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"L'arbre de Noël d'Ozon"

Entre la Deneuve imaginaire qui s'affiche en Cruella pour la promo du film d'Ozon et la Deneuve réelle qui se matérialise dans le bar d'un grand hôtel, plus ou moins précédée de son chien Pipo, il y a évidemment et heureusement, un léger hiatus. Elle s'excuse d'avoir à régler sur son portable un problème urgent de carte de crédit, elle commande un chocolat et un café, elle fume des cigarettes de filles, extrafines, elle réfléchit avant de parler.

Comment ça va ?
Un peu agitée mais ça va. Le film d'Ozon est au cœur de cette agitation. Il était grand temps qu'il sorte parce que quelques jours de plus, quelques couvertures de trop et la curiosité serait exténuée. Mais cette agitation est aussi la mienne depuis plus longtemps. Je ne sais pas si c'est dû à la sophistication croissante des communications, mais j'ai l'impression autour de moi que tout s'accélère, que le temps se rétrécit et que l'impatience augmente. Il faut lire un scénario en deux jours, prendre sa décision en deux heures, changer d'avis en cinq minutes. Quand on est happé par cette spirale-là, forcément on en fait trop.

Vous avez dit que s'il avait fallu vous décider uniquement à la lecture du scénario de "Huit femmes", vous n'auriez pas fait le film ?
Si je n'avais pas connu les films précédents d'Ozon, ni l'histoire ni le personnage ne m'auraient emballée. Je pense que les autres actrices du film vous diraient la même chose.

Comment ça se goupille un film comme ça ?
En escalier. Au départ, c'est un film d'agent, en l'occurrence Dominique Besnehard, donc de casting. Ozon voulait tourner un remake de "Femmes" de George Cukor mais les droits sont bloqués par une actrice américaine. Alors Besnehard lui a parlé de la pièce oubliée de Robert Thomas. Après, ce n'est plus seulement une affaire d'agent, c'est une logique plus cinématographique. C'est une histoire de famille. Une fois qu'Ozon avait les deux mères, Danielle Darrieux et moi, il fallait trouver les six autres, sœur, filles, etc. Au début, j'ai pensé que cette réunion de vedettes était une fausse bonne idée, le scénario était assez plan-plan, bourge, désuet, Au théâtre ce soir. En plus, je trouvais mon personnage casse-gueule : méchant et antipathique mais sans fond et donc pas très marrant à jouer. Ensuite Ozon s'est mis à retravailler. C'est un garçon charmant mais surtout très bosseur. Un scout qui contrôle tout. De fait, si maintenant les personnages restent d'époque, les années 50, leurs comportements sont d'aujourd'hui.

Vous saviez que le film serait cadré très serré ?
Non, mais je me doutais qu'il s'approcherait de nous. Je ne suis pas sûr qu'Ozon aime les femmes mais il aime les actrices. Qu'est-ce qu'il nous a demandé de faire ? Ce qu'on sait faire : l'actrice.

Dans tous les jeux du film, il y a eu aussi un quizz de citations, de références, Truffaut, Sirk, Demy, AImodovar.
Ce n'est pas un film à la manière de... C'est beaucoup plus naïf : Ozon nous présente son arbre de Noël. En même temps, c'est un peu plus compliqué car je ne crois pas qu'on puisse aujourd'hui faire une comédie au premier degré, en toute innocence. L'histoire du cinéma nous pèse sur les épaules et l'époque, tout ce qu'on sait, ne permet plus cette sorte de grâce ou d'insouciance. Dans toutes les comédies contemporaines, il y a toujours un moment, une scène, où ça grince. Y compris dans celle-ci. C'est ce mélange de naïveté et de quant-à-soi qui fait à l'arrivée un film insolite. De ce point de vue, les années 50 sont une pure convention. Sinon les situations seraient ou improbables ou ridicules. Huit femmes coupées du monde dans une grande maison familiale sous la neige... Aujourd'hui elles auraient toutes leur portable.

Ce fut évident d'être la fille de Darrieux, la sœur d'Huppert et Ia mère de Ledoyen ?
Fille de Darrieux, je l'étais dès mon deuxième film, "L'homme à femmes", et ensuite dans "Les demoiselles de Rochefort" de Demy et dans "Le lieu du crime" de Téchiné, c'est ma mère de cinéma. Quant à moi, être mère, c'est un mouvement qui me vient naturellement. La sœur, ça m'a rappelé des souvenirs de chamailleries avec mes propres sœurs, pas à ce point-là de vannes mais quand même. C'est un jeu des sept familles, sauf qu'il n'y a qu'une seule famille. Mais en même temps, chaque personnage représente une famille.

Comme toutes les actrices de "Huit femmes", vous interprétez votre petite chanson, "Toi jamais" de Michel Mallory. Ça vous a plu ?
Enormément, si on m'avait dit que tout le film serait une comédie musicale, ça aurait été encore mieux.

Lors du dernier défilé d'Yves Saint Laurent le 22 janvier, au final, vous avez fredonné "Ma plus belle histoire d'amour" de Barbara, vous sembliez moins à l'aise…
Ah ça ! Une vraie horreur. J'avais chaud, j'avais froid, j'étais morte de trouille. Chanter en direct devant des gens qu'on ne connaît pas.Quel trac ! Je ne ferai jamais de théâtre. Une bonne vodka-tonic m'aurait aidée. Au cinéma, c'est pas pareil, le personnage fait écran.

Certains trouvent le film d'Ozon misogyne...
C'est une mauvaise querelle, hors sujet. "Huit femmes" est un film de genre qui ne prétend pas représenter quoi que ce soit de la condition des femmes d'aujourd'hui. Il me semble, si on est féministe, qu'il y a d'autres occasions de s'énerver. Si vous voulez de la misogynie au cinéma, revoyez "Femmes". C'est quoi le rêve de toutes les femmes du film de Cukor ? Se caser avec des mecs bourrés de blé et avoir des enfants. Très progressiste. C'est une mentalité que j'abhorre depuis l'âge de 12 ans. Et que j'ai évitée lorsque il m'est arrivé de me marier. Le mariage en soi n'est pas une tare, tout dépend de ce qu'on en fait.

Même décor, même robe tous les jours pendant les huit semaines que dura le tounage, ça fait quel effet ?
Ça fait bizarre, d'autant que je ne suis pas très patiente. Mais en même temps, le port d'un uniforme, aussi élégant soit-il, ajouté à l'enfermement dans un studio a accentué avec bénéfice le côté pensionnat de femmes. De fait, on s'est très vite organisées. Entre les prises, on faisait salon dans une partie du décor et là on fumait comme des malades en se racontant des histoires. Cétait un petit troupeau assez déconnant. Même si de l'extérieur on aurait bien aimé apprendre des petites histoires de rivalité, de jalousie. Désolée, non. Par exemple, le film m'a permis de faire connaissance avec Isabelle Huppert. Je ne le regrette pas.

Il devait quand même traverser l'esprit des actrices les plus jeunes qu'elles donnaient la réplique à la quintessence de l'actrice française, la Deneuve, quoi.
Sûrement pas, sinon ça serait des mauvaises actrices et ça se verrait. A part ça, la Deneuve... Une fois de plus, ça m'épingle au mur comme la blonde un peu froide, garce, tout ça. Mais franchement je m'en fous, je viens de finir le nouveau film de Tonie Marshall, où je suis tellement autre chose.

Vous tournez beaucoup : "Les liaisons dangereuses" de Josée Dayan en mars, un nouveau Téchiné à l'automne...
Personnellement, j'irais sans doute mieux si je tournais un petit peu moins. C'est une exposition maximale et je ne m'en rends compte que quarante ans plus tard, après tous ces films. Je vis en cinéma. Certains jours, dans ce pays-là, je peux m'ennuyer ou carrément faire la gueule. Après, l'activité reprend. Quant aux éloges... Très tôt, je me suis protégée des compliments, j'ai plus de mal avec les vacheries. C'est une question de caractère. Ça me détruit à un point que vous ne pouvez pas imaginer. Parce que c'est toujours à côté, on attaque la personne privée, le physique. C'est pas parce qu'on s'expose qu'on doit être lapidé. Je suis assez puérile mais j'ai été élevée comme ça.

Y a-t-il des films récents dont vous êtes jalouse ?
"Mulholland Drive" de David Lynch. L'histoire, les actrices, tout. C'est un film de cinéma. Voilà, on en fait encore.


Par : Gérard Lefort
Photos :


Film associé : Huit femmes




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