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Deneuve, la profondeur de Marie Bonaparte

La comédienne termine pour Arte le tournage d'un film en deux épisodes dans lequel elle incarne, sous la direction de Benoît Jacquot, cette femme d'exception.

La route étroite serpente au cœur de la forêt dans les humeurs humides d'un jour de printemps un peu gris. La brume ne s'est pas encore dissipée qui s'accroche en lambeaux aux cimes des hauts conifères. Silence. Les lapins détalent, légers, tandis qu'au loin, parfois, la stridence d'un oiseau déchire étrangement le ciel pâle que l'on n'aperçoit que rarement dans les trouées du chemin qui ne cesse de grimper à l'assaut des collines boisées.

On a quitté la route depuis un moment, ses chalets, ses petites chapelles aux couleurs sourdement acidulées, jaune, ocre, on s'est éloigné de la ligne de chemin de fer qui saute les vals de viaduc en viaduc. On est dans un domaine de l'Office national des forêts autrichiennes, au sud-ouest de Vienne, près de Gloggnitz. Les Alpes, bien sûr et Semmering qui culmine à 985 mètres.

Et soudain la clairière. Un morceau de prairie pentue en haut duquel, massive, solide, insolite une longue bâtisse apparaît. Genre grosse ferme trapue qui protège. On pense immédiatement à Thomas Bernhard. Il aurait pu habiter là. Un pavillon de chasse en fait comme le proclament les bois de cerfs qui sont fichés sur le long mur entre les volets verts. Quatre trophées splendides précédés d'un Christ immense qui a dû voir bien des hivers. Aux rebords des fenêtres, des jardinières sages débordant de fleurs de printemps, heureux mélange, coloré, colorié comme album d'enfance.

Dedans, cela sent l'humus et le cuir. Une vieille odeur de bois et de chasse. L'équipe de tournage n'en a cure qui s'active, concentrée. Caroline Champetier, la directrice de la photographie, œil si clair qu'il en est translucide, est là qui veille à l'installation des lumières. Dehors, dedans. Benoît Jacquot lui aussi est sur le pont, bien sûr, pantalon de velours et blouson de daim, élégance faussement nonchalante pour une journée à la campagne. Le sourire du fin renard trahit l'heureux contentement d'un réalisateur qui sait passer d'un registre à l'autre dans d'aériens mouvements et, lui pour qui Lacan fut rencontre capitale, il apprécie ce "Princesse Marie" écrit par Louis Gardel et François-Olivier Rousseau comme un fruit qui aurait pu lui être assez défendu...

Le tournage, qui se termine dans quelques jours à Saint-Tropez où mourut Marie Bonaparte il y a juste un peu plus de quarante ans, aura retenu plusieurs semaines durant les comédiens et l'équipe en Autriche, dans des paysages hantés par le souvenir de Sigmund Freud mais aussi dans les prestigieux décors qui furent ceux de cette princesse Bonaparte, de Saint-Cloud à Vienne ou du bois de Boulogne aux rives d'un lac italien, princesse et psychanalyste, admirable figure du XXe siècle. Une femme moderne.

On comprend qu'elle ait séduit Catherine Deneuve (voir entretien ci-dessous). Ce jour-là, vers la fin du mois de mai, on tourne des scènes particulièrement intéressantes, au cœur du film, en condensant les lignes de force. Intérieur jour. Bureau de Freud à la campagne. Il est là. Et c'est... Heinz Bennent. Dans les scènes de ce jour-là, aussi, le Docteur Schür, qui soigne Freud et qu'incarne Jevgenij Sitochin. Silence ! Elle est là. Cheveux blonds crantés, fine dans ses vêtements souples, jupe de lin grège, chemisier à galons brodés, chaussures basses de marcheuse. Un peu inquiète, elle le dit, de l'exiguïté du plateau. Cherchant ses marques, indifférente au monde qui s'agite autour d'elle. Une grande pro qui peu à peu trouve sa concentration, son texte. Avec Jacquot, on répète. Champetier veut la perfection de l'image. Quitte à s'énerver, parfois.

Catherine Deneuve, elle, repère immédiatement que tel pas en dehors du tapis va faire craquer le plancher, que Jevgenij pourrait sortir plutôt de cette façon-là du cadre. Elle le lui dit en anglais, en camarade qui a du métier et beaucoup d'instinct. Simple, amicale et femme toujours sublime. Amélie, son habilleuse, est à portée de regard bardée d'une ceinture à poches multiples. Elle détient l'essentiel : le paquet de cigarettes... La belle au teint si clair et à la voix si pure tire sur ses fines cigarettes, seul indice d'une certaine anxiété.

Elle est d'humeur heureuse. S'amuse. Elle porte en sautoir un petit sifflet d'or. Une démonstration pour l'enfant de Sitochin et Anne Bennent - qui joue Anna Freud mais n'a pas de scène ce jour-là. Il écarquille les yeux, ébahi. Cette dame si belle est une gamine. On serait subjugué à moins ! Cette fois, on tourne. "C'est admirable. Rien ne pouvait me faire plus plaisir, princesse !" dit Bennent-Freud scrutant à la loupe les détails d'un vase grec dans des rouges et noirs. "Vous l'avez trouvé chez un antiquaire ?", interroge Sitochin-Schür. "Je l'ai fait venir de Grèce ! Pour une fois que mon titre me sert à quelque chose d'agréable !" répond Marie. Mais ce jour-là est elle venue pour plus grave. Elle a racheté les lettres de Freud à Fliess et les a mises à l'abri... On change de plan. Elle est allongée sur le divan.

Marie parle de ses enfants Pierre et Eugénie. Et d'elle. "...Je ne me suis jamais sentie aussi misérable". Comédienne musicienne qui d'un infime tremblement, d'une toux subtile, laisse sourdre la détresse de cette femme qu'elle retrouve, par-delà le temps. Marie Bonaparte, c'est bien elle, Catherine Deneuve. De dedans.

Qu'est-ce qui vous a décidé à accepter, après "Les liaisons dangereuses" que vous avez tournées avec Josée Dayan pour TF 1, un autre long film pour la télévision ?
C'est une idée ancienne, un peu flottante. Nous l'avions évoquée avec Louis Gardel, au moment du tournage de "Fort Saganne"... Le temps passait. Je connais Célia Bertin, auteur de la très belle biographie de Marie Bonaparte que j'ai évidemment lue lorsqu'elle est sortie. Et c'est ainsi, sans hâte, que les choses se sont imposées.

Qu'est-ce qui vous séduit en Marie Bonaparte ?
Je dirais que c'est ce que l'on peut nommer sa virilité. Cette manière qu'elle a de prendre en main la vie, sa vie, celle des autres, cette façon qu'elle a d'affronter la réalité, de savoir faire preuve d'un vrai courage face à des événements douloureux ou terriblement tragiques. Elle ne se tait pas. Elle est frontale. C'est bien.

Avez-vous lu beaucoup de livres sur elle ou encore ses lettres, avant de l'interpréter ?
Je m'en tiens toujours aux mots, quant à moi. Je sais qu'au cinéma, un personnage, ce sont les mots qu'il dit et, ici, a fortiori puisque nous sommes sans le monde de l'analyse. Tout passe par la parole. Mais bien sûr j'avais lu le livre de Célia Bertin et j'ai parcouru quelques ouvrages, spécialement.

Vous intéressez-vous personnellement à la psychanalyse ?
Je m'intéresse en tout cas à ce qui nous fait agir... Je pense qu'il faut tendre à une certaine lucidité. En cela la psychanalyse est importante. Je lis beaucoup de livres. Il y a quelque chose d'intrigant dans ce que nous apprend la psychanalyse, quelque chose qui a d'ailleurs à voir avec le travail de composition d'un personnage mais qui ne suffit pas au jeu, qui est autre chose que le décryptage d'un caractère ou des motivations et autres ressorts secrets des actes...

Le scénario ne balaye pas l'ensemble de la vie de Marie Bonaparte. Comment le voyez-vous ?
Il me semble que ce qui est très intéressant dans l'histoire telle que la racontent Louis Gardel et François-Olivier Rousseau, c'est cette double dette. Celle que Marie pense avoir à l'endroit de Freud qui l'a sauvée de l'horrible dépression dans laquelle elle s'enlisait, celle que Freud a envers elle puisqu'elle lui a littéralement, plus tard, en échange, sauvé la vie.

Est-elle attachante, agaçante, ridicule ?
Elle est complexe. Et c'est ce qui est difficile. Elle n'est jamais unie, une. De plus c'est quelqu'un qui s'observe, qui ne s'aveugle pas sur elle-même et qui sait parfaitement - en tout cas qui pense le savoir - ce qui la motive. C'est cela qu'il ne faut jamais oublier devant la caméra, cette femme est plusieurs...

Le scénario commence par une scène assez âpre. Une scène d'opération très particulière, l'une de celles que Marie Bonaparte avait souhaité subir. Qu'en pensez-vous ?
Il y a ce mystère du désir de la retouche. Elle a, à plusieurs reprises, effectivement, subi des opérations... Elle a le sentiment que son corps ne répond pas. Elle se vit frigide. Elle cherche des solutions techniques ! Ce qui est assez drôle si l'on veut bien se souvenir qu'elle est l'une des premières disciples de Freud et qu'elle devrait commencer par aller chercher ses solutions ailleurs. Je ne peux m'interdire de penser que cette première scène du film n'apparaîtra pas comme tragique, mais qu'elle sera drôle. Il y a quelque chose de cocasse dans la situation, dans la quête de Marie... ou est-ce ma façon de me défendre de la cruauté de ce qu'elle subit ?

Que pensez-vous de "votre" Freud ?
Ah ! J'ai été si heureuse de retrouver Heinz Bennent. Nous avons renoué comme si nous nous étions quittés la veille... alors que "Le dernier métro", dans lequel il interprétait mon mari, est sorti il y a plus de vingt ans... 1980... Et c'est comme si nous ne nous étions pas perdus de vue. C'est l'un des heureux mystères de ce métier. L'entente qui ne s'efface pas et perdure... Dans "Princesse Marie", c'est sa propre fille, Anne, qui incarne la fille de Freud, Anna. Marie Bonaparte en fut naturellement très proche. C'est assez beau, cette inscription secrète d'un lien dans le film.

D'ailleurs, votre fils Christian Vadim joue lui aussi dans "Princesse Marie". Et pas n'importe quel rôle !
Non. Il est Antoine Leandri, le premier amant de Marie... Bien entendu, ce n'est pas moi qui joue Marie jeune, mais Marie-Christine Friedrich... qu'on se rassure. C'est amusant, une petite note ironique de la distribution.

Quelles sont les difficultés spécifiques de ce tournage ?
Le cœur du film, c'est la psychanalyse. C'est-à-dire qu'il faut être allongé sur un divan... dans une position de vulnérabilité extrême. Je redoutais un peu cet aspect et les longs plans-séquences qui traduisent ces moments si particuliers entre Marie et Freud. Il y a une concentration très dense à trouver pour que l'on donne le sentiment du secret du cabinet et qu'en même temps tout parle au spectateur.

Beaucoup rêvent de vous voir un jour au théâtre... Peut-on l'espérer ?
Il y a dix ans, sans doute n'aurais-je même pas osé jouer Marie Bonaparte. Je ne me serais pas sentie assez forte. La scène, il n'en était pas question. Mais avec le temps une angoisse s'est dissipée et qui sait... En tout cas le théâtre n'est plus de l'ordre de l'exclusion absolue !

Des projets ?
Oui. Un film avec André Téchiné, adaptation d'un roman de Simenon... Du temps pour mes proches, mes enfants, mes petits-enfants, du temps pour la vie.


Par : Armelle Héliot
Photos :


Film associé : Princesse Marie

 

 

 



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