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Extraits d'interviews
de Catherine Deneuve

Il pouvait me demander
ce qu'il voulait. Rien n'avait brisé l'enthousiasme que j'avais
à l'idée de travailler avec lui. Il m'aurait dit "Peau
d'âne" ou La fée Carabosse (rires). Il n'y a quand
même pas beaucoup de metteurs en scène qu'on a envie
de suivre dans leur univers. [...] Il aurait pu me proposer un autre
conte, beaucoup plus cruel, dur, je l'aurais suivi. |
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J'étais très à l'aise dans l'univers de Demy
: celui du mélodrame, de la magie, du conte de fées
comme "Peau d'âne".
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Ce film est un conte de
fées, très princesse, un papillon, mais en même
temps, il virevolte sur des questions très réalistes
: celle de l'inceste par exemple, une obsession de Demy, ou de l'amour
fraternel. |
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"Peau-d'Ane" s'est réalisé
dans une atmosphère assez particulière. Tourner un conte
de fée, c'est à la fois être un personnage vrai
et impalpable. C'est la première fois que j'incarnais un personnage
en même temps inexistant et très connu. Il me fallait
travailler sur le crédible et le fantomatique. Je devais jouer
sur le léger sans identification possible. C'était une
gageure passionnante. Ça m'était, par ailleurs, facilité
par le fait que je n'aime pas prendre les choses brutalement, à
bras-le-corps. Je tiens à conserver une certaine distance.
Le personnage de Peau-d'Ane, purement imaginaire, sans psychologie
préétablie, me facilitait une approche qui, par ailleurs,
semble-t-il, paraissait correspondre aux souhaits de Demy. D'une façon
générale, je m'implique profondément dans les
personnages que j'incarne, ce qui peut paraître paradoxal par
rapport à ce que je viens de dire (mais ce métier est
tout de paradoxe) ; reste que ma pratique professionnelle fonctionne
là-dessus : à la fois distanciation et enracinement. |
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On aime toujours le dernier
film qu'on a fait, mais, cette fois-ci, j'y tiens tout particulièrement.
J'espère que ce conte de fées, les gens auront envie
de le voir. Mais, a priori, pour les financiers, ce n'était
pas une chose tellement exaltante ; il y avait là, au départ,
et encore maintenant, malgré les excellentes critiques, une
part de risques. Pour Mag Bodard, la productrice, pour Jacques Demy,
le réalisateur, pour tous les acteurs, pour moi, "Peau
d'âne" est donc comme un enfant plus fragile que d'autres,
plus délicat à élever et auquel on se sent redevable
d'énormément de soins. |
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Jacques nous demandait
de tout exagérer : nos regards au plafond, nos gestes surjouant
l'accablement ou l'émotion, comme dans une image pieuse. Ce
qui nous a valu des fous rires dont on peut détecter la trace
dans quelques scènes du film. Mais c'était surtout en
sous-main, une injonction à la surréalité au
sens esthétique et littéraire. |
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Une ambiance qui tenait
réellement de la magie, et des partenaires merveilleux. Jean
Marais, qui jouait au théâtre du Palais-Royal tous les
soirs, et qui arrivait donc tous les matins en avion, à Chambord,
pour tourner. Je ne connaissais pas Jean Marais, sinon sa réputation
de gentillesse : dans la réalité, il est encore plus
formidable qu'on le dit. Micheline Presle est d'un humour et d'une
drôlerie extrêmes. Delphine Seyrig est un peu particulière
mais étonnante. |
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On peut trouver étrange
que Delphine Seyrig, déjà à l'époque très
engagée pour la cause féministe, ait accepté
d'incarner une coquette évaporée qui déclare
être "rancunière comme toutes les femmes".
Mais ce serait oublier son humour extraordinaire, et aussi le talent
de rassembleur de Demy qui arrivait à faire tenir dans le même
film bien des contradictions. |
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Nous travaillions dans
une partie du château interdite au public. Mais, comme Chambord
est plutôt pauvre en meubles, le bruit des touristes passant
et parlant derrière les portes était accru par la résonance
de ces grandes salles à peu près vides. Nous devions
alors interrompre le tournage. Un autre, à la place de Jacques
Demy le réalisateur, se serait rongé d'impatience :
lui non. Si "Peau d'âne" est un conte de fées,
Jacques Demy a une patience d'ange : nous attendions tranquillement. |
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Ce fut une épreuve
physique, les costumes très lourds rendaient tous les gestes
difficiles et tous les déplacements, faramineux. Cela dit,
avec Demy les tournages étaient toujours techniquement délicats. |
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Ce film est comme ces
vieilles cartes postales avec une petite robe en crépon collée
dessus, et la robe change de couleur avec le temps qu'il fait. C'est
la féminité sous sa forme la plus belle, la plus gaie
et la plus pure. |
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Ce qui m'étonne,
c'est que les enfants m'en parlent encore. |
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Les enfants d'aujourd'hui
en ont vu d'autres, à longueur de télé et de
jeux vidéo. Mais c'est parce que "Peau d'âne"
n'est pas un film de science-fiction bourré d'effets spéciaux
qu'il émerveille toujours autant. Sinon, les enfants le trouveraient
sûrement désuet. C'est plutôt la totalité
du film qui fait un effet spécial. |
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Dans les films de Demy,
il y a toujours un moment où on est emballé, transporté.
Je pense que, dans "Peau d'âne", ce moment dure tout
le temps du film. Un long moment de bonheur, une exaltation qui dure.
On traverse le film au bras de la poésie. |
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"Peau d'âne",
c'est la grâce, portée par l'humour et le romantisme
de Jacques Demy. Si le film avait tenu sur des effets spéciaux,
il aurait forcément vieilli. Mais l'adaptation de Jacques est
à la fois intemporelle et très personnelle. Il montre
ce qui nous touchera toujours, qu'on ait 6 ou 100 ans. Le merveilleux
et les émotions ne sont pas soumis au temps. |
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Le merveilleux, pour
moi, c'était aussi de jouer dans un film, en musique, en chansons,
en costumes. Et quels costumes ! Le plus lourd était la peau
d'âne. Une vraie peau d'animal, que j'avais à la fois
sur le corps et sur la tête. La gueule de l'animal, surtout,
pesait son poids. Il y a un côté Cro-magnon dans le film.
Et, en même temps, une imagerie à la Pierre et Gilles.
Une alliance unique du réalisme et du kitsch. Jacques Demy
nous demandait d'outrer beaucoup le jeu. On devait soupirer, lever
les yeux au ciel... Un jeu difficile, parce que très précis. |
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J'y allais les yeux fermés.
Heureuse de retrouver cet univers. Un univers où toutes les
relations interdites sont transfigurées. Jacques savait créer
le merveilleux avec un rien, son regard le suscitait. |
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Où que j'aille,
le film m'a poursuivie. Il y a des rôles qu'on oublie. Mais,
là, c'est le film lui-même qui ne m'a jamais quittée.
Souvent, des amis me demandaient si j'en avais une copie. Mais, pour
moi aussi, le film avait disparu. Si bien que je suis la première
enchantée de pouvoir le redécouvrir dans ses couleurs
d'origine ! |
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J'entends des mères qui disent
: "Tu vois cette dame ? C'est Peau d'âne". Autant
que je m'y fasse : pour les enfants, je suis à vie la princesse
qui casse des oeufs dont s'échappent des poussins quand elle
fait un gâteau. |
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Extraits de critiques
Catherine Deneuve tient le rôle
de Peau d'Ane - fort gracieusement. Jacques Perrin joue le prince
avec une ingénuité de bon aloi. Jean Marais se prête
gentiment à traduire les états d'âme d'un roi
amoureux de sa fille. Et les décorateurs s'affairent à
composer un riche album digne de la curiosité que les très
jeunes publics portent aux histories féeriques pendant les
fêtes de fin d'année. |
Le Figaro 1970
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1970
Couleurs
1h40
Rôle de Peau d'âne
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Réalisateur
: Jacques
Demy
Acteurs : Jacques Perrin, Jean Marais,
Delphine Seyrig, Micheline Presle, Fernand Ledoux
Scénario : Jacques
Demy, d'après le conte de Charles Perrault
Photo : Ghislain Cloquet
Musique : Michel Legrand
Résumé
: Afin d'échapper à son père qui veut l'épouser,
la princesse s'engage comme souillon dans une ferme, cachée sous
la peau d'un âne. Le Prince Charmant tombe éperdument amoureux
d'elle.
Photos du tournage


Photos du film












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