Sa carrière / Partenaires & Réalisateurs / Jacques Demy
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

 

Ce qu'en a dit Catherine Deneuve...


Je l'ai rencontré j'avais dix-huit ans, il avait très envie de tourner avec moi. Je ne comprenais pas pourquoi. Je n'étais pas connue. J'avais tourné un film. C'est la première personne qui m'a donné confiance en moi. II m'a enlevé le doute incroyable que j'avais sur le bien-fondé de faire du cinéma. Je ne l'aurais pas rencontré, je crois que je n'aurais pas continué. II a été déterminant pour moi. Et comme en plus, c'était un homme très passionné et qui faisait un cinéma qui n'était pas très réaliste... Tout me charmait dans ce sens-là et tout s'est multiplié très vite. II m'a beaucoup marquée. C'était passionnant et ça a duré longtemps, longtemps...

Si je n'avais pas connu Jacques Demy je ne suis pas sure que je ferais du cinéma aujourd'hui. Il m'a appris, le premier, à accepter de jouer sans trop de réserve ni de timidité, et m'a donné confiance dans l'idée que le cinéma pourrait m'apporter quelque chose, en retour de cet engagement. A ce moment-là, je trouvais cela amusant, mais je n'étais pas sûre que ce soit assez important pour qu'on y consacre tout son temps, sa vie.

Demy m'a marquée plus définitivement qu'aucun autre réalisateur. L'image qu'a imposée de moi "Les parapluies de Cherbourg" correspond quelque part à une vérité de moi-même. Par ailleurs, ce film a décidé fondamentalement de ma carrière. Sans lui, et malgré les quelques expériences qui précédaient, je ne suis pas sûre que j'aurais embrassé cette carrière.

Je pense que j'avais des possibilités pour être actrice, mais si ce n'avait pas été Jacques Demy, je ne sais pas si j'aurais pu avoir assez de confiance en moi pour proposer ou faire certaines choses...

Ca a été une chose importante parce que j'étais très jeune, et que Demy m'a regardée et que nous avons surtout beaucoup parlé. Nous sommes devenus très proches, liés d'amitié. Pendant le tournage, nous parlions du film mais aussi de beaucoup d'autres choses liées au cinéma. Ça a été pour moi comme une espèce de rideau déchiré : une façon de voir les choses, un tournage, et même de me percevoir d'une façon tout à fait différente... Je ne peux pas dire que ça m'ait donné des ailes, mais c'est vrai que je n'avais absolument rien, aucune idée préconçue, j'étais un terrain totalement vierge dans ce domaine. J'ai donc été totalement inspirée par le regard de Jacques, son enthousiasme, son lyrisme, son romantisme. Je me suis laissée porter par le mouvement, et il m'a accompagnée pendant plusieurs années, on a fait quand même quatre films ensemble. Cette rencontre a été déterminante dans ma façon de voir les films et, malgré ma timidité, dans mon envie de me dire : pourquoi pas.

Je me suis toujours sentie à l'aise dans les mondes fantaisistes. Quand on a eu la chance de tourner avec Jacques Demy, on est prêt à tout, car Demy est sans doute le cinéaste le plus fou avec qui j'ai tourné, et c'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de choses qui me font peur.

Son univers, il l'avait fixé lui-même comme sur un chromo, quelque chose d'arrêté dans le temps. Quand il parlait de sentiments c'était toujours formidable : l'amour, la cruauté, les chassés-croisés, l'oubli, c'est éternel. Mais quand cela touchait au quotidien, à des choses d'aujourd'hui, il y avait un décalage, plus un malaise.

La province est indispensable au cinéma de Jacques à cause du réalisme, il faut que dans le temps et l'espace ces chassés-croisés soient plausibles, il faut que les lieux soient cernés : c'est plus facile en province qu'à Paris où on échappe à tout. C'est comme un cadre de théâtre : on peut imaginer la cour, les entrées à droite, à gauche, et puis devant, les spectateurs.

C'est vrai que quand les gens parlent des films de Jacques en disant c'est merveilleux, j'ai tellement rêvé, on se dit que c'est la lecture de l'image, et quand on revoit les films et qu'on les aime vraiment, c'est évident qu'il y a des choses très sombres et d'autres qu'il a montrées sans s'expliquer vraiment : il ne veut pas aller plus avant. Les femmes qui sont toujours les victimes, les femmes timides, les femmes plaquées, qui vont attendre dans l'ombre. Mais on sent qu'elle n'ont plus de vie, mais ce ne sont pas des femmes malheureuses, si elles ont été plaquées c'est que les hommes n'ont sans doute pas été assez bien pour elles.

Dans les films de Jacques, on ne fait jamais rien comme dans les autres films ; j'ai du mal à l'expliquer, il faut qu'il y ait un certain plaisir à jouer et à composer. Le fait qu'on chante fait que le visage ne bouge pas à la même vitesse, le rythme est différent, et Jacques faisait jouer corporellement, c'était très stylisé. Le naturel était ailleurs, ni dans le choix des mots, puisque le vocabulaire était légèrement décalé, un peu précieux même parfois, c'était étrange et très quotidien.

L'univers de Jacques Demy m'a profondément marquée : une fragilité, quelque chose de craintif, de non-dit, dissimulé, des choses douloureuses, lyriques aussi. Avec Jacques il y avait des choses qu'on n'avait même pas besoin d'exprimer, il aimait bien qu'on devine, il aimait bien diriger les acteurs de cette manière, précis sur certaines choses, mais prenant parfois des chemins détournés ; c'était suffisamment compliqué techniquement pour qu'on en parle, donc il vous amenait à un certain état. C'était un metteur en scène, plus qu'un directeur d'acteur, il vous mettait en scène dans une situation. Il vous mettait dans tous vos états, quoi.

Il est un fait que sa détermination est si grande qu'il est vain de vouloir s'y opposer. Mais, au cinéma, mieux vaut un excès d'autorité que pas assez. Du moins en ce qui concerne le réalisateur. Jacques, lui, y ajoute une sorte de grâce personnelle, de fluidité dans ses rapports humains…

Quand je pense aux cinéastes avec lesquels j'ai vraiment été liée, Jacques Demy, François Truffaut et André Téchiné, je dirai pour simplifier que c'était quand même toujours la personne qui me plaisait, même si c'était lié au fait qu'ils étaient cinéastes. Je suis extrêmement fidèle en amitié et très présente pour mes amis, et ces cinéastes étaient importants pour moi, j'avais envie de les voir, de parler avec eux de tout et surtout de rien, je me sentais bien en leur compagnie, complice sur le plan professionnel.

Je crois que c'est quelqu'un qui est très fidèle, qui a une idée très romantique des héroïnes au cinéma. Je lui appartiens un peu, nous avons eu notre premier vrai succès, à tous points de vue, même commercial, ensemble. Et alors cela a créé des liens cinématographiques, qu'il a eu envie de continuer. Les autres films que j'ai faits avec Jacques étaient des variafons autour du personnage des "Parapluies", d'un certain idéal féminin. Nous avons tourné quatre films ensemble, mais malheureusement, je crains fort qu'il n'y en ait jamais de cinquième. Parce que c'est quelqu'un qui a les défauts de ses qualités. Et qu'il est très fidèle et très entier et que nous avons eu un différend au sujet d'un projet. Et Jacques aime être suivi et accepté complètement. Quand on lui fait une critique, c'est comme si on remettait l'essentiel en question. C'était un projet également musical, et j'avais envie de faire quelque chose avec lui, mais de différent, et malheureusement, nous ne sommes pas tombés d'accord. Je ne suis pas fâchée avec lui, mais il est fâché avec moi, pour dire les choses clairement.

Quels que soient les différends qu'on ait pu avoir plus tard, notre relation était assez pudique mais passionnelle. C'était quelqu'un avec qui il fallait être complètement d'accord, quelqu'un de têtu et de très orgueilleux. C'est vrai qu'il prenait des demandes, des questions ou des réserves pour des refus. Ca avait bloqué sur "Une chambre en ville", mais je dirais par sa seule volonté. D'ailleurs je ne disais pas que nous étions fâchés, je disais : il est fâché avec moi, ce qui était vrai pendant assez longtemps.

[A propos de "Une chambre en ville"]
Pour un opéra populaire qui devait se dérouler à Nantes, Jacques m'avait pressentie ainsi que Gérard Depardieu. Mais, comme pour "Les parapluies", il exigeait le play-back. Personnellement, je n'ai pu m'y résigner. A tort ou à raison, j'estimais que ma voix faisait désormais partie de mon intégrité d'actrice. Je préférais chanter moi-même, aller vers une verison sans doute plus imparfaite mais plus juste. Nous ne sommes pas tombés d'accord sur ce point et le projet a été abandonné. Dommage, car le sujet était superbe, la musique de Colombier fantastique et j'étais prête à travailler énormément pour m'y impliquer…

[A propos de "Une chambre en ville"]
Ce n'est pas un regret mais quelque chose de douloureux, un malentendu douloureux. Quand il nous a parlé du projet, à Gérard Depardieu et à moi, on était emballés. Mais, très vite, s'est posé le problème de nos voix. Elles étaient très connues c'était quinze ans après "Les parapluies de Cherbourg" et il nous semblait difficile ne pas chanter nous-mêmes : les gens ne l'auraient pas accepté. Avec Michel Colombier, le compositeur, il fallait adapter la partition à nos voix. On a donc commencé à travailler le chant mais Jacques n'a rien fait pour que ce soit probant et a décidé trop vite, sans qu'on ait assez travaillé, que l'essai n'était pas concluant. Je dois dire que ça m'a braquée. En plus, j'étais sincèrement convaincue que des acteurs connus privés de leur voix, ce n'était pas acceptable et là, c'est Jacques qui s'est braqué. C'est très, très triste parce qu'on est restés brouillés assez longtemps. Nos rapports étaient suffisamment forts pour que Jacques ne supporte pas ce qu'il considérait comme une trahison. Heureusement, on s'est réconciliés...

[A propos de "Une chambre en ville"]
On avait une grande divergence : je lui disais qu'on ne pouvait pas refaire un film musical, vingt ans après, avec Gérard Depardieu et moi, qui avions fait beaucoup de films, nos voix étaient très connues, alors que j'étais une inconnue à l'époque des "Parapluies". Jacques a pris mon désir de chanter pour un désir d'actrice d'exprimer tout. J'essayais de lui expliquer que nous étions trop connus, Gérard et moi, pour faire un film entièrement doublé musicalement. Et comme la musique n'était pas encore écrite, je lui demandais à ce qu'elle soient écrite pour qu'elle soit chantée par des acteurs.


[A propos de "Une chambre en ville"]
Gérard doutait aussi du côté musique doublée, et il y a eu une soirée difficile, chez lui, on s'est quittés dans la rue, je sentais que ce n'était pas seulement un au revoir mais un adieu. C'était fini, un couperet était tombé terrible. C'est vrai que quand Jacques se fermait…Là ce fut une grande fermeture, j'ai été au purgatoire pendant longtemps. [...] Bien sûr qu'on s'est retrouvés après, mais ça a été une cassure.

Il était un artiste tout à fait particulier, à part, comme certains qui ont à un moment une vrai rencontre avec le public. Finalement il l'a perdu parce que les vrais rencontres avec le public sont toujours exceptionnelles. Mais cette rencontre a eu lieu, grâce à certains films, à cet univers, ce milieu, et cette gaieté qui a masqué le fond du sujets des films de Jacques.

Il y a quelque chose qui me rendait rageuse, c'est que Jacques était quand même oublié, au présent, depuis longtemps. Et c'est, je trouve, terriblement injuste de se rendre compte du prix et de la valeur de l'œuvre de quelqu'un à partir du moment où elle devient fixée dans le temps ou le souvenir, qu'elle devient "œuvre". Jacques vivait dans une certaine difficulté morale sur le plan professionnel depuis déjà quelques années.

Je savais qu'il était malade, ça n'a donc pas été un choc. Il n'empêche... Cela a été un grand chagrin... Quand quelqu'un qui vous connaît et vous aime disparaît, il emmène avec lui une partie de vous... Sa mort a créé un grand manque, un vide. L'idée qu'il n'y aura plus sa présence, son univers, son esprit, son regard, l'idée qu'une telle personnalité - et c'est pareil avec François Truffaut - n'existera plus dans le cinéma français est intolérable.

[A propos du manteau rose porté à l'enterrement de Jacques Demy]
Je l'avais choisi exprès. D'une part parce que je ne m'habille jamais en noir à l'enterrement d'un proche, d'autre part parce que Demy et la couleur, ça me semblait un dernier cadeau évident. Un cadeau pour lui et pour moi aussi, pour apprivoiser ma tristesse.

Ce qu'il a dit sur Catherine Deneuve...

Je n'ai eu aucune peine à tirer l'étincelle. Catherine à vingt ans était déjà une star en puissance. Vadim avait senti ce phénomène inexplicable, mais il avait voulu faire d'elle une autre Bardot, un autre "sex-symbol". Or Catherine n'était pas du tout ce que Vadim voulait. Fille d'un comédien, elle était venue au cinéma un peu par routine. Il me semble qu'avec "Les Parapluies", elle a pris sa carrière en main. Et quand Catherine prend quelque chose en main, c'est sérieux, elle a une ligne de conduite, une conscience professionnelle, bref, elle est irréprochable.

Jacques Demy, Marie-Claire 1984

Réalisateur français né en 1931, Jacques Demy s'est particulièrement illustré dans le domaine de la comédie musicale, dont le dernier exemple sera "Trois places pour le 26", en 1988, deux ans avant sa mort. "Lola", qu'il tourne à Nantes en 1961 et qui est porté par la Nouvelle Vague, définit une fois pour toutes son univers et son style : une ville, un port le plus souvent, la poésie des attentes et des faux départs, sans désespérance, un ton aérien qui le conduit plus tard à des dialogues chantés sur une musique de Michel Legrand.

Films avec Catherine Deneuve

Photos



Documents associés