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En 1970, Catherine Deneuve est
la princesse de "Peau d'âne". Comme un rendez-vous particulier
avec Jacques Demy, un des réalisateurs de sa vie (avec Polanski,
Buñuel et Truffaut), qui l'avait déjà distinguée
dans "Les parapluies de Cherbourg" (1964) et "Les demoiselles
de Rochefort" (1967), en attendant, ultime alliance en 1973, "L'événement
le plus important..." Comme un rôle singulier aussi puisqu'il
s'agissait, littéralement, de se glisser sous la peau du personnage.
Lorsqu'on lui demande de se souvenir du tournage de "Peau d'âne",
Catherine Deneuve se souvient d'abord de ça.
Ce fut une épreuve physique, les costumes très
lourds rendaient tous les gestes difficiles et tous les déplacements,
faramineux. Cela dit, avec Demy les tournages étaient toujours
techniquement délicats. Dans "Les demoiselles
"
évidemment, où la synchronisation des corps devait être
harmonique mais aussi dans "Les parapluies
". Pour la fameuse
scène des adieux des deux amoureux, mon partenaire Nino Castelnuovo
et moi-même étions juchés sur un plateau à
roulettes tiré par des cordes. C'est ça un film de Demy,
un art accompli du bricolage, un génie du bout de ficelle. Son
style, c'est la stylisation.
Dans "Peau d'âne",
cette stylisation est aussi dans le jeu des acteurs ?
Jacques nous demandait de tout exagérer : nos regards au plafond,
nos gestes surjouant l'accablement ou l'émotion, comme dans une
image pieuse. Ce qui nous a valu des fous rires dont on peut détecter
la trace dans quelques scènes du film. Mais c'était surtout
en sous-main, une injonction à la surréalité au sens
esthétique et littéraire. Ce film est un conte de fées,
très princesse, un papillon, mais en même temps, il virevolte
sur des questions très réalistes : celle de l'inceste par
exemple, une obsession de Demy, ou de l'amour fraternel.
L'hommage à Cocteau ?
Tout entier incarné par la présence de Jean Marais, qui
joue le rôle du roi mon père. Mais aussi dans une certaine
façon de faire surgir la magie au coin d'un bois (quoi, des chevaux
bleus ?) tout en la rendant domestique, quasiment banale (tiens, des chevaux
rouges).
Delphine Seyrig joue votre marraine,
la fée des Lilas.
Une femme formidable. On peut trouver étrange que Delphine Seyrig,
déjà à l'époque très engagée
pour la cause féministe, ait accepté d'incarner une coquette
évaporée qui déclare être "rancunière
comme toutes les femmes". Mais ce serait oublier son humour extraordinaire,
et aussi le talent de rassembleur de Demy qui arrivait à faire
tenir dans le même film bien des contradictions. Son goût
des alliages imprévus faisait qu'un sujet ou un personnage ne ressemblaient
jamais à ce qui avait été prévu.
Dans le film "L'univers
de Jacques Demy" d'Agnès Varda, on voit la visite sur le tournage
de Jim Morrison, qui était ami avec Demy et Varda...
Quoi ! Jim Morrison est venu sur le tournage ! Aucun souvenir. Un beau
garçon comme lui, ça m'aurait marquée. Cela dit,
à l'époque je n'avais d'yeux que pour François Truffaut...
Comment expliquer le constant
émerveillement des enfants à la vue de "Peau d'âne"
?
Les enfants d'aujourd'hui en ont vu d'autres, à longueur de télé
et de jeux vidéo. Mais c'est parce que "Peau d'âne"
n'est pas un film de science-fiction bourré d'effets spéciaux
qu'il émerveille toujours autant. Sinon, les enfants le trouveraient
sûrement désuet. C'est plutôt la totalité du
film qui fait un effet spécial. Dans les films de Demy, il y a
toujours un moment où on est emballé, transporté.
Je pense que, dans "Peau d'âne", ce moment dure tout le
temps du film. Un long moment de bonheur, une exaltation qui dure. On
traverse le film au bras de la poésie.

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Par : Gérard Lefort
Photos :
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Film associé
: Peau
d'âne
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