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Quel est votre sentiment à
propos de cette rétrospective à la Cinémathèque
française ? Vous avez joué dans plus de cent films maintenant
!
Oui, il paraît, c'est ce qu'on m'a dit l'autre jour ! C'est un chiffre
important mais cela doit faire quand même maintenant plus de 40
ans que je fais des films ! Je ne me suis jamais arrêtée
de tourner, donc ça me paraît un chiffre impressionnant,
mais pas tant que ça finalement !
C'est passé vite...
Oui, mais quand je repense à mes premiers films, tout cela me paraît
très loin ! C'est vrai que je n'ai pas l'habitude de disséquer
les choses que je fais, mais si je passais en revue tous les films que
j'ai faits, des choses me reviendraient en mémoire, et ça
me paraîtrait très long...
Vous parliez il y a quelques
années de vos réticences à toute forme d'hommage,
la peur d'être momifiée...
Pas d'être momifiée, mais celle d'être statufiée.
Ce n'est pas pareil ! (rires) Mon agent, Bertrand de Labbey, me disait
qu'il fallait accepter les hommages à un certain moment, le plus
tôt possible, parce qu'il arrive un moment où c'est vraiment
un peu tard ! Je suis d'accord avec cette idée. Dans la mesure
où je tourne encore beaucoup de films, notamment des films de cinéastes
et d'auteurs à part entière, je crains moins ce danger d'être
statufiée. C'est quand l'activité se ralentit que les hommages
peuvent devenir complaisants. C'est vrai aussi qu'il n'y a pas de raisons
de rendre hommage à des acteurs âgés, comme s'il fallait
attendre le nombre des années, comme si c'était toujours
lié à la sagesse, au temps qui a passé, au talent
reconnu sur la durée, alors que ce n'est pas la durée qui
compte, il y a eu des carrières fulgurantes extraordinaires !
C'est l'intensité qui
compte aussi !
Oui, bien sûr. C'est vrai qu'il faut avoir fait des films et avoir
une carrière avant qu'on décide de vous rendre hommage...
La carrière, ça appartient toujours au passé, ce
n'est que le bilan de ce qu'on a fait. Mais souvent c'est vrai que ça
intervient un petit peu tard.
On pourrait imaginer que cet
hommage à la Cinémathèque serait comme un film d'André
Téchiné, dans le sens où dans la plupart de ses films,
les personnages, tout en vivant au présent, sont travaillés
par leur passé... J'aime bien cette idée, pour éviter
la solennité...
Ah oui, le solennel, c'est contraire à mes idées !
Quel est votre rapport à
la Cinémathèque ?
Pour vous dire la vérité, j'y allais beaucoup plus quand
j'habitais rive droite, et que la Cinémathèque était
à Chaillot. Je ne suis pas encore venue à Bercy, j'étais
en tournage au moment de l'ouverture...
Quelles ont été
vos années d'apprentissage cinéphile ?
J'avais un amoureux plus âgé que moi qui était très
cinéphile et je me souviens avoir vu très jeune "Ivan
le terrible", qui m'avait beaucoup marqué.
Qu'est-ce qui vous avait marqué
dans ce film ?
La force et la beauté des images, la violence contenue et leur
beauté solennelle : le film m'avait vraiment impressionné
! Quand j'étais enfant, je n'allais pas souvent au cinéma.
J'ai vraiment commencé à y aller quand j'ai commencé
à faire des films. Aujourd'hui c'est vrai que les adolescents vont
souvent seuls au cinéma, ce n'était pas forcément
évident pour moi quand j'avais 15 ou 16 ans. J'habitais dans le
XVIème, et à l'époque, sortir seule avec quelqu'un,
aller au cinéma rive gauche alors que j'habitais rive droite, c'était
quelque chose d'assez inattendu !
J'aime beaucoup cette idée
que les rôles que vous interprétez aujourd'hui sont nourris
de ceux que vous avez interprétés au cours de votre parcours
d'actrice.
Ce sont les choix des metteurs en scène avec qui je travaille.
Leurs envies sont parfois liées aux souvenirs de personnages marquants
que j'ai pu interpréter dans des films d'auteur. Mais c'est vrai
que je suis très heureuse aussi quand des adolescentes me parlent
aujourd'hui de "Peau d'âne", des "Demoiselles de
Rochefort"... Les restaurations de ces films de Jacques Demy ont
redonné vie à quelque chose de tellement joyeux, du moins
dans la forme et à travers leur musique, car le fond de ces films
était très mélancolique... Mais ces films ne sont
pas démodés aujourd'hui parce qu'à l'époque,
ils n'étaient pas à la mode...
J'aime beaucoup aussi cette
idée que tous les personnages que vous avez interprétés
ont un lien secret...
Ah, c'est très possible !
C'est une idée mélancolique
qui m'est très précieuse, est-ce qu'elle vous est précieuse
aussi ?
L'idée de la mélancolie ?
Oui, et cette idée d'un
lien entre les personnages, qui alimente d'ailleurs cette mélancolie...
Bien sûr, oui. Je pense que... Le lien, vous le voyez à quel
niveau ?
Il y a plein d'exemples possibles...
Evidemment dans les films d'André Téchiné... Le personnage
de Lili dans "Le lieu du crime" est un peu la continuité
du personnage d'Hélène dans "Hôtel des Amériques"...
Dans les films d'André, ce lien est vraiment évident, même
si ce ne sont jamais les mêmes personnages. Ce sont des cousines,
pourrait-on dire... C'est toujours la même famille... Dans les comédies,
il y a un autre aspect de moi qui apparaît, c'est le mouvement,
la vivacité, parlant avec ce débit très difficile
que redoutent les ingénieurs du son ! (rires) Quand ce ne sont
pas des comédies, le lien entre les personnages se fait dans la
mélancolie, ou le secret qui sont très liés à
mon caractère, à ma nature.
La mélancolie est aussi
un rempart contre la réalité...
La mélancolie, ce n'est pas forcément la tristesse, c'est
plus une façon de voir les choses, c'est différent.
Une vision du monde ?
C'est un peu une protection, quand même aussi, oui, quelque chose
qui "amortit", une façon de ne pas être lancée
comme ça dans la réalité et de la prendre frontalement
: c'est une forme d'objectivité, d'une certaine façon...
Une façon aussi de fortifier
le petit territoire de l'enfance que nous avons en nous...
Sûrement, oui. C'est plus ou moins fort chez les gens, l'enfance
est d'ailleurs toujours assez présente en moi.
C'est quelque chose de fondamental
pour être actrice...
Oui, c'est assez important. Et comme j'ai vécu dans une famille
nombreuse, je l'ai entretenu peut-être encore plus longtemps, alors
qu'on entre plus vite dans le monde des adultes quand on est enfant unique
ou quand on appartient à une famille moins nombreuse.
C'est un rempart contre la
réalité...
Les acteurs ont cette chance de vivre pour un temps des situations qui
ne sont pas les leurs. C'est vrai qu'il faut pouvoir en rentrer et en
sortir comme s'il s'agissait d'un jeu. Un jeu sérieux, mais après
tout, les enfants jouent toujours très sérieusement quand
ils jouent vraiment. Cela dit, il est vrai que le sentiment de l'enfance
chez les acteurs me touche beaucoup.
Vous êtes une actrice
instinctive qui a besoin d'être travaillée par les rôles
que vous interprétez...
Je laisse venir le rôle à moi. Je relis beaucoup le scénario,
j'ai toujours besoin d'avancer par "cercles" vers le personnage.
Je ne peux pas le construire d'une manière abstraite. Je peux me
faire une idée du personnage, en le lisant et le relisant, mais
c'est un travail qui se fait vraiment avec le metteur en scène.
Ce qui m'intéresse, c'est ce que je peux projeter pour la vision
d'un metteur en scène.
Vous aimez faire des lectures
avec le metteur en scène avant le tournage...
J'aime bien la lecture en tête-à-tête avec le metteur
en scène. C'est beaucoup plus facile de parler à ce moment-là...
C'est François Truffaut qui le premier m'a proposé cette
"méthode" de travail. Les lectures en groupe, c'est très
difficile de prendre la parole. On lit, mais finalement on ne se parle
pas tellement. En tête à tête, c'est plus intime, on
peut parler des autres personnages, ce qu'on ne peut pas faire quand les
autres acteurs sont là. Je le fais le plus souvent possible.
Vous arrivez toujours à
"l'imposer" aux metteurs en scène avec qui vous travaillez
?
Il n'y a rien à imposer, en général, quand on le
propose aux metteurs en scène, ils sont très contents.
Vous avez travaillé
aussi de cette manière avec Robert Aldrich pour "La cité
des dangers"...
Oui, absolument. C'est la première fois aussi où je tournais
un film avec deux caméras. Je me suis très bien entendue
avec lui, on m'avait beaucoup mise en garde en me disant qu'il était
assez misogyne et brusque, mais ce fut un tournage très agréable.
Avec "Folies d'avril",
vous avez tourné votre premier film américain. Plus tard,
vous avez tourné "La cité des dangers" de Robert
Aldrich. Comment s'est opéré ce choix de tourner aux USA
?
Ce n'était pas un choix. Ça s'est
juste fait à ce moment-là. C'était en 1968, la situation
était très confuse, mon agent de l'époque, Giovanella
Zannoni, qui dirigeait la William Morris, me disait que ça allait
être très difficile de travailler pendant un certain temps
en France. J'étais réticente à l'idée de partir
à l'étranger, car j'avais un enfant en bas âge. Et
j'ai finalement accepté. Mais ce n'était pas du tout avec
l'idée de faire une carrière en Amérique, je ne pense
pas que ça m'aurait déplu mais je ne me voyais pas m'installer
là-bas. Par rapport à ma famille ou à ma situation
personnelle, qui était encore difficile à l'époque.
Vous avez toujours eu en vous
cette dualité entre la flamboyance de celle qu'on a appelée
"la plus femme du monde" et la volonté de jouer avec,
de vous en moquer...
Ah oui ! Je n'ai jamais pris cela très
au sérieux. Mais j'ai toujours tout fait sérieusement !
Ce n'est jamais quelque chose qui aurait pu me toucher sur le plan personnel
ou modifier mon caractère par rapport à mon ironie naturelle...
"Belle de jour" par
exemple est un film où vous cassez d'une certaine manière
votre image...
J'ai eu beaucoup de réticences, le tournage a été
difficile avec Buñuel. Le film était écrit comme
on le voit. Peu de choses montrées, beaucoup d'entre elles suggérées.
Quand on a tourné, je sentais que les frères Hakim et Buñuel
ne voulaient pas faire le même film. C'était une situation
très délicate pour moi ! Buñuel ne me parlait pas
beaucoup. Il n'avait que les frères Hakim comme interlocuteur.
Je sortais de plusieurs tournages avec des auteurs comme Demy avec qui
nous discutions des rushes que nous visionnions. Alors, se retrouver en
studio entre les frères Hakim et Buñuel me donnait le sentiment
d'être assez seule. Ma sur m'avait beaucoup aidé à
l'époque parce que j'étais assez démoralisée
!
Il y a la fameuse scène
où l'on vous jette de la boue au visage !
Ah cela par contre ne me posait aucun problème. C'était
plutôt les scènes dans les chambres avec les clients qui
me posaient problème, par rapport à la nudité...
Vous parliez à l'instant
de votre ironie naturelle...
C'est mon éducation, mon père était comme ça
! C'est une tournure d'esprit que j'ai prise assez jeune...
J'ai l'impression qu'elle est
encore plus aiguë dans les rôles que vous interprétez
maintenant au cinéma...
Ah bon ? Peut-être qu'elle se voit plus maintenant.... Ou que je
prends plus de liberté aussi avec elle... C'est possible...
Elle apparaît aussi dans
vos choix de rôles. Quand vous faites "Nip / Tuck" par
exemple...
C'est une participation très courte, un clin d'il. C'est
une série qui me plaît beaucoup. Je la trouve assez déjantée,
donc ça m'amusait bien d'y faire une apparition.
Quelqu'un a été
très important pour vous au début de votre carrière,
Giovanella Zannoni...
Absolument. J'étais vraiment très jeune, elle a beaucoup
compté pour moi, elle a eu une influence très grande, elle
a été quelqu'un de très important dans ma vie d'actrice.
C'était un agent très particulier, une intellectuelle qui
allait au cinéma, lisait beaucoup, parlait grec... Elle aimait
beaucoup organiser des soirées avec des gens du cinéma dans
son grand appartement du Boulevard St-Germain, toutes les fins de semaine.
Des gens s'y sont rencontrés, et des films sont nés à
partir de ces rendez-vous réguliers qu'elle initiait.
Il y a un paradoxe à
l'origine de votre parcours cinématographique : quand vous étiez
enfant ou adolescente, vous n'aimiez pas vous déguiser, et pourtant
vous êtes très vite devenue actrice !
J'ai grandi en même temps que je
suis devenue actrice. Ce sont deux choses parallèles. Être
actrice n'a jamais été pour moi un déguisement, même
dans les films en costume où l'on porte une perruque. C'est toujours
le personnage qui compte, je n'ai jamais eu l'impression d'être
transformée, et peut-être d'ailleurs que je ne me suis pas
assez transformée.
Porter des vêtements
différents vous aide quand même à trouver votre personnage...
Pas pour les films contemporains, mais pour les films d'époque,
pour le maintien, c'est évident. Et du maintien sort une voix différente
aussi. Je me souviens du tournage du "Temps retrouvé",
je me disais que si on n'était pas dans cette tenue, avec ces corsets,
on ne dirait pas les choses de la même façon, il y aurait
une plus grande violence, une plus grande liberté. Je me disais
qu'à l'époque, cette contrainte avait dû beaucoup
compter pour les femmes dans la façon de s'exprimer, de pouvoir
prendre la parole et de pouvoir bouger. Quand on voit ce que portaient
les femmes à l'époque, c'était des prisons ! Quand
j'ai fait "Princesse Marie" de Benoit Jacquot, on a fait beaucoup
d'essayages avec les costumes créés par Catherine Leterrier,
cela me permettait de penser au film avant le tournage, et ça m'a
beaucoup aidé...
Même dans un film comme
"Belle de jour", les tenues plus contemporaines que vous portez
sont très importantes...
C'est certain que les costumes dessinés
par Yves Saint Laurent ont beaucoup compté. C'était à
la fois très sophistiqué et c'était aussi un peu
comme des armures, des vêtements très fermés, assez
épais, assez raides, je trouve qu'ils apportaient beaucoup au personnage.
Que vous portiez un tailleur
rouge ou un imperméable de cuir noir...
Tout était très stylisé. C'est une chance que Buñuel
ait accepté, ce n'était pas vraiment un choix de sa part,
il a accepté ce qu'il a vu. C'est vrai que c'était un peu
secondaire pour lui. Mais avec le temps, on voit que ça a beaucoup
compté, ça a donné une allure très particulière
au film, formellement parlant.
Vous avez retrouvé Buñuel
ensuite dans "Tristana"...
Oui c'était très différent. C'était la première
fois où il revenait en Espagne depuis Viridiana. Il était
très heureux et plus détendu, le sujet lui tenait vraiment
à cur, il voulait tourner cette adaptation depuis très
longtemps. On tournait en extérieurs, je pouvais donc le voir plus
souvent, contrairement à Belle de jour où je ne le voyais
qu'au tournage.
Comment avez-vous construit
ce personnage et son évolution ?
Avec Buñuel, il n'y a pas tellement de choix, c'est écrit
d'une manière très précise, on imagine très
vite le film et les personnages à travers le texte. C'est un personnage
que j'aime beaucoup, l'un des plus intéressants que j'ai pu interpréter.
On voit cette courbe ascendante du personnage, de jeune fille, adolescente,
à jeune femme, puis enfin femme aigrie, vieillissante...
Cette évolution passe
aussi par la voix...
Oui. Au début du film, je dois avoir 15 ans. Même si on peut
jouer avec l'âge quand on n'a pas dépassé 30 ans,
ce n'était pas quelque chose d'évident à construire,
et cela devait passer précisément par la voix. Le changement
de la voix est la chose la plus frappante pour un acteur.
On parle souvent du débit
rapide de votre voix mais rarement de ses infinies possibilités,
de sa modulation...
Dans "Après lui", le film que je viens de tourner sous
la direction de Gaël Morel, mon personnage est dans une situation
cruelle et très difficile, et j'ai beaucoup pensé à
la voix. J'ai essayé par celle-ci de casser le tonus, la vivacité,
l'envie de vivre du personnage.
C'était déjà
un peu le cas avec le personnage d'Hélène dans "Le
vent de la nuit" de Philippe Garrel...
C'est un personnage étrange que je comprenais très bien.
Que j'imaginais très bien. Par son envie de vouloir aimer de cette
façon-là, d'être "entière", je comprenais
sa tentative de suicide, sa folie d'écrire tout dans son carnet,
son envie de vivre encore des choses fortes et de lutter contre l'entourage
qui la ramène toujours à la raison. Que ce soit au cinéma
ou dans la vie, l'entourage cherche toujours à vous ramener vers
des choses raisonnables. Pour ma part, raisonnable est un mot que j'entends
souvent : même ma mère me dit encore très souvent
"tu n'es pas raisonnable". C'est vrai que je ne suis pas quelqu'un
de raisonnable !
C'est bien aussi de ne pas
être raisonnable !
Oui, c'est bien sans doute de ne pas l'être, mais quand on ne l'est
pas du tout, quand il s'agit d'un excès, cela devient un défaut.
Le personnage du "Vent
de la nuit" est chargé aussi d'une certaine manière
de tous les rôles que vous avez incarnés avant...
Oui. Quand les acteurs sont connus, il
est nécessaire d'imposer un nouveau personnage en un quart d'heure.
Plutôt que d'essayer de chasser les choses, il faut essayer de les
apprivoiser et qu'elles nourrissent le personnage, autrement dit montrer
et faire comprendre, sans expliquer, que les autres films ont nourri ce
personnage-là. Lutter contre cela ne serait justement pas raisonnable.
Il faut tenir compte du passé d'un acteur.
La précision de vos gestes
au début du "Vent de la nuit" me fait écho à
la finesse de votre gestuelle dans un film comme "Répulsion"
de Polanski...
J'ai beaucoup aimé tourner avec
Polanski, c'est très important de rencontrer des personnalités
fortes comme lui alors qu'on est dans un jeune âge, on est alors
très malléable... Je ne sais pas ce que cela aurait donné
si je l'avais rencontré dix ans plus tard. Je ne suis pas sûr
que cela aurait été une expérience aussi forte pour
moi. Roman Polanski est aussi acteur, il aime beaucoup montrer, il mime
beaucoup les scènes.
C'est la première fois
que vous jouez un rôle quasi muet...
Les dialogues de "Répulsion" doivent tenir sur quatre
ou cinq pages. Oui, c'est vrai, je n'avais pas encore fait "Les créatures"
d'Agnès Varda... Ça me tente beaucoup aujourd'hui de faire
un film muet. Un film contemporain muet, mais sonore. Il faut juste trouver
l'histoire qui se prête à ça. Cela oblige à
styliser les expressions, la démarche, les déplacements,
il faut par définition décupler toute la gestuelle, que
tout soit très marqué. Cela m'amuserait vraiment, cela fait
un certain temps que j'y pense.
Comment arrivez-vous à
ne plus avoir conscience de votre jeu ?
Je ne sais pas. Parfois ça m'inquiète même, tellement
je peux jouer sans m'en rendre compte. C'est quelque chose qui est devenu
très naturel.
Tous vos films sont des documentaires
sur vous d'une certaine manière...
Oui, quand je les tourne, j'ai vraiment l'impression "d'être
là". Cela m'a beaucoup frappé sur le tournage du film
de Gaël Morel, dans lequel je suis de toutes les scènes. Je
ne sais même pas si cela m'était arrivé à ce
point-là. Il y a eu des moments difficiles avec des scènes
très dures... Je dis toujours que si je regardais dans l'illeton
de la caméra, j'aurais l'impression d'être passée
de l'autre côté du miroir, et qu'il me serait alors très
difficile de repasser devant la caméra. Quand j'y suis, je m'y
sens naturellement bien, même s'il y a des scènes difficiles,
même si je peux appréhender la difficulté ou la complexité
d'une scène, cela m'est devenu très naturel.
Vous avez le goût des
auteurs...Vous avez un côté militant, "petit soldat"
!
Je suis assez "petit soldat", oui ! Parce qu'un film me semble
toujours être une petite guerre. Il faut qu'il y ait un chef et
qu'il y ait des soldats. Et pas que des chefs.
Un film, c'est de plus en plus
la guerre...
Quand je dis être "petit soldat" c'est que pour faire
les films et essayer qu'ils aboutissent comme ils ont été
écrits, il faut être vigilant sur l'énergie, la volonté
d'être positif, l'envie que ça se passe le mieux possible.
C'est cela, être un "petit soldat". La guerre, elle se
passe malheureusement souvent avant le tournage pour les metteurs en scène
qui peinent à monter leurs films. Mais ça c'est autre chose,
c'est une vraie guerre. Un film, c'est quand même une bataille.
On engage beaucoup de choses, beaucoup de gens, beaucoup d'argent, pour
faire quelque chose qui demande parfois un surcroît d'énergie
qu'on n'a pas tout le temps comme ça en claquant du doigt. Et surtout
en France, je trouve que l'énergie manque parfois dans les films...
J'ai l'impression que "Les
parapluies de Cherbourg" et "Les demoiselles de Rochefort"
forment un peu votre paradis perdu cinématographique...
"Les parapluies de Cherbourg",
ce fut pour moi une naissance. Je dis toujours que si je n'avais pas rencontré
Jacques Demy, je ne sais pas si j'aurais continué à faire
des films. Cette rencontre a vraiment été pour moi le "rideau
déchiré", surtout pour un film comme celui-ci, musical,
étrange, avec quand même plein de difficultés. Il
n'y avait pas beaucoup de moyens, nous formions une équipe très
soudée, tout le monde étant impliqué dans cette aventure
peu ordinaire, la productrice Mag Bodard en tête ! C'est un souvenir
de tournage formidable. Demy était très précis, très
exalté, très lyrique. On était vraiment "portés",
ce fut une révélation !
Vous aviez la sensation au
moment du tournage de faire quelque chose d'"énorme"
?
Non parce que j'avais déjà fait quelques films avant. Mais
le fait de faire le film entièrement en play-back était
très étrange. C'était juste la conscience de faire
quelque chose de très particulier.
Votre compagnonnage avec Jacques
Demy a évolué, et vous n'avez pas forcément retrouvé
ensuite cet idéal de tournage des "Parapluies"...
On aurait dû refaire un dernier film
ensemble. Jacques voulait faire Anna Karénine en comédie
musicale. Mais ça ne s'est pas fait. Nous étions en froid
après "Une chambre en ville", que Gérard Depardieu
et moi n'avions finalement pas fait. Cela avait distendu notre relation.
Et puis on s'était réconcilié quand il était
tombé malade...
"Les demoiselles de Rochefort"
reste quand même un bon souvenir même si le tournage était
différent...
Oui, plus dur, plus lourd, les conditions étaient difficiles. Il
faisait très chaud à Rochefort lors de ce mois d'août
de tournage. C'était un tournage physiquement assez difficile,
mais on s'est quand même beaucoup amusé. Ma sur, la
fête foraine, la complicité, les engueulades...
Vous parliez tout à
l'heure de stylisation du jeu, c'est quelque chose que vous a appris Truffaut
?
Oui, absolument. Je me souviens qu'un jour, nous avons eu une discussion
au cours de laquelle il s'est énervé et m'a dit : "s'il
s'agissait de choses naturelles à faire on ne prendrait pas des
acteurs, mais de simples gens". Ensuite il m'avait expliqué
que parfois il faut faire des choses qui paraissent un peu artificielles
à faire car elles ont une nécessité dans le cadre
du plan, et qu'il faut apprendre à faire des choses qui ne sont
pas forcément naturelles. Être naturaliste n'est pas forcément
intéressant. Ce fut comme un déclic, j'avais compris ce
qu'il voulait dire. Il faut faire parfois des choses qui apparemment sont
un peu arbitraires, en pensant que l'il de la caméra n'est
pas l'il humain.
Truffaut était-il plus
directif que d'autres metteurs en scène ?
Il parlait beaucoup, il aimait beaucoup les acteurs, surtout les actrices,
expliquait beaucoup et j'ai eu beaucoup de conversations avec lui sur
le cinéma, il était extrêmement précis...
Il y a un moment dans "La
sirène du Mississippi" où vous avez un monologue extraordinaire,
c'est un moment clé de votre filmographie, où vous vous
affirmez comme femme au cinéma...
Oui c'est le rôle d'une femme que
je ne me sentais quand même pas tout à fait. C'était
un roman policier écrit pour une femme "femme", une aventurière
! Et je ne me sentais pas tout à fait cette "femme"-là.
Ce fut compliqué de
rentrer dans la peau de ce personnage ?
Par moments, oui. Notamment cette scène de monologue, qui fut difficile
à faire.
Il y a eu plusieurs prises
?
Oui. C'était très particulier, Truffaut avait décidé
de tourner ce film chronologiquement. Il voulait que le film puisse bénéficier
de son propre voyage et donc il écrivait les dialogues, au fur
et à mesure, la veille au soir. Je ne pense pas qu'il aurait écrit
les mêmes dialogues s'il les avait imaginés à l'avance.
C'est né de la somme de chaque jour où l'on avançait
sur le film. Il y a des jours qui étaient pour lui très
durs parce qu'on ne trouve pas forcément comme ça la scène
tout de suite à chaque fois.
Plusieurs années après,
vous tournez avec lui "Le dernier métro"...
Le scénario était formidable et le tournage s'est bien passé,
tous les gens qui avaient eu le scénario avaient le sentiment qu'on
faisait un film vraiment important.
Ce film a vraiment relancé
votre carrière...
Oui à un moment, dans les années 70, j'avais envisagé
de faire autre chose, peut-être d'être productrice, dans un
moment de découragement... Ce rôle était important,
c'était un rôle de maturité. François l'avait
écrit pour moi, c'était un personnage pas forcément
très sympathique, avec un côté autoritaire, dur par
moments, quand elle se retrouve avec des responsabilités importantes.
On m'a proposé ensuite des rôles très différents.
Les comédies de Jean-Paul
Rappeneau ont été très importantes dans votre parcours
d'actrice...
"La vie de château" est la première comédie
que j'ai faite, j'étais quand même assez jeune, et la rencontre
avec Jean-Paul Rappeneau a été aussi très importante.
Il m'a appris justement à lier le geste à la parole. Moi
qui parlais déjà assez vite, il m'a appris à tout
faire avec une certaine vivacité. C'était très amusant
d'apprendre à accélérer les choses comme ça.
Mon personnage était capricieux, difficile, mais tellement gai,
vif. Son caractère me rappelait beaucoup celui de ma sur.
Moi j'étais plus timide...
Dans votre filmographie, il
y a des moments bouleversants comme dans "Ca n'arrive qu'aux autres"
de Nadine Trintignant. Comment s'est passé le tournage ?
Très bien, mais avec des moments
tellement durs ! J'ai retrouvé ça avec Gaël Morel,
on est obligé dans ces moments-là à faire appel à
des choses très profondes en soi...
Dans les films de Téchiné,
vos personnages sont très somnambuliques. En êtes-vous consciente
?
On parle d'hypnose avec André, je trouve ça très
intéressant et très agréable.
Vous avez déjà
pratiqué ?
Oui. Mais c'est vrai qu'il y a quelque chose de somnambulique dans les
personnages d'André. Parce que je pense qu'il a besoin de montrer
ainsi que le cours du destin de ces femmes se fait malgré elles,
que c'est plus fort qu'elles, qu'elles sont un peu dépassées
par les choses mais ne peuvent résister, ne peuvent faire autrement,
elles sont entraînées par les événements et
le somnambulisme permet de ne pas avoir à passer par les mots,
de ne pas tout expliquer.
C'est difficile à jouer
?
Pas pour moi !

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Entretien réalisé
à l'occasion de la rétrospective organisée
par la Cinémathèque Française.
|
Par : Bernard Payen
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