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Ses interviews / Presse 2000-09 / Le Figaro 2003 |
Repères
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La comédienne termine pour Arte le tournage d'un film en deux épisodes dans lequel elle incarne, sous la direction de Benoît Jacquot, cette femme d'exception. La route étroite serpente au cur de la forêt dans les humeurs humides d'un jour de printemps un peu gris. La brume ne s'est pas encore dissipée qui s'accroche en lambeaux aux cimes des hauts conifères. Silence. Les lapins détalent, légers, tandis qu'au loin, parfois, la stridence d'un oiseau déchire étrangement le ciel pâle que l'on n'aperçoit que rarement dans les trouées du chemin qui ne cesse de grimper à l'assaut des collines boisées. On a quitté la route depuis un moment, ses chalets, ses petites chapelles aux couleurs sourdement acidulées, jaune, ocre, on s'est éloigné de la ligne de chemin de fer qui saute les vals de viaduc en viaduc. On est dans un domaine de l'Office national des forêts autrichiennes, au sud-ouest de Vienne, près de Gloggnitz. Les Alpes, bien sûr et Semmering qui culmine à 985 mètres. Et soudain la clairière. Un morceau de prairie pentue en haut duquel, massive, solide, insolite une longue bâtisse apparaît. Genre grosse ferme trapue qui protège. On pense immédiatement à Thomas Bernhard. Il aurait pu habiter là. Un pavillon de chasse en fait comme le proclament les bois de cerfs qui sont fichés sur le long mur entre les volets verts. Quatre trophées splendides précédés d'un Christ immense qui a dû voir bien des hivers. Aux rebords des fenêtres, des jardinières sages débordant de fleurs de printemps, heureux mélange, coloré, colorié comme album d'enfance. Dedans, cela sent l'humus et le cuir. Une vieille odeur de bois et de chasse. L'équipe de tournage n'en a cure qui s'active, concentrée. Caroline Champetier, la directrice de la photographie, il si clair qu'il en est translucide, est là qui veille à l'installation des lumières. Dehors, dedans. Benoît Jacquot lui aussi est sur le pont, bien sûr, pantalon de velours et blouson de daim, élégance faussement nonchalante pour une journée à la campagne. Le sourire du fin renard trahit l'heureux contentement d'un réalisateur qui sait passer d'un registre à l'autre dans d'aériens mouvements et, lui pour qui Lacan fut rencontre capitale, il apprécie ce "Princesse Marie" écrit par Louis Gardel et François-Olivier Rousseau comme un fruit qui aurait pu lui être assez défendu... Le tournage, qui se termine dans quelques jours à Saint-Tropez où mourut Marie Bonaparte il y a juste un peu plus de quarante ans, aura retenu plusieurs semaines durant les comédiens et l'équipe en Autriche, dans des paysages hantés par le souvenir de Sigmund Freud mais aussi dans les prestigieux décors qui furent ceux de cette princesse Bonaparte, de Saint-Cloud à Vienne ou du bois de Boulogne aux rives d'un lac italien, princesse et psychanalyste, admirable figure du XXe siècle. Une femme moderne. On comprend qu'elle ait séduit Catherine Deneuve (voir entretien ci-dessous). Ce jour-là, vers la fin du mois de mai, on tourne des scènes particulièrement intéressantes, au cur du film, en condensant les lignes de force. Intérieur jour. Bureau de Freud à la campagne. Il est là. Et c'est... Heinz Bennent. Dans les scènes de ce jour-là, aussi, le Docteur Schür, qui soigne Freud et qu'incarne Jevgenij Sitochin. Silence ! Elle est là. Cheveux blonds crantés, fine dans ses vêtements souples, jupe de lin grège, chemisier à galons brodés, chaussures basses de marcheuse. Un peu inquiète, elle le dit, de l'exiguïté du plateau. Cherchant ses marques, indifférente au monde qui s'agite autour d'elle. Une grande pro qui peu à peu trouve sa concentration, son texte. Avec Jacquot, on répète. Champetier veut la perfection de l'image. Quitte à s'énerver, parfois. Catherine Deneuve, elle, repère immédiatement que tel pas en dehors du tapis va faire craquer le plancher, que Jevgenij pourrait sortir plutôt de cette façon-là du cadre. Elle le lui dit en anglais, en camarade qui a du métier et beaucoup d'instinct. Simple, amicale et femme toujours sublime. Amélie, son habilleuse, est à portée de regard bardée d'une ceinture à poches multiples. Elle détient l'essentiel : le paquet de cigarettes... La belle au teint si clair et à la voix si pure tire sur ses fines cigarettes, seul indice d'une certaine anxiété. Elle est d'humeur heureuse. S'amuse. Elle porte en sautoir un petit sifflet d'or. Une démonstration pour l'enfant de Sitochin et Anne Bennent - qui joue Anna Freud mais n'a pas de scène ce jour-là. Il écarquille les yeux, ébahi. Cette dame si belle est une gamine. On serait subjugué à moins ! Cette fois, on tourne. "C'est admirable. Rien ne pouvait me faire plus plaisir, princesse !" dit Bennent-Freud scrutant à la loupe les détails d'un vase grec dans des rouges et noirs. "Vous l'avez trouvé chez un antiquaire ?", interroge Sitochin-Schür. "Je l'ai fait venir de Grèce ! Pour une fois que mon titre me sert à quelque chose d'agréable !" répond Marie. Mais ce jour-là est elle venue pour plus grave. Elle a racheté les lettres de Freud à Fliess et les a mises à l'abri... On change de plan. Elle est allongée sur le divan. Marie parle de ses enfants Pierre et Eugénie. Et d'elle. "...Je ne me suis jamais sentie aussi misérable". Comédienne musicienne qui d'un infime tremblement, d'une toux subtile, laisse sourdre la détresse de cette femme qu'elle retrouve, par-delà le temps. Marie Bonaparte, c'est bien elle, Catherine Deneuve. De dedans. Qu'est-ce qui vous a décidé
à accepter, après "Les liaisons dangereuses" que
vous avez tournées avec Josée Dayan pour TF 1, un autre
long film pour la télévision ? Qu'est-ce qui vous séduit
en Marie Bonaparte ? Avez-vous lu beaucoup de livres
sur elle ou encore ses lettres, avant de l'interpréter ? Vous intéressez-vous
personnellement à la psychanalyse ? Le scénario ne balaye
pas l'ensemble de la vie de Marie Bonaparte. Comment le voyez-vous ? Est-elle attachante, agaçante,
ridicule ? Le scénario commence
par une scène assez âpre. Une scène d'opération
très particulière, l'une de celles que Marie Bonaparte avait
souhaité subir. Qu'en pensez-vous ? Que pensez-vous de "votre"
Freud ? D'ailleurs, votre fils Christian
Vadim joue lui aussi dans "Princesse Marie". Et pas n'importe
quel rôle ! Quelles sont les difficultés
spécifiques de ce tournage ? Beaucoup rêvent de vous
voir un jour au théâtre... Peut-on l'espérer ? Des projets ? |
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