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Catherine Deneuve, tous les visages d'une insoumise

L'actrice, adepte des rôles puzzles, joue à la fois dans le nouveau film d'André Téchiné, "Les temps qui changent", et dans celui d'Arnaud Desplechin, "Rois et reine".

J'ai l'impression, lorsqu'on me pose des questions, que les réponses sont dans mes films, que je n'ai rien à ajouter. Il est impossible, si on les regarde, de ne pas avoir une idée de ce que je suis réellement.

Allons-y. Le plus récent s'appelle "Les temps qui changent". Il est signé André Téchiné. L'histoire d'un homme (Gérard Depardieu) qui s'entête à reconquérir celle qui fut son premier amour pour finir sa vie avec elle. Séparé d'elle, il se berce de sa voix : elle anime une émission radiophonique.

Je comprends qu'en entendant la voix de quelqu'un qu'on aime, on puisse avoir l'impression de l'avoir à ses côtés. La voix a une grande puissance d'évocation, dit-elle.

La sienne, particulièrement. Débit rapide. Truffaut disait que c'était l'apanage des gens ayant été élevés dans des familles nombreuses. Une façon de s'imposer. Deneuve parle plutôt de son goût pour "le rythme insensé des comédies de Hawks, l'élocution de Katharine Hepburn ou de Judy Holliday". Dans les comédies musicales de Jacques Demy, elle était doublée pour les scènes chantées. Mais le premier à lui avoir demandé de changer de voix fut André Téchiné. Dans "Ma saison préférée", le cinéaste voulait qu'elle ait un timbre plus grave "car le personnage est à un âge où la voix change avant le physique, où se perçoit un début de cassure, un ton moins tonique".

La première rencontre avec André Téchiné date de 1980.

C'est notre agent commun, Gérard Lebovici, qui nous a présentés. André était encore plus timide qu'aujourd'hui. Progressivement, est née entre nous une amitié, comme si nous étions frère et sœur. Nous nous voyons en dehors des tournages, nous allons au cinéma ensemble. Il m'a sans doute aidée à savoir où je voulais aller, à prendre la direction qui me convenait, à trouver ma vérité dans la confiance. Quand je tourne avec lui, c'est dans une certaine exaltation. On dîne ensemble pour peaufiner la scène du lendemain, on parle, on se rend compte qu'on n'a pas travaillé la scène, mais qu'en bavardant de choses et d'autres, indirectement, on a répondu à nos interrogations.

1981 : "Hôtel des Amériques". Une femme, médecin anesthésiste, qui, jadis, a aimé passionnément un homme dont la mort rend sa nouvelle idylle difficile.

1986 : "Le Lieu du crime". Une mère célibataire, patronne d'un dancing, attirée par un voyou. Avec une scène "primitive", où elle doit être nue.

André a trouvé les mots qu'il fallait. Je n'aime pas la nudité. Ni pour moi, ni comme spectatrice. J'ai beaucoup de mal avec ça. Je ne vois plus les acteurs, mais un homme et une femme, et ça me perturbe par rapport aux personnages. Ou alors il faut que ce soit très érotique, comme dans certains films de Bergman.

1993 : "Ma saison préférée". Un frère et une sœur confrontés à la mort de leur mère.

Ce n'est pas la première fois que je devais jouer une femme mûre. Pour "Le dernier métro", François Truffaut avait voulu me voir en femme aux prises avec des responsabilités. C'est à partir de là que les choses ont changé. Moi, j'étais toujours la même, mais on me percevait autrement. On m'a proposé beaucoup de rôles de ce genre, des femmes affairées, parfois dures, qui travaillaient comme des hommes. Finalement, les acteurs, ce n'est que ça ! Pas ce qu'ils sont, mais comment ils sont perçus par les cinéastes, les scénaristes. Comment on les imagine ! Le grand danger, sur une carrière, c'est d'être dans un système répétitif, prisonnière d'une image dans laquelle, plus ou moins consciemment, les journalistes vous enferment aussi.

"Ma saison préférée" est aussi le film où sa fille, Chiara Mastroianni, fait ses débuts.

André m'a demandé si j'étais d'accord. Il voulait faire des essais avec elle. Je n'avais pas à donner mon accord. Je savais que Chiara en avait envie. Elle fait ce qu'elle veut. Autant que ce soit avec un cinéaste dont je sais qu'il ne peut pas maltraiter les gens. Il fait partie des metteurs en scène qui viennent murmurer à l'oreille des acteurs, qui ignorent la brutalité et la maladresse.

1996 : "Les voleurs". Une femme de raison qui tombe amoureuse d'une jeune fille dont tout la sépare.

Ah ! J'avoue que cela m'avait posé un petit problème ! Quand André m'a proposé ce rôle, j'ai été un peu saisie ! J'ai des amies homosexuelles, mais je me sentais démunie. J'avais peur de ne pas connaître le sujet. Et puis je me suis rendu compte que ce personnage n'était pas une lesbienne qui avait des aventures, qu'il n'y avait pas d'attitude particulière à adopter, que c'était une femme amoureuse, point ! Quand j'ai présenté le film en Amérique, beaucoup de journalistes m'ont dit : "Vous ne vous rendez pas compte de la chance que vous avez en Europe !" Des actrices m'ont expliqué qu'à ce niveau de notoriété il était impensable d'endosser un rôle pareil, que c'était trop risqué pour leur carrière. Là-bas, plus on a de succès, plus on devient une vedette, moins on a de liberté. On est prisonnier de son créneau, du mythe qu'on représente pour le public. Enfin, c'était il y a quinze ans !

Catherine Deneuve ne s'est jamais laissé enfermer.

J'ai toujours eu besoin de sentir que je changeais, que je bougeais, comme l'eau vive. J'aime l'insécurité. J'ai fait des erreurs, mais je me suis toujours laissée guider par mon désir. Très jeune, j'ai toujours fait ce que j'ai voulu. J'ai eu la chance de travailler très vite avec de vrais cinéastes, qui m'ont ouvert les portes en grand. La subversion n'a jamais été un problème pour moi.

André Téchiné dit d'elle qu'elle joue sur ce qu'elle cache, plus que sur ce qu'elle montre.

Ce doit être dans ma nature. Je suis une actrice assez en retrait.

Adepte des rôles puzzles, des tiroirs à double fond ?
Oui, oui. C'est vrai ! J'adhère à ce type de scénarios.

Etait-ce osé d'incarner une alcoolique dans Place Vendôme, de Nicole Garcia ?
C'était une transgression, comme de jouer une folle. On pense que ce sont des rôles gratifiants, très attirants parce qu'excessifs, mais ils représentent un risque. On a beaucoup plus de chances d'y être ridicule que probante. C'est très casse-gueule ! J'ai commencé le film de Nicole Garcia comme ça, sans maquillage, visage nu, dans une équipe où je ne connaissais personne. C'était comme plonger violemment dans l'eau froide.


Avez-vous le sentiment d'avoir encore des transgressions à accomplir ?
Ah oui ! J'en suis sûre ! J'ai des choses à faire. Je ne peux pas vous dire dans quel domaine, mais quand viendra l'opportunité, je ne la laisserai pas passer ! Faire du théâtre par exemple. En dépit de cette peur qui m'habite, effrayante, et qui jusqu'ici l'a emporté sur l'envie ! Le problème est de trouver la bonne pièce, qui me corresponde.

Catherine Deneuve est également dans "Rois et reine", d'Arnaud Desplechin (sortie le 22 décembre).

Quand j'ai rencontré Arnaud, c'était pour lui dire que j'aimais énormément son cinéma, mais que là, dans ce film, je n'avais rien à faire. Et, en un quart d'heure, je l'ai trouvé tellement charmant, désarmant, que je lui ai dit : "Oui, je vais le faire !" Je ne le regrette pas.

Une "femme virile" pour "Les temps qui changent"

Le personnage que j'interprète ? Je savais que ce devait être quelqu'un de pas très apprêté, d'assez brusque, rêveuse mais plutôt pragmatique, appelant les choses par leur nom. Pas une femme douloureuse, une femme directe. Une femme virile. Elle a fait le deuil de son premier amour, mais vous savez, quand il y en a un des deux qui aime d'une façon très forte et très déterminée, il a de grandes chances de réussir. Je le crois.

Pourquoi ils se sont séparés ? Cela n'a aucune importance. Je ne me suis jamais posé la question. Je ne me pose jamais la question de savoir pourquoi on tombe amoureux. Parce que je sais que je n'aurai jamais la réponse. Quand je vois des couples, si je leur demandais, ils me diraient l'un et l'autre leur interprétation. Ce ne serait pas la même. Et je ne suis pas sûre que ce serait la vérité. C'est le grand mystère de l'amour. Quant à savoir pourquoi les choses s'arrêtent, alors là...

Mon personnage est assez agressif avec son ancien amant, au départ. C'est une façon de se protéger. Parce qu'il est là, imposant, avec son corps, sa maladresse, sa gentillesse et sa détermination implacable. Il a un côté enfantin. On pense toujours que c'est l'homme qui doit protéger la femme, mais il y a beaucoup d'hommes qui ont besoin d'être maternés.



Par : Jean-Luc Douin


Films associés :
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