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Le jardin secret de Catherine Deneuve

Elle est l'une des stars du "Héros de la famille". Dans cet entretien privilégié, elle nous dévoile quelques parcelles de son monde intime.

Hôtel Lutétia à Paris, un après-midi de novembre. Catherine Deneuve, que l'on va retrouver dans "Le héros de la famille", s'installe dans un fauteuil rouge, non sans avoir créé un remous dans l'assistance policée. Elle commande un premier café serré. Allume une première cigarette. Souffle un peu. À peine vient-elle d'enregistrer la chanson du générique de fin de la comédie chorale, romanesque et glamour de Thierry Klifa qu'elle devra partir vers d'autres aventures. Aux États-Unis, tout d'abord, pour une apparition en guest star dans la série télé Nip/Tuck. Elle enchaînera, à Paris, avec des séances photo et fera ensuite ses valises pour Lyon, où Gaël Morel la dirigera dans son quatrième long métrage, "Après lui".

Catherine Deneuve aime se surprendre autant que surprendre. Elle qui s'amuse de son image - réussissant tout à la fois à la magnifier et à la décaler - aux côtés de Gérard Lanvin, Emmanuelle Béart, Miou-Miou, Valérie Lemercier, Géraldine Pailhas, Claude Brasseur et Michaël Cohen dans "Le héros de la famille", va tour à tour jouer les veuves excentriques dans la série américaine à succès et une femme qui tombe sous le charme de l'ami de son fils décédé dans le film de Gaël Morel. C'est d'abord avec une certaine retenue, presque de la pudeur, puis très vite, après plusieurs cafés et cigarettes, avec une réelle sincérité et un plaisir léger, qu'elle nous a entrouvert - précisant bien que ses références étaient valables ce jour-là, à cette heure-là - les portes de son jardin secret.

"LE HEROS DE LA FAMILLE"

J'incarne une femme déjantée dans le film de Thierry Klifa, déjantée de mon point de vue, en tout cas. Une femme qui n'a pas beaucoup de scrupules, qui a vécu, a aimé, a souffert, mais une femme très entière, sans langue de bois, qui se retrouve, à la mort d'un des personnages, au milieu d'une famille recomposée. Alice est une aventurière. Dans cette histoire de secret à multiples rebondissements, je fais un moment allusion aux 343 salopes qui ont signé la pétition pour l'avortement en 1971, dont j'ai vraiment fait partie. Ça m'a fait rire, ce petit clin d'œil... En fait, dans le film, je fais la salope à moi toute seule ! Parmi mes scènes préférées, j'aime beaucoup celle où, avec Miou-Miou, on a un coup dans le nez et où l'on avoue à notre ancien amant, un prestidigitateur joué par Gérard Lanvin, qu'on a mis son lapin à la casserole. Et puis celle où je dis, à propos de mon fils, joué par Michaël Cohen : "Il tombe à la renverse pour des minets à peine pubères et se permet de venir me donner des leçons. C'est bon, maintenant, il a vu le loup, il doit être capable de supporter que sa mère ait une vie sexuelle !". En fait, ces attitudes sont les deux facettes d'une femme un peu difficile, mais au fond très sentimentale. Je chante aussi la chanson du générique de fin. J'ai proposé à Thierry [Klifa] de la chanter en italien, l'histoire se passant à Nice. Je lui ai fait écouter des morceaux de Lucio Battisti, de Mina... Ensuite, il a trouvé la version de "Ho capito che ti amo" chantée par Milva, qui convenait tout à fait au film.

LIVRES

Les "Lettres à un jeune poète", de Rainer Maria Rilke, est un livre magique. Il y répond à un poète qui doute de sa vocation et qu'il n'a jamais rencontré. Il aborde tous les grands sujets de l'existence : l'amour, la mort, Dieu, la solitude... La souffrance, la fragilité, l'isolement y sont exprimés avec une telle finesse, une telle justesse, une telle sensibilité, une telle poésie qu'on ne peut être que bouleversé. J'ai même fait peindre un texte de lui sur un abat-jour. Rilke va au cœur des choses. Je lis beaucoup. Des romans, des livres sur les jardins et la botanique, un peu la presse. Mais, même si j'achète sans cesse des livres, j'ai peu de temps pour les lire. Je ne lis pas "utile", en me disant que je pourrais trouver un rôle. La seule fois où ça m'est arrivé, c'est quand les frères Hakim [Raymond et Robert, producteurs] m'ont donné "Belle de jour", de Joseph Kessel. Et puis j'aime le contact du papier... Un autre de mes livres de chevet est les "Mémoires capitales" de Groucho Marx. C'est tellement gai, tellement drôle ! Les gens qui ont de l'humour sont des compagnons de vie idéaux, des gens rares, dont je recherche la compagnie désespérément. J'adore les gens gais. Ma sœur est très gaie ; je l'envie parce que c'est, non pas une qualité, mais un don que de savoir relativiser les choses de la vie, qu'elles soient petites ou grandes. Et le livre de Groucho Marx, en ce sens, est enchanteur. Rilke et Groucho Marx sont les deux versants de ce qui me plaît.

BIJOUX

Mon bijou préféré est une broche de Suzanne Belperron, qui créait beaucoup pour le joaillier René Boivin. C'est une artiste qui a débuté vers 1930-35. Les bijoux des années 30 et 40 sont très esthétiques, extrêmement modernes dans leurs lignes et réalisés avec des techniques qu'on ne sait plus reproduire. Les pierres, les cailloux, les galets qu'on trouve en bord de mer ou de rivière me touchent. Tout ce qui est minéral m'attire.

FILMS PRÉFÉRÉS

Mes films préférés n'ont pas beaucoup changé. Je cite toujours "Le fleuve" de Jean Renoir, "La nuit du chasseur", de Charles Laughton, et "Les ensorcelés" de Vincente Minnelli. Trois films qui me plaisent pour leur singularité et pour l'adéquation entre les acteurs, l'histoire et la mise en scène. Quand ces trois éléments sont réunis, c'est formidable. J'ai présenté l'an dernier, à la Pagode [cinéma de Paris 7e], "Le fleuve", et j'ai eu un immense plaisir à le revoir sur grand écran. Ces films, je les ai vus et revus en vidéo. L'idée de les avoir chez moi et de pouvoir y retourner me plaît. Ma faim de cinéma est toujours insatisfaite. Je peux rentrer à 22 heures de la campagne et aller en salle voir un nouveau film. Autrement, je me rattrape sur le câble. Le cinéma est très lié à l'évasion, à l'autre, à l'ailleurs, quelque chose de très éloigné de la vie quotidienne. Je n'aime pas les projections privées. J'aime voir les films avec le public, sentir l'ambiance, les réactions...

PEINTURE

C'est très difficile de choisir un peintre. Je dirai Francisco de Zurbaràn, un Espagnol du xvn' siècle qui a peint des thèmes religieux, des saints, des descentes de croix... Ce sont de grands formats à la force incroyable. J'aime aussi les modernes, comme Miquel Barcelo, toujours pour la force, l'originalité, la matière, l'inventivité de ses œuvres ; ses tableaux sont presque des sculptures. Cela dit, je ne sais si je pourrais vivre avec de tels tableaux. En dehors de leur valeur, je parle de leur présence physique, sauf, peut-être, un Matisse. Ceux que j'aime sont dans des musées ou des collections. Je me souviens d'avoir vu, il y a longtemps, "Les meules" de Monet, qu'il a peintes à différentes saisons... Ça m'a marquée, comme les autoportraits que Rembrandt a peints à différents âges. Quelle acuité dans le regard sur lui-même ! J'y pense souvent. J'aurais aimé peindre. C'est quelque chose que l'on peut faire seul, comme chanter.

FLEURS

L'iris. Quelle belle fleur ! Il faut la regarder de près, apprécier sa finesse, ses barbes de velours, ses pétales transparents, ses couleurs extraordinaires. C'est l'orchidée de nos climats. La beauté, la complexité, le mystère de cette fleur, lourde et fragile comme du papier de soie, sont fascinants. J'aime aussi beaucoup les roses, mais ma préférence va à l'iris. J'en ai à la campagne, mais ils sont intransportables car très fragiles : ce sont des fleurs qu'il faut cueillir au jardin et mettre très vite dans un vase.

COUTURIERS

Yves Saint Laurent, bien sûr. Et Jean Paul Gaultier, qui est un vrai couturier, pas un styliste. Saint Laurent a formé mon œil ; je me suis habillée chez lui longtemps. Gautier, c'est l'originalité, et surtout le style. Il connaît les tissus, il aime les femmes, et j'adore aussi ce qu'il fait pour les hommes. Il a beaucoup d'esprit, il aime la vie, il est gai, curieux, et extrêmement pudique. Il m'a habillée pour "Les liaisons dangereuses" de Josée Dayan. C'est un créateur, un artiste.

HÉROS DE FICTION

Mandrake, dont je lisais, enfant, les aventures en feuilleton dans le journal. Il me fait penser à mon père. J'aime bien les personnages de bande dessinée. Je fais une voix dans le film d'animation de Marjane Satrapi, d'après son album "Persépolis". Chiara [Mastroianni, sa fille] et Danielle Darrieux aussi. On a d'abord enregistré les dialogues ; l'animation s'est faite ensuite, un travail colossal. Marjane est vive, intelligente, fantaisiste, drôle. J'ai doublé un dessin animé il y a longtemps, pour une fondation américaine, et j'ai enregistré des contes aussi, autrefois... C'est un bel exercice. J'aimerais doubler un grand dessin animé américain. Je les vois tous, j'adore ça.

METTEURS EN SCÈNE

Renoir, Laughton, Minnelli, déjà cités. Mais aussi Orson Welles, Ingmar Bergman. J'aime aussi beaucoup Francis Coppola et les films de sa fille, Sofia. Et puis François Truffaut, bien évidemment, et André Téchiné... Et, dans la jeune génération, Gaël Morel. J'avais rendu visite à Téchiné sur le tournage des " Roseaux sauvages ", et j'y avais rencontré Gaël [qui y était acteur]. J'ai vu certains de ses films et je trouve qu'il dégage quelque chose de très contenu, de très passionné ; et en plus, il filme très bien.

PARFUMS

J'aime avoir un parfum pour un rôle. Si je me focalise sur une odeur, une senteur plutôt, elle va m'accompagner pendant le film. C'est comme un accessoire. Sur "Princesse Marie", de Benoît Jacquot, je prenais Noir Épices de Frédéric Malle, et sur "Les temps qui changent", d'André Téchiné, je portais Ambre Sultan, de Shiseido, qui évoquait le Maroc, Tanger... Mais lier un parfum à un rôle se fait comme ça, sans mûre réflexion. J'ai longtemps porté L'Heure bleue de Guerlain, mais je suis très infidèle depuis une dizaine d'années... Tout dépend de la température, du climat, de la façon dont on s'habille, de l'heure, du lieu où l'on se trouve...

MUSIQUE

Mes goûts musicaux sont très éclectiques. J'écoute de la musique pop, de la chanson française, de la musique américaine, anglaise, du classique... Tout est question de période, de mood personnel. Il y a des moments où je n'écoute que Madeleine Peyroux pendant huit jours et ensuite c'est Beth Gibbons, ou l'album que Benjamin Biolay a fait avec Chiara. J'aime aussi Bob Dylan, étrangement, surtout quand je suis en voiture [Rires]. En revanche, je n'écoute pas de musique en fonction d'un rôle, c'est plutôt le contraire. J'ai des souvenirs d'avoir écouté des choses précises sur des films précis. Beth Gibbons, par exemple, est très liée au tournage de "Princesse Marie", à Vienne.

ACTEURS

J'adore Marilyn Monroe. J'ai une très belle photo d'elle. Une photo assez personnelle, en noir et blanc, où elle tient une cigarette et a une expression très douce, très enfantine. J'ai l'impression de la comprendre... C'est sûr qu'elle avait des côtés insupportables, mais tout le monde a ses travers, ses défauts. Peu importe, ses qualités sont supérieures ! Je ne suis pas allée voir l'exposition de photos que Bert Stern a prises d'elle. Je n'avais pas trop envie de les voir, d'abord parce qu'il y en a beaucoup qu'elle avait rayées ; estimer que, après quarante ans, il y a prescription et qu'on peut tout montrer ne me semble pas tout à fait normal. Et puis, sur certaines, elle a l'œil vague. Il l'a fait boire ; ces photos me paraissent un peu extorquées. J'aime aussi Isabelle Adjani. Elle a des qualités d'actrice exceptionnelles. Elle est bouleversante, émouvante, comme être humain et comme actrice. Un mélange de tragique et de fragilité en même temps - une fragilité réelle, pas jouée -, qui me touche. Quant à mon acteur préféré, c'est John Garfield, le rebelle sympathique de "Je suis un criminel" et du "Facteur sonne toujours deux fois".

LIEUX

L'Asie m'attire pour son mystère et l'impassibilité de ses habitants. Ils ont une forte dimension spirituelle, avec quelque chose de païen dans la représentation de leurs croyances. Malgré des vies difficiles, la misère, ils sont "riches", justement. Je me souviens, à Bali et en Inde, de jeunes filles dansant dans des temples... Et puis, en Amérique latine, d'une fête des Morts, au Mexique, avec ces têtes en sucre, ces fleurs en papier crépon, ces tapis de portraits religieux au sol... Au Guatemala, je me rappelle une fête avec d'innombrables portraits dessinés avec des poudres à même le sol ; c'était inouï. Mais j'aime aussi beaucoup la campagne, pour sa puissance et son mystère, sa magie, son silence.

HOMMES RÉELS

Nelson Mandela est pour moi le personnage le plus héroïquedu réel. Pour la constance et la raison de son combat, mais surtout pour l'incroyable et l'extraordinaire chemin qu'il a parcouru, un chemin sans faille ; c'est un homme admirable. J'ai beaucoup d'affection aussi pour Pierre Mendès France, ses idées, ce qu'il représentait, sa sagesse, sa droiture. Quand j'étais enfant, on buvait du lait à l'école, c'est lui qui l'avait imposé. Même si je n'aime pas le goût du lait, je m'en souviens...

VÊTEMENTS

Ils ont de l'importance et, en même temps, n'en ont pas. Je trouve ça beau, parce que je suis coquette, mais je ne porte pas de jugement sur les autres d'après leur tenue, même si je trouve que le vêtement exprime toujours quelque chose sur celui qui le porte. Sur un film, les essayages prennent beaucoup de temps. C'est fastidieux, sauf sur "Le héros de la famille", où j'ai travaillé avec la costumière Catherine Leterrier, qui est très douée et a trouvé des tenues stylisées et fortes. Bien sûr que se sentir bien dans les vêtements aide à l'interprétation. Je les garde ensuite, mais je ne les porte pas ; ils sont trop liés au film.

OBJETS

Je n'aime pas les collections, même si j'ai le goût de l'objet et que, malheureusement, j'ai tendance à les accumuler. Je me souviens de presque tous les endroits où j'ai acheté des choses qui ont de l'importance pour moi, même sans réelle valeur, même s'il y a longtemps. Ce sont toujours des coups de cœur. Je peux rapporter des objets insensés de voyage ou de tournage. Récemment, de New York, un billot très lourd, par exemple [Rires]. J'ai une toute petite théière et une tasse en albâtre. Quand je me sers un minuscule thé [Rires], ça me rappelle Indochine, le Vietnam... Quant aux pendules, j'en ai partout ! À la campagne, dans ma serre, j'ai un réveil, parce que je me laisse toujours avoir par l'heure. Les objets utilitaires doivent marcher. Si c'est pour finir dans une vitrine, ils ne m'intéressent pas. Je déteste l'idée de collection ; on recherche trop systématiquement ce qui doit y entrer.

ANIMAUX

Peut-être l'âne, pour l'émotion qu'il dégage, son œil, cette tête extraordinaire. J'ai d'ailleurs une ânesse... J'ai aussi des chats, mais si je devais choisir un animal symbolique, ce serait l'âne !

SÉRIES TÉLÉ

Je suis accro aux séries télé américaines. Elles sont originales, pleines de surprises et de rebondissements. "Nip/Tuck", au début, j'ai eu du mal, parce que je trouvais ça trop gore, puis je m'y suis faite. Je suis très heureuse de faire une apparition dans un des prochains épisodes. J'y joue une veuve qui se fait implanter les cendres de son défunt mari dans ses prothèses mammaires ! [Rires]. Je suis aussi fan de "24 heures chrono", de "Six Feet Under", des "Soprano"... il n'y a que "Desperate Housewives" que je n'ai pas vu, parce que j'avais raté les premiers épisodes, mais je vais rattraper tout ça en DVD...

PHOTOGRAPHES

J'ai travaillé avec les plus grands. Choisir entre mon ex-mari [David Bailey], Helmut Newton, Richard Avedon, Jean Loup Sieff, c'est impossible... David m'a beaucoup appris sur cet art. Mais j'ai toujours beaucoup de mal à être photographiée. Mes photos, comme mes films, je ne les regarde pas. Elles ne sont pas encadrées. Ce n'est pas par pudeur, mais le métier d'acteur est déjà très narcissique et l'on est très encombré de soi-même. Tout ce qui me rappelle ça, je l'évite, ça m'étoufferait. La seule photo de moi que j'ai fait encadrer est celle de Man Ray où je suis devant un échiquier qu'il avait fabriqué lui-même et où je porte des boucles d'oreilles qu'il avait fabriquées également. Les autres sont dans des boîtes...

SAINT

Saint Antoine de Padoue, parce que je perds tout, tout le temps. Cela dit, je ne suis pas superstitieuse.

RENCONTRES

Jacques Demy... Parce que j'étais très jeune et que je ne savais pas si j'allais continuer à faire du cinéma. Un jour, il m'a envoyé une invitation pour la première de "Lola", et il avait ajouté à la main qu'il aimerait beaucoup me rencontrer. Ça m'a surprise, flattée aussi, sans doute. Ma curiosité était grande, et je suis allée le voir. Cette rencontre a été déterminante. C'est grâce à lui que je fais du cinéma aujourd'hui ; et si je continue, c'est grâce à André Téchiné et à François Truffaut.


Par : Michel Rebichon
Photos : André Rau


Film associé : Le héros de la famille



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