Ses interviews / Presse 2000-09 / Télérama 2004
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

Deneuve toute neuve

Catherine Deneuve est Marie Bonaparte. Une actrice qui refuse d'être statufiée par le succès ; une princesse frigide libérée par la psychanalyse… La rencontre ne pouvait faire que des étincelles.

Parler avec Catherine Deneuve est décidément une expérience épatante. Un peu étourdissante - ce débit de mitrailleuse qui la caractérise, sans doute. Aujourd'hui, elle est là pour expliquer Marie Bonaparte, arrière-petite-nièce de l'Empereur, héroïne de "Princesse Marie", un téléfilm au long cours réalisé par Benoît Jacquot pour Arte. Dans le rôle-titre, la grande Catherine, impériale, donc, vacharde, drôle, cassante, douloureuse, casse-cou, indépendante. Libre. Après une première expérience télévisuelle à l'automne pas forcément inoubliable, avec "Les liaisons dangereuses", de Josée Dayan, Catherine Deneuve repart sur de nouvelles bases avec un rôle qui lui va comme un gant : derrière cette princesse Marie qui s'émancipe, une princesse Catherine s'affirme aussi en femme totale.

Vous êtes à l'origine de ce pro|et ?
Oui. J'avais dit, il y a longtemps, que si un jour je faisais de la télé ce serait pour m'impliquer dans un projet qui soit impossible à réaliser au cinéma. Louis Gardel, le scénariste de "Princesse Marie", s'en est souvenu au moment où il a été question de Marie Bonaparte. La psychanalyse, c'est un sujet qui peut rebuter a priori au cinéma, parce qu'il implique, justement, une certaine durée. De mon côté, je connaissais le personnage de Marie Bonaparte à travers une biographie que j'avais lue. Quand Gardel a soulevé l'idée, j'ai très vite proposé Benoît Jacquot pour la réalisation. On a travaillé sur plusieurs versions, dont certaines très longues. Louis Gardel a été admirable : il a retravaillé inlassablement le scénario pour aboutir à quelque chose de plus centré sur la psychanalyse.

Qu'est-ce qui vous plaisait chez Marie Bonaparte ?
Le mélange des genres. Vous savez, on dit toujours que les actrices ont une double vie ; il y avait de ça chez Marie Bonaparte. Voilà une femme du monde qui a une vie sociale, publique, et qui en même temps essaie d'avoir une vie personnelle et familiale. Ce qui n'est pas facile, compte tenu de son enfance cauchemardesque et de son mariage désastreux avec un homosexuel. C'est pour cette raison qu'elle se lance ensuite dans une recherche sur elle-même, qui passe par des choses douloureuses à comprendre et à accepter. Trois vies quasi simultanées... Et puis j'aimais bien son caractère entier, brutal parfois, très direct.

Elle a d'ailleurs une liberté de parole qui la met en porte-à-faux avec une époque où il n'est pas de mise qu'une femme parle aussi crûment…
Moi, je crois qu'il y a toujours eu des femmes intelligentes. Leur problème, c'est de se donner les moyens de pouvoir l'exprimer. Pour Marie Bonaparte, c'est la rencontre avec Freud qui va être décisive. Sinon elle aurait continué à chercher, à se mutiler, dans une quête du plaisir, une recherche qu'on peut comprendre, certes, mais qui à l'époque n'était pas évidente, et pas forcément acceptable. Parler de sexualité, ça ne se faisait pas. En fait, c'est une héroïne féministe.

C'est assez amusant de la voir aller à la rencontre de Freud pour résoudre un problème de frigidité, alors qu'un documentaire récemment diffusé sur Arte expliquait que Freud définissait l'orgasme clitoridien comme infantile...
Ah bon, il a dit ça ? Infantile ? Et pourquoi pas après tout ? Vous avez vu l'émission sur le clitoris ? J'ai demandé la cassette. Oui, c'est vrai, remarquez, pour beaucoup de femmes, la jouissance clitoridienne est une jouissance qui enlève de l'importance aux hommes. C'est le grand dilemme. Cela dit, quand on lit Freud aujourd'hui, on est non seulement frappé par la grande pertinence de ses analyses, mais on se demande aussi comment les gens faisaient avant. Ils souffraient en silence, sans doute...

Cette princesse Marie n'est pas très éloignée finalement de la marquise de Merteuil que vous Incarniez dans "Les liaisons dangereuses" ?
Ce sont des femmes décidées, qui ne se laissent pas faire par les conventions de leur époque, qui veulent sortir du rôle traditionnellement réservé aux femmes. Des femmes viriles.

Ce n'est pas tellement vous ?
Si. Moi, je me vois plutôt comme une femme virile. Quand Depardieu a dit que j'étais la femme qu'il aurait aimé être, je pense que ça tenait beaucoup à ça : pas parce que je suis féminine, mais justement parce que j'ai ce côté viril dans mes relations avec les hommes. Et ce que j'aime chez Gérard Depardieu, c'est sa féminité.

Quels sont pour vous les metteurs en scène qui ont tiré parti de votre côté "viril" ?
Ça n'a jamais vraiment été formulé dans ces termes, mais je pense que quand Truffaut me confie le personnage du "Dernier métro" en insistant sur le fait que c'est une femme de responsabilité, c'est une manière détournée de faire allusion à ce genre de comportement. Je n'étais pas une femme douce au sens traditionnel du terme. Avec André Téchiné je joue aussi des femmes qui veulent s'émanciper. Il me pousse dans mes derniers retranchements, et tant mieux, parce que je ne suis pas sure que j'y serais allée de moi-même. Mais poussée par lui, ça me va très bien.

Et ça vous amuse ?
Ce n'est pas tellement que ça m'amuse, c'est surtout l'impression que je ne peux pas faire autrement. Et une fois que j'ai franchi ce pas, c'est irréversible, il y a des choses qui ne seront plus possibles, que je ne pourrai plus accepter.

Cette dimension féministe de Marie Bonaparte vous intéressait ?
Oui, parce que c'était du féminisme dans sa forme la plus large, celle qui traite les femmes comme des hommes, pas comme des sous-êtres.

On se souvient d'ailleurs que dans les années 1970 vous aviez signé le manifeste des 343 salopes qui déclaraient dans Le Nouvel Obs avoir avorté. Déjà, on découvrait une autre Deneuve...
C'est curieux : il y a des gens qui s'en souviennent et d'autres qui ont continué quand même à me traiter comme une femme bourgeoise. Quand je me suis rendu compte de l'ampleur que ça prenait, de la médiatisation, ça m'a fait un choc. Et puis je me suis dit pourquoi pas, il faut accepter de le dire. Aujourd'hui, je ne regrette pas. Cela dit, je n'ai jamais été une féministe guerrière, mais je suis souvent du côté des femmes. Pour certaines choses, je pense qu'il faut se bouger. La peine de mort, par exemple : nous avions manifesté avec Yves Montand en Argentine. Et aussi pour les droits des journalistes emprisonnés à Cuba, où lors de mon passage j'avais lu un texte appelant à leur libération. J'étais engagée pour une cause à laquelle je croyais. Plus récemment, il y a trois ans, j'ai fait des commentaires pour des films d'Amnesty International contre la peine de mort, et je suis allée manifester devant l'ambassade des Etats-Unis. Mais il n'y a rien à faire, il y a des moments où on n'est pas en phase avec l'image que les gens ont de vous. Et je n'avais pas forcément envie de souligner ce qu'il y avait en moi de décalé par rapport à cette icône de bourgeoise, d'insister par exemple sur le fait que j'ai eu des enfants hors mariage, que je ne me suis jamais mariée.

Vos choix de films, votre façon de parler aux médias donnent le sentiment que vous êtes dans le même processus d'ouverture que ces personnages...
Peut-être qu'avec le temps et l'expérience j'arrive à dire les choses plus ouvertement et plus directement. C'est libérateur. Aujourd'hui, je m'exprime davantage sur mon travail ; avant je faisais, mais je ne parlais pas. Et on ne m'en parlait pas non plus. On m'interrogeait sur la beauté, la froideur, la blondeur, le côté Belle de jour, beaucoup. Je pense aussi que si les choses ont évolué c'est aussi que les journalistes me parlent différemment : avec l'âge, malheureusement... Je ne pense pas qu'on parle aujourd'hui à une actrice de 25 ans comme on me parle. Moi, j'aime être surprise.

Votre statut de grande actrice du cinéma français ne doit pas faciliter les choses ?
Ça, je m'en défends pieds et poings et bec, je trouve ça très dangereux. Le problème des acteurs très connus, c'est qu'ils sont pris en considération avant même d'avoir levé le petit doigt, comme s'ils n'avaient plus de preuves à donner, plus à se remettre en question. C'est un danger qui nous menace tous dans n'importe quel domaine, à partir du moment où on est arrivé à un certain niveau. Je me méfie beaucoup de la sécurité, pour moi c'est comme une mort lente. Je ne suis pas forcément à la recherche de projets difficiles, mais j'ai tourné tellement de beaux films que je ne voudrais pas enchaîner des tournages juste pour tourner. Il me faut une excitation, une envie. Je me méfie des hommages, des reconnaissances officielles.

Ça se voit, d'ailleurs...
C'est ma nature, un instinct de protection vitale. Quand les gens se mettent à m'appeler "Madame", j'aime pas trop. Le problème, c'est qu'avec l'âge les gens vous regardent différemment. Il y a des automatismes que je me refuse. Je ne veux pas être un pilier du cinéma français.


Par : Marie Colmant
Photos : Patrick Swirc, Pierre Thoretton


Film associé : Princesse Marie

Visitez le site officiel de Patrick Swirc

 

 

 



Documents associés

Télévision