"C'est une femme qui se livre
peu" |
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Pour sa première apparition à la télévision,
l'actrice a choisi un grand rôle : Madame de Merteuil, sulfureuse
héroïne du roman de Laclos. L'histoire d'une passion destructrice.
C'est un événement : Catherine Deneuve joue
dans un téléfilm. Et pas n'importe lequel : "Les liaisons
dangereuses", une adaptation par Josée Dayan du chef-d'uvre
libertin signé Choderlos de Laclos. Mi-juillet, l'actrice, enthousiaste,
se confiait dans la suite d'un palace parisien, sur le choix de cette
héroïne qui dit : "Je contrôle tout. Je cache tout.
Même le plaisir".
Qu'est-ce qui vous a poussée
à accepter de faire enfin de la télévision ?
Je ne suis pas sure que si l'on m'avait proposé "Les liaisons
dangereuses" il y a quelques années j'aurais accepté.
Car moi qui n'ai jamais fait de théâtre, je ne voulais pas
jouer dans l'adaptation d'un classique. En plus, Madame de Merteuil est
une grande héroïne et qui a déjà été
bien incarnée au cinéma (par Jeanne Moreau et Glenn Close
notamment, NDLR). Mais, l'enthousiasme de Josée Dayan et la transposition
faite dans les années 1960 par Eric-Emmanuel Schmitt m'ont touchée.
J'ai sauté le pas.
Ces années 1960 sont-elles
une époque qui vous touche toujours ?
C'est une période et un lieu - Saint-Tropez - que j'ai connus quand
j'avais 20 ans, où il y avait une vraie insouciance avec les hors-bord
italiens en bois, un certain milieu artistique, des modes musicales, comme
celle du madison... J'étais une jeune fille et je découvrais
d'un peu plus près la vie de femmes plus mûres que moi. Et
puis, évoquer ces années permettait aussi de parler de problèmes
de murs, comme l'avortement - en 1971, j'ai d'ailleurs signé
le fameux Manifeste des 343, demandant la légalisation de l'IVG.
Etre enceinte était une crainte de nombreuses jeunes filles. A
ce moment-là, il y avait peu de solutions et bien des hommes ne
se sentaient pas vraiment concernés. Cela dit, je n'éprouve
pas non plus de nostalgie particulière pour ce temps-là.
Dans le film de Vadim de 1959,
Jeanne Moreau faisait de Madame de Merteuil une rouée ; dans celui
de Stephen Frears, en 1988, Glenn Close campait une femme plus dérangée
psychologiquement. Votre personnage semble plus cérébral...
C'est exact. Je l'ai ressenti ainsi : elle se livre peu. Ce qui m'a poussée
aussi à faire ce téléfilm, c'est que j'incarne une
grande amoureuse et - je le dis sans coquetterie -, je ne pourrais plus
le faire longtemps.
Elle est aussi calculatrice
et secrète
Même si elle est d'un grand machiavélisme, si elle décide
tout, Madame de Merteuil est aussi quelqu'un qui aime. Or, on n'a pas
de plus grande tolérance que pour tout ce qui touche à l'amour,
regardez comment les gens réagissent aux crimes passionnels. C'est
un sentiment tellement irrationnel et subjectif qu'il nous paraît
évident de le voir conduire à tous les excès. C'est
en tout cas le sentiment pour lequel j'ai personnellement le plus d'indulgence.
Et, avec Madame de Merteuil, l'amour a une telle violence qu'il dépasse
tout !
Par sa liberté de vivre,
elle est aussi d'une grande modernité, refusant notamment de subir
les directives d'un mari
Madame de Merteuil veut effectivement être libre, même si
l'amour peut conduire à la mort. C'est tout le sens de sa réplique,
lorsqu'elle dit à son ancien mari : "Je ne veux pas qu'un
homme me parle sur ce ton". Parfois, en jouant certaines scènes,
je me suis surprise à penser : "Mais quelle femme ! Quelle
femme !".
"Les liaisons dangereuses"
mettaient en vedette l'amour d'une séductrice mûre pour des
amants jeunes. Un thème aussi en avance sur son temps
Ce type de relations a toujours existé, mais, aujourd'hui, c'est
plus flagrant. A cette époque, passer au-delà de certaines
conventions sociales était difficile. Cela dit, les gens se dissimulaient.
Aujourd'hui, on ne peut plus se cacher de rien ! Même si le cinéaste
Lars von Trier aime dire que tout le monde doit filmer, on aboutit parfois
à n'importe quoi. L'autre jour, alors que je somnolais dans un
avion, je me suis aperçue qu'un passager me prenait en vidéo.
Il suffit de faire un tour au Festival de Cannes aujourd'hui pour s'apercevoir
que l'on est quand même souvent dans une certaine folie.
Vous avez été
consultée sur des changements dans l'histoire, comme la suppression
du duel entre Danceny et Valmont...
Elle était inévitable vu l'époque, mais je dois dire
que je reste très favorable au duel.
A ce point ?
Je l'ai déjà dit, je préférerais le duel à
certains procès en diffamation. Cela remettrait un peu les choses
à leur juste place et les gens réfléchiraient sans
doute un peu avant de se lancer...
Refusez-vous définitivement
de jouer au théâtre ?
Si la porte était définitivement fermée, je n'aurais
pas si peur à l'idée de monter sur les planches. Mais je
vais souvent voir des amis au théâtre et je suis déjà
bouleversée à l'idée du trac qu'ils doivent avoir.
Alors, je ne me sens pas encore prête.
Que regardez-vous à la
télévision ?
Je la regarde beaucoup ! Trop d'ailleurs. Certaines émissions tardives
mais aussi des reportages, comme ceux d'Envoyé spécial,
des documentaires et beaucoup de variétés, j'aime vraiment
la chanson. Je suis aussi assez fan de dessins animés.
Serge Gainsbourg vous avait
fait enregistrer un bel album. Pourriez-vous revenir à la musique
?
C'est un projet pour l'année prochaine.
Cela pourrait-il se faire avec
votre gendre, Benjamin Biolay, déjà compagnon de route d'Henri
Salvador, entre autres ?
Pas pour tout le disque. Comme tous les acteurs, j'adore chanter. Je suis
allée écouter en concert à la Cigale Benjamin Biolay,
qui faisait un duo avec Chiara Mastroianni, et elle m'a dit ensuite à
quel point c'était extraordinaire comme sensation pour une actrice.
Au cinéma, on n'a pas ce retour direct du public.
Qu'écoutez-vous ?
De tout. Je suis souvent en voiture et j'aime mettre des disques classiques,
par exemple ceux de Tedi Papavrami (ce virtuose du violon classique incame
dans le téléfilm le jeune Danceny, NDLR). Mais j'adore aussi
Julien Clerc et j'ai récemment acheté les derniers albums
de Blur, Massive Attack et Radiohead. J'aime beaucoup ofîrir des
CD à mes amis pour leur faire découvrir de nouvelles choses.
Dans "Les liaisons
",
votre fils, Christian Vadim, fait une courte apparition. Cela vous a-t-il
émue ?
Josée Dayan cherchait un jeune acteur avec une certaine élégance
pour jouer le mari de Madame de Tourvel et elle ne le trouvait pas quand
nous avons pensé à Christian. En fait, je n'ai pas eu de
scène face à face avec lui. Je ne sais pas d'ailleurs si
j'aimerais ça ou si je le redouterais.
Votre prochain film ?
Avec André Téchiné, cet automne.
Et revenir à la comédie
?
J'aimerais beaucoup le faire et je passe donc
une petite annonce. Mais comme je suis une comédienne et pas une
comique, c'est plus dur de trouver le bon scénario. Une belle histoire
comique n'est pas chose facile à dénicher, surtout dans
le climat actuel...

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