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"Je ne suis pas une bourgeoise"
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Un rôle sur mesure. C'est ce que le scénariste
Louis Gardel, déjà auteur de plusieurs grands succès
avec l'actrice, tels "Fort Saganne" (1984) ou "Indochine"
(1992), est venu proposer à Catherine Deneuve, voilà déjà
quelques années. Un destin singulier, celui de Marie Bonaparte,
femme libre malgré le poids de son nom (elle est l'arrière-petite-nièce
de l'Empereur), de son titre (princesse de Grèce par son mariage),
disciple de Freud et avocate passionnée de la cause de la psychanalyse,
qui ne pouvait que séduire celle à qui pèse, parfois,
son statut d'icône du cinéma français. L'icône,
rassurez-vous, est encore bien vivante. De sa voix si particulière,
au débit ultrarapide, elle nous parle de son rôle, de la
télévision et de ses multiples engagements. Entretien.
Qu'est-ce qui vous a conquis dans ce projet ?
Le personnage de Marie Bonaparte bien sûr, cette femme extravagante,
et le fait que le film traitait de la psychanalyse de façon approfondie.
C'était un grand sujet, pas si facile à montrer que cela
à l'écran. C'était une bonne occasion, qui plus est
pour la télévision.
Ce film aurait été impossible à
monter au cinéma ?
Impossible non, car rien n'est impossible au cinéma. Mais plus
difficile, oui. En réalité, je ne me suis pas posé
la question : cinéma ou télévision ? Je cherchais
un sujet fait pour la télévision, par sa nature ou sa durée.
C'était le cas de ce projet.
Avez-vous suivi le travail d'écriture mené par Louis Gardel
et François-Olivier Rousseau ?
Oui. Louis Gardel me tenait au courant, m'envoyait des textes au fur et
à mesure. Il y a eu des versions plus longues que la version finale,
avec notamment des choses formidables sur le côté "princesse"
de Marie Bonaparte. Le contraste, du coup, était encore plus fort
entre sa vie mondaine et son engagement au côté de Freud.
Mais il aurait fallu au moins 4 h 30 de film. Aussi nous avons décidé,
avec Benoît Jacquot, de nous recentrer sur la psychanalyse. C'était
ça, vraiment, qui nous intéressait dans le scénario.
Un des premiers plans du film montre le rasage
du pubis de Marie Bonaparte. Un plan que France 2, qui diffusera "Princesse
Marie" l'an prochain, souhaite semble-t-il supprimer...
On en sait pas encore si ce plan sera coupé, mais c'est vrai qu'on
en parle, le film devant être diffusé à 20 h 50. Je
souhaite bien sûr que ce plan soit maintenu et je trouve incroyable
qu'on veuille l'enlever. On voit des choses tellement plus horribles au
journal télévisé. Mais ce plan-là, c'est l'origine
du monde, c'est le sexe, c'est un plan très net, très cru...
Il s'agit seulement de votre deuxième film pour la télévision,
après "Les liaisons dangereuses", pour TF1. Pourquoi
avoir attendu aussi longtemps avant de tourner pour la télévision
?
Parce que je n'avais pas envie de faire de la télévision
pour faire de la télévision. Je voulais que ce soit sur
un sujet bien spécifique, et pas seulement une adaptation d'un
grand classique.
Précisément, l'aventure des "Liaisons
dangereuses" s'est plutôt mal terminée, avec une diffusion
fin août et, du coup, une audience décevante. Quel enseignement
en tirez-vous ?
Le tournage s'était très bien passé, la déception
en a été d'autant plus grande. Mais c'est le problème
de TF1, qui était à la fois producteur et diffuseur. Il
s'agissait d'un très gros projet, d'un film très lourd.
Je pense qu'ils ont eu peur, qu'ils ont trouvé que le résultat
était trop difficile. Du coup, ils ont doublé Rupert Everett,
puis avancé la diffusion fin août. Ce sont des choses que
j'ai découvertes les unes après les autres et sur lesquelles
je n'avais aucun pouvoir. Or, les conditions de diffusion, c'est capital
à la télévision. Ce n'est pas comme un film de cinéma,
qui existe malgré tout, même si la première se passe
mal.
Comment jugez-vous la production télévisuelle
actuelle ?
Je critique parfois, mais je ne juge pas. Dans l'ensemble, malheureusement,
je trouve souvent que ce qu'il y a de plus intéressant à
la télévision passe après 22 heures. Mais quand je
voyage et que je vois le niveau en Italie ou aux États-Unis par
exemple, je trouve qu'on n'a pas une si mauvaise télévision.
Des multiples facettes du personnage de Marie Bonaparte, laquelle vous
a le plus séduit ?
C'est le mélange, les contradictions du personnage. Le paradoxe
de cette femme si libre et en même temps prisonnière, par
son mariage, de sa position, cette envie d'avoir accès au plaisir.
Se faire opérer pour frigidité n'était alors pas
si courant ! Même s'il s'agit d'un film d'époque, le personnage
de Marie Bonaparte est rendu très vivant, grâce à
ces contradictions.
Comme elle, vous avez multiplié les engagements
: pour le droit à l'avortement, contre la peine de mort, et encore
récemment en démissionnant de votre poste d'ambassadrice
de l'Unesco, après la nomination de Pierre Falcone...
Je suis d'ailleurs étonnée qu'on m'en ait si peu parlé.
Justement, comment expliquez-vous le fait que, malgré ces engagements,
ce qui reste dans l'esprit de beaucoup, c'est cette froideur qu'on vous
prête et cette image de bourgeoise ?
Bourgeoise, je ne le suis vraiment pas. Ma vie est le contraire d'une
vie bourgeoise : j'ai eu des enfants hors mariage, j'ai déclaré
avoir avorté (Catherine Deneuve était signataire du Manifeste
des 343 salopes, en 1971, pour l'avortement libre - NDLR)... Je pense
que c'est lié à l'image de "Belle de jour", qui
me colle terriblement à la peau, peut-être aussi à
mon physique, et aux photos des magazines. Inconsciemment, les gens savent
très bien que je ne suis pas une bourgeoise. Certains ne m'aiment
pas parce qu'ils me trouvent sans doute trop chic, trop blonde... Mais
je pense que la plupart des gens connaissent mes engagements. Simplement,
ce n'est pas ça qu'on a envie de mettre en avant.
Cela vous gêne ?
Oui, parfois, ça me lasse. Je me demande comment les gens me perçoivent.
Et j'ai envie de rappeler que ce qui compte, c'est ce que l'on fait, plus
que ce que l'on dit.
Pourquoi cette démission de l'Unesco ?
La raison de fond, c'est que je ne voulais pas cautionner, en tant qu'ambassadrice,
la nomination de Pierre Falcone à l'Unesco. Quand j'ai appris la
nouvelle, j'ai écrit, j'ai demandé des explications. On
m'a expliqué qu'on ne pouvait pas s'y opposer. J'ai trouvé
ça totalement insupportable. Cela décrédibilisait
totalement le travail de l'Unesco. Je me disais : "Pourquoi ne refusent-ils
pas ?" Si dans la vie, tout le monde s'était rangé
à ce type de contraintes, combien de choses monstrueuses se seraient
passées ! Je trouvais ça vraiment scandaleux, je n'avais
pas envie d'être sous le même toit que cet homme... En réalité,
il y a plein de choses qui me choquent, d'autres formes d'injustices sur
lesquelles je n'ai pas forcément de pouvoir. Mais là, c'était
trop.
Quelles injustices par exemple ?
L'enfermement des gens pour leurs idées politiques, le fait que
la moitié des démocraties ne soient pas des vraies démocraties,
les projets de loi récents sur la justice et la sécurité
qui sont uniquement tournés vers l'enfermement, plutôt que
vers l'ouverture, les conditions de vie dans les prisons françaises...
Je n'ai jamais vécu dans une cellule, mais j'ai fait plusieurs
visites en prison, et encore une l'an dernier, que j'ai voulu discrète.
De telles conditions de vie sont inadmissibles dans une démocratie.
Le monde de la culture poursuit sa mobilisation
contre la réforme du statut des intermittents. Vous soutenez ce
combat ?
Je le soutiens sur le fond, même si je pense que certains sacrifices
seront inévitables. Ce qui est sûr avec la réforme
récente, c'est que ce ne sont pas ceux qui profitent du système
qui sont sanctionnés. Ça ne va donc pas dans le bon sens.
Vous pensez qu'il y a aujourd'hui une "guerre
contre l'intelligence" ?
Non, franchement, je trouve ça exagéré. On se croirait
revenu un siècle en arrière. Ce n'est pas une guerre contre
l'intelligence. Il s'agit, malheureusement, d'un resserrement des boulons
de toutes parts, au détriment de secteurs pourtant essentiels à
la société. Je suis ainsi extrêmement choquée
de voir dans quelles conditions les gens travaillent dans les hôpitaux.
C'est même incroyable ! Je considère que les infirmières
sont des anges gardiens, des femmes exceptionnelles, qui ont une véritable
vocation. Or, aujourd'hui dans les hôpitaux, on se croirait en temps
de guerre ! Moi, je suis d'accord pour payer des impôts. Mais cela
me réconforte de savoir que cela sert au bien-être du plus
grand nombre, avec un service de santé pour tous, des systèmes
d'indemnisation en cas de chômage... Mais si cela ne suit pas et
qu'aujourd'hui, par exemple, on diminue les crédits pour la recherche,
cela me paraît être un recul terrible.
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