa facilité au courage... Elle est entrée
si aisément dans le personnage ! [...] Quel courage pour
Catherine d'entrer dans ce personnage... Mais, dans le fond, je
ne devrais pas être étonné... Je sais que dans
la vie quotidienne Catherine a les mêmes courages que France
! Le métier du cinéma est très misogyne. L'actrice
ne vit que dans le désir de ceux qui la regardent. Catherine
est très exigeante, et d'abord avec elle-même. Elle
est obligée de se protéger. Ce qui suppose une sacrée
santé pour ne pas se perdre comme le personnage de France.
Du coup, pendant le tournage, ça m'a donné envie de
la protéger... |
Gérard Depardieu, Paris-Match
1988
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Quel que soit le film, la plus grande
difficulté pour un acteur tient à ouvrir les portes
de sa mémoire, à aller chercher des parties de lui-même
qui sont enfouies, au risque de s'y brûler. C'est pour cela
que j'admire la performance de Catherine dans ce film. Vous comprenez,
c'est une histolre où on parle avec l'être, pas avec
le paraître ! Il fallait que nous disséquions la magie
des personnages pour devenir nous-mêmes magie. |
Gérard Depardieu, Paris-Match
1988
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Nous tournions de nuit, dans les
pires heures de la nuit, à 3-4 heures du matin, ce qui implique
des conditions techniques très difficiles. Tourner de nuit
est une situation de risque. L'éclairage demande une mise
au point minutieuse et il coûte aussi très cher. Essayez
d'Imaginer la tension générale sur le plateau. Et
il y a aussi l'atmosphère particulière à ce
moment de la nuit, cette sensation de fatigue, d'ennui presque métaphysique
qui vous tombe dessus, ce sentiment de la vanité des choses... |
Gérard Depardieu, Paris-Match
1988
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Elle m'a aidé. Lors du tournage,
j'étais dans une situation qui n'était pas très
éloignée de celle de Charles, le personnage que j'incarnais.
Moi aussi j'étais en transit, au bord d'une frontière.
Cette autoroute où nous tournions, c'était un peu
le symbole de ce chemin où je m'étais arrêté
dans ma vie. Sans savoir où aller. Pendant le tournage, à
ces moments si lourds, si profonds de la nuit, mon esprit vagabondait.
J'aurais eu tendance à partir aillleurs si Catherine n'avait
pas été là pour me ramener au film, à
la situation que nous tournions. Elle a été d'une
très grande vigilance. Elle m'a protégé de
mon ennui, du sentiment de solitude qui m'envahissait parfois, de
ma tentation de détachement devant le travail qui était
en train de se faire. |
Gérard Depardieu, Paris-Match
1988
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II n'y a jamais eu de réels
conflits avec Catherine. Il y a eu peut-être des différends
sur des détails, mais nous étions vraiment animés
l'un et l'autre, je le répète, par un réel
souci de protection mutuelle. Du reste, le mot conflit n'implique
pas nécessairement un affrontement qui se termine au profit
de l'un ou de l'autre. Il y a parfois des situations qu'il faut
aborder de front, sans les contourner. Mais rien n'a jamais pu dégénérer
entre nous parce qu'il n'y a pas, dans notre histoire, de relations
sexuelles qui puissent faire aboutir nos différends sur un
conflit d'une autre nature. Et l'histoire que interprétions
ne s'y prêtait pas non plus. |
Gérard Depardieu, Paris-Match
1988
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Nous venons de vivre douze semaines
ensemble. C'était la première fois que nous tournions
en extérieur, la nuit. Je t'ai vue belle et fatiguée,
belle et tendue, je t'ai découverte belle de nuit. |
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La nuit, dans la tension du tournage
de "Drôle d'endroit pour une rencontre", on mangeait
ensemble sur le pouce. J'avais besoin de décharger mes angoisses
en racontant des choses énormes de vulgarité. Tu riais
pourtant, tu m'encourageais à me laisser aller. Ton humour,
ton indulgence me libéraient. Il y a souvent des histoires
plus fortes entre les hommes et les femmes quand la sexualité
n'est pas là. |
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. Je ne t'ai jamais vue te plaindre
sur un tournage. Tu peux rester debout des heures sans un mot, sous
un soleil de feu ou dans un froid de canard. |
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Extraits de critiques
Ca faisait longtemps qu'un aussi beau
film n'avait pas apporté une preuve aussi magistrale que même
les stars qui ont, comme on dit, "tout joué", peuvent
se hisser un cran au-dessus de leur talent habituel, atteindre une
"vérité" encore plus totale, et nous secouer,
nous surprendre. [...] Pour Catherine Deneuve, c'est encore plus exceptionnel,
car ce rôle de femme perdue, abandonnée, est l'un des
plus beaux que l'on ait vu au cinéma ces dernières années.
C'est un rôle comme en rêvent toutes les actrices du monde
et Catherine Deneuve a su, pour cette occasion, fouiller au plus profond
d'elle-même pour livrer à la caméra des émotions
et des failles, certes déjà entrevues dans les films
de Téchiné par exemple, mais qui semblent ici au maximum
de leur nudité, de leur impudeur. [...] Jamais elle n'avait
interprété un personnage aussi perdu, aussi démuni,
jamais elle n'avait "joué" avec une telle sincérité,
une telle puissance, une telle profondeur. Elle est inoubliable. |
Marc Esposito, Studio Magazine
1988
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Aurait-on jamais imaginé
Deneuve en femme plaqué sur un bord d'autoroute, arpentant
fébrilement une aire de repos en manteau de fourrure et baskets
? Drôle de fantasme. Dupeyron, pour son premier long métrage,
a osé le mettre en scène avec une belle inconscience.
Et l'actrice de relever le défi, aussi délicat pour
le charisme d'une star que pour le narcissisme d'une jolie femme.
Vibratile, déboussolée, pathétiquement obstinée
dans son attente vaine, confrontée à un Depardieu banalement
mufle et néanmoins peu à peu transi d'amour, elle illumine
"Drôle d'endroit pour une rencontre" dans un emploi
inaccoutumé, s'essayant avec bonheur à un registre qui
évoque un peu la Gena Rowlands de Cassavetes : un personnage
"en panne", en état d'errance, largué, auquel
la comédienne confère une détresse sans frime
et sans apprêt. |
Le Mensuel du Cinéma 1993
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1988
Couleurs
1h40
Rôle de France |
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Réalisateur
: François Dupeyron
Acteurs : Gérard
Depardieu, André Wilms, Nathalie Cardone
Scénario : François Dupeyron,
Dominique Freysse
Photo : Charlie Van Damme
Musique :
Résumé
: Par une nuit d'hiver, une femme abandonnée par son mari sur
une aire d'autoroute y fait la connaissance d'un chirurgien bourru.
Nominations
Césars 1989 : Actrice / Espoir Féminin / Premier Film
/ Scénario
Photos du film







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