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Ce qu'en a dit Catherine
Deneuve...

Quand je pense aux cinéastes
avec lesquels j'ai vraiment été liée, Jacques
Demy, François Truffaut et André Téchiné,
je dirai pour simplifier que c'était quand même toujours
la personne qui me plaisait, même si c'était lié
au fait qu'ils étaient cinéastes. Je suis extrêmement
fidèle en amitié et très présente pour
mes amis, et ces cinéastes étaient importants pour moi,
j'avais envie de les voir, de parler avec eux de tout et surtout de
rien, je me sentais bien en leur compagnie, complice sur le plan professionnel.
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J'ai eu une très
longue relation de cinéma avec Truffaut, que j'ai vu jusqu'à
la fin de sa vie. On parlait beaucoup de cinéma, il n'aimait
que ça : le cinéma, les femmes, et ses amis. Il m'écrivait
beaucoup, et m'a beaucoup parlé pendant les tournages, et après,
puisqu'on se voyait très régulièrement. Il a
beaucoup compté pour moi, son regard, ses discussions... On
se disputait souvent d'ailleurs, il me trouvait toujours trop entière,
excessive. Mais il m'a beaucoup apporté. Et puis, il aimait
vraiment les femmes, et plus encore les actrices. C'était quelqu'un
de très minutieux, il prenait toujours les gens en tête-à-tête,
ne disait jamais les choses devant les autres. |
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C'était quelqu'un d'intelligent... qui
avait beaucoup de talent. Oh oui, c'était vraiment quelqu'un
de très très exceptionnel, non seulement par son talent,
mais aussi parce qu'il avait réussi à vivre comme il
en avait envie. Il a très bien su se protéger tout en
étant extrêmement respectueux des autres. Il avait une
vie très secrète. Pas solitaire, mais très secrète.
C'était quelqu'un qui voyait des gens, mais individuellement.
Moi je ne le comprends pas tout à fait, mais ça demande
une grande force de caractère et une grande rigueur. |
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J'ai appris beaucoup
de choses avec François Truffaut qui parlait très bien,
qui m'a très bien parlé en tout cas, de toutes ces choses-là.
Il m'a appris à connaître les choses ou plus exactement
à les reconnaître pour que, lorsqu'elles sont irrémédiables,
on ne se laisse pas accabler par elles. J'ai appris à aimer
l'exceptionnel, même si c'est douloureux. |
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Truffaut m'a beaucoup
aidée à participer, à m'ouvrir aux autres. |
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Il m'a donné confiance
en moi. Surtout quand on a fait "Le Dernier Métro",
il voulait absolument me donner un rôle de maturité,
comme il disait. Il m'a poussée à oser avoir un certain
ton, à parler avec une certaine autorité, sans devenir
antipathique. Il l'a fait parce qu'il me connaissait dans la vie,
il savait que je pouvais aller dans cette direction. Il savait aussi
que je n'osais pas encore vraiment, que c'était difficile.
Il a toujours pensé qu'il y avait en moi un côté
"Belle au bois dormant". C'est-à-dire en même
temps quelque chose qui se donnait et quelque chose qui se refusait,
qu'il fallait déverrouiller. Il m'a beaucoup aidée.
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Avec Truffaut, j'ai eu l'impression
de bouger sans avoir à me déplacer physiquement. C'est
avec lui que j'ai appris que la force d'un regard ne correspond pas
forcément à un gros plan les deux yeux dans l'objectif
de la caméra. C'est avec lui que j'ai appris des "trucs"
techniques : on ne joue pas de la même façon un film
bourré de "plans séquences" et un autre minutieusement
découpé, tel "Le Bon Plaisir". |
Catherine Deneuve, citée
dans le livre de Philippe Barbier et Jacques Moreau 1984
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Il a surtout cette incomparable
manière de vous impressionner par son sérieux, sa rigueur,
sa passion. Travailler sous sa direction, c'est se sentir investie
! Il sait vous contraindre, vous retenir dans le jeu, vous empêcher
de tomber dans un fouillis d'expressions sous prétexte d'émotions
à faire passer. La dépendance de l'acteur vis-à-vis
du metteur en scène est énorme. Il y a des films où
vous avez eu la certitude de tout donner et quand vous les voyez,
achevés, il ne se passe rien. C'est ce que j'appelle le mystère,
dans la mesure où cela tient à une lumière, à
un angle, à une hauteur d'objectif. La preuve, c'est que la
même scène tournée par un autre cinéaste
peut être parfaitement grotesque et ridicule... |
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C'est le réalisateur qui m'a
appris le plus de choses. Il m'a beaucoup contraint. Dans "La
sirène", j'avais des réticences. Je disais tout
le temps : "Dans la vie on ne fait pas comme ça".
Et lui répondait : "Mais la vie n'est pas le cinéma,
et le cinéma n'est pas la vie. En une heure et demie, on ne
raconte que les événements importants et intéressants.
C'est beaucoup plus fort et ça va plus vite". J'avais
tendance à lui dire : "Ça, je ne le sens pas".
Il me répondait : "II ne suffit pas de sentir. Si on veut
faire des films réalistes, il n'y a qu'à prendre des
gens dans la rue". |
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L'importance du son c'est lui aussi qui me l'a
appris. Sur "Le dernier métro", il y a certaines
scènes qu'il ne regardait pas, il les écoutait au casque.
Parce que l'image peut tromper, à cause de l'émotion
qui se dégage dans les regards, par exemple. Alors que le son
ne trompe jamais. Pour le doublage, parfois, j'étais découragée
: "II faut doubler ça ?" II répondait : "II
ne faut pas partir de ce principe, il faut partir du principe qu'on
peut améliorer". Et ce qu'on améliore, c'est vrai
que c'est incroyable pour le son, pour la compréhension. |
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Lui, c'est quelqu'un
qui a pensé à tout, avec qui j'ai vraiment beaucoup
beaucoup appris parce qu'il est à la fois très théorique,
et en même temps, c'est tout de suite vérifiable. C'est
quelqu'un qui vit passionnément son métier. [...] Moi,
je n'ai tourné qu'une seule fois avec lui. C'est quelqu'un
de très gai, qui aime beaucoup rire, beaucoup s'amuser. Il
a besoin que l'ambiance du tournage soit formidable, et il a raison.
Il sait ce que c'est qu'un plateau, ce que c'est qu'une ambiance.
Et pas seulement depuis qu'il est acteur. Je pense qu'il en sait encore
plus aujourd'hui, et qu'il écrira là-dessus un jour.
Mais déjà, c'est quelqu'un qui s'interroge deux fois
plus que qui que ce soit, sur tout ce qui concerne le cinéma,
les acteurs le citent d'ailleurs tous comme le réalisateur
idéal. |
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Truffaut, c'est quelqu'un de très
précis qui a, à la fois, le goût du détail
et de la stylisation. Ce qui n'est, en effet, pas toujours évident.
Il sait très précisément ce qu'il veut, mais
en même temps, il aime tellement les acteurs qu'il veut les
laisser libres... |
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Sur " La Sirène du Mississipi ",
il m'avait demandé des choses que je n'admettais pas, dont
je ne voyais pas la nécessité. Mais il m'a appris énormément.
Par exemple à bouger sans avoir à me déplacer,
à soutenir le regard, à styliser mon jeu. |
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Avec Truffaut, tout passe par les
mots. [...] Truffaut, c'est quelqu'un qui écrit pour les acteurs
qu'il a choisis. Donc vous savez que le rôle a été
conçu pour vous. |
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Truffaut était très critique vis-à-vis
de son travail et très lucide. Y compris sur le lancement de
ses films. Il n'y avait pas de réunion pour décider
ce qu'il fallait dire et ne pas dire, mais il vous le faisait sentir.
Il avait beaucoup d'emprise sur les gens. II fallait absolument que
ce soit homogène et qu'on ait l'impression que les gens avaient
fait le même film, savoir ce sur quoi il fallait mettre l'accent. |
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Il savait très bien parler à chacun
individuellement, selon sa personnalité. Il n'avait pas le
même ton, les mêmes mots selon l'acteur. Je ne l'ai jamais
vu dire des choses importantes à un acteur devant d'autres
acteurs. Je ne l'ai jamais vu dire "Coupez !" devant tout
le monde quand l'acteur était mauvais. Parce que si c'est vraiment
grave, ça met l'acteur dans un état épouvantable,
et François était un des rares à avoir de la
psychologie sur ce plan. |
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C'était comme quelqu'un qui vous apporte
un cadeau : vous voyez tout de suite si cette personne vous comprend
et vous aime bien, qu'elle a senti ce qui vous plairait. Quand vous
lisez un scénario dialogué par François Truffaut,
c'est dans les mots que vous sentez son regard, son exactitude, sa
finesse de perception, sa justesse et sa sensibilité, et puis
sa féminité. Tourner avec lui, c'est presque un cadeau
empoisonné : il est presque impossible de retrouver avec un
autre autant d'éléments positifs dans un film. |
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Quand on rencontre quelqu'un, ça n'implique
pas forcément de se retrouver systématiquement sur tous
les films. Surtout quand les cinéastes sont des auteurs et
qu'ils ont des projets très précis et très différents.
Truffaut avait je ne sais combien de films en chantier, des projets
qu'il portait depuis très longtemps. Moi, je le connaissais,
on se voyait souvent, je n'avais pas forcément besoin qu'on
tourne ensemble. Notre relation était bien au-delà de
simples contingences professionnelles. |
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La parution du livre sur
la vie de François Truffaut n'a pas pu m'empêcher de
penser que François n'aurait pas forcément été
d'accord sur ce qui a été dit. Lui qui avait un tel
goût du secret, plus que n'importe qui. Même s'il avait
gardé tout son courrier, même si tout ceci a été
vu, balisé, autorisé. Je n'ai pas aimé la manière
dont la presse ne s'est occupée que de son aspect "Don
Juan". François Truffaut avait une uvre,
c'était un homme compliqué, intelligent, passionnant.
Les journaux ont polarisé sur ses femmes : "François
et les femmes !" |
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Ç'a été
une histoire très importante, très difficile, douloureuse
même. Une histoire très privée qui aurait dû
le rester. Et comme ça s'est écrit à travers
des lettres, c'est vraiment le viol d'une intimité. Il y a,
par ailleurs, des choses très intéressantes dans ce
livre, mais les journaux se sont jetés tête en avant
sur l'aspect "vie privée du séducteur du cinéma
français". Ce que je trouve extrêmement réducteur
quand on pense à l'uvre de Truffaut. Réducteur
et vulgaire. Et je ne peux pas imaginer, connaissant son goût
du secret, qu'il aurait été d'accord avec ça. |
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[à propos de Françoise
Dorléac]
François Truffaut lui disait souvent qu'elle devait être
patiente, que sa personnalité forte contrastait avec son physique
fragile et romantique, mais qu'elle trouverait avec la trentaine les
vrais contacts avec le grand public. Il lui adressait ses lettres
au nom de Framboise Dorléac pour être certain qu'elle
les lirait en souriant. |
Catherine Deneuve, Madame Figaro
1989
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Ce qu'il a dit sur
Catherine Deneuve...

Belle, Catherine Deneuve l'est en
effet à tel point qu'un film dont elle est l'héroïne
pourrait presque se passer de raconter une histoire. Je suis persuadé
que le spectateur trouve son bonheur simplement à regarder
Catherine et que cette contemplation suffit à rembourser le
prix du ticket d'entrée. |
François Truffaut, Unifrance
Film Magazine 1969
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Catherine ajoute de l'ambiguïté
à n'importe quelle situation, n'importe quel scénario,
car elle donne l'impression de dissimuler un grand nombre de pensées
secrètes, qui se laissent deviner à l'arrière-plan
puis, peu à peu, deviennent l'essentiel et forment le climat
du film. |
François Truffaut, cité
dans Télérama 1997
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A quoi puis-je comparer
Catherine ? Si l'on tient à la rapprocher de quelque chose,
il ne faut la comparer ni à une fleur ni à un bouquet
car il y a une certaine neutralité en elle qui m'amène
à la comparer au vase dans lequel on peut mettre toutes les
fleurs. Son comportement, son allure, sa réserve permettent
aux spectateurs de projeter sur son visage tous les sentiments qu'ils
ont envie d'imaginer. Malgré son apparence plutôt romantique
et fragile, Catherine a le naturel absolu des filles qui sont nées
après la guerre, le même côté imperturbable
et une pudeur qui, dans son travail d'actrice, lui commandent de ne
pas se livrer toute entière. Cette retenue fait rêver,
accroît le mystère et permet aux spectateurs de "remplir
le vase". |
François Truffaut, Unifrance
Film Magazine 1969
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Catherine Deneuve projette
sur l'écran une double vie : vie apparente et vie secrète.
Mais j'oublie le film qui a été le plus important pour
elle et qui est "Belle de jour". Ce film coïncidait
merveilleusement avec la personnalité un peu secrète
de Catherine et les rêves du public. C'était un film
formidablement mystérieux qui lui convenait parfaitement. |
François Truffaut, cité
dans le livre de Philippe Barbier et Jacques Moreau 1984
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J'aime la façon dont elle
semble toujours projeter sur l'écran une double vie, vie apparente
et vie secrète. On a l'impression qu'elle garde des pensées
pour elle, et que sa vie intérieure est au moins aussi importante
que sa vie extérieure. |
François Truffaut, Paris-Match
1980
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Avec Catherine, il y a une importante
part de rêve et on a l'impression que tout n'est pas montré
à l'écran. Il y a le personnage qu'elle incarne et des
pensées qui ne sont pas exprimées. Oui, Catherine Deneuve
est une actrice de rêverie, il n'y a pas d'autre mot, car cette
impression de double personnalité, de double identité,
nous ne l'avons pas avec une autre comédienne. Catherine projette
sur l'écran une double vie : vie apparente et vie secrète. |
François Truffaut, cité
dans le livre de Philippe Barbier et Jacques Moreau 1984
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Elle est par excellence
la comédienne présente et transparente, éminemment
malléable, sujette à tous les fantasmes que lui prêtent
ses metteurs en scène, ses spectateurs et donc ses personnages. |
François Truffaut, Nouvelle
Vague
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Catherine est très
peu actrice dans la vie. En fait, elle calcule très peu et
préfère se laisser aller, très à l'aise
dans certaines situations, très malheureuse dans telles autres.
Mais elle ne le montre pas et possède une décence que
j'apprécie beaucoup. Elle n'a pas la vanité de son talent.
Pour elle, seul le bonheur compte. Tout le reste est dérisoire.
Catherine est comme ça.
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François Truffaut, Elle
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Né
en 1932, il fut un vrai "cinglé" de cinéma, avant
de devenir critique au Cahiers du Cinéma puis l'un des chefs de
file de la Nouvelle Vague. Pourfendant l'académisme, prônant
la sincérité et l'ingénuité dans la création,
il opta pour un cinéma "à la première personne"
dont son premier long métrage, "Les Quatre Cents Coups"
(1959) fut l'éclatant manifeste. La biographie de François
Truffaut se confond très tôt avec sa filmographie, avec ses
films : sans être à strictement parler autobiographiques,
ses films, au moins un certain nombre s'inspirent d'événements
vécus ou d'obsessions très personnelles, et, surtout, François
Truffaut se consacre entièrement, presque exclusivement, au cinéma.
L'uvre de Truffaut, de facture classique, et en grande partie autobiographique,
est marquée par la nostalgie du temps qui passe et de la jeunesse
enfuie. Ses oeuvres les plus originales sont des films plus graves, adaptés
à l'occasion de romans qu'il s'est appropriés, où
il s'interroge sur la fragilité des sentiments, et sur l'enfance
vue comme le difficile apprentissage de la vie. Rétrospectivement,
et malgré sa diversité, toute sa carrière paraît
extrêmement cohérente. Il est en tout cas peu de projets
qu'il n'aura pas réussi, à force de ténacité,
grâce également à l'autonomie que lui donnait sa structure
de production, à mener à terme. Toujours prêt à
monter en première ligne dans l'"intérêt supérieur
du cinéma français", fort de ses succès et de
sa situation, il ne lui manquera que le temps : la maladie l'emportera
en 1984.
Films avec Catherine Deneuve
Photos















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