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Ecce homo [à propos de Michel
Piccoli] |
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Du plus loin que je me souvienne,
Michel m'a toujours appelée "la petite", et je n'ai jamais
su pourquoi. Aujourd'hui, je ne sais plus quel est le premier film que
nous avons tourné ensemble, "Les créatures" (où
Varda m'a fait cet air d'ange préraphaélite qui ne me plaît
guère), "Belle de jour" ou "Les demoiselles de Rochefort".
A l'époque, au moment où nous avons commencé de travailler
ensemble, pour moi Michel Piccoli, c'était un acteur de théâtre.
Il m'impressionnait à cause de sa prestance, et de cette voix,
presque celle d'un chanteur. Je me souviens du contraste complet entre
le tournage de Jacques Demy, si joyeux en même temps qu'épuisant,
et le tournage de Luis Buñuel, chez lequel régnait une impression
de secret, un peu menaçante - qui n'existait d'ailleurs pas sur
le tournage de "Viridiana". Michel, lui, semblait s'amuser toujours,
il a un côté pince-sans-rire, souvent on ne sait pas trop
s'il est sérieux. Et avec cette voix puissante qu'il a, tout peut
subitement prendre de l'importance. Il est impressionnant, on sent qu'il
peut se mettre très en colère.
Des dix films dans lesquels nous avons joué
ensemble, celui où nous aurons été le plus proches,
où nous aurons eu, à l'écran, une relation de couple,
c'est "La chamade" d'Alain Cavalier. C'est le film où,
comme partenaire, j'ai le mieux perçu combien il était,
au sens plein, un homme - et pas un jeune homme, comme le sont ou tentent
de le rester tant d'acteurs. Un homme très séduisant, d'une
virilité assez affirmée pour pouvoir, en contrepartie, laisser
libre cours à sa part féminine, et à sa part enfantine,
sans lesquelles il n'est pas de grand acteur.
C'est sur le film d'Alain Cavalier que nous avons été
le plus ensemble à titre professionnel, mais il a été
humainement très présent, très attentif, pendant
le tournage de "Benjamin" de Michel Deville.Je venais de perdre
ma sur, j'étais complètement perdue, effondrée,
je ne savais plus ce que je faisais là, à ce moment Michel,
que je n'ai jamais fréquenté hors du travail, s'est beaucoup
occupé de moi. Je lui en garde une immense gratitude.
Ensuite, avec Marco Ferreri, il a pu donner libre cours
aux aspects les plus débridés de sa personnalité.
Il a un grain, c'est sûr. Le choix de ses films l'atteste, il cherche
ce qui est hors-limite, et quand il joue, il peut vraiment faire peur.
Il y a des volcans cachés, chez lui. Sa voix le laisse entendre.
Et simultanément, il s'amuse beaucoup, je me souviens de cette
folie magnifique qui nous avait tous saisis durant le tournage de "Touche
pas à la femme blanche", il était là-dedans
comme chez lui. Le film venait juste après l'immense scandale de
"La grande bouffe", les agressions que le film avait subies,
Ferreri et ses acteurs faisaient face, il me semblait que Michel jubilait
intérieurement. Il adore ce genre de situations extrêmes.

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