La "French actrice" par
excellence partage le haut de l'affiche avec la chanteuse Björk,
dans le chef-d'uvre de Lars von Trier palmé à Cannes,
"Dancer in the dark". Carnets de tournage... et plus si affinités.
Quelle scène de "Dancer
in the dark" êtes-vous certaine de garder à jamais gravée
dans votre mémoire ?
La scène dans l'usine, où Björk rêve qu'elle
danse. On l'avait beaucoup répétée, et elle nous
a permis de nous connaître.
Avez-vous été
présente tout au long du tournage ?
Même si mon personnage est épisodique, j'ai l'impression
d'avoir beaucoup suivi le film. Moins que Björk, bien sûr,
qui a travaillé longtemps sur la musique, mais je suis allée
plusieurs fois au Danemark avant le tournage. Les méthodes de travail
étaient tellement particulières...
Vous voulez parler du tournage
en vidéo ?
Oui. Tourner en vidéo est très différent. Il n'y
a pas de rushes, par exemple, ce qui est très frustrant. Même
si, finalement, cela devient une forme de liberté. Quand on tourne
avec Lars von Trier, il y a des choses que l'on sait à l'avance.
Moi, je savais que ce serait très excitant. J'ai aussi découvert
à quel point le fait que la plupart des techniciens soient absents
du plateau donne un sentiment de grande intimité aux acteurs.
Björk disait à Cannes
qu'elle avait eu beaucoup de mal à s'extraire de son personnage.
Avez-vous éprouvé les mêmes difficultés qu'elle
?
Non. Björk n'est pas une actrice. C'est ce qui a d'ailleurs été
sa grande souffrance, sur le tournage : elle ne jouait pas, elle "était"
son personnage. C'était très dur pour elle, moralement et
physiquement.
La relation maternelle qui s'instaure
entre vous à l'écran a-t-elle dépassé le strict
cadre du film ?
Je ne suis pas l'ange gardien de Björk. Simplement, dès qu'elle
était là, un sentiment de protection s'installait. Elle
n'avait pas d'expérience d'actrice et je voulais lui éviter
des douleurs inutiles.
Comme elle, avez-vous déjà
connu des rapports conflictuels avec des metteurs en scène ?
Bien sûr. Il y a des moments où l'on perd confiance, où
l'on a envie de mourir, de disparaître. Ce que Björk a fait,
d'ailleurs.
Dans le film, vous jouez le
rôle d'une immigrée française installée aux
Etats-Unis. Y voyez-vous un clin d'il à Hollywood, où
vous n'avez jamais voulu entamer de carrière ?
Ça n'a jamais été un refus. Si les films que j'y
ai tournés avaient été d'énormes succès,
les portes se seraient ouvertes. Cela dit, les carrières d'actrices
françaises à Hollywood sont très difficiles.
Pensez-vous que ce rôle
fera date dans votre filmographie ?
Franchement, mon rôle est important, mais secondaire. La curiosité
du film, c'est quand même Björk dans une comédie musicale...
Le fait d'avoir accepté
plusieurs seconds rôles d'affilée vous a-t-il ouvert de nouvelles
perspectives ?
Cette succession a été un hasard, une concordance de temps.
Je l'ai acceptée parce que les films étaient vraiment très
intéressants, mais je dois dire qu'enchaîner trois expériences
de ce type a été un peu difficile pour moi. Ce n'est pas
évident de ne pas être au cur d'un film.
Participer à un long
métrage comme celui-ci, qui pose des questions de société
sensibles, ne vous donne pas envie de prendre part à certains débats
politiques ?
Je ne veux pas prendre position, tomber dans des discours politiques réducteurs,
qui ne sont plus là pour valoriser un film. Cela ne sert à
rien. Les acteurs sont en général socialistes, bien intentionnés
et tous très généreux en ce qui concerne le bien-être
de notre société ! Je suis plutôt partisane de faire
les choses soi-même et d'éviter d'en parler.
Vous approuvez donc la discrétion
dont ont fait preuve les artistes anglais au moment de l'affaire Pinochet...
Leur a-t-on demandé leur avis ? Et pourquoi se seraient-ils manifestés
? Il est trop facile de prendre les artistes pour des porte-drapeaux.
C'est Pinochet un jour, autre chose le lendemain...
Il arrive aussi que des artistes
réussissent à attirer l'attention des médias, à
faire évoluer les politiques sur certaines questions... L'épisode
des sans-papiers en est un exemple.
Moi, je crois plus à ce que l'on fait qu'à ce que l'on dit.
Je pense que beaucoup d'acteurs parlent, et un peu moins agissent. S'exprimer
au journal télévisé sur un sujet sensible peut amener
certaines choses à la connaissance du public, mais sur ces deux
affaires-là, cela n'apportait rien de plus.
La télévision
est d'ailleurs un média où vous savez vous faire rare. Vous
n'avez même jamais tourné pour elle...
Pas encore.
Pourtant, les grands acteurs
français viennent de plus en plus y tourner des téléfilms
ambitieux, à l'image des "Misérables", diffusé
récemment...
Qu'est-ce que vous trouvez d'ambitieux dans "Les Misérables"
?
Ambitieux dans le sens où
d'énormes moyens sont déployés pour offrir un confort
proche des longs métrages de cinéma aux comédiens.
Moi, je connais des petits films très ambitieux et des gros films
pas du tout ambitieux. Je ne parle pas des "Misérables",
mais selon moi, l'ambition d'un film ne se situe pas dans son budget.
Le problème, à la télévision, c'est qu'on
a beaucoup d'argent, mais qu'il faut tourner beaucoup pour cet argent-là
! Et pour des prix qui ne sont pas tellement supérieurs... Par
ailleurs, les gros trucs qui se tournent pour la télévision
se reconnaissent, il y a quelque chose dans la photo, le son, la mise
en scène de vraiment différent.
Sur quels projets travaillez-vous
actuellement ?
Je pars tourner "D'Artagnan", de Peter Hyams. Et je dois ensuite
retrouver André Téchiné et Tonie Marshall.
Elle incame une nouvelle génération
de réalisatrices qui s'affirme.
Je trouve cela très bien. Nombre d'entre elles ont du talent.
Virginie Despentes en fait-elle
partie ? Avez-vous suivi la polémique qui a entouré la sortie
en France de son film "Baise-moi" ?
Non, je n'étais pas en France, à ce moment-là. Je
pense juste qu'interdire un film aux moins de 18 ans, alors qu'il n'y
a plus de salles pour en projeter, est une forme d'hypocrisie... Cela
dit, je n'ai pas vu le film, il m'est difficile d'en parler.
Quel regard portez-vous sur
la mode qui consiste à insérer des scènes X dans
des films classiques ? Lars von Trier l'avait fait dans "Les Idiots"...
C'était très différent. Il n'y avait pas la violence
qu'il semble y avoir dans "Baise-moi". Ce qui me gêne,
ce sont les inserts : pour bien montrer qu'il y a pénétration,
on sollicite des doublures. Mais a priori, je ne sais pas. Il faut répondre
à ce genre de questions quand on est directement concerné.
Sinon, c'est trop facile.
Le fait que le cinéma
soit de plus en plus considéré comme un produit parmi tant
d'autres vous fait-il bondir ?
Le cinéma ne sera jamais un produit comme tant d'autres. Il reste
l'expression d'une personne et d'un sujet écrit. On ne peut pas
lancer un film et être sûr d'avoir un bon produit à
l'arrivée... Donc, ce n'est pas un produit.
L'industrie cinématographique
est pourtant de plus en plus gérée par des financiers qui
ne parlent plus que d'Investissement" ou de "plus-values".
Ces histoires n'ont rien à voir avec les films que je fais. Peut-être
que c'est comme ça pour les studios américains, mais en
ce qui me concerne, j'ai toujours tourné des films avec des producteurs
responsables. D'ailleurs, le fait que des Français reprennent Universal
est plutôt joyeux, comme idée. Même s'il est évident
que plus un film est cher, plus il est difficile de garder la possibilité
d'en faire une uvre personnelle.
Un jeune réalisateur
fauché, mais avec un bon scénario, peut-il tout de même
frapper à votre porte ?
Pas seulement un jeune réalisateur, mais tout simplement un projet
difficile, pour lequel on ne peut pas avoir beaucoup d'argent. De toute
façon, c'est inversement proportionnel : plus un film est facile...
plus il y a d'argent pour le faire.
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Je n'ai pas de problème à dire que je suis vraiment contre
la peine de mort, depuis toujours. D'ailleurs, pour moi, la première
présidence de Mitterrand restera liée à son abolition.
Le film sortira aux Etats-Unis avant l'élection présidentielle,
et je ne me gênerai pas pour dire que la peine de mort est une des
choses qui me choque le plus là-bas. C'est une telle monstruosité
que de pouvoir décider du droit de mort sur quelqu'un.

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