Ses interviews / Presse 2000-09 / Le Journal du Dimanche 2004
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"Mon côté petit soldat"

C'est un autre aspect de sa personnalité : plus secret et plus violent. Catherine Deneuve a tenu, en quarante ans de carrière, six carnets de tournage ("Folies d'avril", "Tristana", "Indochine", "Est-ouest", "Dancer in the dark" et "Le vent de la nuit"). Elle se confie à la page blanche en toute liberté. On y découvre une femme pleine de solitudes, exigeante jusqu'à la rupture, entièrement libre, en lutte avec elle-même. A l'occasion de la sortie de ces carnets, sous le titre "A l'ombre de moi-même", elle a reçu le JDD et s'explique.

LA SOLITUDE

J'ai écrit mes carnets sur des tournages se déroulant surtout à l'étranger. La solitude y est exacerbée. J'ai du mal à quitter affectivement mon lieu de vie. C'est moins le cas maintenant que mes enfants sont grands. Mais quand on part, même pas très loin. on garde en tête l'idée qu'on ne pourra pas être là pour les gens que l'on aime en cas de problème. J'ai du mal avec le téléphone. C'est juste un instrument. J'ai besoin de voir les gens. Mes amis le savent.

La solitude m'est à la fois une nécessité et une souffrance. La réflexion des visiteurs, sur un plateau de tournage, est souvent la même : "Comment faites-vous pour passer autant de temps à attendre ?" Mais il faut être dans un état de concentration et de disponibilité extrême avant de jouer. La solitude est bienvenue dans ces moments-là. Ce n'est pas une attente vide. Il ne s'agit pas de guetter un bus. C'est un temps latent de travail. Ça vous prend énormément d'énergie. Quand je ne tourne pas, je dors beaucoup. C'est comme le sommeil des animaux dans les bois. Il y a de la veille. Ma fatigue est d'ordre nerveuse. Le métier d'acteur n'est pas un métier physique. Il faut tenir douze heures par jour, mais on est peu actif durant ces douze heures. C'est un rythme très cyclothymique. Je travaille depuis longtemps. Je me demande si mon caractère ne s'est pas adapté à cette vie. La solitude pèse seulement lorsque l'on rentre le soir dans sa chambre d'hôtel : elle semble d'autant plus grande qu'on a été très entourée dans la journée.

Car, durant un film, on est tous liés. Quand on a appris la mort du frère de Régis Wargnier, sur le tournage d'"Indochine", on venait juste de tourner une scène d'enterrement. J'ai d'abord vu Régis, de loin, décomposé. J'ai essayé de l'aider par de petits gestes concrets. Il y a des moments où la parole ne sert à rien. La souffrance doit parfois se vivre. C'est juste l'idée d'être là : la voiture, la poste, le coup de téléphone. Quand mes amis vont mal, je leur dis : occupez-vous de votre tête, je me charge de votre corps. La tête, c'est un travail personnel. Il faut juste écouter, et ça, je sais faire. Je suis quelqu'un qui écoute. Mais, après, il faut être dans le concret. Il y a toujours des choses à faire. Quand j'ai un coup de cafard, je choisis un disque, je mets une bougie parfumée, je presse un jus de fruit. Des gestes banals.

L'EXIGENCE

Je suis dure avec moi-même. C'est ma façon de combattre le narcissisme et la complaisance. Je me suis toujours préservée des courtisans. Le côté égocentrique de mon métier me pèse de plus en plus : être sans cesse en train de parler de soi ! Je suis d'une famille nombreuse. J'ai l'habitude de fonctionner en groupe.

Mais je me trouve parfois trop exigeante avec les autres. C'est décourageant pour mes enfants. Je ne parle pas de ce qui va mais uniquement de ce qui ne va pas et de la façon dont on peut l'améliorer. Je veux sans cesse faire mieux. Mon fils en a davantage souffert que ma fille. J'espère avoir accompli des progrès dans ce domaine.

Je n'ai pas voulu faire de portraits acides de Björk ou de Buñuel. C'est l'ambiguïté de mes carnets. J'y ai surtout relaté les moments douloureux en des touches impressionnistes. Mes carnets possèdent un côté enfantin : on confie tout ce que l'on ne peut pas dire. J'aime beaucoup Björk. Mais son comportement lors de "Dancer in the dark" m'a découragée. J'étais souvent plombée à cause d'elle. Björk a contrarié mon côté petit soldat. On peut compter sur moi. Je poursuis l'aventure. Je ne déserte pas. Björk a disparu des journées entières. Chacun fait comme il peut. J'ai bien sûr de l'admiration pour Buñuel. Mais c'était un metteur en scène difficile. Il n'aimait pas les acteurs. J'en ai souffert lors du tournage de "Tristana". Je donne sur tous deux des impressions ponctuelles et personnelles. Mon éditeur m'a au début proposé de rassembler une suite d'interviews. Je ne m'y retrouvais pas. Je me suis alors souvenue de mes carnets. Je les ai laissés en l'état C'est déconcertant mais ça me ressemble : cyclothymique, excessive, décousue, intense et parfois dure.

L'INCERTITUDE

Il y a ce moment où, sur le tournage d'"Indochine", j'ai peur que notre bonne entente nuise au film. Le bien-être peut donner une sorte de tonalité euphorisante. On perd alors un sens critique qui ne devrait jamais nous quitter. C'est aussi mon goût pour l'incertitude qui me pousse à vouloir à la fois connaître et ne pas connaître mon texte. Quand tout est fixé, j'ai l'impression d'être sur un tapis roulant. Je me suis parfois retrouvée à cause de ça dans des situations intenables. Je m'en suis souvent voulu. Je sais que je n'ai pas toujours raison. Je me suis disputée, à ce sujet, avec André Téchiné. Connaître son texte donne une certaine liberté. Mais j'ai l'impression que c'est une liberté mécanique. Je n'ai pas encore réglé ce problème.

J'aime l'incertitude en toute chose. Tout ce qui est arrêté et défini m'angoisse. L'image "grande dame du cinéma français" me révulse. Je déteste ce qui est social. Les symboles de la réussite. Les médailles et les honneurs. J'ai besoin de choses plus secrètes. Je ne m'en vante pas. Car, finalement, je pourrais assumer. Je le dis parce que ça explique aussi mes carnets. Leur aspect brut et désordonné. J'y évoque les problèmes concrets qui peuvent survenir lors d'un tournage. Tout peut être chamboulé à chaque instant. On ne me pose jamais de questions là-dessus. Quand on se rend dans des émissions de télévision, on se retrouve à mille lieues de la réalité du métier d'acteur. On est en représentation. On est flatté. On est rassuré. Mais on n'est pas dans la vérité.

LE PLAISIR

Je note, sur le tournage américain de "Folies d'avril", que "trop de petites choses me font plaisir, et pourtant je n'ai plus 16 ans". C'est une phrase qu'il m'arrive encore de me répéter. Ce sont de petites choses éphémères, qui rendent joyeuse sur le moment mais qui peuvent laisser un goût amer. On gaspille un temps qui pourrait être mieux utilisé ailleurs. C'est mon côté "protestant". J'aspire toujours à plus de rigueur que je n'en ai. "Folies d'avril" correspond à une période douloureuse de ma vie. C'était un an après le deuil de ma sœur Françoise. Je suis partie aux Etats-Unis pour être une jolie actrice française. Sophistiquée, blonde, charmante. J'avais l'impression d'être dans une situation d'imposture. Je ne me sentais pas à ma place.

Car il y a le plaisir d'exercer son métier mais il y a aussi celui de vivre une aventure. Les peuples, les lumières, les paysages. Je suis quelqu'un d'extérieur. J'aime la nature. C'est très important pour moi. Je pars au Maroc pour un tournage de deux mois et je me réjouis de découvrir un pays. Je m'envole le lendemain de la publication de mes carnets. J'ai une idée de la manière dont ils vont être perçus. Mais, maintenant, je ne peux plus rien faire. C'est une bouteille à la mer. Certaines personnes vont être déçues. On attend de moi des révélations personnelles. Que je raconte ma vie privée. Ça ne m'a jamais intéressée. C'est non.


Par : Marie-Laure Delorme


Films associés : Tristana, Folies d'avril, Le sauvage, Indochine, Ma saison préférée, Est-ouest, Le vent de la nuit, Dancer in the dark

 



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