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Ses interviews / Presse 2000-09 / Première 2005 |
Repères
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Dans "Palais Royal !" de Valérie Lemercier (sortie le mois prochain), Catherine Deneuve entame une deuxième "Vie de château" (Rappeneau, 66). Elle y incarne une désopilante reine mère qui prend ombrage de la grandissante popularité de sa belle-fille (Valérie Lemercier en Lady Di machiavélique). Dans la vie, Catherine Deneuve est vive, pétillante, anti-langue de bois. Gad Elmaleh brûlait de la rencontrer. C'est fait. Comment vous êtes-vous connus tous les deux ? Catherine Deneuve : En Suisse, dans une banque. [Elle éclate de rire]. Non, nous avons en Suisse un ami commun qui, tous les deux ans, au cours d'une fête, lève des fonds pour les enfants du Vietnam et du Brésil. Je suis la marraine de sa fondation. Gad est venu faire un spectacle. Gad Elmaleh : Et nous sommes entrés en contact grâce à l'humour. J'aime que ça se passe comme ça, surtout avec les gens pour lesquels j'éprouve de l'admiration. Catherine peut facilement partir dans l'absurde et dans l'imaginaire. CD - Je le tiens de mon père qui avait pas mal d'humour. Comme ma sur Françoise [Dorléac], d'ailleurs. Et comme les hommes que j'ai aimés. Ils avaient tous ça en commun : la fantaisie. Un homme sans fantaisie, c'est rédhibitoire. Non ? GE - Voilà, pas d'humour, pas d'amour... Gad, pourquoi as-tu tellement insisté pour rencontrer Catherine ? GE - [II fait mine de réfléchir]. En fait. J'avais vraiment envie de boire un coup avec Catherine Deneuve. De passer un moment avec elle. De me payer un gros kiff. Je me suis dit : "Avec Première, il y a un côté officiel, elle va accepter". Sinon, elle ne va pas comprendre. CD - [Dans un rire]. Il exagère. Je suis allée voir son spectacle. On avait projeté de dîner un soir ensemble. Puis il est parti sur ses immenses tournages... Vous tournez quoi en ce moment ? GE - "Hors de prix", le film de Salvadori. CD - Oh, je l'adore. "Hors de prix", c'est avec qui ? GE - Audrey Tautou. CD - [Faussement vexée]. Vous voulez dire que Pierre Salvadori m'a préféré Audrey Tautou ! Je trouve ça absolument anormal. Vraiment, je ne comprends pas. Vous lui glisserez... GE - Oui, Catherine, mais c'est votre faute aussi. Souvenez-vous : vous aviez refusé "Amélie Poulain"... CD - Je sais. C'était d'ailleurs une très grande erreur. [Rire]. Catherine, quels sont les comiques qui vous touchent ? CD - Valérie Lemercier, dont j'aime le mélange de rigueur, de folie. Et la voix élégante qui lui permet de faire passer des choses terribles, effrayantes. Gad, pour l'utilisation qu'il fait de son corps, l'élégance de ses mouvements et sa grâce. Zouc. Raymond Devos. Guy Bedos, à un moment en tout cas. Danny Kaye et Jerry Lewis. Qu'est-ce qui vous a séduite dans le scénario de "Palais Royal !" ? CD - Valérie écrit d'abord pour les acteurs et puis j'aime beaucoup son côté scato. D'autant qu'avec elle, ça ne devient jamais vulgaire, juste grossier. GE - Vous faites allusion à votre réplique sur la calligraphie, "aujourd'hui, j'ai fait une série de p, ça m'a détendue" ? CD - Par exemple. Elle m'a beaucoup reprise sur le phrasé. Je marquais dans la phrase une césure qui ne lui plaisait pas et qui empêchait cette "série de p" d'être efficace. Je trouve que la comédie est un genre très difficile. Si ça ne marche pas, il ne reste rien. Ça tombe à plat, comme un soufflé raté. On y est très exposé au ridicule. On est seul. Le mécanisme, le rythme, les ruptures, viennent de vous. Il faut un courage fou pour se lancer. Avez-vous le sentiment d'en avoir tourné assez ? CD - Non, j'aurais aimé en faire plus. Mais je suis une comédienne, pas une comique... GE - [Outré]. Je ne suis pas du tout d'accord. CD - Si, si, je vous assure. Je suis un peu décalée, pince-sans-rire. Mais je ne suis pas comique, comique. GE - Vous avez pourtant le timing d'une comique. Quand vousdécalez d'une seconde une réplique de "Palais Royal !" Comme : "Pas évident à débrider, les deux Pokémons", cela témoigne d'un vrai sens de la comédie. D'une rigueur, aussi. CD - Quand je travaillais avec Jean-Paul Rappeneau ["La vie de château", "Le sauvage"], il me disait toujours : "La comédie, c'est une musique. Il faut donner sa réplique à la seconde près. Trop tôt ou trop tard, elle n'aura pas le même impact ". Avec Gad, c'est tout de suite à sa place. Je vois ça comme un don. Valérie Lemercier a écrit le rôle pour vous ? GE - Non, pour Audrey Tautou. Il ne faut pas se mentir, Catherine. À la base, c'était pour Audrey. [Rire]. [Insistant]. Ce rôle de reine, c'est un rôle de pure composition ou vous vous y êtes retrouvée ? CD - Je partage avec le personnage un côté très pragmatique. Cette rapidité à passer d'une chose officielle à une chose très quotidienne. Valérie a pris ça de moi. En revanche, je n'ai pas son cynisme. Moi, je suis plutôt ironique. C'est de famille. A la maison, je vous l'ai dit, on ne se prenait pas au sérieux. C'est vrai qu'on vous surnommait malicieusement "maman" sur le tournage ? GE - [Horrifié]. Maman ? CD - [Également horrifiée]. Ils devaient le dire quand je n'étais pas là. Je vois ça d'ici : "On va aller chercher maman, elle est encore dans sa caravane". [Son rire fuse]. Passe pour Valérie, avec son phrasé si spécial. Mais les autres ! Ah, non alors... C'est comme les hommes qui appellent leur femme "maman". Je trouve ça triste. GE - [Enchaînant]. Valérie était-elle très précise sur le plateau ? CD - Elle était très précise sur des détails. Le décor. Le tombé d'un drap. La place d'un bouquet de fleurs. Elle dirigeait à l'oreille. Puis elle jouait. C'était donc très lourd pour elle. Elle avait du mal à commencer les journées de tournage. Moi, rien ne pourrait me pousser à tourner un film. D'ailleurs, je n'écris pas. La question ne se pose donc pas. Mais si je mets l'il à l'illeton de la caméra, c'est comme Alice au pays des merveilles. Je traverse le miroir. J'ai peur de ne jamais retourner de l'autre côté. Gad est un homme de scène. Vous, Catherine... CD - Ah, moi, je suis une femme de l'ombre. Vous redoutez toujours autant de faire du théâtre ? CD - Oui, j'ai le trac. GE - Pourquoi ? C'est la proximité du public qui vous effraie ? CD - Et la concentration des regards sur vous. [Un temps et puis...] J'ai la vague idée d'un texte tiré d'un film... Quand je repense à "Qui a peur de Virginia Woolf ?", je me dis que cette pièce chargée de violence m'aurait plu. Quand je vois " La mouette ", je juge les personnages merveilleux. Mais j'ai encore plus peur qu'envie. On vous l'a proposé constamment, j'imagine ? GE - Tous les jours, il y a un mec qui appelle... CD - Régulièrement, c'est vrai. Mais je fais un cauchemar récurrent. Je suis sur scène. Je ne sais pas mon texte. Et rien n'est prêt. GE - Moi, dans mes cauchemars, personne ne rit. Je me prépare même à le subir avant chaque première. Je me dis : "Ça y est, je vais faire mon fameux cauchemar à l'Olympia où personne ne se marre". CD - Pour un comique, ce doit être épouvantable, une scène glacée. On est tout seul dans ce halo de lumière, avec des spectateurs qui ne rient pas. Rien que de l'évoquer, j'ai la chair de poule. GE - Quand ça ne prend pas, vous en rajoutez. Et plus vous en rajoutez, plus le public se détache. Après dix ans de one-man-show, je parviens à peine à me dire : "Joue. Joue avec l'énergie nécessaire sans vouloir à tout prix aller les chercher". Quand ça ne fonctionne pas, je suis courbaturé de partout. CD - Les muscles doivent se tétaniser. L'adrénaline vient vous empoisonner. Je comprends très bien qu'on ait mal dans son corps. Donc, Catherine, le théâtre ? CD - Je me connais. Peut-être qu'un jour, brutalement, je dirai oui. Je peux me décider très vite. Catherine, Gad va enregistrer un album, vous avez souvent chanté... CD - J'adore ça. Quand mes enfants étaient petits, ils m'engueulaient tout le temps. Je chantais dans la rue et ça les gênait. Comme ça gêne les enfants dès que l'on sort du cadre. Chez moi, lorsque j'étais gamine, on chantait aussi beaucoup. J'oubliais les poèmes et les chansons que j'apprenais à l'école, mais pas ceux que mes parents récitaient et chantaient en voiture. Les trajets étaient longs. Il n'y avait pas d'autoroutes. Alors, on chantait. GE - Moi, je m'imaginais chanteur quand j'étais petit. J'me voyais... CD - En haut de l'affiche ? GE - Oui, je voulais séduire. D'ailleurs, je joue du piano. Et toute mon adolescence, je l'ai passée à faire mon malin dans les soirées. Je jouais toujours la même chose. Mais les nanas n'étaient pas censées le savoir. Évidemment, il ne fallait pas qu'elles soient à la soirée de la veille... [Rire]. Vous êtes tous les deux issus d'une famille d'artistes. C'est une émulation ? CD - Pas du tout. Moi, d'ailleurs, je ne voulais pas être actrice. J'ai commencé très jeune. À 15 ans. Et à 15 ans, on ne sait pas. Tout ce qui m'intéressait, c'était d'être amoureuse. Être amoureuse, c'est très absorbant. Ça demande une telle concentration... GE - C'est épuisant, vous voulez dire. Même si, avec les 35 heures de l'amour maintenant, c'est quand même plus facile. Dans quoi imaginez-vous Gad au cinéma ? CD - Dans tout. Vraiment. Même dans des films d'horreur. Dans un remake de "Nosferatu" par exemple. Je l'aurais aussi bien vu tourner avec Fellini. Être un acteur dramatique, c'est beaucoup plus facile que de faire rire. Et je lui trouve un visage émouvant. GE - Avec quels réalisateurs aimeriez-vous tourner, Catherine ? CD - Lucas Belvaux, Pierre Salvadori, Cédric Klapisch, Xavier Giannoli... GE - Sur quoi vous décidez-vous ? CD - Le scénario. Le metteur en scène. Mais pas forcément le rôle. Là, je vais commencer "Le concile de pierre", de Guillaume Nicloux. Monica Bellucci a le rôle principal. Mais cette histoire étrange sur le chamanisme m'intéresse. Vous partez donc en Mongolie. CD - Ça m'aurait beaucoup plu, mais non. Pour moi, hélas, ça se résumera aux rochers de Fontainebleau. GE - Vos critères de choix ont-ils changé ? CD - Non, quand j'avais 20 ans, je me décidais déjà sur le réalisateur ou l'histoire. Et puis, je déteste les redites. Je suis assez curieuse de nature. J'aime la comédie. Avec André Téchiné, nous avions d'ailleurs un projet. André Téchiné avait un projet de comédie ? CD - Mais il a beaucoup d'humour, vous savez. Bon, ça ne se fera pas. C'est trop lourd, trop cher. Et l'argent devient aujourd'hui un critère absolu de non-réalisation. André va donc réaliser un film sur les débuts du sida à Marseille. Très beau scénario d'ailleurs. Même avec Catherine Deneuve, un projet pareil ne se monte pas ? CD - Tout dépend des télés. Et pour les télés, un film d'auteur, même plus léger que d'habitude, reste un film d'auteur. Aujourd'hui, rien ne suffit à lever un financement de 14 semaines. Ni un metteur en scène. Ni une actrice comme moi. GE - Vous avez souvent été à l'origine d'un projet ? CD - Oui, du film de Philippe Garrel que j'aime beaucoup, "Le vent de la nuit". On se rencontrait parce qu'on habite le même quartier. On a donc pris une ou deux fois un café ensemble. Il m'a d'abord apporté un premier scénario qui m'a paru trop proche de moi. Puis un deuxième écrit avec Marc Cholodenko. Celui-là était vraiment très bien. Je n'ai pas vraiment, par conséquent, été à l'origine du projet. Mais j'ai poussé Garrel à aller vers quelque chose qu'il imaginait à travers moi. GE - Vous croyez donc à ce type de démarche. CD - Oui, si le rapport est équilibré. Il ne faut pas que ce soit artificiel. Que le réalisateur se dise : "C'est maintenant ou jamais". Est-il vrai, Catherine, que vous ayez appelé Gad pour le féliciter, un soir, après les Césars ? CD - J'avais regardé les Césars à la télévision. Car je n'y vais plus. C'est une décision que j'ai prise, voilà des années déjà. Je l'ai donc regardé et j'ai trouvé la salle dure. Mais il restait lui-même. Il gardait son insolence et son humour, même s'il devait ramer. GE - Ça me touche que vous ayez perçu ce dans quoi je me débattais. Pourquoi ne venez-vous plus aux Césars ? À chaque fois que j'évoque votre nom pour présider la soirée, on me répond : "Elle ne viendra jamais". CD - Écoutez, j'y suis allée très longtemps. Trop longtemps sans doute. Il y a quelque chose de flou sur les votes et le nombre de votants. Je trouve que ce n'est pas aussi net que pour les Oscars en tout cas. Je ne trouve pas normal non plus que les acteurs, par exemple, puissent voter pour des professions techniques sur lesquelles ils n'ont pas forcément de compétences. Enfin, beaucoup ne votent qu'au deuxième tour, ce qui explique la disparité de la sélection avec les résultats. Et puis aux Oscars, où je suis allée deux fois, tout le monde se mélange. Alors qu'aux Césars, il y a la salle de ceux qui l'ont reçu et la salle de ceux qui n'ont rien eu. Donc, un jour, je me suis dit : "Pour moi, c'est fini". GE - Parlons peu, parlons bien. Moi, Catherine, je voudrais qu'on fasse un film muet ensemble. Un film dans les textures, avec les costumes du muet... CD - [Emballée]. L'expressionnisme m'intéresse évidemment beaucoup. Mais, au contraire de vous, je le vois très contemporain. Dans la vie normale, avec la rue, les vêtements de tous les jours. Et il faudrait que ce soit court: 1 h 20 maximum. Tous les films sont trop longs. À part "Fanny et Alexandre" [Ingmar Bergman, 83], bien sûr. GE - Bon, d'accord. D'accord pour 1 h 20. Mais "Rois et reine", de Desplechin, c'était long, non ? Pourquoi avez-vous choisi de le tourner ? GE - Parce qu'elle ne fait que des trucs de rois et de reines. CD - Voilà, parce que je suis la reine
de France. [Rire]. |
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