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Catherine Deneuve est la star par excellence. Le monde
entier connaît son visage, ses films, son élégance
légendaire ; pour les Francais, c'est une institution. Paradoxalement,
elle se dévoile peu et cache sa très grande humanité
sous des masques. Quarante ans de cinéma plus tard, c'est toujours
un mystère...
Le rendez-vous est fixé sur ses terres, à
11 h 30 au bar du Lutétia. Chignon blond, petites lunettes à
peine teintées, décontractée dans un pull fauve Yves
Saint Laurent ; sa voix rapide au style inimitable vient sublimer un air
de jazz. Le temps retient son souffle, c'est la magie Deneuve...
La rentrée va être marquée
par le très attendu "Huit femmes" de François
Ozon, qui sort le 6 février. Des rumeurs folles circulent déjà
sur le film...
Oui, certainement, car le film est joué par huit actrices célèbres,
toutes générations confondues, ce qui ne manque pas de susciter
une forte curiosité. Cependant, même si le film doit bien
évidemment rester attendu, il ne faut pas que la rumeur devienne
plus importante, ce qui est le cas, puisqu'il n'a pas encore été
projeté. Je trouve que ce n'est pas une bonne politique, car les
bruits de coulisses peuvent porter atteinte à la qualité
du film.
Nous ne vous avions pas vue
dans un rôle de premier plan depuis "Place Vendôme"
(de Nicole Garcia), enfin un rôle taillé sur mesure ?
C'est vrai, dans ce film, j'ai la charge de toute la famille, car ma mère,
jouée par Danielle Darrieux, est plutôt évaporée.
Dans ce huis-clos, un membre de la famille va être assassiné.
Cloîtrées dans leur maison, les femmes vont se suspecter
les unes les autres, ayant toutes une raison d'avoir commis ce meurtre.
Ce qui augmente I'intensité de I'intrigue policière, ce
sont les liens familiaux qui unissent ces femmes. Leurs rapports restent,
en revanche, assez drôles bien que cruels et débridés.
Ce drame familial va leur donner I'occasion de dévoiler des secrets
enfouis, de régler leurs comptes. Avec ma sur, par exemple,
interprétée par Isabelle Huppert, le dialogue est d'une
violence inouïe.
"Huit femmes", c'est
un film noir à la Hitchcock ?
C'est plutôt un huis-clos à la Ozon, joué par huit
femmes. François ne I'a pas tourné d'une façon classique.
Si on peut raconter un peu I'atmosphère du film, ce qui n'est pas
forcément facile, car au cinéma cela passe avant tout par
les images, contrairement aux livres que I'on peut plus justement détailler,
je dirais que I'histoire de ce drame, librement adaptée de la pièce
de Robert Thomas, se déroule dans les années 50. Ozon a
gardé I'esprit de ces années, avec une lumière et
une photo particulières, ce qui fait penser aux films en technicolor
de cette époque. Son style est un peu décalé, mais
on retrouve bien I'ambiance des fifties.
Huit actrices de grande renommée
sur un plateau, un paradis ou un enfer ?
Ca va peut-être vous paraître surprenant, mais sur le plateau,
I'ambiance était très agréable. Comme nous tournions
dans un seul décor, nous avions pris nos habitudes. Dans la cuisine,
on se réunissait pour discuter, fumer des cigarettes et boire des
cafés, comme dans une vraie maison. Cette famille de cinéma
était devenue la mienne... J'ai retrouvé Danielle Darrieux,
qui incarnait déjà ma mère dans "Les demoiselles
de Rochefort", de Demy et "Le lieu du crime", de Téchiné.
J'ai eu aussi beaucoup de plaisir à tourner avec Fanny Ardant,
qui joue ma belle-sur, beaucoup ri avec Emmanuelle Béart,
ma femme de chambre, et les petites Virginie Ledoyen et Ludivine Sagnier,
mes filles dans le film.
Le cinéma des années
80 était assez misogyne. Les années 2000 laissent place
aux films réalisés par des femmes...
Des femmes comme Marion Vernoux, Nicole Garcia, Tonie Marshall se sont
emparées de la caméra, ce qui est bien. II y a de plus en
plus de femmes à la mise en scène qui savent attirer le
public dans les salles. Malgré tout, comme en politique, la parité
attendue n'est pas totale, puisqu'il est toujours difficile pour une femme
de monter un projet ambitieux. II faut qu'elle soit "bankable".
Tonie Marshall a fait plusieurs films à petits budgets avant d'obtenir
le succès avec "Vénus Beauté", ce qui lui
a permis enfin d'obtenir un joker financier pour ses autres films. Le
cinéma d'aujourd'hui, comme I'écriture des scénarios,
a évolué ; il suit le cours de la vie, l'évolution
des femmes et leur prise de pouvoir... On trouve des auteurs comme Nicole
Garcia ou Laurence Ferreira Barbosa qui écrivent de très
beaux rôles de femmes. Mais films réalisés par des
femmes ou pas, ce qui est réconfortant, avant tout, ces dernières
années pour la profession, ce sont ces films français qui
sont reconnus également à I'étranger.
Sur votre site "cdeneuve.com",
vous avez réagi à la catastrophe américaine en écrivant
une carte postale qui renvoyait I'internaute a un article qui vous a touchée.
Comment avez-vous ressenti ce drame ?
Je devais partir au Canada rejoindre l'équipe de tournage de "Au
plus près du paradis" au moment du drame. Ma fille qui se
trouvait à Toronto n'arrivait pas à revenir. Je ne me sentais
pas très bien, le fait d'être éloignée de ma
famille à un moment aussi essentiel a été une épreuve.
Je suis partie toute seule là-bas, le jour où l'on a réouvert
les aéroports, le 15 septembre. II est difficile de continuer un
film à ce moment-là. Vous pensez que ce malheur s'abat sur
la vie comme une grande chape, et il faut alors retrouver I'envie, essayer
de se concentrer à nouveau. Mais on ne peut pas tout immobiliser
non plus. Beaucoup de choses sont engagées, c'est une entreprise
importante un film, beaucoup de gens, beaucoup de temps, d'énergie.
Par exemple, il a fallu refaire à I'identique I'Empire State Building
dans les studios canadiens, car nous n'avions pas I'autorisation de tourner
cette scène a New York. L'ensemble du tournage, à cause
des événements, a dû être délocalisé
a Montréal. Seuls quelques plans avec William Hurt ont pu être
pris à Manhattan. Alors, cette carte postale sur mon site, c'est
une façon de partager avec les autres un article sur l'Afghanistan
qui m'a beaucoup touchée, beaucoup frappée.
II y a quelques années,
vous aviez prôné I'appel à la désobéissance
civique contre la loi Debré, qui concernait la réglementation
de I'entrée et du séjour des étrangers. Aujourd'hui,
avez-vous toujours des combats ?
Ce ne sont pas des combats. J'ai effectivement soutenu cette cause qui
défendait, entre autres, les sans papiers. J'ai pris une position,
comme autrefois pour I'avortement. Ce qui me tient à cur
aujourd'hui, et depuis toujours, c'est ma révolte contre Ia peine
de mort, la torture... Je suis allée à I'Ambassade américaine
à Paris, remettre 500 000 signatures de Français révoltés,
comme moi, par cette barbarie. Je ne suis pas certaine que cette pétition
soit d'une très grande utilité, mais il était important
de le faire... Les Américains n'aiment pas que nous nous mêlions
de leurs affaires internes, quoique actuellement, au regard des événements,
ils ont peut-être changé d'avis.
Vous adorez vos deux petits-enfants.
Quelle grand-mère êtes-vous ?
J'adore les bébés. L'avantage d'être grand-mère,
c'est que l'on n'a pas besoin de les éduquer. Ce sont surtout les
bons moments que nous partageons, j'aime leur présence. J'ai envie
de leur apporter de I'insouciance, de la gaieté. Ils ont la grâce,
cette légèreté que les adultes n'ont plus. Si je
peux leur transmettre quelque chose, c'est principalement une curiosité
pour les choses de la vie. Petite, j'ai eu la chance de passer des vacances
à la campagne. J'aimerais qu'ils découvrent à leur
tour le goût pour la nature..
Justement, vous deviez lancer
un magazine, Art de vivre, qui n'a pas encore vu le jour.
Malheureusement, on va dire que les événements ont mis un
grand coup d'arrêt au projet. La sortie du magazine est remise à
plus tard.
Vous seriez partie prenante
dans votre magazine : rédactrice en chef, pourquoi pas ?
J'aimerais beaucoup ça. Beaucoup de gens ne m'imaginent pas les
mains dans la terre, et pourtant je m'occupe beaucoup de la maison, et
du jardin surtout, que je cultive vraiment. J'avais I'envie d'apporter
mon expérience en botanique, car je connais bien les plantes, les
fleurs, les semis, les périodes de plantation, de floraison...
C'était I'envie d'apporter des choses personnelles, il y a toujours
de la modestie et de la présomption à vouloir faire un journal
dans un domaine comme celui-là. II y a un risque, car les femmes
ne sont pas fidèles, elles peuvent acheter et ne plus racheter
après. Mais, c'était I'envie d'amener les gens à
quelque chose de concret, avec une possibilité d'accomplir une
partie, quand même, du rêve que l'on propose...
Quel livre ou quel film vous
ont touchée dernièrement ?
En dehors des tournages, je suis très en prise avec la réalité...
Je lis un quotidien par jour, des magazines sur la déco, les jardins.
Je vais de préférence au cinéma dans les salles,
car j'aime sentir I'émotion presque palpable des gens. Le dernier
qui m'a beaucoup touchée, c'est "Betty Fisher", de Claude
Miller. Je I'ai trouvé très dérangeant, très
original. II décrit les rapports de filiation entre mère,
enfants et petits-enfants. II y a quelque temps, j'ai également
été très touchée par Yi Yi, un film taiwanais
de Edward Yang. Mais le temps m'a manqué ces derniers mois, car
j'étais en tournage pour le film de Tonie Marshall.
Vous prêtez votre image
à une célèbre marque française de cosmétiques.
Certains pensent que cela correspond totalement à Catherine Deneuve,
d'autres disent : "elle se fourvoie, elle doit avoir besoin d'argent"...
Je n'ai jamais besoin d'argent... mais en même temps, j'ai toujours
besoin d'argent. J'ai été une des premières Françaises
à faire de la pub aux USA. Dans les années 80, Richard Avedon
m'a beaucoup aidée à regarder la réclame sous un
jour nouveau. II m'a dit : "Quand c'est très bien fait, c'est
une carte de visite formidable... On vous voit partout".
Les Américains sont-ils
plus modernes que nous sur ces questions d'image ?
Peut-être, mais regardez en France, beaucoup de personnalités
font de la publicité, aujourd'hui. En tout cas, on m'en a souvent
proposé. Mais je choisis plutôt des produits qui me plaisent.
Comme au cinéma, la publicité doit faire rêver pour
que les gens puissent s'identifier, il faut que la personnalité
soit en adéquation avec le produit.
Ca rapporte aussi beaucoup,
et en peu de temps...
Je ne vais pas dire le contraire. Je ne vois pas pourquoi je m'en serais
privée, dans la mesure ou cela me procure une plus grande indépendance
financière. Ainsi, je peux refuser des propositions de cinéma
qui me plaisent moins.
Vous allez, pour la première
fois, faire de la télévision ?
C'est un passage incontournable quand le cinéma ne se fait pas
sans I'appui des chaînes de télé. Il est très
possible que j'incarne le personnage fascinant de Marie Bonaparte pour
la télévision. Le projet est à I'écriture.
Ce qui justifie le format télévision, c'est que le film
pourrait être diffusé en deux parties. Je trouve que deux
heures au cinéma, c'est déjà beaucoup. Beaucoup de
gens m'ont dit n'avoir vu mes films qu'à la télévision,
alors pourquoi ne pas tenter I'aventure ?
La real TV, ça vous choque
?
Je ne fais pas partie des fans de "Loft Story". En même
temps, cette télé a une certaine force. Ce n'est pas vraiment
de la brutalité, c'est de I'intimité crue en direct. Tout
voir, tout entendre, la banalité de la vie telle qu'on la connaît,
ce n'est pas ce que j'ai envie de voir à la télé
forcément.
Il paraît que vous avez
du mal à émerger le matin, car la nuit vous êtes scotchée
sur le câble...
(Rires) Ça devrait être interdit de retransmettre de bons
vieux films si tard, parfois j'y suis encore à trois heures du
matin ! J'aime aussi les émissions Thema sur Arte, comme celles
sur le commandant Massoud, ou "Envoyé Spécial",
et les documentaires du bout du monde. La nuit, j'ai du mal à couper
la télévision.
Ces derniers temps, on vous
a vue dans "Le petit Poucet" et dans "D'Artagnan",
mais plutôt comme une "guest star". N'avez-vous pas eu
de propositions qui vous inspirent vraiment ?
Si, mais ça ne s'est pas fait et je n'aime pas parler des films
que je n'ai pas faits. L'année dernière, Peter Hyams m'a
proposé "D'Artagnan", ça m'amusait de jouer la
Reine de France dans un film de cape et d'épée. Dans "Le
Petit Poucet", je jouais aussi une reine et j'aime beaucoup le clin
d'il d'Olivier Dahan à "Peau d'âne".
De très jolis rôles
certes, mais trop courts pour ceux qui suivent avec passion tous vos films...
Il y a eu aussi le film de Régis Wargnier dans "Est-Ouest",
un rôle marquant. Ce n'est pas une question de longueur, c'est de
se demander, si ce personnage n'était pas dans le film, est-ce
que I'histoire en serait modifiée ?
Vous avez éte nommée
ambassadrice pour la préservation du patrimoine cinématographique.
Vous pouvez nous en parler ?
J'ai été contente de pouvoir aider la cinémathèque
de Bruxelles à obtenir des financements par le ministère
de la Culture. Jusque-là, elle ne vivait que par les bénéfices
du loto du pays. Mon rôle d'ambassadrice sera d'intervenir sur des
choses ponctuelles, en France et à I'étranger.
Quels sont aujourd'hui les grands
bonheurs dans votre vie ?
Ce n'est pas forcément le grand bonheur, les films ; c'est beaucoup
d'angoisse. Une fois qu'ils sortent sur les écrans, on ne peut
plus rien. Parfois, je suis plutôt déprimée. Les acteurs
ne sont pas les auteurs, il faut accepter I'idée d'avoir une grande
responsabilité et en même temps de n'avoir aucun pouvoir.
Parlez-moi de vos petits bonheurs...
Plein de choses, de petites choses, de petits signes, tous les jours.
Le bonheur est très éphémère
On sent chez vous une mélancolie,
vous avez des regrets ?
Il n'y aurait pas de bonheur, s'il n'y avait pas de regrets. Si c'était
à refaire, je referais sans doute le même parcours. Bien
sûr, j'ai des regrets. Comment ne pas en avoir ? Mais la vie, c'est
aussi ça.
L'amour, vous y croyez encore
?
C'est un peu mon fonctionnement, je ne pourrais pas vivre sans. Evidemment,
j'y crois toujours. Ma vie personnelle est plus importante que le cinéma.
Dans quelques jours, une nouvelle
année s'annonce. Que pouvez-vous souhaiter aux Français
?
C'est difficile comme question. Je trouve que mieux on se connaît,
mieux on s'accepte, mieux on accepte les autres. Je leur souhaiterais
de s'ouvrir aux autres.
Vous prônez la tolérance
avant tout ?
Oui, mais pour comprendre I'autre, il faut aussi
passer par la connaissance de soi, c'est douloureux parfois.

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