|
Extraits d'interviews
de Catherine Deneuve

Je n'avais pas tourné depuis un an, il
y avait ces deux rendez-vous manqués et, dès le premier
jour de tournage, on a commencé par une scène difficile
pour moi, qui n'était pas une scène d'approche mais
une scène qui me plongeait d'emblée dans l'atmosphère
du film ; tout de suite, il y a eu des émotions vraies. Ce
qui fait que nous sommes restés sur une tension tout au long
du tournage, mais une tension très gaie. A cause du climat
: c'était un film d'été qu'on tournait en automne,
les journées étaient courtes, il faisait froid, du moins
il a commencé à faire froid plus tôt qu'il n'aurait
dû, il fallait lutter contre le temps, la lumière. |
|
Je n'avais pas tourné depuis un an et,
à force de dire non, je commençais à me demander
si j'avais raison ; il y avait donc une envie de rattraper l'exigence
que j'avais eue pendant un an, il fallait absolument que ce soit ça.
Avec néanmoins une certaine crainte : on s'était très
bien entendus au moment de "Hôtel des Amériques",
et je craignais soit de le décevoir, soit que cette deuxième
rencontre ne se passe pas exactement comme nous l'avions imaginé
lui et moi. D'où l'envie de prouver encore plus. |
|
J'étais emballée,
j'ai eu le même genre de bonheur en lisant le scénario
et en faisant ce film qu'en tournant "Le dernier métro".
J'avais une certitude, quant à moi et à ce que j'aime
au cinéma, que c'était une vraie rencontre avec un rôle,
avec un film, avec quelqu'un pour qui on a plus que de l'estime. Ça
n'arrive pas souvent chez moi, car, même si j'aime mes films,
je n'ai pas toujours cet état de plaisir au tournage, pas aussi
intensément. Il n'y a pas eu une journée où je
n'ai ressenti ce plaisir. |
|
Le tournage se passait
beaucoup la nuit et l'obscurité, le froid, la fatigue rapprochent
et facilitent les rapports humains. |
|
Dans "Le Lieu du
crime", il y aurait comme la confirmation de quelque chose qui
était déjà présent dans "Hôtel
des Amériques". Ce n'est pas le même personnage,
mais je sens comme une continuité, quelque chose de plus abouti.
"Le Lieu du crime" est plus violent, sûrement d'une
plus grande ampleur. |
|
André voulait
que ce soit presque excessif. Je trouvais qu'il y avait un danger
d'hystérie, dans les scènes d'émotion, surtout
pour une actrice comme moi, plutôt nerveuse, et c'est quelque
chose qu'on a évité. Quand ça culmine, il y a
toujours un risque que le public repousse les personnages, parce que
ça dérange trop. |
|
Je crois que c'est le
film où André est le plus proche de ce qu'il veut faire,
de ce qu'il ressent. Il y a une grande part de ses propres souvenirs,
on a tourné dans le collège où il a étudié,
ces relations passionnelles entre la mère et cet enfant. |
|
J'aime cette scène où je rentre
le matin, quand le garçon est en train de prendre son petit
déjeuner : " Et en plus ne m'appelle pas Lili ".
L'enfant a douze ans dans le film et j'aime ce ton, d'une femme qui
a des rapports véritablement amoureux avec son fils : souvent
leurs relations ressemblent à des querelles d'amoureux. |
|
Dans "Le lieu du crime", il y a par
exemple des scènes d'amour avec Wadeck [Stanczak]. Je pense
que je ne les aurais pas faites si cela n'avait pas été
avec André. C'est très difficile à tourner pour
moi parce que, c'est vrai, je déteste la nudité, au
cinéma comme dans la vie. C'est difficile, les scènes
d'amour ou de nudité, on ne joue plus, on est extrêmement
vulnérable... Mais, dans "Le lieu du crime", c'était
vraiment important, cette scène où le petit garçon
voit sa mère nue avec l'homme qui a menacé de le tuer...
C'était indispensable au film, mais j'avais dit à André
qu'il valait mieux qu'on en parle avant parce que, peut-être,
il y aurait des choses que je trouverais impossibles pour moi. Il
a eu l'explication et les mots qu'il fallait - ça, c'est une
chose qui appartient à André et à moi. Et c'est
vrai que, malgré tout, c'est une scène que je redoutais
mais j'avais une confiance absolue. |
|
André m'a étonnée,
souvent, mais tout particulièrement lors de la scène
du repas de communion dans "Le lieu du crime". Cette mise
en scène, si peu démonstrative, qui donnait sa chance
à chacun, qui isolait les personnages pour mieux les réunir,
finalement, autour du plateau de cerises qu'allait chercher Danielle
Darrieux. Ah oui, là, vraiment, j'ai eu l'impression d'un moment
magique. Vous savez, cet instant qui vous semble parfait et que l'on
veut retenir parce qu'il est illusoire... |
|
Il y a cette séquence magnifique
du repas de première communion. J'y repense souvent parce qu'elle
me semble parfaite : le rythme, la caméra, la voix musicale
de Danielle Darrieux, et cette mélancolie intense des regards...
C'est ça, pour moi, une mise en scène : l'harmonie. |
|
Extraits d'interviews
d'André Téchiné

"Le lieu du crime"
c'était le film de la réconciliation illusoire. D'un
côté, des fugitifs, de l'autre, l'ordre familial. Et
entre eux, des courts-circuits. Le film aurait pu s'appeler "Au
cur de l'orage". La grand-mère, interprétée
par Danielle Darrieux, y incarne la gardienne de l'harmonie. Ce n'est
pas un monstre, mais, avec une belle naïveté, elle croit
que les gens de l'extérieur sont des pièces rapportées
qu'on doit repousser pour préserver l'essentiel : l'unité
familiale. C'est un être utopiste, donc forcément touchant.
Totalement inconscient que les perturbations et les turbulences du
monde rendent ses efforts dérisoires. |
André Téchiné,
Télérama 2003
|
Avec Catherine, j'ai toujours l'impression de
pouvoir aller plus loin ; j'ai la chance qu'elle accepte de se mettre
en danger dans les rôles que je lui propose. C'est vraiment
une interprète idéale parce que, contrairement à
d'autres acteurs, elle ne projette aucun cliché psychologique
dans le personnage. Très souvent, les acteurs se font une idée
de leur personnage mais, n'étant ni scénaristes ni cinéastes,
cette idée du personnage est terriblement "clicheteuse".
Ils manquent de perspicacité pour donner sa complexité
à un personnage, ce qui débouche souvent sur des réductions
un peu banales. Deneuve échappe à ça. Elle ne
tire jamais le personnage vers des simplifications qui risqueraient
d'être caricaturales. |
André Téchiné,
Les Cahiers du Cinéma 1986
|
Ce qui me sidère le plus chez elle, c'est
que contrairement à certains acteurs, il n'y a pas de métier.
Il y a une absence totale de technique et, finalement, de l'innocence
devant la caméra. A chaque fois elle se balance dans une scène
comme si elle n'avait aucun repère. Comme si c'était
la première fois. Elle tatonne comme une débutante.
Dans "Le lieu du crime", elle n'était pas mieux armée
que l'enfant. Il semble toujours y avoir en elle une réserve
dans laquelle on peut puiser. |
André Téchiné,
Studio Magazine 1996
|
Cela m'excitait beaucoup que Catherine soit embarquée
par les flics. C'est un pied de nez à l'image que les gens
se font d'elle habituellement. |
|
Et puis, dans "Le lieu du crime", la
scène où elle va voir sa mère. La façon
dont elle exprime, à la limite de l'hystérie, l'insatisfaction
de sa vie, la manière dont elle parvient à suggérer
qu'elle bascule dans une sorte de folie tient du miracle...
|
|
Extraits de critiques
Catherine Deneuve accomplit une provincialisation
bouleversante et trouve ici son meilleur rôle dans un emploi
tragique. Les cheveux mouillés, elle atteint les paroxysmes
anciens où savaient se montrer Ingrid Bergman et Anna Magnani.
|
Cinématographe 1986
|
Téchiné aime à dire que l'une des principales
qualités de Deneuve consiste à éviter le cliché
psychologique et à ne jamais tirer le personnage vers une
"idée". Dans "Le lieu du crime", plus
encore que dans "Hôtel des Amériques", elle
ignore souverainement cet écueil simplificateur, et donne
à sa Lili un puissant lyrisme contenu qui sied parfaitement
au style du cinéaste. Héroïne apparemment aguerrie,
carapaçonnée, soudain révélée
à la toute-puissance d'une passion jusqu'auboutiste que la
comédienne prend en charge avec un étonnant mélange
de force tragique, de fièvre et de sérénité
rayonnante : un personnage et une actrice habités.
|
Le Mensuel du Cinéma 1993
|

|
1986
Couleurs
1h30
Rôle de Lili |
|
Réalisateur
: André
Téchiné
Acteurs : Wadeck Stanczack, Danielle
Darrieux, Victor Lanoux, Claire Nebout, Nicolas Giraudi, Jean-Claude
Adelin, Jean Bousquet, Jacques Nolot
Scénario : André
Téchiné, Pascal Bonitzer
Photo :
Musique : Philippe Sarde
Résumé
: Un garçon de 14 ans, perdu dans son petit village natal, s'invente
des histoires, jusqu'au jour où la réalité dépasse
la fiction, lorsqu'un truand en cavale séduit sa mère.
Festival
de Cannes 1986
Nominations
Césars 1987 : Second Rôle Féminin /
Photos du tournage

Photos du film














|