Ses interviews / Presse 2000-09 / Première 2007
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

Quoi de neuf ?

Il y d'un côté Deneuve, inébranlable pilier du cinéma français. De l'autre, Catherine, terrienne, directe, fumeuse de cigarettes " de fille " extrafines. Dans "Après lui", de Gaël Morel, l'actrice réconcilie ces deux facettes. Voici Deneuve dans le texte.

Une vague de Coca-Cola light s'abat sur son pull vert anis. Catherine Deneuve jure que "c'est enquiquinant", et puis, très vite, oublie. Elle aime la voix de Beth Gibbons, aller en concert à La Cigale, danser sur les tournages dès qu'elle est loin de Paris. De "Tristana" (Luis Buñuel, 70) à "8 femmes" (François Ozon, 02), du "Sauvage" (Jean-Paul Rappeneau, 75) au "Temps qui changent" (André Téchiné, 04), la comédienne a tracé une voie unique dans le cinéma français sans jamais se perdre, se commettre ou s'abaisser. Elle vient d'achever à Roubaix "Un conte de Noël ", dernier long métrage drôle et cruel d'Arnaud Desplechin. "Du matin au soir, seul le film compte pour lui", dit-elle. Et l'on sent bien qu'elle s'en réjouit. Elle défend aujourd'hui "Après lui", de Gaël Morel (présenté à la Quinzaine des Réalisateurs). Elle y est Camille, une femme qui perd son fils dans un accident de voiture et rejette l'idée même de deuil. Rencontre avec un symbole qu'on qualifierait volontiers de rock'n'roll.

Pourquoi avoir choisi de jouer dans "Après lui" ?
Je trouvais le parti pris dérangeant et le sujet à la fois grave et universel. Cette mère, au fond, fait ce qu'il ne faut pas faire puisqu'elle refuse d'accomplir son deuil. Elle opère un transfert sur l'ami de son fils. Cherche à transformer la mort en vie. Décide qu'elle sera utile à ce garçon malgré lui. La mise en scène de Gaël, que j'ai rencontré de façon sporadique lorsqu'il travaillait avec André Téchiné, me touche par son élégance et sa simplicité. Il privilégie les plans-séquences. Se montre très attentif à la durée de la scène. Bref, à l'image d'un Arnaud Desplechin qui, lui, découpe au contraire beaucoup, Gaël ne tourne pas de façon conventionnelle.

Comment avez-vous travaillé pour devenir cette mère ?
Le travail dans le métier d'acteur, je ne sais pas ce que c'est. Je préfère le terme anglais de "dedication" [se dédier à] ou parler de concentration. J'ai du mal à me concentrer longtemps. Je m'y plie par phrases courtes et intenses qui me laissent très abattue. Il m'arrive donc de dormir d'un œil, comme un soldat, n'importe où sur les tournages. Même dans un costume d'époque, une perruque sur la tête… Cela dit, je redoutais l'investissement affectif nécessaire au film de Gaël. J'ai d'ailleurs tergiversé avant de l'accepter. Bien que le tournage se soir révélé très joyeux, incarner ce personage pendant deux mois, chaque jour, me paraissait trop lourd.

Dans "Après lui", la femme que vous interprétez brûle l'arbre responsable de la mort de son fils. Comprenez-vous ce geste ?
Je ne le comprends que trop bien. [Un silence]. Oui, je comprends qu'on puisse vouloir détruire l'objet du mal, l'objet fatal, puisqu'il est impossible de se réconcilier avec lui ou de l'apprivoiser. Dans une première version du scénario, mon personnage débarquait avec une tronçonneuse. Certains jugeaient cela dérisoire. Moi pas. Je prends souvent la même petite route à l'ouest de Paris. Et tous les ans, à la même place, j'y vois un bouquet de fleurs sur une glissière. Il faudrait oublier le lieu du destin. Mais comment faire ? Alors, on le marque.

Votre sœur, Françoise Dorléac, a elle aussi trouvé la mort sur une route…
C'est l'une des raisons qui m'ont fait beaucoup hésiter à me lancer dans l'aventure d' "Après lui". Je n'aime pas que le personnel ou l'intime viennent se mêler à la fiction. Je redoute par-dessus tout l'indécence de la chose. Mais soit on craint la douleur que va susciter le tournage, soit on espère évacuer de mauvaises idées et se libérer de mauvais souvenirs. J'ai pris ma décision en espérant qu'il s'agissait de la bonne.

Votre filmographie compte 100 longs métrages, vous aimez les nuits blanches, vous parlez très vite. On vous sent, depuis toujours, consciente de la brièveté de l'existence.
Plutôt que les nuits blanches, j'apprécie le silence de la nuit. Mais pour le reste, vous avez raison, j'ai malheureusement eu la confirmation très tôt de la brièveté de la vie. Comme beaucoup d'enfants, j'ai vécu des choses difficiles. Je me souviens de la mort d'amis de mes parents. Je me souviens de celle de Louis Jouvet. Françoise répétait une pièce avec lui quand il est tombé sur la scène de l'Athénée. Comme sa compagne était l'une des meilleures amies de maman et la marraine d'une de mes sœurs, nous nous sommes tous rendus à son enterrement. J'étais très jeune. J'intériorisais.

Vous avez longtemps été la proie des clichés - bourgeoise, glacée, etc. Quand avez-vous perçu que le regard braqué sur vous changeait ?
Avec mes films d'André Téchiné et "Le dernier métro" (François Truffaut, 80). Les personnages y étaient moins sophistiqués peut-être, moins beaux extérieurement. Ils trimbalaient quelque chose de plus vulnérable. De plus évident.

Quels sont ceux qui vous ont construite ?
Ils forment une chaîne invisible don't il m'est impossible d'enlever les maillons. Ils sont par ailleurs absolument indissociables des cinéastes avec lesquels j'ai travaillé. J'ai sans doute tourné des longs métrages "inutiles" puisqu'ils n'ont pas laissé de traces, mais la relation avec le metteur en scène a pu s'y avérer forte. Comme le disait François Truffaut : "Mieux vaut un grand ou un petit film malade qu'un truc inintéressant". Une filmographie, c'est une boule. Elle ne roule pas toujours. Elle ne grossit pas toujours. Mais tout y est complètement lié.

Conservez-vous le souvenir d'un tournage parfait ?
Qu'est-ce que la perfection après coup ? Peut-être "Le dernier métro" car nous avions tous conscience de travailler sur un scénario formidable. Oui, nous possédions cette confiance-là. Et puis "Les parapluies de Cherbourg" (Jacques Demy, 64). "Les parapluies…" furent pour moi une sorte de révélation, de rideau déchiré. Jusque-là, le cinéma ne m'emballait pas tant que ça. Avec "Les parapluies", je me suis sentie regardée.

Seriez-vous d'accord pour reconnaître que vos personnages ont tous pour point commun la transgression ?
Vous m'auriez posé la question il y a vingt ans, je vous aurais répondu : peut-être. Aujourd'hui, je me rends compte que ce sont en effet toutes des femmes qui n'acceptent pas forcément de se plier aux règles de la société. Ca, ça me ressemble assez. Quelquefois, j'ai envie de dire : "Mais cessez donc d'interroger les acteurs. Regardez ce qu'ils font et surtout ce qu'ils n'ont pas fait. Décryptez leur "cartographie". Observez ce vers quoi ils se sont portés". Moi, j'ai toujours été guidée par la curiosité, l'emballement, l'intuition des êtres. Oui, j'ai toujours privilégié, même si je ne le savais pas forcément de manère aussi nette à mes débuts, les cinéastes et les sujets aux rôles. Je choisis des projets, des histoires. Je ne cherche pas les héroïnes.

Parlons de vos refus alors. Pourquoi avoir laissé passer "Belle toujours", de Manoel De Oliveira ?
Je trouvais plus intéressant de prendre Bulle Ogier. Elle n'avait pas joué "Belle de jour" (Buñuel, 67) et pouvait donc se permettre de répondre aux questions de Piccoli. Avec moi, tout serait devenu plus bavard, plus explicatif. Démystifier ? Franchement, je n'étais pas pour.

Vous semblez toujours vous être tenue à l'écart des scènes de nu et de sexe ?
La nudité n'a rien d'érotique à l'écran. Les acteurs ne sont plus des acteurs. Ils redeviennent des êtres normaux. Je ne vois plus leur fragilité quand il n'y a pas de costume, même un tout petit…comme un maillot de bain. La nudité chasse l'idée de jeu. Là encore, elle démystifie. Les films les plus érotiques, à l'exception de "Head-on", de Fatih Akin, où les scènes de sexe me paraissent très réussies, sont ceux qui gardent tout. Comme "La marquise d'O" (Eric Rohmer) ou "La fièvre dans le sang" (Elia Kazan). Alors, c'est vrai, j'ai été très peu nue dans les longs métrages que j'ai tournés, à l'exception du "Sauvage" (Jean-Paul Rappeneau), de "La sirène du Mississipi" (François Truffaut, 69), de "Belle de jour" et de "Pola X" (Leos Caroux,99), car la nudité reste, pour moi, quelque chose de très privé. Même les séquences de baisers peuvent me gêner. Pas par pudibonderie, évidemment, mais parce que je les trouve mal filmées, moches et sonores. Seul Hitchcock échappe à la règle. Les baisers chez Hitchcock procurent une réelle émotion. Ils sont vraiment magnifiques, non ?

Pourquoi partir au Liban tourner des courts dans un Beyrouth dévasté ?
Je n'y vais pas par compassion mais parce que garder une trace de l'histoire passe aujourd'hui par des documents filmés. Cette guerre me touche. Ce pays pris en tenaille, qui retombe à peine après s'être relevé, aussi. Et puis, nous, les acteurs, avons très peu de chance de faire des choses qui ne soient pas dévoyées.

Vous avez déclaré avoir accepté la vice-présidence du jury du festival de Cannes aux côtés de Clint Eastwood parce que vous saviez qu'ils préparait "Sur la route de Madison". C'est curieux de l'avouer…
Pourquoi ? Et puis, je l'ai dit longtemps après. Ce n'est d'ailleurs pas un souvenir très agréable. Clint Eastwood était trop entouré. Il y avait une pression folle et pas assez d'échanges ni de discussions.

Quelles jeunes actrices vous semblent vraiment de leur époque ?
Cécile De France et Audrey Tautou. Elles allient la sagesse à l'énergie. L'énergie me semble parfois manquer dans le cinéma français, au contraire des films américains. Nous sommes définitivement plus latins.

Comment réagissez-vous lorqu'on parle de vous comme de "la grande dame" du cinéma français ?
Comme l'explique mon agent : "Il faut accepter les hommages avant qu'il ne soit trop tard", même s'ils ont un côté arrêt sur images. Quant au caractère institutionnel du mot "dame", il me donne envie de balancer des coups de pied. [Elle éclate de rire]. Je vous rassure, je n'aime pas non plus le terme de "grande". Moi, je me vois comme une actrice qui travaille. Mais, surtout, je vis. [Ironique]. Quand Gaël Morel me filme dans un concert de Tatiana's ou en train de pousser un scooter, ça n'a rien d'extravagant, vous savez. Alors, disons plutôt "petite dame du cinéma français". Vraiment, "petite dame du cinéma français" m'irait assez.


Par : Sophie Grassin
Photos : Kate Barry


Film associé : Après lui

 



Documents associés