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Avec mes meilleurs souvenirs

Quand les caméras la tiennent éloignée des siens, Catherine Deneuve écrit... Elle a réuni ses carnets de travail dans un joli livre intitulé "A l'ombre de moi-même" (éd. Stock). Pour nous, la star a feuilleté ses notes intimes et son album de photos familiales.

Ce sont des carnets intimes qui n'ont rien d'indiscret. Des journaux de bord que Catherine Deneuve a tenus sur six tournages espacés dans le temps et dans l'espace, où elle livre ses doutes au jour le jour, un sentiment de solitude, la peur, le plaisir aussi, souvent lié à une émotion visuelle, et souvent furtif. Des journaux bruts, comme des parenthèses. Des notes rapides, pour conjurer une inquiétude ou un malaise. Ou pour ne pas laisser des impressions quotidiennes se perdre dans les brumes de la mémoire. Ou encore, ne pas perdre pied quand les proches et les attaches sont trop éloignés. Il y a des photos aussi, en grand nombre. Photos de famille, qui laissent l'illusion d'être tombé sur un carton oublié dans un grenier. La première des qualités éditoriales est d'avoir laissé ces carnets tels quels, en résistant à la tentation de les réécrire. Pas de retouches, ici ! Catherine Deneuve a juste biffé les intrusions dans la vie des autres. Ainsi, ces journaux de bord sont comme l'envers des photos de presse et des entretiens promotionnels donnés à la sortie des films. Le quotidien d'une actrice, pas si sure d'elle, et jamais triomphante. Peu plaintive, et souvent surprenante. Les cinéphiles s'étonneront que, parmi une myriade d'excellents films, elle n'ait pas forcément choisi les plus frappants de sa filmographie. C'est que Catherine Deneuve n'a pas choisi du tout, de fait. Ces carnets n'ont jamais été écrits dans le but d'être publiés. D'autres seront surpris qu'elle ne parle pas beaucoup de ses personnages. Ce n'était pas le but. Aucun souci de performance. Le métier de comédienne traverse le texte, pourtant, constamment, mais par des détails : un silence exigé trop violemment lorsque ça tourne. Des dialogues appris, en veillant à garder une marge d'ignorance. Ne pas user le texte, "ne pas user la scène", ne pas être mécanique : un leitmotiv qui revient de carnet en carnet. La curiosité de Catherine Deneuve au sujet de la technique et du découpage des filins est insatiable. Le souci des autres, aussi. Comment détendre un metteur en scène un peu "rigide" ? Plus gravement : sur le tournage d'"Indochine", de Régis Wargnier, Catherine Deneuve remarque des détournements de fonds par la régie vietnamienne, dont la première des conséquences est d'affamer les villageois figurants...

On aime ces carnets pour ce qu'ils distillent de détails incongrus : les mouillettes dans le jaune d'œuf, si mal vues aux Etats-Unis. Une affection pour les rongeurs, même s'ils découpent le couvercle des yaourts que l'actrice a pris soin d'apporter de Paris à Haiphong ! Les avions, parfois ratés, et "le luxe désinvolte" d'arriver à Paris avec, pour seul bagage, "un passeport à la main et du saumon". On se surprend à envier Catherine Deneuve, pour sa capacité à s'endormir n'importe où, dix minutes, sur un sol rigide, "en chien de fusil", lorsque le passage à la douane lui semble interminable. Dormir avant une scène, comme une pile qui se recharge, pour être encore plus disponible. Une faculté de s'abandonner, d'évanouir sa vigilance tout en restant "ce petit soldat sur qui on doit pouvoir compter". D'un comédien qui fait son métier, c'est-à-dire interprète des personnages inattendus, on dit fréquemment qu'il prend un risque. Avec la publication de ses carnets, Catherine Deneuve prend celui de se montrer, visage nu.

Avez-vous hésité à publier ces carnets ?
Il n'en était pas question. Jean-Marc Roberts m'avait proposé de faire paraître des entretiens en omettant les questions des journalistes. En relisant ces textes, je ne m'y reconnaissais plus du tout. C'est alors que je me suis souvenue de ces journaux, que j'ai donnés à l'éditeur. Je ne les avais pas relus avant de les retrouver.

Avez-vous eu envie de les réécrire ?
Non, ça n'aurait eu aucun intérêt. Ils montrent ce que j'aurais du mal à formuler en entretien. Des choses ténues, des sensations passagères. Tout ce qu'on oublie une fois le film terminé. Ce qui peut me frapper sur le moment, et qui passe vite. Je me vois mal, par exemple, évoquer dans une interview la difficulté de manger des migas (des croûtons de pain frit), sur le tournage de "Tristana". Ou encore vous dire que j'adore le rouge presque noir qui recouvre les maisons à Gôteborg. Ou que je suis contente d'avoir pensé à prendre des ampoules 100 W pour lire !

On y voit la solitude et des moments de découragement. Vous vous comparez même à "un petit soldat".
Mais c'est vrai ! On peut compter sur moi. Je râle beaucoup, mais je ne déserte pas. Je ne crois pas m'être jamais sauvée d'un tournage ! Je suis parfois lasse de choses extrêmement positives, ça fait partie de mon caractère d'être critique. Il y a aussi des moments d'exaltation...

Sur le tournage de "Dancer in the dark" de Lars von Trier, vous écrivez : "J'étais tellement peu le personnage, qu'y aura-t-il à l'arrivée ?"
C'est le genre d'interrogation qu'on formule pour conjurer le mauvais sort. Il est vrai que ce tournage m'est apparu trop rapide, je ne me suis pas sentie investie. De façon générale, sur un film, on a souvent le sentiment de naviguer à vue. Il faut avoir confiance en un résultat toujours incertain. Ce n'est pas sans achoppements ni doutes. C'est ce dont témoignent ces carnets. Bien sûr, ils ne prétendent pas dévoiler "la vérité" du tournage. On m'a dit, par exemple, que mon regard sur Luis Buñuel est très critique. Pas spécialement. Mon admiration est immense. Mais l'on note plus volontiers ce qui ne va pas.

Il y a le sommeil, et votre appréciable capacité à vous endormir n'importe où…
Les journées de travail d'un acteur sont très longues. Parfois plus de dix heures. Beaucoup d'attente, quelquefois pour rien quand la scène ne se tourne pas. L'anxiété qui croît. C'est une manière de me ressourcer, pour pouvoir être la plus présente possible au moment de tourner. C'est vrai, je m'endors n'importe où. Même avec une couronne sur la tête ! Et sans froisser le costume ni faire tomber la couronne ! Comme quoi, il y a une forme de vigilance, au cœur de son absence.

Vous évoquez votre peur du théâtre...
C'est un cauchemar récurrent. J'entre en scène sans rien savoir de mon texte. On me dévisage, et c'est le blanc, le grand blanc. Pourtant, je n'ai jamais joué de pièce. Lorsqu'on tourne, au cinéma, une scène de théâtre, une boule m'étreint. Mes parents étaient comédiens.

Vous vous montrez difficilement satisfaite de vous-même. Cela vous arrive tout de même ?
On n'écrit pas pour dire à quel point on est formidable ! Surtout quand on n'imagine pas qu'on va être lu. J'ai un besoin de perfection rarement comblé. Avec le temps, j'arrive un peu mieux à lâcher prise, à me dire que tout ça n'est pas si grave, que j'ai le droit à l'erreur.

Entretien avec Pascal Bonitzer

Dans "A l'ombre de moi-même, Pascal Bonitzer, cinéaste et scénariste, s'entretient avec Catherine Deneuve. Il nous raconte ici l'actrice comme il l'aime.

Quand j'imagine Catherine Deneuve, je la vois flamboyante et intuitive. Dans ses pages, elle apparaît très concentrée et souvent angoissée. Ce qui m'a frappé, c'est l'aspect erratique et presque maritime de ses notes. "Comment est la marée aujourd'hui ? Est-ce que la pluie va être gênante ?" Elle écrit la plupart du temps lorsqu'elle est loin. A cet égard, "Indochine" est un tournage à part, très lourd, qui implique une séparation de plusieurs mois d'avec Paris. Régis Wargnier a écrit le rôle pour elle, et elle a accepté le cadeau, qu'elle partage avec lui, en s'investissant totalement dans le film. Dans d'autres carnets, elle montre au contraire qu'elle souffre d'une sorte d'absence au rôle. Catherine a le glacis de la star, sa lumière, et, en même temps, elle aime descendre de son piédestal, elle ne renonce à rien. Elle est pétrie de contradictions. Vivante et lointaine. Star et femme du quotidien. Même sa filmographie balaie tout le spectre du cinéma : elle a joué dans les films les plus difficiles, avec De Oliveira ou Ruiz, comme dans des productions plus grand public. Et dans la vie, elle est prise dans un mouvement de balancier, où elle se livre et se protège à la fois. Ses carnets ont cette lumière rasante, où elle joue avec l'intimité. Je crois qu'elle a le goût de l'expérience, c'est du moins ce que ses notes reflètent. Elles matérialisent une sorte d'inconfort. Elle n'a, par exemple, jamais tenu de carnet pendant le tournage d'un film de Téchiné, parce qu'elle s'y sent en sécurité, quels que soient les heurts.

De Truffaut à Deneuve...

"Dites oui à Hitchcock"

Parmi ses carnets, Catherine Deneuve a retrouvé quelques lettres sublimes de François Truffaut. Dont celle-ci où il cherche à la convaincre de tourner avec le maître du suspense.

Mardi

Ma chère Catherine,

A mon avis vous devez dire oui à Hitchcock et permettez-moi d'énumérer ici quelques arguments qui me sont venus à l'esprit en y pensant ces jours-ci.

1°) Hitchcock n'est pas trop vieux, il n'est pas "fini". Si vous parlez avec des gens qui ont approché Buñuel ces derniers temps, ils vous diront tous qu'il a rajeuni de dix ans par rapport à ce qu'il était il y a trois ans. Un phénomène assez semblable se passe avec Hitchcock, qui est actuellement en grande forme.

2°) Les plus grands metteurs en scène de Hollywood sont actuellement les plus vieux, ceux qui ont commencé avec le cinéma muet : John Ford, Hawks, Cukor et Hitch. Si vous ne tournez pas avec eux, et que vous vouliez tout de même faire des films en anglais, vous tomberez forcément sur des transfuges de la télé, plus ou moins fumistes.

3°) Un film de Hitchcock, à cause des contrats qu'il passe avec Universal et de la conception universelle de son travail, est exploité intensivement dans le monde entier et pénètre dans des régions où probablement aucun de vos films jusqu'alors n'a été projeté.

4°) Hitchcock-Deneuve ! Vous sentez bien que cette association donnera d'avance au film un retentissement énorme. Tous les gens qui n'y ont jamais pensé vont sursauter : "Evidemment... ça s'imposait... elle était faite pour lui, etc."

5°) Si l'on vous cite le nom de Joan Fontaine vous pensez "Rebecca", "Soupçons", et vous vous cassez la tête pour vous rappeler ses autres films. Ingrid Bergman : "Notorious" ("Les enchaînés "), "Spellbound" (" La maison du Docteur Edwards"). Grace Kelly : "Dial M for murder" (" Le crime était presque parfait"), "To catch a thief" ("La main au collet"), "Rear window" ("Fenêtre sur cour"). Et toutes celles qu'il a fait tourner une seule fois, chaque fois leur meilleur film - Kim Novak : "Vertigo", Janet Leigh : "Psycho" ("Psychose"), Eva Marie Saint : "North by northwest" ("La lort aux trousses"), etc.

6°) Vous l'avez très bien senti vous-même, c'est très plaisant d'être la femme entre deux hommes et cette solidité de base du principe restera sur l'écran. Surtout si vous êtes entourée de deux grands noms masculins. Quand vous tournez "Manon" vous aidez Aurel et Sami Frey, quand vous tournez "La chamade" vous aidez Cavalier, Van Hool et Piccoli, et chaque fois vous êtes en danger, forcément. Avec Hitch et deux bons partenaires, c'est différent, vous êtes confortable au départ, vous vous envolez dans un avion sûr et puissant, éprouvé et rassurant.

Voilà mon point de vue en dehors du fait que je vous aime tous les deux et que l'idée de votre tandem me plaît beaucoup.

Chapitre "Sirène du Mississipi"

Ferez-vous le doublage en anglais du film après coup ? L'avez-vous fait pour vos films récents ? Il faudrait mettre cela au point à présent.

Dès que vous aurez le script, prenez des notes pour me signaler les scènes qui vous inquiètent pour une raison ou une autre. La tristesse de "Belle de jour", que vous m'avez décrite l'autre soir, nous l'éviterons grâce à une franchise totale ; si vous n'êtes pas heureuse dans ce tournage, le film en souffrira davantage que tout autre film. Ne vous inquiétez pas de l'aspect érotique de certaines scènes ; ce sera fait avec discrétion même quand l'idée est "audacieuse", avec une lumière très basse, presque des ombres chinoises, et des dialogues complètement chuchotés. Je désire troubler mais non choquer ni épater, vous me comprenez.

Voulez-vous venir avec moi voir le film de Clouzot jeudi soir ? On s'appelle. Je suis très content de ce tournage qui s'approche et je vous embrasse,

François


Par : Anne Diatkine
Photos : Patrick Swirc


Films associés : Tristana, Folies d'avril, Le sauvage, Indochine, Ma saison préférée, Est-ouest, Le vent de la nuit, Dancer in the dark



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