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Ses interviews / Presse 2000-09 / Les Inrockuptibles 2004 |
Repères
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Lorsque nous avons demandé à Arnaud de diriger ce numéro des Inrocks, il nous a parlé de son désir de faire un entretien avec vous. Et il nous a écrit un texte, pour nous faire partager ces quelques idées sur vous. Peut-être pourriez-vous le lire (elle lit le texte ci-dessus). Catherine Deneuve : C'est très joli ! Je n'ai plus rien à dire ! Vous publiez ça et puis voilà... Tout ce que je pourrais ajouter ne ferait que retirer (rires). Est-ce que cette idée que vous auriez construit une uvre de cinéaste tout en étant actrice rencontre chez vous un écho ? Catherine Deneuve : Ça rencontre un écho au moment où vous me posez la question. Je me dis peut-être... Mais s'il y a eu une réflexion dans les choix que j'ai pu faire, il n'y a jamais eu de préméditation. C'est un peu comme si on construisait un puzzle dont on n'aurait pas eu le dessin avant. A la fin, on sait si une figure apparaît mais, jusque-là, c'est une chose qui se fait. Arnaud Desplechin : C'est typiquement une question qu'on pose souvent aux cinéastes, celle de savoir s'ils ont conscience de faire uvre. Pour un cinéaste, ça se construit aussi un peu par hasard. Chaque fois, on bute sur une intrigue, on trouve que l'histoire marche à peu près, alors on la développe... Je crois que si on demandait à Claude Lanzmann s'il a fait une uvre, il répondrait d'abord qu'il fait des films, chacun l'un après l'autre. C'est nous qui réalisons l'unité de l'uvre et son empan... Quand je vous vois la même année dans le film de Gabriel Aghion, "Belle maman", et celui de Philippe Garrel, "Le vent de la nuit", je suis frappé parce que je vois deux personnages que vous jouez, mais en même temps votre point de vue sur le cinéma. Par exemple, quand vous dansez dans "Belle-maman" vous nous dites que le cinéma, si ce n'est pas joyeux, c'est même pas la peine Et chez Garrel, simultanément, vous nous montrez que les films peuvent aussi raconter quelque chose de doucement tragique. En plus de votre jeu d'actrice, je vois une affirmation sur ce que doit être le cinéma. CD : C'est très dur de faire une uvre originale, de faire quelque chose pour la première fois. Il faut toujours trouver une fraîcheur dans ce qu'on fait. J'ai toujours besoin que ma curiosité soit éveillée quand je fais un film. J'en ai fait beaucoup, ça fait très longtemps que je suis dans le cinéma, donc je m'ennuie très vite. Je suis comme les enfants. Alors j'ai besoin de faire des choses qui m'étonnent un peu. La première fois que vous avez été surprise par le cinéma, c'est le tournage des "Parapluies de Cherbourg" ? CD : Oui. J'ai retrouvé du plaisir sur les films suivants que j'ai faits avec Jacques Demy mais "Les parapluies ..." était une chose vraiment exceptionnelle. C'est avec ce film-là que j'ai décidé de continuer. AD : "Les parapluies..." parle en direct de la guerre d'Algérie. CD : C'est un film totalement romanesque, mais qui ne craint pas d'évoquer la guerre d'Algérie de façon douloureuse. C'est un film vraiment inscrit dans son époque. Pour moi, ça signifiait bien sûr quelque chose, parce que la guerre d'Algérie a compté dans ma vie. J'avais un amoureux qui est parti là-bas, c'était très douloureux... [un temps ; soudain, elle sourit]. Bon, il est revenu en France, mais enfin moi je l'avais quitté avant. C'est quasiment l'histoire des "Parapluies..." CD : Oui. J'étais très amoureuse. C'est terrible la façon dont on aime quand on est jeune Après "Les parapluies...", où l'on n'entend pas votre voix, vous avez joué le rôle d'une muette dans "Les créatures" d'Agnès Varda. CD : J'en garde un souvenir difficile. Pourtant, ce que j'ai le plus envie de faire aujourd'hui, ce serait un film muet. Pas un rôle de muette, mais un film muet, avec un jeu très expressif ! Il faudrait que le film ne dure pas trop longtemps ; une heure, une heure dix, ça fait un long métrage ? A partir d'une heure, c'est un long métrage... CD : Parfait. Il faudrait juste une bonne idée d'histoire. C'est un challenge qui me plairait beaucoup. AD : J'ai revu en DVD "Marriage circle" de Lubitsch, qui est un de ses films muets hollywoodiens, et il y a des scènes de dialogues qui sont parmi les plus drôles qu'il ait filmées. On les comprend, mais on ne les entend pas. On lit sur les lèvres, les deux comédiennes parlent comme des mitraillettes... CD : Mais ce sont des rôles pour moi et ma sur ! Votre jeu se caractérise en effet par une façon extrêmement rapide de dire vos répliques. Les réalisateurs ont-ils tendance à vouloir le corriger ? CD : Oui, André (Téchiné - ndlr) parfois. Parce qu'il y a des choses dans un dialogue auxquelles il faut quand même faire un sort. Moi, j'aurais tendance à beaucoup escamoter. Mais par crainte de peser, on peut aussi devenir transparent. Ou monotone. Et vous, à vos débuts, avez-vous essayé de parler moins vite ? CD : Non, jamais. Parfois je peste quand il y a des doublages. J'ai beaucoup de mal à me doubler. Autant on peut parler vite dans la vie, mais quand il faut se doubler c'est très difficile de retrouver l'influx qui vous a fait parler si vite. Du coup je parle beaucoup avec les ingénieurs du son sur le tournage. Si j'ai un doute, je vais toujours leur demander si c'était vraiment audible. Truffaut avait une théorie là-dessus. Il disait que, comme on était quatre filles dans ma famille, il y avait sans doute une très grande rivalité lorsque nous étions ensemble. Et du coup, lorsque l'une de nous avait la parole, il fallait tout balancer car on ne la gardait pas longtemps. AD : C'est aussi une façon chez vous d'enlever ce qui est grave ou redondant, qu'il y ait du sentiment sans sentimentalisme... CD : J'aime bien en effet que les choses ne soient pas appuyées. C'est ce que j'ai aimé très tôt dans la comédie américaine, dans le rythme insensé des films de Hawks, chez Katharine Hepbum, ou Judy Holliday qui est une actrice que j'adore... AD : Rencontrer très tôt des cinéastes avec des styles à la fois très différents et très marqués vous a aussi permis de ne jamais avoir de Pygmalion. Très jeune, on a l'impression que vous parlez à égalité avec les cinéastes. C'est ce qui me frappe quand je vous vois dans les films de Buñuel, "Belle de jour" ou "Tristana"... CD : Le tournage de "Belle de jour" a quand même été assez tendu. Il voulait faire un film plus... explicite, avec des moments de nudité vraiment difficiles. Mais je ne voulais pas les tourner, ça n'avait pas été écrit comme ça... Ça aurait été redondant, inutile. On a été au bord d'une vraie fracture. Buñuel a cédé et je ne crois pas qu'il l'ait regretté, sinon il n'aurait probablement pas tourné à nouveau avec moi ! J'avais beaucoup de respect pour lui, mais ça ne m'empêchait pas de dire non, de lutter. Je ne pense pas que la phase du tournage était celle qui l'intéressait le plus. L'image était importante, il écrivait vraiment pour le cinéma, mais le temps de la réalisation parfois l'embêtait un peu. Il pouvait être très dur, très ironique. Je crois qu'il n'avait pas beaucoup de respect pour les acteurs. Comment vous perceviez-vous au début des années 60, à l'époque où ont explosé beaucoup d'actrices, toutes très jolies ? CD : Moi, je n'étais pas une pin-up. Je n'avais pas .du tout envie de m'exposer physiquement. J'aimais beaucoup le cinéma. Parce que mon amoureux, que j'ai connu très tôt, était très cinéphile. Donc j'ai vu beaucoup de très bons films vraiment très jeune. Je pense que ça m'a influencée. Mais les pin-up, ce n'était pas dans ma nature. Si j'avais eu le physique de Brigitte Bardot, j'aurais peut-être fait d'autres choix... Elle était le modèle ? Toutes les débutantes de l'époque devaient se déterminer par rapport à elle ? CD : Elle comptait beaucoup, elle a incarné quelque chose de très sexué au cinéma, ce qui était très neuf, mais ce n'était pas possible de le reproduire, pas intéressant. Et puis je la trouvais tellement photogénique, avec un sex-appeal incroyable... Mais ce n'était pas une référence pour moi. A part très peu d'exceptions, les films qu'elle a tournés ne m'ont pas marquée. J'étais beaucoup plus touchée par Marilyn Monroe, que je trouvais vraiment émouvante, et aussi très drôle. Vous savez que j'ai produit un documentaire sur elle ? AD : Oui ! C'est une actrice que vous auriez aimé diriger ? CD : Non, vraiment, je ne l'imagine pas du tout. Mais j'adore ce qu'elle a incarné de la féminité au cinéma. Je suis très sensible à sa fantaisie, toujours très fine. Nous vous avons vue dans un journal people ; une photo de vous dans un défilé avec Pharrell Williams des Neptunes. Vous le connaissez ? CD : C'est drôle que vous me parliez de ça parce qu'on m'a montré un journal avec cette photo et la légende ironisait en se demandant ce qu'on pouvait bien avoir à se dire. Je ne vois pas très bien pourquoi il serait évident que je n'ai rien à dire à Pharrell Williams ! (rires) Cela dit, je l'ai rencontré à cette occasion et on s'est parlé. Je connais un petit peu sa musique... Qu'est-ce que vous écoutez comme musique ? CD : J'achète beaucoup de disques. Mes parents écoutaient énormément de variété. J'ai connu des musiciens et ça m'a toujours plu. J'aime bien regarder MTV le matin. En ce moment, j'aime beaucoup le disque de cette fille américaine, Madeleine Peyroux. Il y a de très belles reprises des chansons de Léonard Cohen. Sinon, pour mon anniversaire, on m'a offert le nouvel album d'Eminem. J'aime aussi 50 Cent. J'écoute de la musique, il m'arrive même de danser... Vous, vous écoutez quoi ? AD : Un peu comme vous, tout ce qui vient de la soul. J'adore Mary J Blige, c'est la plus grande chanteuse aujourd'hui. Sa voix procure un sentiment incroyable. Dans votre travail d'actrice, avez-vous besoin de puiser dans d'autres domaines de création, pas seulement la musique ? CD : Quand on a fait beaucoup de choses, on a une crainte, celle d'être sur des rails. D'être juste, mais de s'en contenter. Le mot "juste" me fait très peur. J'entends toujours "C'est un peu juste". En même temps, quand je travaille, c'est quelque chose qui compte tant, la justesse. Il faut trouver le point où on est juste, pour soi-même. Mais ensuite, lorsque les autres le voient, "il ou elle est juste", je pense que c'est une limite. AD : C'est vrai que, quand on tourne un plan, on se dit "II n'y a rien de plus important pour moi que le fait que ça soit juste". C'est un devoir moral absolu. Mais après, si quelqu'un vous le dit, ça sonne un peu méprisant. C'est un truc qui n'existe que pour soi-même la justesse. CD : C'est vraiment la moindre des choses d'être juste. Moi, j'ai aussi la crainte de m'ennuyer, et aussi celle d'ennuyer. En même temps, j'aime tellement le cinéma... Il y a eu une année où je me suis posé des questions, j'avais l'impression de ne pas oser m'avouer que je m'étais lassée. Et puis j'ai tourné "Marie Bonaparte" (de Benoît Jacquot - ndlr), et je me suis rendu compte que ce n'était pas vrai. Que mon élan était encore intact. Le jour où je ne retrouverai plus ça du tout, je me sentirai vraiment en danger. En même temps, je ne sais pas du tout si j'aurais le courage de m'arrêter. AD : On a beaucoup parlé de Marie Bonaparte en préparant cet entretien. C'est un projet dont vous étiez à l'origine... CD : Relativement. Louis Gardel voulait écrire quelque chose pour la télévision. Il m'en avait parlé, avait pensé à Marie Bonaparte, et ça m'a tout de suite plu. J'avais lu sa biographie, je m'intéressais beaucoup au sujet. J'ai ensuite demandé à Benoît de le développer. C'est un projet que j'ai vraiment dû porter pendant deux ans, très aidée par Pierre Chevalier, producteur sur Arte. AD : C'est vraiment un projet de cinéma, comme vous disiez : "un film de cinéma pour la télévision". Et c'est aussi un des projets les plus scandaleux et radicaux qu'il y ait eu depuis deux ans dans le cinéma français. Faire ces deux longs métrages autour du portrait de cette femme qui affirme que c'est extrêmement important pour elle d'avoir un orgasme... Et cette réplique de votre personnage : "Ce que je veux, c'est un phallus et ma jouissance orgastique" ! AD : Ce qui est drôle aussi dans Marie Bonaparte, c'est que l'histoire d'amour entre Marie et Freud vampirise tout le scénario. J'aime beaucoup quand, à la fin, Freud dit, en parlant du sexe : "Mais croyez-vous vraiment que ce soit si important que ça ?" Et votre personnage répond : "Ecoutez, c'est une question de tempérament". On se dit : ça y est. Marie Bonaparte est devenue plus freudienne que le roi, et Freud qui se demande si finalement leur amour n'aura pas été plus important parce qu'ils n'ont pas couché ensemble, c'est vraiment romanesque... CD : Je pense que le fantôme du "Dernier métro" y est pour beaucoup. Je n'avais pas revu Heinz Bennent depuis le tournage du film de Truffaut. Quand je l'ai retrouvé, c'est comme si on avait tourné deux ans avant. Et retrouver Gérard Depardieu dans "Les temps qui changent", le nouveau film d'André Téchiné, ça vous a demandé de vous recaler l'un à l'autre ? CD : La première scène que nous avons tournée - et notre première scène ensemble dans le film -, c'est celle où il se casse la figure en me voyant. Ça s'est donc fait de façon un peu violente et maladroite. J'avais un peu peur pour Gérard, qu'il se sente seul, isolé, à Tanger, mais très vite il s'est calé sur le film. Il a retrouvé un rythme de travail qui n'était plus le sien, puisqu'il se contentait récemment de ne faire que deux ou trois prises. Là, il a accepté de répéter, de recommencer... Il y a trouvé beaucoup de plaisir, je crois. Il est vraiment très émouvant dans le film. André ne l'avait même pas vu avant le tournage ! Gérard est arrivé et il a tourné le lendemain. C'est bizarre... C'est comme ces problèmes de raccords au cinéma ; on se demande si un plan va fonctionner inséré dans une séquence tournée deux mois auparavant, et puis ça colle. Ça se passe souvent comme ça entre les gens aussi. Pour revenir à la question de la subversion, quand vous tournez "Liza" de Marco Ferreri, où vous devenez littéralement la chienne de Marcello Mastroianni, il y a quelque chose de très extrême sur la représentation du fantasme, de certains liens sexuels... CD : C'était une nouvelle d'Ennio Flaiano, qu'il devait tourner lui-même, et que Ferreri a reprise. C'était un film effectivement très risqué, tourné pourtant avec des acteurs connus, pas underground. Mais je n'ai pas hésité une seconde à le faire. J'ai trouvé l'histoire absolument formidable. L'idée que par amour on ne sait absolument pas jusqu'où on peut aller et qu'on est capable de tout faire, ça me convient tout à fait. AD : On a l'impression, dans ces films de grands auteurs, comme dans les films plus commerciaux, que rien ne vous scandalise, et que du coup ce qui semblerait de l'ordre de la subversion, vous le jouez de façon tout à fait naturelle. CD : De toute façon, la subversion n'a jamais été une question pour moi. Très jeune, j'ai toujours fait ce que j'ai voulu, même si ce n'était pas en le proclamant ou en revendiquant quoi que ce soit. J'ai vécu une passion pas évidente pour une jeune fille de mon âge. Pour certaines personnes, malgré mon air très rangé de jeune fille du XVIe (alors qu'en fait mes parents n'étaient pas du tout des grands-bourgeois), j'ai eu une vie un peu scandaleuse. Je suis partie de chez moi très tôt... AD : J'avais envie de savoir ce que vous pensiez de "Kill Bill" et "Jackie Brown"... CD : J'aime beaucoup "Jackie Brown". "Kill Bill", j'ai plus de mal. Je trouve ça très virtuose, j'ai envie d'avoir la bande-son tout de suite, j'aime beaucoup Uma Thurman, mais ce que ça raconte me semble répétitif et pas très habité. Je reste spectatrice devant une succession de scènes spectaculaires. Et vous ? AD : Moi, je suis bouleversé par "Jackie Brown", qui propose une description si juste, dépressive des Etats-Unis. C'est vraiment son chef-d'uvre. Quant à "Kill Bill", je ne vois pas aujourd'hui de films européens aussi libres. Cette rage, et cette invention permanente offerte à ce personnage féminin, j'ai trouvé ça renversant. Le système hollywoodien permet une liberté immense : tout à coup Tarantino passe du 35 mm au super-16, les personnages se mettent à parler en chinois pendant vingt minutes... Le film est trop long, alors il sort en deux parties... N'importe qui fait ça en France, c'est non tout de suite. Vous n'avez pas imaginé produire vous-même vos films ? CD : Je l'ai fait, j'ai eu une société il y a assez longtemps pour coproduire des films dans lesquels je jouais. Mais, pour une actrice, ça fausse pas mal les rapports avec un cinéaste. J'ai coproduit "Zig-Zig" de Laslo Szabo. Quand je parlais du film avec lui, je sentais bien qu'il se crispait, qu'il n'entendait pas seulement le point de vue de l'actrice mais aussi celui de la productrice. Je l'ai fait aussi pour "Drôle d'endroit pour une rencontre" de François Dupeyron. Je l'ai fait à chaque fois que ça m'a semblé faciliter le montage financier d'un film. Aux USA, c'est différent. Tom Cruise coproduit "Collateral", mais Michael Mann aussi, et les producteurs ont des rôles très définis. En France, entre les vrais décideurs que sont les télévisions, et la protection du droit d'auteur, le producteur'est plus un intermédiaire. Par ailleurs, certains acteurs français qui se sont mis à produire leurs films, du coup, ont fait des choix d'acteurs de moins en moins diversifiés, de moins en moins risqués. Je ne suis pas sûre que ce soit bien pour un acteur d'être l'entier maître d'uvre d'un film. Je pense à une époque où les stars hollywoodiennes étaient sous contrat et ne choisissaient même pas les films que le studio leur demandait de tourner. Ils étaient obligés de les faire, et ils étaient souvent très bons. Les acteurs n'ont pas forcément le meilleur point de vue sur ce qu'ils doivent faire. Il faut aussi laisser l'initiative à d'autres. AD : Vous connaissez Martin Scorsese je crois... CD : Je l'ai beaucoup vu à l'époque où est ressorti "Belle de jour" aux USA. Il était en train de monter "Casino". Les murs de son bureau étaient tapissés par des partitions, toutes les scènes, des fiches sur toutes les musiques... Il faut dire que c'est quelque chose la musique de "Casino" ! Je crois que c'est le premier film qu'il a monté en numérique. AD : Je pense que c'est sur le film d'avant, que j'adore, "Le temps de l'innocence"... CD : Ah oui, c'est magnifique "Le temps de l'innocence", d'après Edith Wharton... (à Arnaud Desplechin) que nous aimons beaucoup vous et moi. Et "Eyes wide shut", vous aimez ? CD : Pas tellement. Peut-être qu'il faudrait que je le revoie. J'ai eu beaucoup de mal avec Tom Cruise dans ce rôle-là. Mais je le trouve formidable dans "Magnolia". AD : II est formidable aussi dans "Minority report" et dans "Mission : impossible". CD : Oui, très bien dans "Minority report". Mais dans le film de Kubrick, pour moi, quelque chose avec lui ne fonctionne pas. J'adore en revanche Nicole Kidman. Je suis allée voir son dernier film, "Birth", c'est très étrange. L'idée est incroyable. C'est une femme qui a perdu son mari et visiblement ne s'en est pas remise. Son mari est mort d'une crise cardiaque en faisant du jogging. Elle finit par accepter d'épouser un autre homme. Lorsqu'un petit garçon sonne à sa porte et lui dit qu'il est son mari ! C'est une idée assez extraordinaire. Ça me donne la chair de poule. Le petit garçon se met à dire des choses sur leur passé, est ravi de voir qu'elle peut accepter sa réincarnation... Ça va très loin, c'est parfois très troublant. La scène du bain ! Parfois, ça va vraiment très loin ! Même si tout ne marche pas totalement. En tout cas, elle, elle est formidable. AD : Moi, j'ai du mal à cerner sa singularité. Sauf peut-être dans "Eyes wide shut". Dans "Moulin Rouge", elle est aussi très bien. Mais en général, il me manque dans son jeu une aspérité à laquelle je pourrais m'accrocher. CD : La singularité, c'est comme la justesse. Au départ, ce n'est pas la même chose qu'à l'arrivée. Enfin, plus exactement, c'est l'inverse de la justesse. La justesse, c'est quelque chose qui ne tient que pour soi. Alors que singulier, il vaut mieux ne pas avoir l'impression de l'être. C'est l'affaire des autres de le dire. On vous a vu châtain foncé sur certaines photos de jeunesse. Pourquoi avoir décidé de devenir blonde ? CD : Je pensais que ça plairait davantage à l'homme que j'aimais. Et ça lui a plu ? CD : Il avait l'air de dire que non, pas vraiment. Mais en même temps, je ne suis pas sûre qu'il était très sincère. J'ai toujours pensé qu'il aimait vraiment bien les blondes. Alors je le suis restée, parce que de toute façon, je me suis sentie tout à coup mieux comme ça. Et ça ne correspondait pas à un désir plus cinématographique d'appartenir à une famille d'héroïnes hitchcockiennes ? CD : Non, c'était vraiment lié à ma vie personnelle. Dans quatre de vos films, il y a un portrait peint de vous : "Les demoiselles de Rochefort", "Peau d'âne", "Les prédateurs" et "8 femmes"... CD : Vous en oubliez un autre ! "Généalogies d'un crime"... et il y en aura bientôt un sixième, "Palais royal" de Valérie Lemercier. Et alors, vous y voyez quoi, vous ? Je ne sais pas, je vous pose la question, pourquoi a-t-on envie de vous peindre ? CD : Mais moi non plus je ne sais pas. Celui de "Généalogies d'un crime" m'avait beaucoup frappée. C'est le seul tableau que j'ai gardé. Je le trouvais très ressemblant. Je n'ai pas grand-chose qui accroche, et les peintres de cinéma ont du mal à me représenter. Je ne sais pas ce qu'est devenu celui de Maxence dans "Les demoiselles..." s'il existe encore quelque part. AD : Vous aimez qui comme peintres ? C'est quelque chose qui vous intéresse ? CD : Oui j'aime bien la peinture. J'aime beaucoup Rothko, Matisse, et puis Miguel Barcelo... AD : Vous avez croisé Warhol. Aimiez-vous sa peinture ? CD : Je ne peux pas dire, non. C'est un illustrateur, un dessinateur très doué, mais j'ai du mal à le voir comme un peintre. J'aime beaucoup la peinture très dense, très chargée, très épaisse. Mais j'aime aussi Ellsworth Kelly. Parfois, c'est seulement le dessin que j'aime, quand il reste juste un trait. Mais il faut quand même que le trait soit fort. Et vous, vous aimez qui ? AD : En ce moment, Pollock et de Kooning. C'est la même époque. Ils étaient frères rivaux, mais j'adore les frères rivaux. La littérature, dans votre travail, c'est important ? CD : Non. Je lis beaucoup la presse. Et des ouvrages de botanique. Pas sur le jardinage, ça s'apprend seul, pas dans les manuels. Je lis des ouvrages spécialisés en anglais sur certaines plantes. Arnaud, comment avez-vous imaginé Catherine Deneuve dans un rôle de psychiatre pour "Rois et reine" ? AD : Je suis parti de Delphine Seyrig, la marraine dans "Peau d'âne", la fée. Je pensais que mon précédent film, "Léo...", était pour les garçons. Et que celui-là serait pour les filles. Donc, il y avait cette scène où un type doit dire à une femme que les femmes n'ont pas d'âme. Je savais qu'il fallait que la femme gagne la scène, bien sûr, mais que la scène reste scandaleuse. Comme le personnage d'Ismaël est très puissant dans le film, c'était difficile de trouver une actrice avec qui j'ai autant de plaisir à ce qu'elle gagne à plate couture. Ça, c'était un souci pratique. Et Mathieu fut si vaillant ! Ensuite... Eh bien, quand j'ai écrit un scénario, j'essaie de l'étudier comme si c'était un texte écrit par un autre. Et je me suis rendu compte qu'il y avait deux personnages, et seulement deux, qui rencontraient Nora et Ismaël, qui joueraient chacun avec Emmanuelle et Mathieu : Elias, le fils de Nora, et Mlle Vasset (la psychiatre jouée par Catherine Deneuve - ndlr). La scène de la rencontre entre Deneuve et Devos intervient mathématiquement au cur du film. Alors je me disais que ce serait bigger than life, très féérique, si ces deux personnages, l'enfant et la psychiatre, étaient interprétés l'un par un enfant, donc un parfait inconnu, et l'autre par la plus grande star française. J'avais envie que Catherine Deneuve et Valentin Lelong, qui joue le petit Elias, occupent les deux pôles extrêmes du film. Si Catherine avait dit non, j'aurais modifié la construction, je suppose... Arnaud citait "Peau d'âne". Que sont devenues les robes du film ? CD : Elles ne m'appartiennent pas. Elles sont reparties dans des ateliers en Italie. Souvent je demande à garder les costumes que je porte dans les films. Mais j'ai beaucoup de mal à les porter dans la vie. De même que je n'aime pas tourner avec mes vêtements personnels. Après j'ai du mal à les mettre. C'est comme si ça ne devait pas communiquer. Dans Harper's Bazar, récemment, on parlait de vous. Le journaliste disait qu'il était impossible aux USA qu'une actrice affiche comme vous qu'elle est une grande fumeuse et boit du vin... CD : Et je bois aussi de la vodka ! Quand "Les voleurs" est sorti aux USA, beaucoup de journalistes me parlaient aussi de mon rôle, une enseignante homosexuelle, comme si c'était impensable qu'une actrice connue joue une lesbienne. Pourtant vous avez tourné des scènes de sexe homosexuelles dans un film américain, "Les prédateurs" ? CD : Oui, c'est vrai, mais avec un réalisateur anglais. L'idée de jouer un vampire m'avait ravi. Il n'y a pas plus érotique pour une femme, je crois, que l'idée de jouer un vampire. Est-ce que ça vous fait plaisir finalement si on vous dit que vous êtes une cinéaste ? CD : Ecoutez, oui. Puisque, d'une certaine façon,
tout ce que je sais, je le dois au cinéma, aux films que j'ai faits,
et aux films que j'ai aimés. |
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