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"Le plaisir de donner du plaisir"

Catherine Deneuve retrouve André Téchiné. Formant à nouveau avec Depardieu un couple mythique. Entretien sur la vie, l'amour et la fuite du temps.

Blondeur, lunettes noires, ensemble de ville gris douceur. Catherine Deneuve a la politesse des reines. 17 heures, Rive Gauche. La star apparaît souriante, commande, coup sur coup, deux cafés serrés pour se réveiller et s'abandonne à la rencontre. Décontractée, généreuse, éclatant de rire parfois. Comme une femme amoureuse. Il faut dire qu'elle est sur un terrain de confiance et d'amitié : Téchiné qu'elle retrouve pour la cinquième fois. Depardieu avec qui elle forme un couple mythique à l'écran depuis 25 ans. Le cinéma mais aussi la vie, l'amour, les temps qui changent.


"Aimer est une joie et une souffrance" disaient vos personnages dans "La sirène du Mississippi" et "Le dernier métro". Qu'en pensez-vous, vous qui incarnez dans " Les temps qui changent " une femme voyant resurgir son premier amour 35 ans plus tard ?
Aimer est un état de tension, de fébrilité. Il provoque des douleurs mentales et physiques car, dès qu'on aime quelqu'un, on est dans la peur de le perdre. Difficile d'avoir des protections. Au contraire, on se retrouve dans un état de fragilité incroyable car on devient possédé par l'autre. Mais j'y crois toujours.

André Téchiné vous offre à nouveau un magnifique personnage de femme. Et de cinq !

Oui. Ses héroïnes sont très réalistes, avec cette part de folie qu'on ne peut sonder qu'au moment où le destin les met en relation avec des choses extrêmes. J'aime l'idée que les choses ne sont pas jouées d'avance. Tout le monde a sa part de folie. Un des immenses plaisirs de cinéma est de pouvoir vivre cela à travers un personnage. Dans la vie, la notoriété impose plus de contraintes qu'on ne l'imagine. On finit par adopter des réflexes de protection qui éloignent de la liberté qu'on aimerait avoir.

Téchiné va merveilleusement à l'ombre de vous-même !
On se connaît depuis un quart de siècle. Tourner avec lui, c'est retrouver un ami. On a le même âge. On se sent comme frère et soeur. On se voit très régulièrement. Il fait partie de ces quelques metteurs en scène qui vous emmènent : on ne sait pas très bien où au début. Même lui ne sait pas. Mais on sait qu'on ira loin. Cela déroute certains. Moi, j'adore. C'est excitant. Je joue sa partition en improvisant de temps en temps. André attend beaucoup des répétitions, de la mise en place, des acteurs. Avec lui, jamais de routine.

En dessinant les personnages d'Antoine et de Cécile, il rejoint le couple mythique que vous formez avec Depardieu mais aussi sa fameuse phrase disant que vous êtes l'homme qu'il aimerait être.
Antoine a fait de l'amour la grande histoire de sa vie, ce qui est plutôt féminin. En fait, Gérard, qui dégage une force incroyable, est très féminin. Si j'apparais assez féminine, j'ai quelque chose de très viril en moi. C'est ça qui lui plaît. André était très conscient de ça : il pense que quand des acteurs sont connus et ont un passé cinéma, il faut essayer de jouer avec ça pour renforcer la force des personnages. Nos retrouvailles font écho à des éléments issus de films passés.

Pourquoi votre couple fonctionne-t-il si bien à l'écran ?
Cela reste très mystérieux. Quand je nous vois, c'est une évidence. Question de chimie. Rien à voir avec le physique mais plutôt avec des choses qu'on ne cerne pas immédiatement tel la voix, le rythme, la façon de dire... Il y a quelque chose qui s'emboîte très bien avec Gérard.

Que vous évoque le sujet du film ?
Que les temps changent mais pas le reste. Quand je repense à ce que je rêvais adolescente, j'ai l'impression de ne pas être très loin de cette jeune fille-là. Bien sûr, j'ai évolué, appris des choses. Changé, je ne crois pas. On ne change pas de nature profonde.

Et par rapport au cinéma ?

Ma révélation, je la dois à Jacques Demy. J'avais à peine 20 ans. A l'époque des "Parapluies de Cherbourg", un véritable rideau s'est déchiré sous mes yeux. J'avais l'impression de découvrir un autre monde. Je n'étais pas certaine de continuer. J'avais une curiosité, je faisais ça sur le côté. J'ai commencé par hasard.

Puis c'est devenu une passion vitale ?
Pas vitale, essentielle ! Le cinéma : je fais ça depuis très longtemps. Je ne me vois pas faire autre chose. J'adore jouer, voir des films. Le cinéma est une respiration naturelle. J'ai grandi avec. Mes parents étaient comédiens. J'ai commencé à tourner très jeune parce que ma soeur était actrice. Sans elle, je n'aurais sans doute pas emprunté cette voie. J'ai eu la chance de travailler. De faire des films importants de grands metteurs en scène. J'en suis très consciente et j'en suis fière en sachant que ma fierté ne va pas au-delà car ce sont surtout de films de cinéastes dont on se souvient quand on pense à moi.

Choix délibéré dès le départ ?
J'ai eu la chance de croiser Jacques Demy très jeune, donc d'être en contact avec la réalité d'un cinéma particulier. Cela m'a donné d'emblée une orientation. Qui correspondait aussi à ma nature. Ensuite, j'ai eu la chance de rencontrer Polanski, Buñuel, Rappeneau, Truffaut... J'ai vite compris que le metteur en scène était l'interlocuteur le plus intéressant. J'aime les cinéastes qui creusent leur sillon. Ce qui compte n'est pas ce qu'on dit mais ce qu'on fait. A ce point de vue, ma filmographie parle pour moi.

Seriez-vous agacée par l'image figée que certains ont de vous ?

Non parce que c'est le reflet des temps qui changent et en même temps, l'image ne m'est pas insupportable. Ce sont juste des petits malentendus. L'image papier glacé renvoie une personne sophistiquée. D'où des automatismes. Je suis fataliste par rapport à ça. Et mon entourage proche est formé de gens que je connais depuis très longtemps, avec qui il n'y a pas de faux-semblants, ni de malentendus.

Votre secret pour assumer l'icône publique et incarner des personnages familiers ?
En dehors du ciné, je fais peu de chose publiques. C'est dans mon caractère : j'évite une certaine presse ; je n'aime pas beaucoup les cocktails, les soirées, les réceptions. Je sors peu. Simple envie de choses calmes et personnelles après avoir travaillé dans la lumière. Je ne contrôle pas tout mais je réussis l'équilibre.

Si je vous dis : la fuite du temps ?

C'est le mouvement de la vie, la preuve qu'on ne peut jamais savoir. C'est aussi très mélancolique. Tout dépend du moment de la vie et des heures de la journée. Pour une femme, les temps qui changent, c'est aussi quelque chose de redoutable. Et doublement redoutable pour une actrice.

Comment le gère-t-on ?
On ne gère pas du tout ! On fait semblant.

Mais quand on vous voit, on est plein d'espoir !
Parfois, une phrase comme celle-ci aide. Cela fait partie des petits messages où j'ai l'impression que les gens me disent quelque chose. Je reçois des courriers formidables. Quelquefois, le matin, ma secrétaire m'en lit un en me disant qu'il va me mettre du baume au coeur. Et c'est vrai. Quand quelqu'un m'écrit que s'il a le cafard, il met "Les demoiselles de Rochefort" pour aller mieux, ça me fait plaisir. Plaisir de savoir que je donne du plaisir.

Au théâtre, vous auriez le retour immédiat du public. Jamais eu envie de cette aventure-là ?
Si. Bien sûr que si ! Mais la peur est toujours plus grande. Mais les temps peuvent changer ! Si je savais que c'est irrémédiable, je n'en aurais pas aussi peur, ce serait un truc réglé.


Par : Fabienne Bradfer


Film associé :
Les temps qui changent

 



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