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Ses interviews / Presse 2000-09 / Madame Figaro 2000 |
Repères
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Elle n'en finit pas de nous séduire. Chacun de ses films nous révèle une nouvelle Deneuve, ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Dans "Dancer in the dark", le dernier Lars von Trier, elle incarne une ouvrière en usine. Un personnage qui, dit-elle sans peur du paradoxe, lui ressemble beaucoup. Elle a une heure de retard, ce qui n'est pas très ponctuel. Elle arrive enfin, d'un pas pressé, précédée par un petit chien blanc tenu au bout d'une laisse. Elle s'excuse, commande un décaféiné. Ce sont des rythmes qui ne me conviennent pas, je viens de rentrer de tournage, je repars demain à New York pour ouvrir le Festival de New York avec "Dancer in the dark", je vais ensuite à Los Angeles pour faire la promotion du film... Elle paraît essoufflée
à cette seule évocation, sourit : Ou il est rétif ou il n'est pas bilingue. Quoi qu'il en soit, nullement pressé d'obéir, il se contente de la regarder affectueusement. Elle n'insiste pas et lui accorde même un mot d'excuse : "II est jeune..." Elle allume une mince cigarette, elle est directe, elle parle vite, il émane d'elle une énergie pas banale. Quel serait donc son rythme idéal ? Tourner ! Les tournages sont les périodes les plus légères que je connaisse. Ce sont des parenthèses formidables. On est sur un plateau et l'on ne peut faire qu'une seule chose : travailler. Le reste ne compte pas. Il n'y a ni rendez-vous ni téléphone. Pour un acteur, c'est vraiment la période idéale. Si bien qu'on l'a vue successivement,
et en l'espace de fort peu de temps, dans "Place Vendôme",
de Nicole Garcia, "Pola X", de Léos Carax, "Le vent
de la nuit", de Philippe Garrel, "Belle-maman", de Gabriel
Aghion, "Est-Ouest", de Régis Wargnier, "Le temps
retrouvé", de Raoul Ruiz, et maintenant "Dancer in the
dark", de Lars von Trier, qui a obtenu la Palme d'or au dernier Festival
de Cannes. Elle commence par s'insurger contre l'énumération
: Reconnaît l'instant d'après
: Mais c'est qu'elle n'a pas su résister
: On la retrouve maintenant dans "Dancer in the dark", une comédie musicale en forme de mélo, où elle est ouvrière en usine au côté de la chanteuse Björk, qui, pour sa prestation, aura obtenu à Cannes le prix d'Interprétation féminine. Elle a commencé par avoir un coup de cur pour "Breaking the Waves", l'un des derniers films de von Trier. Elle lui a écrit pour le lui dire et parce qu'elle avait entendu parler d'un projet qu'il devait tourner sur dix ans. C'était la première fois que je faisais une telle démarche, dit-elle comme étonnée elle-même de son audace. Il lui a répondu en mentionnant un autre projet, celui d'une comédie musicale puisque le nom de Catherine Deneuve demeure indéfectiblement attaché aux comédies musicales de Jacques Demy, "Les parapluies de Cherbourg" et "Les demoiselles de Rochefort". J'ai lu le scénario, et comme Björk devait tenir le rôle principal et qu'elle est une chanteuse étonnante, j'ai trouvé ça très excitant. Et d'autant plus que le cinéaste avait décidé de tourner en vidéo numérique avec cent caméras. C'était une aventure que je n'aurais pas tentée si je n'avais pas eu une absolue confiance dans le metteur en scène. De plus, le tournage était en anglais, avec une marge d'improvisation, c'était une aventure que je n'aurais pas voulu manquer, persuadée dès le départ que cela pouvait donner une chose très particulière, très mouvementée. Elle a donc pris tous les risques, comme elle l'a toujours fait, simplement poussée par son désir de toujours aller vers de nouveaux horizons, de nouveaux challenges. Intransigeante sur son envie, son besoin de s'amuser devant une caméra, d'être étonnée. A l'arrivée, ce sont les spectateurs qui sont étonnés. Car elle est bouleversante dans ce rôle sans fard de femme simple et généreuse, tout entière portée par ses émotions. Les gens qui me connaissent bien dans la vie trouvent que c'est un personnage qui me ressemble beaucoup, tant dans le côté pragmatique que dans le côté physique. Je suis une femme plutôt débrouillarde, je n'ai pas de problèmes pour manipuler des choses importantes, je peux même faire de la mécanique du moment que ça m'amuse. Je me suis sentie bien sur ce tournage, parce que j'étais naturelle, je n'étais pas maquillée, et ça donne une vraie liberté puisque l'on n'a pas à se soucier des raccords, de la coiffure, de la lumière. Elle s'amuse quand même de cette métamorphose : Travailler dans une usine à fabriquer des éviers en métal avec des gants de caoutchouc, ce n'est pas forcément ce que l'on attend de moi. Elle a tort : d'elle, au contraire, on s'attend à tout. Sa filmographie, de Roman Polanski à Luis Buñuel, de Jacques Demy à François Truffaut, de Marco Ferreri à Jean-Pierre Mocky, est là pour prouver qu'on n'aura jamais pu la surprendre en flagrant délit d'arrêt sur image. II y a quand même une image qui revient sans cesse, quelque chose d'incontournable, une image sophistiquée, mystérieuse... Que la presse répercute indéfiniment ? Oui. À cela près que le
mystère n'est entretenu par personne d'autre que par elle-même,
qui a su dresser autour de sa vie privée un mur infranchissable,
et qu'elle maîtrise soigneusement l'image que les journaux peuvent
donner d'elle. Catherine, sur la défensive : Quand vous faites des photos, vous êtes en mesure de choisir le photographe et de contrôler les prises de vue. C'est vrai. Mais croyez-vous que les journaux, à part les journaux de cinéma, voudraient passer des photos de Björk et de moi dans le film ? Les journaux veulent des photos attrayantes, glamour, sophistiquées. Est-elle au moins, peu ou prou, en accord avec cette image ? Je ne me vois pas comme une icône blonde, telle que l'on continue de me percevoir, en particulier aux États-Unis. En plus de quatre-vingts films, sa carrière est l'une des plus prestigieuses du cinéma mondial. J'ai fait des choix, j'ai été attentive, j'ai été curieuse, mais surtout j'ai eu de la chance, beaucoup de chance. Et puis elle n'a pas d'exclusive : elle aime tout. J'adore les mélos parce que ça change de la vie, de la réalité, ça sublime l'amour, la souffrance. J'aime les films de vampires, les films policiers... Et elle a ainsi abordé tous les genres. À l'exception du western, peut-être. C'est vrai, je n'ai pas tourné de westerns. Mais comme je ne monte pas à cheval... Et puis, dans les westerns, il n'y a guère de beaux personnages de femme. À part la Vienna de "Johnny Guitare", de Nicholas Ray, et je ne serais pas passée à côté d'un tel rôle... Elle vient d'incarner la reine Anne d'Autriche dans "D'Artagnan", de Peter Hyams, et la reine du "Petit Poucet", d'Olivier Dahan ; elle retrouvera ensuite André Téchiné, qui l'a déjà dirigée dans "Hôtel des Amériques", "Le lieu du crime", "Ma saison préférée" et "Les voleurs". Elle est sans cesse ici, là, ailleurs, surtout ailleurs. Ce qui me manque, c'est de ne pas pouvoir aller au cinéma autant que j'en ai envie quand je suis à l'étranger, de ne pas voir mes amis, ma famille. Quand même, en avion, on peut réfléchir, lire. Et que lit-elle ? Toute la presse en retard dont je n'ai pas eu connaissance, en évitant soigneusement les pages sportives. Bien sûr, les revues spécialisées sur les plantes (car elle a la main verte), et puis des scénarios. J'emporte aussi un roman, mais le plus souvent il reste dans mon sac. Elle dit encore : Je ne suis pas raisonnable, je ne dors pas assez, je voudrais que les journées aient vingt heures. Son chien tire sur sa laisse, elle se lève,
fait tomber son sac, ses lunettes, les ramasse. Elle n'est déjà
plus là. |
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