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Qu'est-ce qui fait rire Deneuve ?

Grâce à "Palais Royal !", on (re)découvre sa puissance comique. D'où l'envie de lui demander : qu'est-ce qui fait rire Deneuve ?

"Une demi-heure pour le rire, c'est suffisant !" En pleine promotion de "Palais Royal !", Catherine Deneuve n'a pas pu nous accorder davantage pour parler de ce qui est le propre de l'homme... et donc de cette femme. Les pages de son agenda l'attestent, elle est très occupée. Dans la foulée de notre rendez-vous au Ritz, elle doit se faire photographier pour le prestigieux magazine américain Vanity Fair. C'est dire si cette demi-heure était précieuse. Elle se révélera riche. Abordez le cinéma avec Deneuve et vous vous retrouvez face à une cinéphile passionnée, aux goûts éclectiques... pour ne pas dire étonnants. Allez savoir pourquoi, on ne l'imagine pas se bidonner en regardant "Mary à tout prix" ou les Nuls. Et pourtant, c'est le cas. Du coup, les réalisateurs, eux, ne l'imaginent pas dans une comédie. Or, dans "Palais Royal !", en reine mère peu compatissante, elle démontre une puissance comique atomique. D'où notre envie de savoir ce que représente le rire pour elle. Trente minutes pour l'écouter en parler, avec intelligence et sans fard, c'était effectivement suffisant. Mais pour qui l'aime inconditionnellement, c'était trop peu.

Certains s'étonnent de vous voir si drôle dans "Palais Royal !", comme si la comédie ne faisait pas partie de votre registre. Pourtant, vous en avez tourné.
Oui, mais on l'oublie. Et puis je n'en ai pas fait tant que ça, malheureusement... J'aimerais bien en tourner plus souvent. C'est très agréable, mais ce n'est pas facile. Tout le monde croit que l'on doit s'amuser beaucoup, mais non. Il y a plus de tension. La comédie, on sait tout de suite si ça marche ou pas. Il y a une obligation de résultat immédiate.

Sinon, sur un tournage, vous avez tendance à rire ?
Oh oui ! Je suis mélancolique, mais j'adore rire. Je ne suis pas très gaie, mais je suis très rieuse. Je ne rate pas une occasion de rire.

Qu'est-ce qui vous a amusée dans "Palais Royal !"
L'incongruité, ce mélange de choses que l'on imagine derrière l'apparat, le protocole... Valérie a bien chargé les dialogues, en utilisant des expressions quotidiennes qui font rire parce qu'elles contrastent avec le raffinement de ces gens. Ils sont censés donner l'exemple, mais parlent avec une certaine trivialité.

Valérie Lemercier joue sur l'image que l'on peut avoir de vous pour amplifier le comique de certaines situations. Comme dans cette scène où vous parlez de graphologie...
Évidemment. C'est sûr qu'elle a écrit cette réplique sur la graphologie parce qu'elle savait que c'était moi qui allais la dire. Ça l'a sûrement amusée de forcer un peu le trait, puisque, a priori, on attend tout de moi, sauf ça. Elle est un peu scato, Valérie. Je trouve ça drôle !

Les comiques ont souvent une réplique culte. Grâce à "Palais Royal !", vous avez la vôtre.
(Elle éclate de rire.) Ah oui, lorsque je dis devant les invités japonais : "Pas évident à débrider, les Pokémon". Je dois dire qu'il y a dans le film quelques répliques comme celle-là qui sont assez drôles. Mais, là aussi, le rire naît du contraste entre le dialogue et la personne qui le dit.

Vous êtes très cinéphile, mais aimez-vous la comédie ?
J'adore les comédies américaines, qu'elles soient de Wilder, Capra, Lubitsch...

Passons-en quelques-unes en revue : "Certains l'aiment chaud", de Billy Wilder, avec Marilyn.
Dans les comédies, Marilyn est merveilleuse de légèreté. Elle joue les idiotes comme seules les actrices intelligentes peuvent le faire. C'est un régal pour le spectateur, ce mélange de naïveté, de sex-appeal et de grâce.

Billy Wilder a évoqué les difficultés qu'elle avait parfois à dire son texte. Avez-vous ce problème ?
Oui, ça peut m'arriver. La comédie est un exercice très particulier. La même phrase, prononcée autrement, ne marche pas. On sait que tout tient dans le rythme. Dans "Le sauvage", de Rappeneau, par exemple, je n'avais pas de longs monologues, mais il y avait des échanges rapides... On se renvoyait la balle à un rythme effréné.

C'est moins évident d'être drôle avec le "Bon, ben alors, 8 heures et quart" que vous lancez à Yves Montand dans ce film qu'avec "les Pokemon" de "Palais Royal !". Et pourtant, vous l'étiez.
(Rires) Oui, mais ça, c'est la grâce des dialogues de Jean-Loup Dabadie. Souvent, ce qui fait rire, ce sont les choses infimes, de tout petits trucs qui dérapent, comme là, cette citadine qui parle à Montand comme à son secrétaire, alors qu'ils sont sur une île déserte. Des petits détails qui, hors contexte, ne sont plus drôles.

Revenons à la liste : "Mary à tout prix"...
Des frères Farrelly. Je les adore. Je trouve ce film absolument… (son visage s'illumine, comme si elle était encore sous l'effet du film). Quelle gratitude on éprouve en sortant d'une séance où l'on a ri Iongtemps ! Ce n'est quand même pas si courant, les films où l'on rit tout du long. "Mary à tout prix", pour ça, est un grand souvenir !

"Y'a-t-il un flic pour sauver la reine ?"
Je ne l'ai pas vu. Pas par dédain ; simplement, je n'en ai pas eu l'occasion. Sinon, je suis sûre que j'aurais beaucoup ri.

Aimez-vous les parodies à la Mel Brooks ?
J'adore ! Notamment "Les producteurs". Pour moi, c'est un chef-d'œuvre II est sorti en 1968, mais cette histoire de producteurs qui montent un spectacle en espérant que ce sera un échec est toujours d'actualité. D'ailleurs, la comédie musicale qui en a été tirée vient d'être filmée. Dans ce genre-là, je viens de voir, à New York, "Spamalot" des Monty Python [spectacle musical inspiré de "Sacré Graal"]. C'est très drôle. (Rires). Ah, les Monty Python !

Et les films de la bande du Splendid : "Les bronzés", "Le père Noël"… ?
"Le père Noël est une ordure", surtout. Je l'ai en DVD et je le regarde au moins une fois par an, avec les enfants.

"Le dîner de cons" ?
On rit, mais c'est assez dérangeant. C'est même ce que j'aime chez Francis Veber. Déjà, "Le jouet", le premier film qu'il a réalisé, est drôle, mais ça grince aussi.

On ne sait jamais, je tente ma chance : "Brice de Nice" ?
(Avec une pointe d'ironie). Vous avez raison, moi aussi j'aurais pu tenter la mienne... Mais je n'ai pas eu l'occasion de le voir.

Quels acteurs comiques vous font rire ? Chaplin ?
Il me fait rire, bien sûr. Mais il m'émeut aussi beaucoup. "Le dictateur" est, pour moi - comme beaucoup de spectateurs -, un chef-d'œuvre.

Les Marx Brothers ?
Je les adore. "Les lettres de Groucho à sa fille Miriam" est d'ailleurs un de mes livres préférés. De leurs films, c'est peut-être "Une nuit à l'opéra" que je préfère. À un moment, Groucho est au restaurant avec une femme très imposante et très riche ; il prend l'addition, la regarde, la lui tend et dit : "Ne payez pas, c'est trop cher" (Rires).

Woody Allen ?
Oui. (Elle rit à nouveau). Surtout les premiers, en particulier "Bananas". J'aimais beaucoup quand il faisait des comédies. Il a évolué. Maintenant, il fait des films différents, mais on rit encore, comme avec "Meurtre mystérieux à Manhattan".

Et chez les Français ?
J'aime beaucoup ces comédiens qu'on a découverts sur Canal+, Alain Chabat, Dominique Farrugia, Chantai Lauby, quand ils faisaient les Nuls avec Bruno Carette. J'étais très fan. (Rires). Ce qui m'amusait surtout chez eux, c'était leur humour très immédiat, ce feu d'artifice permanent, ce bouillonnement.

Ils ont des descendants, comme les Robins des Bois…
Ce n'est pas pareil. Les Robins sont plus décalés, plus pince-sans-rire, plus comiques à l'anglaise, second degré.

Apparemment, vous aimez Gad Elmaleh...
Oui. Je suis allée voir son spectacle et il est excellent. Il est à la fois drôle et touchant, il est sexy, il danse et chante d'une façon incroyable. Il a une énergie et une grâce formidables. J'aime beaucoup son côté danseur.

Et Jamel ?
Il me fait moins rire, mais je crois que c'est une question de générations. J'aime bien quand il est en interview. Surtout à la télévision, parce que là, il balance, et son esprit comique donne un peu d'énergie à des entretiens qui sont souvent très convenus.

Évoquons quelques grands disparus, comme Louis de Funès.
Je l'aimais bien. Il me faisait rire avec son air faussement méchant. J'aime aussi beaucoup Fernandel et Bourvil. Ils sont très émouvants, très sympathiques. Et puis j'ai beaucoup de tendresse, comme disent les Italiens, pour les gens qui se lancent comme ça, à corps perdu, qui jouent à fond, au premier degré, avec autant de bienveillance... Comme Gérard Depardieu est capable de le faire. J'ai revu des comédies qu'il a tournées avec Veber, notamment "Le placard", il y est incroyable.

Vous pensez qu'en comédie il ne faut avoir peur de rien ?
Oui, absolument. Et le problème, c'est ça. Surtout pour les acteurs qui ont fait beaucoup de films et qui sont toujours un peu timorés au départ. C'est vrai qu'il faut se chauffer, y entrer, il faut être poussé... sauf si l'on est un acteur de comédie habitué à tirer les rideaux ou ouvrir les portes. Il faut une grande confiance dans le metteur en scène qui vous dirige et dans le scénario, parce qu'il faut aller plus loin...

Sur "Palais Royal !", vous vous êtes lâchée ?
Je me suis lâchée parce que le script était écrit comme ça. Mais en acceptant le rôle, je savais qu'il faudrait y aller.

Avez-vous vu "Moi aussi, je suis Catherine Deneuve", qui se joue au théâtre Pépinière-Opéra, à Paris ?
(Elle sourit malicieusement). Oui, j'y suis allée. C'est un spectacle très particulier, très décalé, original... On rit beaucoup au début, parce que les acteurs [Zazie Delem, Juliette Coulon, Charlotte Laemmel et Romain Apelbaum] sont bons et que c'est très enlevé. Mais dès que l'on s'installe dans l'univers de cette femme avec ses deux filles, plus timbrées l'une que l'autre, et son fils mutique, jusqu'au moment où il se met à chanter, ça devient assez grinçant.

L'image que l'on a de vous vous fait-elle rire ?
Non, ça ne me fait pas rire. En général, je suis même "outrée", parce que je me demande comment on peut dire telle ou telle chose de moi. Quand j'entends "Elle est glacée, bourgeoise", je me dis que les gens jugent beaucoup sur l'apparence... Certes, c'est un métier où elle compte et où plein de choses viennent entraver ce que l'on est. Parfois, ça me fait sourire, mais souvent je trouve sidérant qu'on parle de moi comme si j'étais la reine de France. Je crois au contraire que je suis quelqu'un d'assez naturel et d'assez direct.

Pensez-vous que la beauté et l'humour sont incompatibles ?
C'est vrai que c'est plus difficile a priori quand on voit une jolie femme. Mais regardez Marilyn Monroe, Judy Holliday ["Comment l'esprit vient aux femmes"], Veronica Lake ["Ma femme est une sorcière"], Carole Lombard ["To be or not to be"]... Ce sont de belles femmes qui font rire. Mais c'était quand même plus dur. Une femme qui fait rire, ça dérange un peu.

Vous le ressentez ?
Non, parce que je ne fais pas assez de comédies...

Mais est-ce qu'il arrive, dans un dîner, que les gens s'étonnent que vous soyez drôle ?
Oui, bien sûr. Parfois, même ça peut gêner, comme si c'était une chose non programmée. On trouble l'ordre établi, du moins l'idée que l'on s'était faite de vous...

Vous connaissez des histoires drôles ?
J'en entends, et puis je les oublie. Mais j'adore qu'on m'en raconte. Ma fille les raconte très bien. Moi, j'aurais tendance à bouler [avaler les mots] un peu... (Rires).

Quelle est la dernière chose qui vous ait fait rire ?
Comme à chaque fois qu'on me demande de raconter une anecdote sur un film ou un tournage, rien ne me vient à l'esprit. Évidemment, ça me revient involontairement, beaucoup plus tard... Là, je ne vois pas trop... Je ris tellement, voyez-vous, que j'oublie ! (Rires). Ça fait tellement partie de ma vie. (Rires). Non, mais c'est pas vrai ! (Rires). Si ça me revient, je vous téléphonerai. (Rires).


Par : Patrick Fabre
Photos : Kate Barry


Film associé : Palais Royal

 



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