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Deneuve - Scorsese : Manhattan transfert...

En ouvrant le paquet enveloppé de papier blanc, Martin Scorsese, heureux comme un enfant un matin de Noël, s'est écrié : "Pour une fois ils n'ont pas fait de faute en écrivant mon nom !" Comme elle s'y était engagée sur la scène des Césars, en février, Catherine Deneuve est venue remettre au réalisateur, chez lui, à New York, le César d'honneur qui couronne l'ensemble de sa carrière. Dans une interview à deux voix accordée à Paris Match, une grande complicité se révèle entre l'actrice et le metteur en scène, dont le dernier film "A tombeau ouvert" vient de sortir en France. Catherine Deneuve témoigne au réalisateur toute sa passion pour son œuvre, qui lui rappelle celle de François Truffaut. Martin Scorsese, lui, est conquis par la star française.

Martin Scorsese. La première fois que je vous ai vue, c'était en 1970 pendant le Festival du film français de New York. J'étais un jeune étudiant en cinéma et je vous ai vue de loin. Je garde de vous le souvenir d'une apparition lumineuse.

Catherine Deneuve. Nous nous sommes revus, n'est-ce pas, lors de la sortie de la version restaurée de "Belle de jour". J'étais venue vous rendre visite à la salle de montage. On avait discuté, souvenez-vous, de l'éventualité d'un remake du film.

M.S. Je crois que ça ne se fera jamais !

Vous n'avez pas idée du nombre d'acteurs qui seraient prêts à faire n'importe quoi (même gratuitement) pour tourner dans un de vos films.

C.D. C'est ce qu'ils disent tous ! Et puis après, ils discutent comme des chiffonniers pendant des heures parce qu'ils trouvent leur rôle trop petit ! [Ils éclatent de rire.]

M.S. Il y a tellement d'acteurs et d'actrices avec qui j'aimerais tourner, mais je n'arrive pas toujours à trouver un rôle pour eux. Par exemple, Catherine, j'adorerais tourner avec vous. J'ai vu tous vos films. Je dois dire que je vous ai particulièrement aimée dans "Les voleurs" d'André Téchiné. Vous savez dans quel rôle je vous verrais bien ? Celui de Jessica Lange dans "Cousine Bette" !

C.D. Votre façon de fonctionner, d'aimer le cinéma, est très européenne. C'est pour cela que je vous comprends bien. J'ai adoré votre dernier film, "A tombeau ouvert". Je l'ai trouvé émouvant.

M.S. Nous avons tourné pendant soixante-quinze nuits dans Manhattan : un enfer! Je me suis juré de ne plus jamais recommencer cette expérience. D'ailleurs, maintenant, lorsque dans un script il est écrit le mot "nuit", je le change immédiatement en "jour" !

C.D. Quand j'ai entendu la voix off dans "A tombeau ouvert", et que j'ai reconnu votre voix, j'ai eu l'impression d'entendre François Truffaut ! J'ai eu, tout d'un coup, envie de revoir "La chambre verte", juste pour entendre sa voix. Il parlait aussi vite que vous. Il disait que quand on tient un acteur, il ne faut pas le lâcher. Il voulait toujours que l'on parle très vite dans ses films. Que l'on joue vite.

M.S. Je parle trop vite, n'est-ce pas ? J'ai toujours eu des problèmes d'asthme et comme j'ai grandi sur la musique de Stéphane Grappelli, j'ai gardé le rythme!

C.D. A part François Truffaut et vous, je ne connais personne qui ait une aussi grande passion pour le cinéma.

M.S. Toute la conception du début des "Affranchis", toute la cadence, vient des premières minutes de "Jules et Jim". Je ralentis seulement lorsqu'ils sont en prison. J'avais 14 ans lorsque j'ai vu "Sur les quais", d'Elia Kazan, pour la première fois. Quand je le revois aujourd'hui, tant d'années après, je suis aussi touché. J'ai du mal à revoir sans pleurer "America, America". Cette histoire d'émigrant qui va de la Turquie à l'Amérique me fait trop penser à mon propre voyage qui m'a fait sortir de mon quartier pour arriver là où je suis aujourd'hui. Cela étant dit, je ne sais pas ce qui me donne le plus d'émotion : la vie ou le cinéma.

C.D. Avant, je me disais que si j'arrêtais de tourner j'arrêterais de respirer. Mais, avec le temps, je suis devenue plus philosophe. Si un film que j'ai envie de tourner m'échappe, je me dis qu'il ne devait pas être fait pour moi.

Catherine a toujours mis un écran de fumée entre elle et les autres. Pensez-vous que c'est pour cela qu'elle est devenue ce qu'elle est ?

M.S. Vous savez pourquoi Catherine est une star ? Parce qu'elle a su garder sa magie pendant toutes ces années en entretenant le mystère. Une star de cinéma doit rester sur l'écran. Elle ne doit pas descendre dans la rue.

C.D. Je suis d'accord avec vous. Si une star se montre en train de faire ses courses ou de promener son chien, comment voulez-vous qu'elle suscite le désir ? La télévision est devenue pire que les paparazzi. Une photo même mauvaise est muette. Quand vous êtes dans une soirée en train de discuter - de façon privée -, et qu'on vous enregistre sans vous demander la permission, vous vous sentez vraiment violée. On a beaucoup critiqué le système des grands studios. Or je trouve que ce n'était pas si mal que ça. Au moins, ils ne laissaient sortir que ce qui était bien pour le film.

M.S. Les jeunes actrices ne me font pas rêver. Lauren Bacall, à 20 ans, dans "Le port de l'angoisse", était une vraie femme. Elle était intemporelle, inoubliable. J'ai du mal à imaginer un film noir, aujourd'hui, avec l'un de ces jeunes visages. Ces gamines se ressemblent toutes. Tous ces acteurs et ces actrices sont beaucoup trop exposés. On les presse comme des citrons, puis, après deux ou trois ans, on les jette. Ils ne se rendent pas compte du mal qu'ils se font.

C.D. J'ai toujours protégé jalousement ma vie privée. Je suis connue pour faire des procès. Je sais que j'ai une mauvaise réputation, mais vous ne pouvez pas savoir comme on se sent violée quand on vous vole des morceaux de vous sans votre consentement. L'idée que des gens puissent fantasmer sur vous sur Internet a quelque chose de terrifiant. Cela dit, j'ai encore de la chance. Je n'ai pas trop d'efforts à faire pour me protéger, car je suis d'une nature très secrète et réservée.

M.S. Je vais de moins en moins dans les salles de cinéma. Depuis que les gens me reconnaissent, ce n'est pas pareil. Ce n'est pas évident d'être une célébrité. J'ai eu récemment un problème avec mon système d'alarme. Eh bien lorsque les policiers sont arrivés, leurs premiers mots ont été : "Comment va Bob De Niro ?"

C.D. Truffaut disait toujours que dans les interviews, même si les questions ne sont pas intéressantes, il faut répondre intelligemment car les gens ne se souviennent que des réponses.

M.S. Ce n'est pas toujours facile d'avoir l'air intelligent ! [Ils éclatent de rire.]

C.D. Vous n'avez qu'à faire comme les hommes politiques. Ils n'écoutent jamais les questions qu'on leur pose, ils répondent toujours à côté et ne disent que ce qu'ils ont envie de dire.

Vous arrive-t-il parfois de vous sentir poussés par les jeunes générations et d'avoir le sentiment de ne plus être dans la course ?

M.S. Parfois, je me pose en effet la question. Je me demande où je me situe dans ce monde, surtout depuis deux ans, car la nouvelle génération du métier est extrêmement brillante. Cela dit, quand des jeunes viennent me voir et me disent : "Je voudrais bien travailler sur votre film, comme assistant. Mais dites-moi d'abord combien je vais gagner", j'ai envie de leur répondre : "Si vous ne pensez qu'à l'argent, changez tout de suite de métier." C'est peut-être à cause de la naissance de mon bébé. Ou parce que je vieillis. Mais je crois qu'avec le temps je m'adoucis. J'aimerais trouver une nouvelle façon de communiquer les histoires en montrant moins de violence. On devrait pouvoir arriver à être efficace sans être graphique. Je ne veux plus tourner de scènes violentes comme dans "Casino". Quand je revois le film, je me dis que j'aurais pu tourner certaines scènes de façon différente. Mais, comme mon ami Brian De Palma me l'a dit un jour : "Dis-toi bien une chose, Marty, quel que soit le prix qu'ils te paient, ce ne sera jamais assez !"

C.D. Quand on est une actrice, on ne peut pas nier les marques du temps. Je trouve que c'est encore plus dur de vieillir à l'écran que dans la vie. Je me suis toujours offert le luxe de ne jamais faire de film pour de l'argent. Si un jour j'ai l'impression que j'ai déjà tout fait, que je me répète, je m'arrêterai.

[La gouvernante arrive, tenant dans ses bras Francesca, une toute petite poupée de 4 mois. Helen Morris, 52 ans, sa dernière et cinquième épouse, élégante et silencieuse, se tient discrètement à l'écart. Ils se sont rencontrés en 199X quand elle travaillait chez Random House, une maison d'édition. Ils se sont mariés l'an dernier.]

M.S. [Il prend sa fille dans ses bras.] C'est la première fois que l'on a un bébé blond aux yeux bleus dans ma famille !

C.D. [Catherine lui caresse doucement le visage.] Comme elle est jolie. Je suis folle des bébés. Vous verrez, les enfants ponctuent la vie d'une autre façon. Vous allez voir comme la vie va changer. C'est magnifique. J'ai des regrets, mais je peux vous dire que jamais je ne regretterai d'avoir eu des enfants.


Par : Dany Jucaud
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