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"Je ne suis pas un monument"

Elle a joué dans les plus beaux films et garde à chaque tournage la même fraîcheur, le même désir de cinéma. Dans "Les temps qui changent", d'André Téchiné, elle joue une femme mûre à nouveau bouleversée par l'amour. L'occasion de parler de l'âge, des sentiments, de la vie.

On la rencontre dans une usine à interviews, un matin glacial de novembre, juste avant qu'elle ne s'envole pour l'autre hémisphère. Les cheveux courts et blond Marilyn, Catherine Deneuve porte un manteau léopard qui semble sortir d'un film de Demy, un petit pull vert sapin et des boucles d'oreilles de Noël. Elle est à l'affiche dans "Les temps qui changent", d'André Téchiné, et, plus brièvement, dans "Rois et reine", d'Arnaud Desplechin, deux films qui explorent toute la palette de son jeu, et l'infini des émotions que l'on peut projeter sur son visage. A chaque fois, on s'exclame : c'est tout elle. Mais qui est-elle ? Une femme enthousiaste et chaleureuse. "Ils ont de la grandeur", dit-elle au sujet de ses deux derniers films. On a donc rendez-vous avec un tourbillon volubile et joyeux. Parler de cinéma est encore ce qu'elle préfère, surtout lorsqu'elle est enchantée par les œuvres qu'elle doit défendre.

André Téchiné est le cinéaste avec qui vous avez le plus tourné. Comment se passent vos retrouvailles ?
Avec beaucoup de bonheur et d'appréhension. Lorsqu'un ami écrit un rôle pour moi, j'ai toujours la crainte de ne pas donner au personnage plus que ce qu'il a espéré. Peur de ne pas le surprendre, de m'en tenir à ce qu'il a imaginé de moi. Le bonheur de travailler avec un proche, c'est l'état d'abandon. Je baisse la garde plus rapidement. Je fais totalement confiance à André Téchiné. Il peut m'embarquer où il veut.

Qu'est-ce qu'un rôle pour vous ?
Je crois qu'il est difficile de m'imaginer dans un rôle totalement étanche aux autres. Chaque personnage renvoie à un ensemble plus vaste que lui. Il y a une mémoire des films qui trouble et habite mes personnages, et qui les inscrit malgré eux dans une mémoire. Je ne peux pas apparaître à l'écran comme si c'était la première fois, bien que chaque personnage soit par définition inédit. Ce n'est pas tant que les rôles se répondent, ni qu'ils se ressemblent ou qu'ils appartiennent aux mêmes univers de cinéma...

N'est-ce pas le sujet des "Temps qui changent" ? Le passé de Cécile revient quand elle ne s'y attend pas, elle est submergée par un amour qu'elle croyait éteint... Elle résiste.
J'ai été très bouleversée par ce rôle. Très heureuse de retrouver Gérard Depardieu. Lui et moi, c'est un couple de cinéma qui signifie tant pour moi ! On n'avait pas joué ensemble depuis "Drôle d'endroit pour une rencontre", de François Dupeyron. On raconte tellement de bêtises sur Gérard, qu'il s'absente, qu'il a toujours son portable à l'oreille. Il est surtout absolument là dès que le moteur tourne. Il n'y a pas de partenaire plus généreux. Il aime les actrices. Je crois qu'il était très heureux sur ce film.

On a souvent le sentiment que vos personnages composent un fragment d'autoportrait, qu'ils donnent de vos nouvelles. Cécile, dans "Les temps qui changent", est à la fois lucide et un peu perdue.
Déracinée, étrangère. C'est vrai que parfois je me sens décalée, pas complètement à ma place en pays de cinéma. Etrangère en pays de cinéma, ça peut être sur un plateau, lorsque le tournage ne se passe pas très bien. Mais j'éprouve surtout cette distance dans les situations officielles, qui exigent une représentation. Je joue le jeu, je fais l'actrice comme on dit, mais je ne suis pas là. Vous savez, je déteste être vénérable. Etre la grande dame du cinéma français, ah, quelle horreur, ce n'est pas moi ! Si André Téchiné a volé quelque chose de moi, je diffère fondamentalement de ce personnage de Cécile en ce qu'elle accepte de rester avec un homme qu'elle n'aime plus vraiment. Ça, je sais que j'en suis incapable.

Dans quel lieu vous sentez-vous le mieux ?
Dans une salle de cinéma. J'y suis chez moi. Quels que soient la ville et le pays. J'adore les salles. J'espère qu'elles survivront longtemps, malgré les possibilités, de plus en plus attrayantes, de faire son cinéma chez soi.

Le cliché de la femme double qui vous poursuit ?
Tout le monde est multiple. Simplement, ça se voit un peu plus chez moi que chez d'autres. Je suis réservée... Comme on me demande souvent de me livrer, ça crée une légère contradiction.

Le sujet des "Temps qui changent", c'est aussi le vieillissement et la différence des générations.
Pour m'emmener sur ce terrain glissant - d'ailleurs, dans le film, le personnage de Gérard est victime d'un éboulement -, il fallait que je sois très en confiance. C'est un film sur le temps circulaire, la manière dont la passion revient et ébranle, au sens propre... Il est exceptionnel de pouvoir jouer un personnage qui n'est pas simplement doté d'un âge, à la manière d'une fiche signalétique, mais d'une histoire faite d'oublis et de refoulements. D'un inconscient. Face à la passion, cette femme propose une halte amoureuse. C'est tellement beau, ce personnage masculin habité par l'amour absolu d'une seule femme ! J'ai de grands enfants... Ça ne m'intéresse pas de faire semblant de ne pas avoir d'âge.

Pourquoi avez-vous fait échouer toutes les biographies vous concernant ?
Les personnes qui ont tissé ma vie ne m'appartiennent pas et je ne m'autorise pas à dévoiler leur vie privée, sous prétexte que je raconte la mienne. Je n'ai aucun goût pour l'anecdote. Comment raconter sa vie, si on répugne à la fois à engager les autres et à se souvenir de petites histoires ?

Peut-être que la somme des personnages, aussi divers soient-ils, dit plus sur vous que n'importe quelle bio ?
C'est ce que je pense. Les personnages m'ont aussi façonnée, autant que je leur ai donné. Sur un tournage, je suis souvent épuisée. Je m'endors. Alors que la dépense physique n'est pas forcément très importante. Ça veut bien dire qu'il y a un échange, beaucoup d'énergie.

Dans "Rois et reine", Arnaud Desplechin vous a imaginée dans un rôle qui est l'exact opposé de celui qu'ont écrit pour vous André Téchiné et Pascal Bonitzer.
C'est amusant. Lorsque j'ai rencontré Arnaud, je suis venue au rendez-vous pour lui expliquer les raisons de mon refus, et je suis repartie avec le rôle de la psychiatre. Il parle tellement bien du cinéma... Avec lui, on tourne vite, c'est très étonnant, étourdissant. Il est volubile, il cherche, il reprend, on ne s'arrête pas. Il m'a offert une scène qui procure au maximum le plaisir de jouer à deux. Mathieu Amalric est un malade épatant, qui m'a surprise autant qu'il surprend et amuse la psychiatre. Quand j'ai vu le film, je me suis laissé embarquer. C'est tout ce que j'aime dans le cinéma : un univers autonome, avec ses propres règles, une bande-son travaillée à l'extrême aussi importante que l'image... J'irai le revoir.

Vous voyagez beaucoup. Que recherchez-vous ?
Rien, justement ! Pas l'exotisme, en tout cas. Le cœur d'une ville, les cafés. Pouvoir danser sans être repérée. Très loin, je suis une personne dans la foule, invisible. Je me fonds. Pour moi, c'est impossible en Europe. Il y a certains pays, comme la Russie, qui m'imposent des gardes du corps.

Vous avez souvent dit que vous étiez devenue actrice sans le vouloir, par hasard. Qu'est-ce que ce non-choix laisse comme traces ?
Ni désir ni choix, et ce n'est pas anodin. Il m'en reste une absence d'assurance. Qui que je sois devenue, j'ai toujours un peu le sentiment de ne pas être complètement légitime. C'est ma sœur, Françoise Dorléac, qui m'a entraînée sur mon premier tournage. Puis il y a eu des rencontres fondatrices, très jeune, avec Jacques Demy, François Truffaut, Roman Polanski, qui m'ont donné une force. J'ai continué par cinéphilie, par amour du cinéma, plus que par goût du jeu. Lorsque je ne tourne pas, je ne joue pas.

Vous lisez ?
Je suis une dévoreuse de journaux. Tous les journaux : quotidiens, magazines, revues botaniques. C'est très sérieux, je prends des notes sur les plantes, je vérifie les informations. Quand je voyage, c'est aussi pour rencontrer une végétation différente. Je lis des livres aussi, mais ça... J'en achète beaucoup, en tout cas.

Vous aimez la nuit ?
Sortir, mais aussi veiller très tard, chez moi. J'aime le silence de la nuit, le temps qui se dilate, je recule le moment d'aller dormir. Je regarde des films. Il y a une plus grande disponibilité, on se sent plus fragile, plus perméable.

De la comédie au drame, du cinéma le plus grand public aux films les plus difficiles, il semble que vous ayez exploré tout le spectre du cinéma.
Non, il y a un genre de film que je n'ai jamais tourné, j'y pense de plus en plus : le film muet. Ce serait un film d'une heure cinq, pour la télévision. J'ai quelques images en tête. Qui pourrait le faire ?

Vous devriez le proposer à Arnaud Desplechin. Comme la bande-son de "Rois et reine" est très travaillée, ça devrait l'intéresser.
Bonne idée ! Je vais lui en parler cet après-midi.

"Je ne suis pas un monument" - la star raconte la femme fragile


Par : Anne Diatkine
Photos : Ali Mahdavi


Films associés : Les temps qui changent, Rois et reine



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