Sa carrière / Partenaires & Réalisateurs / André Téchiné
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Photo (C) Isabelle Vautier

 

Ce qu'en a dit Catherine Deneuve...

L'ami

Quand je pense aux cinéastes avec lesquels j'ai vraiment été liée, Jacques Demy, François Truffaut et André Téchiné, je dirai pour simplifier que c'était quand même toujours la personne qui me plaisait, même si c'était lié au fait qu'ils étaient cinéastes. Je suis extrêmement fidèle en amitié et très présente pour mes amis, et ces cinéastes étaient importants pour moi, j'avais envie de les voir, de parler avec eux de tout et surtout de rien, je me sentais bien en leur compagnie, complice sur le plan professionnel.

On a tourné "Hôtel des Amériques", à Biarritz, hors saison, en mai. Dans un hôtel spécialement ouvert pour l'équipe. Les tournages hors de Paris rendent plus disponible : on dîne, le soir, après les prises ; on se voit le dimanche... S'ils doivent se créer, les liens se créent plus vite. Mais, vous savez, je crois que tout se joue en quelques minutes. Certains vous donnent envie d'entreprendre à leurs côtés de longs voyages, tandis qu'avec d'autres vous ne songeriez même pas à traverser la place de l'Etoile ! Je fais des erreurs, dans la vie, comme tout le monde, je suis même si critique que je peux apparaître dure à certains. Mais question amitié, confiance, je ne me trompe pas souvent. Avec André, ce fut immédiat.

André et moi, ç'a été une vraie rencontre, une relation professionnelle qui s'est bâtie sur une amitié. On se connaît depuis quinze ans, et j'ai toujours beaucoup aimé son cinéma, bien avant que je le connaisse. Travailler avec André, c'est plus du désir et de la complicité que de la fidélité, parce que la fidélité implique que c'est aveuglément.

Une rencontre, ce n'est pas forcément un coup de foudre immédiat. On apprend à se connaître, on s'apprécie... tout ça se fait au fur et à mesure, et pas seulement pendant les tournages de films. Téchiné est quelqu'un que je vois beaucoup dans la vie, avec qui j'ai noué une relation de plus en plus personnelle. Ça fait quinze ans qu'on se voit beaucoup et, finalement, on n'a fait que quatre films, pas tant que ça. C'est une relation personnelle autant qu'artistique, presque idéale.

Quelqu'un comme André Téchiné m'a tellement apporté, à la fois au cinéma par tout ce qu'il m'a donné à faire dans ses films et ce qu'il a montré de moi, et dans la vie aussi, par tout ce qui habite nos conversations depuis dix-sept ans... Cela fait si longtemps qu'on est amis ! Nous avons des goûts communs. II y a tellement de choses que nous aimons faire ensemble...

Nous nous voyons souvent dans la vie, nous sommes très proches. Je ne sais pas si je peux bien parler de son cinéma, mais je le connais bien. Alors, quand on fait un film ensemble, nous parlons beaucoup, mais toujours de manière détournée : pas besoin de réunions de travail. J'ai une approche très sensorielle, très intuitive de ses désirs.

André, c'est quelqu'un que je peux ne pas voir pendant longtemps mais que je retrouve toujours comme si on s'était vus la veille, comme si on reprenait une conversation laissée en suspens...

André est quelqu'un que je vois en dehors des tournages, assez régulièrement. C'est un fil qui n'est jamais coupé, avec lui.

Cela fait vingt ans qu'on se connaît, on va très souvent au cinéma ensemble.
Catherine Deneuve, citée dans L'Est Républicain 2002

J'aime son mélange de délicatesse et de violence. Il montre des êtres qui ne cherchent pas à être adultes à tout prix. Des écorchés, parfois violents, qu'il observe avec délicatesse. Sans indulgence, mais avec compréhension. Il filme des gens qui cherchent plutôt que des gens qui trouvent, et ça me plaît.

C'est un provincial, André. Un vrai. Il sait filmer le temps, la lumière, les saisons. Il n'est pas "parisien", style cocktail et bulles de champagne. Mais il est présent quand il faut. Il écoute. Il pose de vraies questions, donne de vraies réponses. Il est gentil, aussi. Oui, je sais, aux yeux de certains, ce n'est pas un compliment. Mais la gentillesse, que les imbéciles font semblant de confondre avec la mièvrerie, est une qualité dont on ne parlera jamais assez.

Le complice

C'est quelqu'un que j'admire, que j'aime... Notre enthousiasme à travailler ensemble est vraiment grand...

André, c'est une relation de travail, mais c'est aussi une relation d'amitié, quelqu'un dont j'aime l'univers. Je sais de toute façon qu'il ne pourra jamais m'entraîner dans une aventure qui me ferait du mal. A la limite, on pourrait se tromper ensemble. Mais ce ne serait pas quelque chose de négatif.

C'est mon grand frère de cinéma, il me rassure. Si jamais un jour..., je sais qu'il y aura toujours un film d'André qui m'attend. Avec lui ça ne sera jamais n'importe quoi, n'importe quel film, puisque ça n'est pas n'importe qui. Humainement, c'est un homme très anxieux, toujours sur la brèche de ses angoisses, mais ses incertitudes sont des appels d'offre, elles ne vous étouffent pas. C'est quelqu'un de très vertébré. Et puis, de toute façon, je préfère me tromper avec lui que ne pas me tromper avec d'autres.
Catherine Deneuve, Libération 2001

Je n'ai pas eu de frère dans la vie non plus. Alors, je m'en suis choisi un : c'est André. Un frère du même âge, mais avec une image paternelle. Moi, je serais plutôt du genre à foncer. Lui serait plutôt du genre réfléchi : "Ah non, pas question, c'est de la folie, tu ne vas pas faire ça !" On se complète. Avec lui, je ne me sens jamais en danger.


André Téchiné, qui est sans doute l'un des quelques metteurs en scène avec lesquels je pourrais travailler pratiquement sans scénario. Téchiné est dans un univers qu'il explore vers toujours plus de clarté, de simplicité, donc c'est quelqu'un que je retrouve avec plaisir, avec qui je plonge dans un univers très personnel auquel j'adhère totalement, avec toutes ses zones d'ombre évidemment...

André m'a beaucoup aidée à aller dans une direction que je pressentais en moi mais où, sans lui, je ne serais pas forcément allée aussi rapidement. Il m'a fait gagner du temps. Il m'a beaucoup poussée vers une certaine forme de nudité, de vérité, quelque chose qui, dans mon jeu, est aujourd'hui à la fois plus simple et plus complexe...

Le problème, quand on tourne plusieurs films ensemble, c'est de ne pas s'enfermer dans des habitudes. Refaire ce que l'on a déjà fait. André et moi, on est timides mais orgueilleux : on a envie de se surprendre. J'ose être audacieuse avec lui. Et même sans lui, mais grâce à lui : je suis sûre que "Place Vendôme", où je joue le rôle d'une alcoolique qui sort d'une cure de désintoxication, je ne l'aurais pas accepté s'il n'y avait eu, durant toutes ces années, toutes nos conversations sur le cinéma, sur les acteurs, sur la distance juste d'un comédien avec son personnage. L'audace, ça se pratique à deux.

L'un des cinéastes les plus importants dans ma vie, c'est André Téchiné. Il a fait évoluer ma perception des rôles, ma perception des autres. Marianne est un personnage magnifique. Nicole Garcia me l'a offert, et je ne vois pas comment j'aurais pu le refuser. Mais je ne sais pas si j'aurais su, avant ma rencontre avec Téchiné, en accepter la nudité. L'épure. Toutes les héroïnes d'André ont un désarroi profond sur le sens de la vie. Quoi, la vie ne serait donc que cela, semblent-elles nous dire...

Ma rencontre avec André a vraiment été déterminante dans mon évolution de femme. Il m'a aidée à avoir plus de courage pour affronter certaines choses de ce métier qui m'angoissaient.

Grâce à des cinéastes comme André Téchiné, je me suis rapprochée d'histoires de gens ordinaires, avec toutes les émotions et le poids du vécu que cela représente. J'ai cessé d'être du côté de la beauté idéalisée, pour devenir plus humaine.

Personne ne traverse la vie comme une comète insensible et tranquille. Chez tous les êtres, il y a une fêlure. Seulement, certains réalisateurs ne font que la suggérer et d'autres en font le cœur de leur œuvre, comme Téchiné ou Nicole Garcia. Pour une comédienne, rendre sensible cette fêlure, c'est s'approcher de la vérité. Lorsqu'on peint leurs faiblesses, les gens alors deviennent vivants, et délicats, et passionnants.

Avec André, il y a des choses qu'on continue d'explorer, sur lesquelles on fait le point ensemble et qui ressortent plus naturellement ensuite, plus vite. Moins de temps perdu avec les présentations.

Tourner avec André Téchiné, ça va devenir une angoisse. Car comment surprendre quelqu'un qui vous connaît, qui vous estime et avec qui vous avez fait tant de films ?

L'auteur

C'est un des metteurs en scène que je préfère et avec qui j'aime le plus travailler, il a son univers, il fait des films intimistes, qui ont une ampleur, comme les films de Jacques Demy. Ce sont des films à la fois très lyriques et simples.

Avec André Téchiné, je peux aller très loin pour me "gommer", au bénéfice du réalisme. Je ne suis pas sûre d'y parvenir avec d'autres.

Certains me disent : "Si Téchiné l'exigeait, tu serais prête à sauter du troisième étage". A quoi je réponds : "Je sauterais s'il m'assurait qu'il a posé des matelas en bas". Je veux bien me faire mal, mais pas me casser. Je suis persuadée qu'André peut me lancer dans une aventure folle, mais jamais absurde ni ridicule.

Cette confiance est basée sur des choses qu'on a faites, ce n'est pas une confiance aveugle, abstraite. Généralement, je préfère travailler dans la confiance, je n'aime pas les rapports conflictuels. Avec André, je suis sure qu'il ne me demandera pas de faire des choses qui seraient mauvaises pour moi. Je sais qu'il a suffisamment de recul par rapport à son travail pour refaire ou défaire les choses s'il se trompe. On peut tenter des choses à fond, parce qu'il n'insistera pas si ça ne fonctionne pas : André ne se contenterait pas de choses à moitié réussies. Quand je dis "réussies", je parle d'une satisfaction intime, intérieure pendant le travail, le sentiment d'être allé dans une direction voulue ; je ne parle pas du résultat final qui n'appartient... à personne. Cette satisfaction personnelle résulte de l'harmonie, de la compréhension, de la justesse de l'échange entre un réalisateur et des acteurs.

Téchiné est un homme subversif : c'est peut-être le seul réalisateur avec lequel j'aie envie de prendre des risques, d'aller jusqu'au bout des aventures les plus folles.

Il y a des familles de personnages. Ceux que je joue avec André Téchiné appartiennent à une famille, celle de son regard, de sa vision personnelle, souvent assez exaltée, dramatique et réservée à la fois. Des femmes très contenues, en apparence.

Ses héroïnes sont très réalistes, avec cette part de folie qu'on ne peut sonder qu'au moment où le destin les met en relation avec des choses extrêmes. J'aime l'idée que les choses ne sont pas jouées d'avance. Tout le monde a sa part de folie. Un des immenses plaisirs de cinéma est de pouvoir vivre cela à travers un personnage.

André va chercher très loin la vérité de ses personnages et, donc, pousse les acteurs à se dévoiler toujours davantage... Avec lui, je suis allée dans des directions où je ne me serais sans doute jamais risquée avec d'autres.

André est l'un des seuls à me voir si douloureuse ? C'est que dans son univers je dois représenter cette femme-là, comme d'autres actrices doivent représenter autre chose de son univers. C'est en tout cas comme ça qu'il me voit, ce qui ne veut pas dire - parce que je suis quand même quelqu'un de plutôt gai - que c'est ma nature. C'est son imagination sur moi...

Je crois que c'est un cinéaste fidèle à un thème et que je représente quelque chose à l'intérieur de ce thème. Même s'il écrit des histoires différentes, on retrouve toujours des personnages récurrents dans son cinéma. Il y a une évolution. On a exactement le même âge, on continue donc ensemble.

Le metteur en scène

C'est ce que j'aime chez André : l'énergie qu'il arrive à insuffler à tout le monde.

Son cinéma est tellement vivant. On parle tout le temps. Il y a de l'émotion. Il se passe toujours quelque chose dans les films d'André. Il y a une vitalité incroyable.

André, il dirige tout le temps. II aide les acteurs à aller jusqu'au bout de ce qu'ils veulent faire, il les aide à prendre des risques. C'est même ça qu'il attend d'eux. Il est toujours extrêmement aigu, extrêmement présent, extrêmement vigilant. Il ne se laisse jamais entraîner par ce qui pourrait être contraire à l'esprit de la scène. En même temps, il est très disponible, très ouvert. On n'a jamais l'impression que le film existe tant qu'on n'a pas tourné la scène. C'est un sentiment excitant - et un peu effrayant : on ne se sent pas toujours à la hauteur de son espérance. On travaille sans filet. Et aussi... avec un filet, puisqu'il demande beaucoup mais qu'il est toujours là, très attentif. Pour moi, c'est un grand plaisir de travailler avec lui. Je ne savais pas au moment où nous nous sommes rencontrés que nous aurions une telle complicité, parce que je ne pense jamais au futur d'une relation, mais elle s'est développée naturellement au fil du temps. Et je sais aujourd'hui que c'est un bonheur chaque fois renouvelé.

André sait parfaitement ce qu'il faut casser par rapport à l'idée que les gens peuvent avoir de moi. Surtout au début du film... C'est là qu'il faut casser les idées reçues et prendre le temps d'installer un nouveau personnage. Et André me connaît suffisamment pour me faire dire des choses qui passeront bien dans ma bouche... Un cinéaste qui écrit pour des acteurs est forcément quelqu'un qui a déjà une bonne relation avec eux ; il a besoin de penser à des visages, à des caractères.

C'est quelqu'un qui ne juge pas, qui observe. Toutes les photos de tournage où je suis avec lui, on le voit lever les yeux sans regarder, il parle à l'oreille en chuchotant. Il a une délicatesse incroyable avec les acteurs.

Il y a, entre lui et moi, une entente qui fait que l'on se chuchote plus les choses qu'on ne se les dit clairement. Un metteur en scène ne vous donne pas nécessairement des indications définitives et fondamentales sur votre rôle. C'est beaucoup plus diffus, presque impressionniste. Il n'y a pas de formules, de phrases-clé, pas de conventions. Tout cela reste mystérieux et secret. [...] Curieusement, on s'est peut-être dit plus de choses sur mon personnage à travers les conversations que nous avons eues à propos des films des autres, du comportement et des motivations de leurs héros... Ce que j'aime aussi chez André, c'est son attention aux acteurs, jusqu'au moindre petit rôle.

André manque toujours de temps sur un tournage parce qu'il veut toujours faire plus et mieux.

Il est très difficile de ne pas sortir tourmenté des tournages avec André Téchiné. Parce qu'il écrit pour des acteurs, parce qu'il écrit sur des personnes et des choses particulières, des choses qu'il sent, qu'il sait, qu'il a envie de dire, et comme il écrit pour des gens qu'il connaît ou qu'il devine, il y a forcément quelque chose de dérangeant. On reste très longtemps troublés.

Les films avec André représentent des moments particuliers. Je suis toujours sortie de ses tournages assez bouleversée. Bouleversée que ça s'arrête.

Le cinéaste dont il est le plus proche, c'est Bergman. Cet amour des femmes. La simplicité et la complexité. Etre au plus près des visages et des sentiments. Et ce désir d'accompagner les êtres jusqu'au bout de leurs obsessions, de cerner le gouffre qui est en eux.

Ce qu'il a dit sur Catherine Deneuve...


Catherine Deneuve est une actrice que j'ai envie de retrouver. Je crois que je ne pourrai pas faire deux-trois films dans la continuité mais, en revanche quand j'ai fait un ou deux films sans elle, j'ai envie de la retrouver, de la filmer à nouveau. Elle est évidemment toujours la même mais aussi avec les changements inévitables du temps, et j'ai envie d'inscrire cela dans une fiction.
André Téchiné, Tausend Augen 2001

J'ai bien plus de projets avortés que réalisés. "Terre brûlée", un scénario que j'aimais beaucoup, sur la guerre d'Algérie, avec une pléiade de stars. "Les mots pour le dire", avec un casting de rêve ­ Catherine Deneuve et Danielle Darrieux ­, dont la productrice, Vera Belmont, ne voulait pas. "Maladie d'amour" avec Adjani. "Le bruit de la terre qui tremble", au Brésil, avec Deneuve et Bonnaire, arrêté une semaine avant le tournage... [...] Mon optimisme naturel ­ ça va en faire rire certains que je me qualifie d'optimiste ­ me pousse à croire que les projets avortés voyagent et reviennent sous une autre forme. Le duo Deneuve-Darrieux des "Mots pour le dire" s'est métamorphosé en celui du "Lieu du crime". Quand j'ai commencé "J'embrasse pas" (1991), qui se passait en partie chez les travestis du bois de Boulogne, je me suis dit que, puisque je n'avais pas réussi à tourner un film français au Brésil, j'allais faire un film brésilien à Paris...
André Téchiné, Télérama 2003

Il y a deux ans, j'ai l'idée d'un scénario pour Catherine et Daniel Auteuil. Financiers ravis. Les mêmes, un an plus tard : "Deneuve-Auteuil, c'est du déjà-vu, non ? Vous n'auriez rien de plus surprenant ?" OK, vous allez me dire : peut-être le scénario ne leur avait-il pas plu... C'est bien plus décourageant que ça : les raisons pour lesquelles ils voulaient faire le film sont mystérieusement devenues les raisons pour lesquelles ils ne voulaient plus le faire.
André Téchiné, Télérama 2003

Le renouvellement

La première image de Catherine, ce sont les films de Demy ou de Buñuel. Je rêvais d'avoir un jour CATHERINE DENEUVE devant ma caméra. La rencontre s'est faite par l'intermédiaire de Gérard Lebocivi, qui était mon agent à l'époque. Et le sien. Il y avait un désir commun de tenter cette expérience. On ne se connaissait pas et puis, bien vite...la complicité, la confiance...Le miracle de notre rencontre, c'est quelque chose qui n'arrive pas tous les jours, dans une vie de cinéaste. Catherine est devenue comme une sœur. Notre relation dépasse largement le cadre du cinéma. Cela nous permet de nous en éloigner pour mieux y revenir. Ce qui me sidère le plus chez elle, c'est que contrairement à certains acteurs, il n'y a pas de métier. Il y a une absence totale de technique et, finalement, de l'innocence devant la caméra. A chaque fois elle se balance dans une scène comme si elle n'avait aucun repère. Comme si c'était la première fois. Elle tatonne comme une débutante. Dans "Le lieu du crime", elle n'était pas mieux armée que l'enfant. Il semble toujours y avoir en elle une réserve dans laquelle on peut puiser. C'est notre quatrième film ensemble, et le mystère par rapport à la caméra reste entier. Elle a encore des choses à donner et à inspirer. Plus que jamais on a envie de la regarder et de dégager des potentiels insoupçonnés. C'est très rare, car elle devait avoir 18 ans au moment des "Parapluies de Cherbourg".... C'est même un cas unique. Elle est au-delà du savoir-faire. Elle a la grâce et la maladresse d'une débutante. Elle a une capacité de renouvellement infini.
André Téchiné, Studio Magazine 1996

Catherine, pour moi, elle n'a pas perdu la grâce de la débutante. Je la connais - enfin j'ai réalisé quatre films avec elle - et je ne sais toujours pas quand je dis "moteur" comment elle va jouer et, chaque fois, elle se lance dans quelque chose qui va me surprendre. Je lui trouve des qualités qui me touchent : de la légèreté, de ta vitesse, du dénuement et du tremblé. Donc ça veut sûrement dire que je suis sensible à tous ces éléments qui se dégagent d'elle.
André Téchiné, Tausend Augen 2001

A propos de Deneuve et d'Auteuil, je trouve qu'il y a la possibilité, pour moi en tout cas, de les regarder chaque fois différemment ou de donner un regard qui peut les développer ou les approfondir dans une autre direction où le plafond, la nouvelle limite, n'est pas encore atteinte. Cette limite, il arrive qu'avec certains acteurs je n'arrive pas à la dépasser. Par exemple quand je suis confronté à des acteurs qui ont du métier, un savoir-faire et qui sont barricadés dans ce savoir-faire, j'ai le sentiment que je ne peux pas aller plus loin ou que je ne peux pas arriver à dégager quelque chose de ce métier ou de ce savoir-faire et dès lors je suis moins intéressé. Deneuve ou Auteuil, ce n'est pas le fait que ce soit des vedettes qui m'intéresse, c'est le fait qu'ily ait des choses à révéler dans une relation de travail.
André Téchiné, Tausend Augen 2001

Ce qui m'attire chez elle, dans son talent d'actrice, c'est que, malgré les nombreux films qu'elle a faits, j'ai le sentiment qu'elle n'a pas atteint un plafond, qu'il n'y a pas, contrairement à beaucoup d'autres, un effet de saturation Deneuve. […] C'est cette réserve inépuisable en elle qui m'attire. […] J'aimerais faire bientôt une comédie, pour changer un peu, je voudrais lui faire jouer un personnage à transformations, complètement farfelu et exubérant, et je suis sûr qu'elle serait tout à fait étonnante.
André Téchiné, Les Cahiers du Cinéma 1986

Il faut parfois un certain temps pour oublier la présence d'un acteur qu'on a déjà vu. Travailler avec Deneuve est beaucoup plus difficile qu'avec des interprètes sans expérience. Ce n'est pas le mythe de la spontanéité, c'est un corps qu'on n'a jamais vu avant et on va croire davantage à ce qu'il dit et fait dans cette fiction-là. Il est aussi plus malléable que l'acteur professionnel, tributaire d'une image, de ce qu'on sait de lui, des rôles où il a pu être enfermé ou piégé.
André Téchiné, Libération 1999

A chaque fois, elle se lance devant la caméra avec la grâce d'une débutante. Elle reste désarmée.
André Téchiné, Télérama 2003

Je connais un peu Catherine dans la vie, mais, sur l'écran, au bout de quatre films, le mystère reste insondable qui me donne envie de tourner avec elle, sans fin... Peut-être parce qu'elle n'est jamais là où on l'attend. Toujours ailleurs. Toujours en avance. A tel point que, dans certains films, ses partenaires - et, parfois, ses metteurs en scène - ont du mal à la suivre : ils ne vont pas assez vite. Elle dit ses répliques à toute allure et, en même temps, les module. Elle a, donc, la rapidité et le contraire de la rapidité. Elle peut, soudain, devenir un masque d'une extrême violence. Elle vous contemple et, soudain, vous confond. Elle est opaque et légère. Et le geste le plus simple, avec elle, devient mystérieux. Elle ne fait jamais "son intéressante" comme on disait jadis, elle a, au contraire, un jeu minimaliste. Mais elle arrive à créer un suspense rien qu'en portant un verre à ses lèvres. Et, quand elle parle, c'est plus mystérieux encore : cette voix qui s'échappe, une ligne de fuite perpétuelle...

Le mystère

Catherine, pour moi, c'est un tel mystère et une telle complexité. Elle a tellement de facettes qu'un jeune cinéaste débutant peut, en posant son regard sur elle, découvrir des choses nouvelles. C'est le contraire d'une actrice qui a atteint un plafond. C'est une espèce de réserve, une réserve inépuisable pour un cinéaste. Sa beauté est inséparable de son mystère.
André Téchiné, Studio Magazine 1996

Il y a deux actrices qui m'ont rappelé que la relation sexuelle reste un grand mystère : Deneuve et Adjani. J'ai toujours eu un mal fou à leur trouver des mecs, en tout cas des mecs qui aient du répondant et fassent que le courant passe physiquement devant la caméra. J'en tiens compte en écrivant mes films autour de Catherine, sachant que la caméra ne fait pas de cadeau sur l'énigme sexuelle et que si l'actrice refuse la mascarade, ce qui est le cas de Deneuve, le cinéaste est privé de repères. Il faut aller plus loin ou il faut aller ailleurs parce que le cliché de la "chaleur" ne fonctionne plus. C'est pour cela qu'elle est si extraordinaire. Il suffit de voir " Belle de jour ".

André Téchiné, Les Cahiers du Cinéma 1996

J'aime beaucoup la voix de Catherine. C'est une espèce de voix qui file entre les doigts, au débit accéléré, pulsionnelle, mais jamais emphatique. Quand son timbre affleure, on sent l'intérieur du corps.
André Téchiné, Studio Magazine 1996

[Catherine Deneuve] joue sur ce qu'elle cache, plus que sur ce qu'elle montre. Elle donne ce sentiment rare de "prendre des vacances" vis-à-vis du personnage. Je fais beaucoup de répétitions avec elle ­ ce qu'elle n'apprécie pas spécialement ­ non pour qu'elle colle au rôle, mais pour qu'elle s'en débarrasse encore plus.
André Téchiné, Télérama 2003

Catherine est porteuse d'une anxiété, d'une suractivité. Je l'ai toujours sentie attirée vers des abîmes. Elle joue avec ses inhibitions, ce qui lui donne une profondeur fascinante.
André Téchiné, Première 2004

La confiance

C'est avec son accord que je la mets en danger. J'essaie de me rapprocher d'elle dans le seul but de la rendre la plus humaine possible. Catherine a une image institutionnelle très lisse et très glamour, alors, je tente de la "déglamouriser" pour montrer les démons et les gouffres qu'elle peut avoir en elle, si on prend la peine de la regarder autrement que comme un objet. [...] Elle sait que j'ai envie de lui faire du bien et ce n'est pas en la rendant plus humaine qu'elle sera moins grande. Mais ce n'est pas venu du jour au lendemain...Je me suis approché pas à pas.
André Téchiné, Studio Magazine 1996

Avec Catherine, j'ai toujours l'impression de pouvoir aller plus loin ; j'ai la chance qu'elle accepte de se mettre en danger dans les rôles que je lui propose. C'est vraiment une interprète idéale parce que, contrairement à d'autres acteurs, elle ne projette aucun cliché psychologique dans le personnage. Très souvent, les acteurs se font une idée de leur personnage mais, n'étant ni scénaristes ni cinéastes, cette idée du personnage est terriblement "clicheteuse". Ils manquent de perspicacité pour donner sa complexité à un personnage, ce qui débouche souvent sur des réductions un peu banales. Deneuve échappe à ça. Elle ne tire jamais le personnage vers des simplifications qui risqueraient d'être caricaturales.
André Téchiné, Les Cahiers du Cinéma 1986

J'essaie de révéler chez elle un potentiel intime, secret. Je ne cherche pas à l'idéaliser, mais à l'humaniser.
André Téchiné, Voir Montréal 1997

Ce que j'ai essayé de faire avec Catherine effectivement, c'est de la regarder autrement ; tout le côté glamour de Catherine existait déjà sous une forme très différente. J'ai essayé de l'humaniser davantage et de faire en sorte qu'il y ait un déplacement de sa beauté, une sorte de beauté qui doit se révéler au cours du film, même si en apparence au début elle est justement moins glamour que dans d'autres films.
André Téchiné, Tausend Augen 2001

Quand on tourne avec Deneuve, on doit se coltiner avec l'énorme mémoire de cinéma qui se rattache à elle et qu'il faut faire bouger. J'ai toujours envie de lui écrire des gestes qu'elle n'a pas l'habitude de faire, pour la mettre en danger. En même temps, elle sait que je l'assiste dans ces moments-là.
André Téchiné, Les Cahiers du Cinéma 1996

Si on a l'impression que je la mets en danger dans mes films, je l'assiste aussi. Il y aura toujours assistance à personne en danger dans ma présence et dans mon regard.
André Téchiné, Studio Magazine 1996

Une relation fraternelle entre un cinéaste et son actrice est souhaitable, pour qu'elle ne soit pas complètement privée de repères et qu'elle puisse revenir à la surface de la vie - et ne pas sombrer dans les eaux obscures du cinéma.
André Téchiné, Tausend Augen 2001

On a une espèce de confiance dans le travail qu'on fait ensemble. Elle m'a dit, par exemple, à propos du rôle d'alcoolique déchue dans le film de Nicole Garcia, "Place Vendôme", qu'elle avait pu aborder ce rôle avec moins de terreur après "Les voleurs". Qu'elle avait une sorte d'entraînement, était moins intimidée. Comme si "Les voleurs" avait, d'une certaine manière, préparé le terrain. Elle avait pu s'abandonner à ce rôle avec moins de résistance parce qu'elle avait expérimenté ce registre-là d'un personnage dépressif et alcoolique.
André Téchiné, Tausend Augen 2001

Je crois que la confiance est telle, entre nous, qu'il y a perpétuellement un défi : provoquer l'audace de l'autre. Pour mieux le voir se dépasser, sans le mettre en danger. Il me semble aider et soutenir Catherine mais, si j'y réussis, c'est uniquement parce qu'elle m'aide et me soutient.


J'ai toujours dit que Catherine était ma sœur de cinéma. Et c'est de plus en plus vrai. S'il lui venait l'idée saugrenue de prendre sa retraite, je ne sais pas ce que je ferais. J'ai besoin qu'elle existe. Elle est mon repère. Sans elle, je serais perdu.


Né en 1943, André Téchiné est tout d'abord critique aux Cahiers du Cinéma. Il réalise en 1969 un film dans l'esprit de la Nouvelle Vague teinté d'expérimentation, qui n'est sorti qu'en 1975. Entre-temps, il s'est orienté vers un cinéma plus romanesque, tenté à l'occasion par des échappées dans un imaginaire romantique qu'il pare des formes du baroque, plus souvent contenu à des variations autour d'éléments autobiographiques, d'une adolescence provinciale dont il creuse le sillon. C'est dans cette deuxième veine qu'il est le plus à l'aise, autour d'une sensualité longtemps brimée qui s'épanouit au contact de la nature. On découvre en Téchiné le cinéaste de la mémoire et de l'effusion qu'on pressentait dans ses premiers films, bridés peut-être par la théorie, ou par la pudeur. Téchiné est aussi un remarquable directeur d'acteurs.

Films avec Catherine Deneuve

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