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A 60 ans je vis une adolescence tardive |
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L'éternel féminin a un âge
qu'elle
ne fait pas. Mais Catherine Deneuve assume ses 60 ans, et se dit toujours
aussi "instinctive, spontanée, passionnée" qu'avant.
Elle plaisante même du temps qui passe et de la coquetterie des
femmes : "Je ne supporterais pas l'idée qu'on me dise : 'Mais
que racontez-vous, Catherine ? Vous êtes beaucoup plus vieille que
vous ne le dites !' ". Loin d'une attitude à la Greta Garbo,
elle s'expose dans toute la splendeur de sa maturité. Pour Paris-Match,
l'actrice revient sur sa carrière, sa vie et ses envies. Celles
d'une grande dame, d'une légende sans fausse pudeur.
Si je devais vous décrire,
en un mot je dirais que vous êtes une femme en mouvement...
Je suis une femme en action plus qu'une femme d'action, c'est vrai. J'ai
toujours craint - ou cru - que l'arrêt était synonyme de
"petite mort", alors que Ie mouvement symbolise la vie. L'idée
d'être bloquée dans une situation ou dans une relation amoureuse
me glace. Ce n'est pas vieillir qui me fait peur, c'est la perspective
de perdre mon énergie. Cela dit, quand je regarde ma mère,
je ne suis pas trop inquiète. Je me dis que j'ai de bons gènes
!
Comment faites-vous pour vivre
constamment dans Ie regard de l'autre ?
C'est devenu une seconde nature. Je n'y pense même plus. Je me suis
blindée, sinon je serais devenue folle. Il y a longtemps que j'ai
arrêté de me demander ce que serait ma vie si j'étais
quelqu'un d'autre.
Vous avez toujours défendu
farouchement votre vie privée. Parmi les actrices que je connais,
vous êtes celle qui sait Ie mieux gérer sa célébrité.
Comment faites-vous ?
Ce n'est pas ma célébrité que je gère mais
ma vie. J'ai toujours fait passer ma vie familiale et mes amoureux avant
ma vie professionnelle. Je ne leur ai peut-être pas consacré
tout mon temps, mais en tout cas la plus grande partie de mes pensées.
Ma grande chance a été de vivre de près, très
jeune, la célébrité de l'homme dont j'étais
amoureuse et d'en avoir mesuré tout de suite les inconvénients.
J'ai très vite compris ce dont je ne voulais à aucun prix.
Vous ne laissez percevoir de
vous que ce dont vous avez envie ! Mais vous savez très bien que
l'image que les gens ont de vous n'est pas exacte !
Ce n'est pas important mais c'est très confortable. Je n'ai pas
cherché la lumière, c'est la lumière qui m'a cherchée.
Je suis une actrice amateur qui a démarré par hasard et,
à 20 ans, j'avais déjà tout compris - ou presque
- de ce métier.
Et de la vie ?
J'ai toujours su ce que j'avais envie de faire, même à 14
ans. Aujourd'hui encore ma mère me dit : "Ma petite fille,
tu n'es vraiment pas raisonnable !" Et je lui réponds toujours
: "Depuis Ie temps, Maman, ce n'est que maintenant que tu t'en aperçois
?" Quand je veux quelque chose, rien ni personne ne peut m'arrêter
Etes-vous capable de résister
à vos désirs ?
Ah, là, j'ai beaucoup de mal je dois dire ! Quand j'étais
plus jeune j'avais des coups de folie mais j'étais beaucoup plus
raisonnable. J'ai eu mon fils à 19 ans et demi et je l'ai élevé
toute seule. Quand on ne vit pas avec Ie père de ses enfants, ce
qui a été mon cas, la vie est plus difficile. Le jour où
mes enfants ont grandi j'ai retrouvé une certaine forme d'adolescence.
A 50 bientôt 60 ans, je vis une adolescence tardive !
Je dois dire que je ne vous
ai jamais vue aussi détendue, aussi bien dans votre peau, qu'en
ce moment. Est-ce votre regard sur votre métier qui a changé
ou votre regard sur vous-même ?
J'ai eu, très jeune, la chance de rencontrer des gens très
pointus et d'avoir eu un amoureux cinéphile qui m'a fait découvrir
des films magnifiques. Comme j'étais quelqu'un de curieux, de silencieux
et d'attentif, mes goûts se sont formés très tôt.
Le cinéma a été une grande rencontre mais je ne suis
pas sure que ce soit ma plus grande passion. J'étais avec Philippe
Noiret et Philippe de Broca en train de tourner dans la jungle au milieu
des marécages... Je crevais de soif, j'étais terrassée
par la chaleur, bourrée de piqûres d'insectes. Je revois
une lettre de François Truffaut, en réponse à une
lettre que je lui avais envoyée, dans laquelle je lui faisais part
de mes doutes sur ce métier. "Catherine, m'écrivait-il,
Ie cinéma est vraiment fait pour vous. Vous êtes dans Ie
cinéma comme un poisson dans l'eau !"
Quand vous faites un choix,
comment savez-vous que c'est Ie bon ?
Je ne Ie sais pas toujours, mais j'en ai l'intime conviction. Quand je
doute, si on trouve les arguments valables pour me convaincre, on peut
toujours arriver à me faire changer d'avis. En revanche, quand
je suis décidée, je suis têtue comme un âne
! J'ai lu un jour qu'Eisenhower, à un moment de sa vie, avait pris
la décision de ne plus jamais lire ce qu'on écrivait sur
lui. C'est une façon de dire : " je fais les choses parce
que je crois que j'ai raison de les faire ". Cette idée a
fait son chemin dans ma tête. Ce n'est pas toujours facile, mais
il y a longtemps que j'ai cessé de lire ce qu'on écrivait
sur moi.
Quel a été Ie
fil conducteur de votre vie : l'ambition, la détermination ?
Le désir, la curiosité, l'amour que j'ai pour mes enfants
et mes amis. J'ai appris à lâcher prise, à m'abandonner,
à admettre que tout n'est pas parfait, à accepter d'être
perçue d'une certaine façon même si ce n'est pas la
vérité. J'ai enfin compris qu'on ne pouvait pas tout contrôler.
Quand dans la rue vous entendez
les gens dire : "Dis donc t'as vu Deneuve, elle est encore belle
!" qu'est-ce que ça vous fait ?
Au début, je trouvais ça très grossier. Maintenant
ça me fait sourire...
Vous allez avoir 60 ans. Vous
semblez très à l'aise avec votre âge.
Je n'ai jamais caché mon âge, beaucoup par goût de
la réalité mais aussi par orgueil. Je crois que c'est la
peur du flagrant délit qui me fait dire la vérité
! [Elle éclate de rire]. Je ne supporterais pas l'idée que
l'on me dise : "Mais que racontez-vous, Catherine ? Vous êtes
beaucoup plus vieille que vous ne Ie dites !". J'aurais trop honte
d'être découverte. Oui, je vais avoir 60 ans et alors ? [Rires].
Si on ment sur son âge on est très mal barré dans
la vie, j'ai déjà assez de problèmes comme ça
!
Quelle est la dernière
fois où vous vous êtes surprise ?
C'est forcément dans une fonction publique où j'ai dû
prendre la parole alors que je ne m'en sentais pas capable. Je dois dire
que je me sens beaucoup plus libre dans les interviews aux Etats-Unis
qu'en France. Là-bas, les gens n'ont pas d'a priori comme à
Paris où on se sent toujours jugé par ses pairs. lci, dès
que je fais quelque chose, j'ai l'impression qu'il y a toute ma nécrologie
qui défile en même temps ! [Rires]. L'esprit parisien, c'est
terrible ! Vous ne trouvez pas ? C'est drôle et léger, mais
parfois aussi tellement mesquin et cruel.
Beaucoup de gens avancent dans
la vie avec des certitudes. Et vous, en avez-vous ?
Des certitudes, non. Mais une chose dont je sois sure, c'est que je refuse
l'ennui. J'ai toujours vécu en état d'urgence et je ne suis
pas près de m'arrêter... Je refuse de me reposer sur mes
lauriers, ça serait trop facile. Les hommages, les reconnaissances
officielles, ça a des avantages, mais j'ai toujours envie de donner
un coup de pied dedans. Je Ie répète, tout ce qui est figé
me fait peur. Je trouve terrifiant de vivre sur ses acquis ; c'est comme
de vivre sur son compte en banque. Remarquez, il y a peu de chances que
ça m'arrive. Je suis toujours dans Ie rouge !
Que préférez-vous
: la certitude d'aimer ou celle d'être aimée ?
Aimer peut-être, parce que j'ai la certitude d'être aimée
[Rires]. Aimer me paraît beaucoup plus fort, plus important, c'est
dans la vie, c'est plus actif, plus personnel. Pourrais-je aimer si je
ne me sentais pas aimée ? Je n'en suis pas sure !
Cela ne vous est-il jamais arrivé
?
Bien sûr que ça m'est arrivé. Que croyez-vous ? Tout
m'est arrivé ! Je suis plus une femme amoureuse qu'une femme de
tête. Je suis une femme réservée mais pas une femme
froide. Les gens qui me connaissent vraiment bien Ie savent. Je suis,
hélas - je dis bien hélas -, une femme de cur...
Vous égratignez la légende...
Quelle légende ? Je ne vais pas passer mon temps à faire
des démentis. Si je suis perçue autrement, que voulez-vous
que j'y fasse ? Oui, je suis instinctive, spontanée, passionnée.
C'est ça que vous vouliez savoir ? Je préférerais
parfois être un peu plus réfléchie. Toute ma vie j'ai
fait passer mes passions, mes envies, mes désirs avant mes intérêts.
Au fond, vous vous fichez complètement
de ce que les gens pensent de vous
Complètement. Mais ne vous méprenez pas, j'aime beaucoup
les gens. Disons que j'écoute attentivement ce qu'ils me disent
individuellement ; je ne tiens aucun compte de ce qu'on appelle l'opinion
publique.
Dites-le que vous êtes
une anarchiste !
Absolument ! je suis une anarchiste et je le revendique. Je refuse l'hypocrisie
de la règle sociale. Je n'ai jamais accepté l'ordre social
surtout dans ma vie personnelle. Je comprends qu'il faille certaines règles
pour faire marcher une société, je me sens très citoyenne
au niveau du groupe, mais en ce qui concerne ma vie privée je n'accepte
d'être jugée par personne. A 12 ans j'étais déjà
comme ça, capable de ne pas répondre ou de ne pas dire les
choses pour ne pas polémiquer, mais je n'en pensais pas moins ;
je ne souhaitais pas faire de vagues mais je faisais uniquement ce que
je voulais.
De quoi avez-vous le plus besoin
aujourd'hui ?
D'espace mental et physique, de silence. Grandir, vieillir vous amène
vers une sorte de solitude ; c'est peut-être pour se familiariser
avant d'affronter quelque chose d'immense, d'inconnu, d'abstrait. Il y
a des jours où je me sens complètement submergée
par ma vie, l'espace physique me donne une incroyable impression de liberté.
Comment voyez-vous votre avenir
?
Je n'y pense jamais. Ce n'est pas de l'inconscience mais peut-être
une façon de me protéger. Je ne suis pas quelqu'un de prévoyant,
je suis incapable de m'engager dans du long terme, d'ailleurs même
dans du moyen terme. Qui me dit que j'aurai les mêmes envies dans
un an ? Je vis complètement dans l'instant. Quand on a vécu
comme moi des choses très douloureuses très jeune, on vit
encore plus dans le présent parce qu'on se dit qu'on ne sait pas
si on sera toujours là demain. J'ai un instinct de vie et de survie
très fort. J'ai été très malade quand j'étais
petite, ça doit venir de là. Il y a des gens, vous les voyez,
vous pensez qu'ils ne s'en sortiront peut-être pas, mais on peut
dire qu'ils auront tout essayé pour se tirer d'affaire. Je fais
partie de ces gens-là. J'ai pris beaucoup de risques dans ma vie.
Je ne suis pas très téméraire mais je suis assez
courageuse. L'inconnu ne m'a jamais fait peur. Tout ce que j'entreprends,
je le fais à chaque fois comme si c'était la première
fois. Le jour où j'aurai l'impression de tourner en rond, je ne
suis pas sure que j'aurai envie de continuer à faire ce métier.
Vous pouvez écrire que je suis partante pour toutes les aventures.
[Elle sourit, rêveuse]. Mais partir où ? C'est ça
la vraie question. Mais partir...

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Par : Dany Jucaud
Photos : Kate Barry
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Film associé
: Aucun


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