Ses interviews / Presse 2000-09 / Paris Match 2004
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

"Je suis une femme virile"

Dans le nouveau film de Téchiné, le personnage de Depardieu revient trente ans après lui dire qu'il n'a aimé qu'elle, mais, pour l'actrice, l'idée de vieillir à deux est sinistre.

Son inaltérable beauté, qui a inspiré des chefs-d'œuvre à Buñuel, à Truffaut, à Demy et à Corneau, séduit aujourd'hui une nouvelle génération de cinéastes, de Leos Carax à Lars von Trier, d'Olivier Dahan à François Ozon, de Tonie Marshall à Arnaud Desplechin. Mais c'est un de ses réalisateurs préférés, André Téchiné, que Catherine retrouve pour la cinquième fois avec "Les temps qui changent", qui sort cette semaine. Elle y est de nouveau réunie à Gérard Depardieu, son partenaire du "Dernier métro", de "Je vous aime" et de "Drôle d'endroit pour une rencontre". Ils incarnent deux anciens amants qui se revoient trente ans après leur idylle. Fou d'elle, il ne songe qu'à la reconquérir. "Le premier réflexe de mon personnage, fait-elle remarquer, c'est de le repousser. L'idée de vieillir à deux est belle en soi, mais pas pour moi. Elle me fait peur".

Qu'est-ce qui vous a séduite dans "Les temps qui changent" ?
Ce qui m'a décidée, c'est l'envie de travailler de nouveau avec Téchiné. On a régulièrement des rendez-vous comme ça depuis plus de vingt ans. C'est comme un fil tendu : on s'éloigne parfois, pour toujours se retrouver.

Et vous vous êtes retrouvés à Tanger...
Ceux qui se sont retrouvés à Tanger, ce sont surtout les deux personnages du film. Ou plutôt, c'est cet homme qui vient retrouver la femme qu'il a aimée trente ans auparavant. Son premier amour.

De ce premier amour, il reste une photo...
Oui. C'est une photo de Gérard et de moi, qui date, je crois, du tournage de "Je vous aime", de Claude Berri.

Qu'est-ce que vous ressentez quand vous la regardez ?
Une photo, c'est toujours le refuge de la mélancolie. Mais, personnellement, je ne suis pas fâchée avec les choses du passé. J'ai des chagrins, des regrets, mais je suis complètement dans le présent. Je suis quelqu'un de mélancolique, sans être pour autant nostalgique.

Qu'est-ce qui distingue la mélancolie de la nostalgie ?
L'évocation des choses heureuses me donne une certaine tristesse, mais je ne regrette pas forcément que le passé ne soit plus là. "Ça me fait une tendresse", comme disent les Italiens.

A la fin du film, votre personnage brûle cette photo. Pourquoi ?
C'est une image que j'aime beaucoup. Brûler une photo, ce n'est pas pareil que de la déchirer. Avec le feu, on ne peut plus espérer recoller les morceaux. Déchirer, ce n'est pas tout à fait détruire. Sans doute a-t-elle besoin de détruire cette image de leur passé. De leur jeunesse.

Est-ce que vous brûlez parfois des photos ?
Oui. J'adore le feu. Je brûle beaucoup de choses. Pas seulement des photos. Je trouve ça beau. C'est comme un meurtre.

Est-ce qu'un premier amour peut devenir un dernier amour ?
En amour, rien ne m'étonne, tout me surprend...

Ça vous est déjà arrivé de vous dire : "Celui-là sera mon dernier amour" ?
Ah non ! Je trouve ça un peu sinistre de s'entendre dire : "Je veux vieillir avec toi." Quelle angoisse ! L'idée de vieillir à deux est belle en soi, mais pas pour moi. Elle me fait peur. A la limite, je préfère : "Nous ne vieillirons pas ensemble !" Moi, il faut toujours que je garde l'impression que c'est "aujourd'hui, peut-être pas demain" ! En revanche, ça m'est déjà arrivé d'aimer à nouveau quelqu'un que j'avais aimé. Les choses ne s'éteignent jamais complètement, je crois. Il reste toujours quelque chose de l'amour, une trace, une braise qui est là, en attente.

Vous n'êtes donc pas de celles qui écartent définitivement le passé de leur vie ?
Pour moi, il y a le temps de passé, mais il n'y a pas de passé. Je revois régulièrement ceux que j'ai aimés. Enfin pas tous, évidemment. En tout cas, je n'ai pas l'impression d'être une personne très différente de celle que j'étais il y a trente ans.

Les choses ont changé, mais vous n'avez pas changé ?
Je pense avoir toujours les mêmes goûts, toujours les mêmes dégoûts. Et donc, d'une certaine façon, toujours le même caractère. Enrichi par l'expérience, évidemment. Je n'ai pas le même âge, mais l'âge, pour moi, est quelque chose qui ne compte pas vraiment. Quand je rencontre quelqu'un, par exemple, je ne pense jamais à son âge.

Parce que c'est un critère qui n'a pas de sens pour vous ?
Exactement. La preuve, j'ai l'impression que je n'étais pas si jeune que ça quand j'étais jeune. J'ai été responsable très tôt. J'ai quitté mes parents, j'ai eu un enfant avant mes 20 ans, avec un homme beaucoup plus âgé... Maintenant que mes enfants sont grands, j'ai davantage le sentiment de vivre une véritable période d'adolescence, celle que je n'ai pas vécue en temps et en heure. J'ai fait les choses à l'envers.

On met longtemps à devenir jeune, c'est ca ?
Oui. On met longtemps à laisser tomber tout ce que l'on dresse entre soi et le monde pour se donner l'illusion d'être adulte. Aujourd'hui, en tout cas, je me sens plus insouciante que quand j'avais 18 ans. Plus insouciante et plus audacieuse.

Si celle que vous étiez à 18 ans posait son regard sur la femme que vous êtes aujourd'hui, que dirait-elle ?
Que ça aurait pu être pire...

Qu'est-ce que ça aurait pu être, par exemple ?
J'ai un instinct de vie très fort. Mais en même temps, je suis souvent attirée par tout le contraire. Tout ce qui fait vaciller...

Comme quoi ?
Je ne sais pas... la nuit. Les nuits blanches. Pas celles que l'on passe contre son gré, mais les autres. Je suis sortie très jeune. Avec ma sœur, qui était un peu plus âgée que moi. Les parents sont souvent plus confiants quand il y a deux filles. J'ai toujours aimé la nuit, parce qu'elle n'appartient à personne. On est plus ouvert, la nuit. Plus vulnérable, aussi. Donc qu'est-ce qui me fait vaciller ? Tout ce qui met dans un état autre. Le manque de sommeil. L'émotion. Le plaisir. La danse. L'alcool. Ce que j'aime dans l'alcool, c'est le fait que les inhibitions tombent. On perd un peu ses repères. On est du coup beaucoup plus libre.

Ça prend beaucoup de place dans votre vie ?
Dans ma tête, oui, je suis très rêveuse. Maisdans ma vie aussi. Je ne suis pas quelqu'un de très raisonnable. Je sais que je n'ai pas l'air comme ça... Mais je n'ai pas cette envie de convaincre les gens, de leur expliquer que je ne suis pas ce qu'ils pensent que je suis...

Vous comprenez que l'on puisse vous trouver froide ?
Oui. Je suis quelqu'un d'assez réservé, et je peux être froide pour me protéger. Mais je crois que c'est surtout ma virilité qui me fait passer pour quelqu'un de froid.

Votre "virilité" ?
Oui. C'est un mot qui me parle beaucoup. Je sais que je suis une femme virile, et j'aime bien ça, en général, chez les autres femmes. Pour moi, la virilité, c'est une forme de courage. J'ai été assez craintive quand j'étais enfant, mais aujourd'hui, je crois que je le suis moins. Je ne parle pas du courage physique, évidemment. Je parle du fait d'oser être soi-même. Par exemple, d'exprimer devant des gens ce que l'on pense tout en sachant que ça peut ne pas leur plaire. Au fond, je crois que c'est le contraire de la séduction. Oui, voilà, c'est ça : le courage, c'est prendre le risque de déplaire. C'est un courage que je n'ai pas tout le temps. Une actrice est par définition obligée de séduire un peu. C'est son registre naturel, mais c'est un registre dont je me méfie beaucoup. Comme mes sœurs, je suis plutôt jolie, et cela m'a toujours paru un truc à double tranchant.

Dans le film, il y a cette scène magnifique où les deux amants se promènent le long de la falaise et parlent de leur avenir...
Oui. Elle lui dit qu'il n'y a rien devant eux, rien, sinon le vide de la falaise. Et il lui répond qu'au contraire devant eux se trouvent la mer, puis, au loin, l'Espagne et, encore plus loin, l'Europe entière...

Et vous, devant une falaise, vous avez plutôt tendance à voir le vide ou l'horizon ?
Au bord d'une falaise, j'ai plutôt envie de me pencher jusqu'à ce que l'idée de tomber me fasse mal. Le vide m'attire un peu trop. C'est ce qu'on appelle le vertige, non ?

Et qu'est-ce qui vous rattrape dans ces moments-là ?
Le fait de vouloir à nouveau ce vertige. C'est-à-dire un attachement profond à la vie.


Par : Florian Zeller
Photos : Carole Bellaiche


Film associé : Les temps qui changent



Documents associés