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Une saison avec Freud

C'était le printemps à Vienne et elle tournait "Princesse Marie". L'histoire d'une femme désespérée qui va voir Freud parce qu'elle se croit frigide et qui devient la patronne de la psychanalyse française. Elle est aussi princesse de Grèce, richissime, et va sauver Freud et sa famille des nazis… Catherine Deneuve incarne avec tant de naturel ce destin de femme que les questions qu'on lui pose frôlent l'indiscrétion.

Quel effet cela fait-il d'incarner dans un film un personnage auquel le père de la psychanalyse dit : "Je vais savoir avec vous ce que veut une femme !"
Il a dit "Peut-être vais-je..." ! En même temps, ça reste toujours interrogatif puisqu'il insiste sur "ce que veut une femme".

Et Catherine Deneuve, que veut-elle ?
Personnellement, je dirais des choses très simples, que les femmes veulent tout et le contraire : du temps, de l'amour, du travail, du temps pour tout... des choses impossibles quoi ! Les femmes veulent des choses impossibles par rapport aux hommes.

Vous, vous sentez-vous femme ?
Oui, très !

Pascal Bonitzer, après avoir vu le film, vous a dit que vous teniez là votre "premier rôle d'homme". Comment conciliez-vous virilité et féminité ?
Je pense que les femmes sont viriles, de même que les hommes sont féminins. Plus ou moins.

Vous la placez où votre virilité ?
Elle apparaît de temps en temps dans mes rapports avec les gens, dans mon côté direct, avec les hommes aussi. Je peux avoir des rapports amicaux avec les hommes, pas toujours sur la séduction. La virilité, c'est une façon d'aborder les choses, de ne pas utiliser ce qu'on appelle les armes "féminines" : la fragilité, la douceur, le charme, etc. Mais je suis comme tout le monde, si quelqu'un me plaît, je change de registre, forcément ! Je pense que toutes les femmes ont une part de virilité. Cela dit, Marie Bonaparte était particulièrement virile.

Dans "Répulsion", vous incarniez une frigide meurtrière schizophrène. Là, vous êtes une princesse frigide psychanalyste... vous avez fait des progrès !
Dans "Belle de jour" aussi. La frigidité c'est le lot de beaucoup de femmes. Elle n'est pas toujours avouée car elle est vécue comme une infirmité.

Lorsque Marie prétend que la cure a été un échec puisqu'elle n'a toujours pas d'orgasme, Freud se penche vers elle et lui dit : "Est-ce si important ?"... vous souscrivez ?
Moi, je ne réponds pas à ce genre de question. Je ne réponds pas à des questions sur l'orgasme, la jouissance, la psychanalyse, etc. On tombe dans le domaine intime... Dans la vie, vous me poseriez cette question, je vous répondrais : "Mais attendez... !" Dans le cas de Marie Bonaparte, c'est important, évidemment, puisqu'elle vit la frigidité comme un échec de femme, une douleur, une grande souffrance, une impuissance, alors qu'elle est assez puissante comme femme.

Quand même, elle vit un bel amour avec Loewenstein...
Elle arrive à avoir un amour physique parce qu'elle a du désir pour lui, parce qu'il est jeune, beau et intelligent, et très vite elle se rend compte que ce n'est pas suffisant. C'est aussi parce que Loewenstein est proche de Freud, elle le retrouve à travers lui. Elle lui avoue qu'il ne peut pas la faire souffrir. Un homme qui ne peut pas vous faire souffrir, c'est un homme qu'on peut aimer mais avec une certaine limite, qui n'a pas d'emprise sentimentale sur vous.

Vous pensez que c'est la pierre de touche d'un amour...
Moi, je n'en sais rien ! Je m'exprime au nom de Marie Bonaparte. Je ne veux pas m'exprimer en mon nom propre sur l'amour, la souffrance... Souffrir d'un homme qu'on aime c'est une souffrance très particulière - "souffirir par toi n'est pas souffrir". Pour mesurer le degré de son sentiment, elle est obligée de reconnaître qu'elle ne peut pas souffrir par lui, donc son amour est limité. L'amour, c'est un sentiment de fragilité, de dépendance. Ça vous rend fort quand on est ensemble mais par rapport aux sentiments qu'on éprouve, à l'idée que c'est une chose périssable et qui ne dure pas, ça fragilise.

Comment avez-vous porté ce projet avec une telle intensité ? Gardel, Jacquot, tous disent : "C'est Catherine la patronne de ce film..." Il y a vingt ans, quand le livre de Célia Bertin est sorti, vous aviez déjà envie de jouer Marie Bonaparte ?
La question ne s'est pas vraiment posée mais cela m'avait semblé être un beau personnage de femme. Célia Bertin m'avait envoyé son livre et je l'avais trouvé intéressant. Mais, a priori, je ne cherche pas à jouer des héroïnes, des femmes qui ont existé. Quand Louis Gardel a su que je cherchais un sujet pour la télévision, il me l'a proposé, Louis a écrit un scénario formidable, où l'on voyait la double vie de Marie Bonaparte : sa vie sociale, de princesse, et sa vie de femme, cherchant à s'accomplir et surtout à se libérer à travers la psychanalyse. Avec des choses assez crues.

En quoi ce thème de la psychanalyse vous intéresse-t-il ?
Ce n'est pas ça... Je trouvais que c'était un bon sujet sur la longueur pour un film de télévision - même si j'aurais envie aujourd'hui que le film soit en salles - et que le personnage de cette femme était très intéressant. Elle a une vie originale et très riche. C'est une héroïne qui me convenait tout à fait...

Le côté princesse ?
Ce qui est intéressant, c'est l'originalité et le romanesque de la situation.

Dans Proust les princesses parlent et agissent avec cette simplicité, ce côté bonne franquette, ces manières directes que vous avez dans le rôle.
Marie Bonaparte a du pouvoir. Quand on a du pouvoir, on n'est pas obligé d'abuser ni d'imposer les choses.

C'est un peu un miroir, vous aussi, vous avez du pouvoir !
Bien sûr... mais je ne suis pas Marie Bonaparte ! Dans la même situation qu'elle, je n'aurais pas pu faire bouger Rooseveit ni obtenir tout ce qu'elle a obtenu. Elle se servait de ce pouvoir pour faire avancer les choses. Et elle a trouvé en Freud la cause qui allait la guider, lui permettre de redresser sa vie qui lui pesait beaucoup. Elle était tout de même très malheureuse.

Louis Gardel m'a dit que vous aviez tenu à ce qu'on montre l'aspect opérations chirurgicales. Pourquoi ?
Oui, absolument, c'était important. Cela dit beaucoup du caractère de Marie. Dans une société comme la sienne, dans son rôle d'Altesse royale, aborder le sujet et en parler si crûment c'était essentiel pour donner une idée de la personnalité de cette femme.

La première image, cette planche anatomique où le médecin montre à Marie Bonaparte l'intervention qu'il va pratiquer sur le clitoris, c'est quand même un choc...
Je l'ai fait dans l'optique du personnage, et l'idée de commencer par ça, c'est une idée de Benoît. Il a voulu ce plan-là, "l'origine du monde". Mais j'étais d'accord. Marie Bonaparte est même allée en Afrique pour en savoir plus sur l'excision des femmes africaines. Dans le film, nous ne pouvions pas tout traiter, raison de plus pour que ce problème de frigidité, de plaisir féminin, ne soit pas passé aux oubliettes. Parce que c'était important pour elle. Si elle n'avait pas rencontre Freud, elle aurait passé sa vie à se mutiler et serait peut-être morte sur la table d'opération.

C'est un film qui évoque l'inceste, l'orgasme, des choses très intimes... Comment avez-vous réussi à jouer ce personnage avec autant de naturel ? Et une telte intensité ?
Parce que c'est très bien écrit et Benoît Jacquot, la psychanalyse, il connaît bien ça. Je me sentais tout à fait en accord et en confiance avec lui. Je n'avais aucune méfiance, aucune réticence.

Comme Marie Bonaparte avec Freud... Est-ce que les metteurs en scène ont aussi vocation à être les psychanalystes de leurs interprètes ?
Psychanalystes, non, mais à les faire accoucher de ce qu'ils ont en eux, oui. Un metteur en scène vous fait jouer et rejouer, jusqu'à ce que ça aboutisse. C'est une forme d'accouchement.

Vous n'aviez jamais tourné avec Jacquot bien que vous vous connaissiez depuis longtemps, comment est-il parvenu à vous faire réagir aussi justement ?
Benoît est très audacieux et très pudique en même temps. Le film commence par des scènes de psychanalyse, assez longues et rigoureuses, je le redoutais parce que je n'avais pas beaucoup d'éléments... S'allonger sur un canapé et monologuer c'est quand même autre chose! Parler de la psychanalyse assis, en fumant une cigarette, connaître quelques psychanalystes, avoir lu Freud, c'est une chose. S'allonger sur le divan au cinéma, ne parler à personne sauf à quelqu'un qui vous écoute, dans votre dos, et raconter son enfance...Il ne fallait pas que ce soit théâtral. J'ai essayé d'être dans l'intensité et dans la vérité de ce qui était écrit... Il a bien fallu se lancer !

Des souvenirs personnels vous sont revenus ?
Non, parce que je n'ai pas eu une enfance malheureuse. Mais sur l'amour, sur la déception amoureuse, c'est facile de s'identifier à quelqu'un. Quand Marie parle de son amour qui l'a traumatisée, de cette trahison, c'est quelque chose à quoi on peut s'identifier.

Le geste que Marie fait au cimetière, de retirer son chapeau à son amant Loewenstein, il vous est venu naturellement ?
Oui, parce que je savais que le problème qui existait entre Loewenstein et Marie, c'était la différence d'âge. Elle l'aimait beaucoup, mais pour elle, c'était quelque chose d'impossible - elle l'appelait "son lion" - alors ce geste, presque tendre et maternel, elle aurait pu l'avoir pour son fils.

Freud n'aimait pas prendre les artistes en analyse parce que, disait-il, ils ont "une connaissance spontanée de l'inconscient".
Ils peuvent avoir d'autres vies, vivre des fantasmes, les réaliser, c'est vrai. Beaucoup d'artistes s'en méfient d'ailleurs : ils ont peur de tout remettre à plat, en ordre. Leur déséquilibre, leurs failles, leurs faiblesses servent leur personnalité d'artistes.

Dans ce film, Jacquot dit que vous avez franchi ce pointillé qu'il y a entre le personnage et la personne.
Effectivement, il y a des moments où je me sentais tout à fait dans la situation, en accord avec le personnage. La préparation du film m'a aidée. La recherche sur la coiffure, les costumes, a été assez longue et elle m'a permis d'approcher Marie. Inconsciemment, j'ai réfléchi sur le genre de femme qu'elle était, la façon dont elle bougeait, dont elle s'habillait - Catherine Leterrier a fait des costumes absolument magnifiques. Ça évoque des choses du caractère. Par exemple, porter un somptueux manteau de fourrure sur une jupe en maille avec un cardigan, et juste un très beau bijou, ce mélange, ce contraste de choses simples et luxueuses, pas sophistiquées, luxueuses. Comme on voit des femmes qui portent une jupe et un pull noirs mais avec un sublime collier de perles.

C'est ainsi que vous voyez Marie Bonaparte ?
Oui, comme une femme qui ne fait pas trop attention mais qui a de belles choses parce qu'elle appartient à un certain monde. Je ne la vois pas comme une femme qui passe beaucoup de temps à chercher ses vêtements, à trouver les chaussures qui vont avec le sac. Elle n'en a pas beaucoup mais ce sont des choses très bien et elle les traite avec naturel. Comme quand j'arrache ma tiare à l'hôtel, on sent que tout ça lui pèse.

Vous pourriez m'énumérer les rencontres, les retrouvailles, les bonheurs et les malheurs, les objets perdus, les objets trouvés pendant le tournage de "Princesse Marie" ?
La rencontre, c'est Benoît. Les retrouvailles, c'est Heinz Bennent, que je n'avais pas revu depuis "Le dernier métro", comme si je l'avais quitté un mois avant. Ça a été un enchantement, une continuité. Le bonheur, c'était aussi d'être dans cet hôtel en bordure d'un parc, à Vienne, au printemps. Pour moi qui suis une femme de la nature, j'avais l'impression de ne pas être enfermée dans une ville, voir dans ce jardin l'éclosion du printemps, c'était un vrai bonheur. Le bonheur, c'est aussi la naissance de ma petite-fille. C'était aussi une forme de malheur car je n'étais pas là quand elle est née. Et les malheurs... Je me suis fait voler mon sac à l'aéroport, en allant à Vienne, avec les photos de ma petite-fille justement, des bijoux... Des malheurs, il n'y en a pas eu beaucoup dans ce tournage. A Vienne, j'allais aux puces le dimanche, c'est la ville de la Sécession. J'aime beaucoup les faïences, la verrerie. Ces objets que j'ai achetés là-bas sont associés au tournage. Le printemps à Vienne est une très belle saison. Il y a des marchés aux fleurs magnifiques. En rentrant, je cueillais du lilas. Jonquilles, roses, tulipes... J'avais des bouquets extraordinaires à l'hôtel. C'était très agréable, comme d'entrer dans une maison. Sur ma table de nuit, j'avais des pivoines, un tout petit objet en ambre que j'avais acheté, des petits champignons sur un bloc de trois couleurs différentes et des petits vases également - c'est plus joli que les vases d'hôtel...

Votre fille dans le film est jouée par Isild Le Besco. Que pensez-vous des jeunes actrices ?
Cela m'émeut. Surtout quand je les sens en difficulté, timides.

Vous vous reconnaissez en elles ?
Non, parce qu'elles sont beaucoup plus sérieuses que moi quand j'ai commencé. Elles sont beaucoup plus dans la réalité. Isild, elle dessine, elle peint, elle écrit, elle vient de réaliser un film. Je les trouvé beaucoup plus mûres que je ne l'étais à l'époque.

Vous avez pris le nom de votre mère comme actrice, et non Dorléac, celui de votre père...
Tout simplement parce que ma sœur l'avait déjà pris ! Moi je ne pensais pas me lancer dans le cinéma. J'ai pris ce nom pour tourner mon premier film avec elle. Sinon, j'aurais gardé mon nom : je ne suis ni pour les diminutifs, ni pour les changements de nom, ni pour les pseudonymes. J'ai pris le nom de ma mère parce qu'elle était actrice et qu'en principe c'était pour un seul film ! Mais je me sens très Dorléac. Deneuve, c'est l'actrice, pas la personne.

Cela vous permet peut-être d'être aussi naturelle en tant que femme et qu'actrice ?
Peut-être.

A la fin. Marie dit : "On n'est pas heureux quand on est jeune. Pour être heureux il faut avoir fait deux ou trois choses indiscutables dont on est fier..." Que diriez-vous ?
Que dirais-je ? Suis-je heureuse, d'abord ? Ce n'est pas des mots qui me parlent beaucoup, "être heureuse". C'est vrai qu'on a plus de raisons d'avoir des satisfactions à 40 ans qu'à 25. Il y a sûrement deux ou trois choses dont je suis fière dans ma vie, même si elles ne m'appartiennent pas complètement.

Par exemple ? vous êtes fière de ce film ?
Oui, parce qu'il a fallu que je m'engage très tôt, quand il y avait encore beaucoup de précarité et d'inquiétude par rapport à la possibilité de le faire, pour qu'une chaîne s'engage. Des choses dont je suis fière... De mes enfants, mais en même temps, pourquoi ? Même si c'est moi qui les ai mis au monde, ils se sont faits eux-mêmes ! Je suis parfois aussi fière des tentations auxquelles je ne cède pas.

Professionnelles ?
Oui, ou extraprofessionnelles, liées parfois aux tentations qu'on a de faire certaines choses.

Vous allez publier en avril vos carnets de tournage. Est-ce que vous en avez tenu un sur ce film ?
Ce sont des petits carnets de tournage que j'ai tenus, de temps en temps. Il y en a très peu. En général, ce sont des films que j'ai tournés à l'étranger : "Tristana", "Indochine", "Est-Ouest", mon premier film américain, Cannes - quand j'ai présidé le Festival avec Clint Eastwood -, le film de Garrel, même si c'était à Paris... Ce n'est pas vraiment de l'écriture, c'est plus pour me confier, pour partager ma solitude. A Vienne, je ne me sentais pas vraiment à l'étranger. J'ai fait beaucoup d'allers-retours pour voir ma petite-fille.

En dehors de ces cahiers, vous écrivez ?
On y pense, mais cela ne va pas plus loin. Je suis une femme dans l'action !

Vous avez maintenant l'expérience de Marie Bonaparte qui était une femme d'action et de réflexion.
Oui, mais elle était très aidée. Elle n'avait pas à s'occuper de la vie quotidienne, de l'intendance... Ce n'est pas mon cas. La vie quotidienne, les choses de la maison, les amis, la famille, c'est important pour moi. J'y prends part, je m'en occupe. Je n'ai pas dix personnes chez moi... Ça me permet d'évacuer. Quand on joue un personnage aussi fort, ça vous marque. C'est ça une carrière : une somme de films qui s'ajoutent, dans un certain ordre, qui fait que vous construisez petit à petit un dessin que l'on peut lire.

Et ce film-là, que vous a-t-il apporté ?
Montrer une femme forte, directe, virile, ce n'est pas si courant. Une femme intelligente et abrupte, parlant crûment, dans laquelle je me reconnais... par moments !


Par : Pierre Reynes
Photos :


Film associé : Princesse Marie



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