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Ce qu'en a dit Catherine
Deneuve...

Je l'ai rencontré
j'avais dix-huit ans, il avait très envie de tourner avec moi.
Je ne comprenais pas pourquoi. Je n'étais pas connue. J'avais
tourné un film. C'est la première personne qui m'a donné
confiance en moi. II m'a enlevé le doute incroyable que j'avais
sur le bien-fondé de faire du cinéma. Je ne l'aurais
pas rencontré, je crois que je n'aurais pas continué.
II a été déterminant pour moi. Et comme en plus,
c'était un homme très passionné et qui faisait
un cinéma qui n'était pas très réaliste...
Tout me charmait dans ce sens-là et tout s'est multiplié
très vite. II m'a beaucoup marquée. C'était passionnant
et ça a duré longtemps, longtemps... |
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Si je n'avais pas connu
Jacques Demy je ne suis pas sure que je ferais du cinéma aujourd'hui.
Il m'a appris, le premier, à accepter de jouer sans trop de
réserve ni de timidité, et m'a donné confiance
dans l'idée que le cinéma pourrait m'apporter quelque
chose, en retour de cet engagement. A ce moment-là, je trouvais
cela amusant, mais je n'étais pas sûre que ce soit assez
important pour qu'on y consacre tout son temps, sa vie. |
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Demy m'a marquée plus définitivement
qu'aucun autre réalisateur. L'image qu'a imposée de
moi "Les parapluies de Cherbourg" correspond quelque part
à une vérité de moi-même. Par ailleurs,
ce film a décidé fondamentalement de ma carrière.
Sans lui, et malgré les quelques expériences qui précédaient,
je ne suis pas sûre que j'aurais embrassé cette carrière. |
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Je pense que j'avais des possibilités
pour être actrice, mais si ce n'avait pas été
Jacques Demy, je ne sais pas si j'aurais pu avoir assez de confiance
en moi pour proposer ou faire certaines choses... |
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Ca a été
une chose importante parce que j'étais très jeune, et
que Demy m'a regardée et que nous avons surtout beaucoup parlé.
Nous sommes devenus très proches, liés d'amitié.
Pendant le tournage, nous parlions du film mais aussi de beaucoup
d'autres choses liées au cinéma. Ça a été
pour moi comme une espèce de rideau déchiré :
une façon de voir les choses, un tournage, et même de
me percevoir d'une façon tout à fait différente...
Je ne peux pas dire que ça m'ait donné des ailes, mais
c'est vrai que je n'avais absolument rien, aucune idée préconçue,
j'étais un terrain totalement vierge dans ce domaine. J'ai
donc été totalement inspirée par le regard de
Jacques, son enthousiasme, son lyrisme, son romantisme. Je me suis
laissée porter par le mouvement, et il m'a accompagnée
pendant plusieurs années, on a fait quand même quatre
films ensemble. Cette rencontre a été déterminante
dans ma façon de voir les films et, malgré ma timidité,
dans mon envie de me dire : pourquoi pas. |
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Je me suis toujours sentie à
l'aise dans les mondes fantaisistes. Quand on a eu la chance de tourner
avec Jacques Demy, on est prêt à tout, car Demy est sans
doute le cinéaste le plus fou avec qui j'ai tourné,
et c'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de choses qui me font peur.
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Son univers, il l'avait
fixé lui-même comme sur un chromo, quelque chose d'arrêté
dans le temps. Quand il parlait de sentiments c'était toujours
formidable : l'amour, la cruauté, les chassés-croisés,
l'oubli, c'est éternel. Mais quand cela touchait au quotidien,
à des choses d'aujourd'hui, il y avait un décalage,
plus un malaise. |
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La province est indispensable
au cinéma de Jacques à cause du réalisme, il
faut que dans le temps et l'espace ces chassés-croisés
soient plausibles, il faut que les lieux soient cernés : c'est
plus facile en province qu'à Paris où on échappe
à tout. C'est comme un cadre de théâtre : on peut
imaginer la cour, les entrées à droite, à gauche,
et puis devant, les spectateurs. |
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C'est vrai que quand les
gens parlent des films de Jacques en disant c'est merveilleux, j'ai
tellement rêvé, on se dit que c'est la lecture de l'image,
et quand on revoit les films et qu'on les aime vraiment, c'est évident
qu'il y a des choses très sombres et d'autres qu'il a montrées
sans s'expliquer vraiment : il ne veut pas aller plus avant. Les femmes
qui sont toujours les victimes, les femmes timides, les femmes plaquées,
qui vont attendre dans l'ombre. Mais on sent qu'elle n'ont plus de
vie, mais ce ne sont pas des femmes malheureuses, si elles ont été
plaquées c'est que les hommes n'ont sans doute pas été
assez bien pour elles. |
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Dans les films de Jacques,
on ne fait jamais rien comme dans les autres films ; j'ai du mal à
l'expliquer, il faut qu'il y ait un certain plaisir à jouer
et à composer. Le fait qu'on chante fait que le visage ne bouge
pas à la même vitesse, le rythme est différent,
et Jacques faisait jouer corporellement, c'était très
stylisé. Le naturel était ailleurs, ni dans le choix
des mots, puisque le vocabulaire était légèrement
décalé, un peu précieux même parfois, c'était
étrange et très quotidien. |
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L'univers
de Jacques Demy m'a profondément marquée : une fragilité,
quelque chose de craintif, de non-dit, dissimulé, des choses
douloureuses, lyriques aussi. Avec Jacques il y avait des choses qu'on
n'avait même pas besoin d'exprimer, il aimait bien qu'on devine,
il aimait bien diriger les acteurs de cette manière, précis
sur certaines choses, mais prenant parfois des chemins détournés
; c'était suffisamment compliqué techniquement pour
qu'on en parle, donc il vous amenait à un certain état.
C'était un metteur en scène, plus qu'un directeur d'acteur,
il vous mettait en scène dans une situation. Il vous mettait
dans tous vos états, quoi. |
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Il est un fait que sa
détermination est si grande qu'il est vain de vouloir s'y opposer.
Mais, au cinéma, mieux vaut un excès d'autorité
que pas assez. Du moins en ce qui concerne le réalisateur.
Jacques, lui, y ajoute une sorte de grâce personnelle, de fluidité
dans ses rapports humains
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Quand je pense aux cinéastes
avec lesquels j'ai vraiment été liée, Jacques
Demy, François Truffaut et André Téchiné,
je dirai pour simplifier que c'était quand même toujours
la personne qui me plaisait, même si c'était lié
au fait qu'ils étaient cinéastes. Je suis extrêmement
fidèle en amitié et très présente pour
mes amis, et ces cinéastes étaient importants pour moi,
j'avais envie de les voir, de parler avec eux de tout et surtout de
rien, je me sentais bien en leur compagnie, complice sur le plan professionnel.
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Je crois que c'est quelqu'un
qui est très fidèle, qui a une idée très
romantique des héroïnes au cinéma. Je lui appartiens
un peu, nous avons eu notre premier vrai succès, à tous
points de vue, même commercial, ensemble. Et alors cela a créé
des liens cinématographiques, qu'il a eu envie de continuer.
Les autres films que j'ai faits avec Jacques étaient des variafons
autour du personnage des "Parapluies", d'un certain idéal
féminin. Nous avons tourné quatre films ensemble, mais
malheureusement, je crains fort qu'il n'y en ait jamais de cinquième.
Parce que c'est quelqu'un qui a les défauts de ses qualités.
Et qu'il est très fidèle et très entier et que
nous avons eu un différend au sujet d'un projet. Et Jacques
aime être suivi et accepté complètement. Quand
on lui fait une critique, c'est comme si on remettait l'essentiel
en question. C'était un projet également musical, et
j'avais envie de faire quelque chose avec lui, mais de différent,
et malheureusement, nous ne sommes pas tombés d'accord. Je
ne suis pas fâchée avec lui, mais il est fâché
avec moi, pour dire les choses clairement. |
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Quels
que soient les différends qu'on ait pu avoir plus tard, notre
relation était assez pudique mais passionnelle. C'était
quelqu'un avec qui il fallait être complètement d'accord,
quelqu'un de têtu et de très orgueilleux. C'est vrai
qu'il prenait des demandes, des questions ou des réserves pour
des refus. Ca avait bloqué sur "Une chambre en ville",
mais je dirais par sa seule volonté. D'ailleurs je ne disais
pas que nous étions fâchés, je disais : il est
fâché avec moi, ce qui était vrai pendant assez
longtemps. |
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[A propos de "Une
chambre en ville"]
Pour un opéra populaire qui devait se dérouler à
Nantes, Jacques m'avait pressentie ainsi que Gérard Depardieu.
Mais, comme pour "Les parapluies", il exigeait le play-back.
Personnellement, je n'ai pu m'y résigner. A tort ou à
raison, j'estimais que ma voix faisait désormais partie de
mon intégrité d'actrice. Je préférais
chanter moi-même, aller vers une verison sans doute plus imparfaite
mais plus juste. Nous ne sommes pas tombés d'accord sur ce
point et le projet a été abandonné. Dommage,
car le sujet était superbe, la musique de Colombier fantastique
et j'étais prête à travailler énormément
pour m'y impliquer
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[A propos de "Une chambre en ville"]
Ce n'est pas un regret mais quelque chose de douloureux, un malentendu
douloureux. Quand il nous a parlé du projet, à Gérard
Depardieu et à moi, on était emballés. Mais,
très vite, s'est posé le problème de nos voix.
Elles étaient très connues c'était quinze ans
après "Les parapluies de Cherbourg" et il nous semblait
difficile ne pas chanter nous-mêmes : les gens ne l'auraient
pas accepté. Avec Michel Colombier, le compositeur, il fallait
adapter la partition à nos voix. On a donc commencé
à travailler le chant mais Jacques n'a rien fait pour que ce
soit probant et a décidé trop vite, sans qu'on ait assez
travaillé, que l'essai n'était pas concluant. Je dois
dire que ça m'a braquée. En plus, j'étais sincèrement
convaincue que des acteurs connus privés de leur voix, ce n'était
pas acceptable et là, c'est Jacques qui s'est braqué.
C'est très, très triste parce qu'on est restés
brouillés assez longtemps. Nos rapports étaient suffisamment
forts pour que Jacques ne supporte pas ce qu'il considérait
comme une trahison. Heureusement, on s'est réconciliés... |
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[A propos de "Une chambre en ville"]
On avait une grande divergence : je lui
disais qu'on ne pouvait pas refaire un film musical, vingt ans après,
avec Gérard Depardieu et moi, qui avions fait beaucoup de
films, nos voix étaient très connues, alors que j'étais
une inconnue à l'époque des "Parapluies".
Jacques a pris mon désir de chanter pour un désir
d'actrice d'exprimer tout. J'essayais de lui expliquer que nous
étions trop connus, Gérard et moi, pour faire un film
entièrement doublé musicalement. Et comme la musique
n'était pas encore écrite, je lui demandais à
ce qu'elle soient écrite pour qu'elle soit chantée
par des acteurs.
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[A propos de "Une chambre en ville"]
Gérard doutait aussi du côté musique doublée,
et il y a eu une soirée difficile, chez lui, on s'est quittés
dans la rue, je sentais que ce n'était pas seulement un au
revoir mais un adieu. C'était fini, un couperet était
tombé terrible. C'est vrai que quand Jacques se fermait
Là
ce fut une grande fermeture, j'ai été au purgatoire
pendant longtemps. [...] Bien sûr qu'on s'est retrouvés
après, mais ça a été une cassure. |
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Il était un artiste
tout à fait particulier, à part, comme certains qui
ont à un moment une vrai rencontre avec le public. Finalement
il l'a perdu parce que les vrais rencontres avec le public sont toujours
exceptionnelles. Mais cette rencontre a eu lieu, grâce à
certains films, à cet univers, ce milieu, et cette gaieté
qui a masqué le fond du sujets des films de Jacques. |
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Il y a quelque chose
qui me rendait rageuse, c'est que Jacques était quand même
oublié, au présent, depuis longtemps. Et c'est, je trouve,
terriblement injuste de se rendre compte du prix et de la valeur de
l'uvre de quelqu'un à partir du moment où elle
devient fixée dans le temps ou le souvenir, qu'elle devient
"uvre". Jacques vivait dans une certaine difficulté
morale sur le plan professionnel depuis déjà quelques
années. |
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Je savais qu'il était malade, ça
n'a donc pas été un choc. Il n'empêche... Cela
a été un grand chagrin... Quand quelqu'un qui vous connaît
et vous aime disparaît, il emmène avec lui une partie
de vous... Sa mort a créé un grand manque, un vide.
L'idée qu'il n'y aura plus sa présence, son univers,
son esprit, son regard, l'idée qu'une telle personnalité
- et c'est pareil avec François Truffaut - n'existera plus
dans le cinéma français est intolérable. |
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[A propos du manteau rose porté à
l'enterrement de Jacques Demy]
Je l'avais choisi exprès. D'une part parce que je ne m'habille
jamais en noir à l'enterrement d'un proche, d'autre part parce
que Demy et la couleur, ça me semblait un dernier cadeau évident.
Un cadeau pour lui et pour moi aussi, pour apprivoiser ma tristesse.
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Ce qu'il a dit sur
Catherine Deneuve...

Je n'ai eu aucune peine
à tirer l'étincelle. Catherine à vingt ans était
déjà une star en puissance. Vadim avait senti ce phénomène
inexplicable, mais il avait voulu faire d'elle une autre Bardot, un
autre "sex-symbol". Or Catherine n'était pas du tout
ce que Vadim voulait. Fille d'un comédien, elle était
venue au cinéma un peu par routine. Il me semble qu'avec "Les
Parapluies", elle a pris sa carrière en main. Et quand
Catherine prend quelque chose en main, c'est sérieux, elle
a une ligne de conduite, une conscience professionnelle, bref, elle
est irréprochable.
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Jacques Demy, Marie-Claire 1984
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Réalisateur
français né en 1931, Jacques Demy s'est particulièrement
illustré dans le domaine de la comédie musicale, dont le
dernier exemple sera "Trois places pour le 26", en 1988, deux
ans avant sa mort. "Lola", qu'il tourne à Nantes en 1961
et qui est porté par la Nouvelle Vague, définit une fois
pour toutes son univers et son style : une ville, un port le plus souvent,
la poésie des attentes et des faux départs, sans désespérance,
un ton aérien qui le conduit plus tard à des dialogues chantés
sur une musique de Michel Legrand.
Films avec Catherine Deneuve
Photos


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