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Drôle de dame

Deneuve rit ! Dans "Palais Royal !", la nouvelle comédie de Valérie Lemercier, la blonde la plus célèbre du cinéma français troque son statut d'icône pour les habits neufs d'une reine mère déjantée. Pour Têtu, Catherine Deneuve se livre. Devant l'objectif de Mondino, la star prouve qu'elle sait rire de son image. Elle revient aussi sur ses engagements, ses colères et dit tout le mal qu'elle pense d'une certaine presse. Attachez vos ceintures.

La photo est faite. Catherine Deneuve est ravie. Elle a beaucoup aimé l'ambiance "lendemain de partouze" imaginée par Mondino. Dans l'ascenseur qui nous conduit au bar du Royal Monceau, où nous devons faire l'interview, elle me confie : "C'est tellement agréable de faire des photos avec un type qui a des idées. Vous n'imaginez pas le nombre de photographes qui n'ont rien à nous dire d'autre que : "Tournez un peu la tête à droite, baissez le menton, ouvrez la bouche". C'est vraiment d'un ennui... Mondino, c'est l'inverse : il a toujours une vision claire. Il fait tout très sérieusement, mais sans se prendre jamais au sérieux. Il est gai, on rit". Est-ce l'émotion du face-à-face, mais je me sens un peu partir. J'ai la tête qui tourne. Elle est en pleine forme. " J'adore les bars d'hôtel, me dit-elle dès que nous sommes installés. Il y a du passé, et du passage". Elle commande un déca serré et allume une cigarette pendant que je me mets à suer à grosses gouttes en démêlant les fils de mon magnéto. "Je vais vous aider, propose-t-elle, ces trucs-là, c'est plus facile à deux... Je faisais ça avec les pelotes de laine de ma mère". Après beaucoup de patience de sa part et quelques incapacités techniques supplémentaires de la mienne, nous pouvons enfin commencer.

"Je ne suis pas une bourgeoise", disiez-vous il y a quelques années au quotidien L'Humanité. Dans le nouveau film de Valérie Lemercier, "Palais Royal !", vous êtes une reine...
Il doit y avoir quelque chose dans mon image en dehors des films qui a permis à des gens de s'accrocher à cette idée de bourgeoise. Le côté blonde, sophistiquée... Pourtant, Yves Saint Laurent, on ne peut pas dire que c'est un couturier très bourgeois. C'est même l'inverse de la bourgeoisie. Et puis, on ne dit pas d'une actrice qu'elle est une reine, sauf après sa mort. Malheureusement, aujourd'hui, les gens ont tendance à me traiter un peu comme une reine, comme si je n'avais fait que des chefs-d'œuvre et que j'étais au Panthéon. C'est une chose contre laquelle j'essaye de donner des coups de pied. Que des chefs-d'œuvre, ce n'est pas tout à fait vrai... C'est une manière de m'embaumer dans une posture très statique qui ne correspond pas du tout à mon caractère. Je n'aime que les choses qui me bousculent. Pas qui me dérangent, mais qui me donnent l'impression d'une découverte. C'est ma nature, depuis toujours. D'ailleurs, sur l'essentiel, disons sur mon idée de la vie vécue comme une aventure, profondément, je n'ai pas changé d'avis depuis mes 18 ans. Ce n'était pas bourgeois de faire deux enfants hors mariage quand je les ai faits ! Mais je me demande-si les jeunes femmes d'aujourd'hui se rendent compte de ce que cela pouvait avoir de transgressif. La pilule, l'avortement, tout ça n'existait pas...

Dans "Palais Royal !", vous vous glissez dans l'univers très particulier de Valérie Lemercier, sa manière si singulière de faire rire...
C'est vrai. C'est souvent un peu scatologique, grossier, très cru, mais ce n'est jamais vulgaire. Il y a dans les dialogues de mon personnage un côté pragmatique, concret. Cette reine est épouvantable et touchante à la fois. Elle est prête à tout abdiquer, au sens propre, pour sauver les apparences. C'est très bourgeois, finalement. Tout ce qui caractérise la bourgeoisie, c'est-à-dire le maintien coûte que coûte d'une unité familiale de façade et l'obsession des apparences en ce qui concerne les rapports humains et l'amour, ça m'a toujours hérissée. Je ne sais pas pourquoi, c'est assez bizarre, parce que je viens d'une famille nombreuse, avec des parents qui ont vécu toute leur vie ensemble. Mais cette hypocrisie est à l'opposé de ce que je pense. Ce qui me plaisait, c'était de jouer une mère très éloignée de moi, avec ses grands poussins, ses diadèmes et son langage si cru. Comme ces femmes d'ambassadeur qui jouent le jeu officiel, mais sont très directes en privé, très carrées. C'est tellement éloigné de moi, c'est d'ailleurs ce contraste entre le personnage et ce que je suis dans la vie qui m'a fait rire à la lecture du scénario. Bien sûr, comme Valérie a imaginé ce personnage pour moi, il y a des choses de moi dedans, le côté jardinage, le mélange entre sorties officielles, vie publique et femme tout à fait dans le concret. Mais la comparaison s'arrête là : je suis très proche de mes enfants, j'adore mes enfants [elle a eu Chiara au téléphone - pardon de cette indiscrétion - pendant mes pathétiques démêlés avec mon enregistreur au début de notre entretien]. La maternité est une chose qui m'a toujours plu. D'ailleurs, je voulais avoir un enfant très jeune, et je l'ai eu. Sans doute trop jeune, d'ailleurs.

Est-ce qu'on s'amuse quand on joue dans une comédie ?
Ça dépend des comédies. J'ai eu beaucoup de plaisir à tourner avec Valérie Lemercier et avec toute l'équipe. Mais faire rire demande beaucoup de rigueur, en particulier dans le rythme de la voix. Je ne suis pas, comme Valérie, une actrice comique. Elle a ça en elle, elle peut faire ce qu'elle veut. Moi, il faut qu'on m'habille avec une histoire, j'ai besoin d'un décor. Dans "Milou en mai", le film de Louis Malle, elle faisait des choses incroyables avec sa voix. C'est une actrice extraordinaire.

Comme Marilyn Monroe dans ses comédies, vous avez souvent incamé des rôles de femme dont la beauté était "cassée" par une certaine candeur. C'est l'idée de la ravissante idiote.
Franchement, je n'oserais pas me comparer à Marilyn Monroe, parce que je la trouve d'un charme et d'une beauté incroyables. Mais le ressort de la naïveté, plus que de la bêtise, est en effet très puissant dans certains scénarios.

Votre plus beau rire, c'est dans un drame, "La chamade", quand vous êtes un peu pompette pendant le cocktail, au début du film. Vous riez si intensément qu'on se dit que vous ne jouez plus, que vraiment vous n'arrivez plus à vous arrêter...
Je ris vraiment, bien sûr. Il faut rire en soi-même, sinon c'est impossible. Il faut des images, des idées qui fassent rire, s'inventer des histoires, sinon c'est fabriqué. C'est très difficile de rire au cinéma. Souvenez-vous du grand rire de Greta Garbo, son premier, dans "Ninotchka". Mais, si on cherche bien, on trouve toujours quelque chose sur quoi s'appuyer, surtout quand, comme moi, on est très ironique.

Et les larmes ?
C'est plus physique. Pleurer, c'est épuisant. Je me souviendrais toujours de la première fois où j'ai dû pleurer, dans "Les parapluies de Cherbourg". J'avais beaucoup de mal à pleurer avec des larmes. On me mettait des ampoules, mes yeux me brûlaient, j'étais dans un état épouvantable, j'avais les yeux humides, mais pas de larmes qui coulaient... Maintenant, c'est plus facile. Avec le temps, on a vécu plus d'émotions, on est plus facilement au bord d'une tristesse... Il y a beaucoup de choses qui reviennent.

Est-ce qu'il vous arrive de vous moquer de vos amis gay, comme le fait Valérie Lemercier dans le film, à propos d'un pull en V qui fait "trop ped" ?
Non. Je peux rire de leurs travers, ou les engueuler sur certains détails qui m'énervent. Mais je ne m'engage jamais sur des choses physiques, par respect vis-à-vis de ce que je ressens comme une fragilité, une difficulté à se sentir aussi bien qu'on a l'air d'être. II ne faut pas grand-chose, parfois, pour déstabiliser quelqu'un bêtement. Le manque d'assurance est moins loin que ce que l'on croit, même si les choses sont plus faciles aujourd'hui.

Comment jugez-vous l'évolution de la société vis-à-vis des homosexuels ?
Je crois malheureusement que l'homosexualité fait encore peur à beaucoup de gens. Nous sommes quand même dans un pays catholique. Mais, d'un autre côté, il y a une ambiguïté très curieuse là-dessus, très spécifique à la France. Bertrand Delanoë a fait son coming-out sans problème, non ? Je ne sais d'ailleurs pas pourquoi on dit "coming-out" et pas "grande sortie". Ça m'agace toujours un peu, les anglicismes, même si je dois reconnaître que "coming-out" est plus fort. Il faudrait trouver un mot équivalent en français, comme "sortir de ses gonds", au sens de "sortir de soi-même".

Vous avez souvent été choisie par des metteurs en scène homos, sans que les scénarios ou vos personnages soient forcément marqués par cette dimension - je pense notamment à votre premier film avec André Téchiné, "Hôtel des Amériques". Pourquoi cette fréquence ?
Je ne sais pas. Je crois qu'André Téchiné, pour reprendre votre exemple, est un homme très romanesque, avec même une certaine forme de romantisme. Il s'identifie beaucoup à moi dans les personnages qu'il écrit pour moi.

Vous voulez dire que, dans ce film, vous, c'est lui ?
Je veux dire qu'il y a de lui dans mon personnage, oui.

En novembre 2003, vous avez démissionné de l'Unesco, où vous étiez ambassadrice de bonne volonté, quand vous avez appris la nomination de Pierre Falcone, un homme d'affaires soupçonné de trafic d'armes...
Pour moi, sa nomination à l'Unesco était inacceptable. Ça m'emmerdait vraiment... L'Unesco m'a dit que chaque pays avait le droit de nommer qui il voulait. Mais, si tout le monde avait protesté, si tous les ambassadeurs de bonne volonté avaient démissionné, il aurait bien fallu revenir sur cette nomination. Parfois, pour faire bouger les choses, il faut des gestes forts. C'est trop facile de se soumettre à des règles qui sont de pure commodité. Le règlement de l'Unesco, ce ne sont pas les tables de la Loi, on peut le changer.

Êtes-vous toujours prête à vous mobiliser pour de grandes causes ?
Plus pour des causes que pour des hommes. Pour Amnesty, pour Handicap International et, bien sûr, pour le "Sidaction".

La presse people est au cœur du film de Lemercier. Au moment de l'affaire Khalifa, on a eu l'impression que certains journaux avaient trouvé une occasion de passer leurs nerfs sur vous. Comment l'expliquez-vous ?
Ça a été un défouloir, en effet. Ils ont voulu dire : "Cette actrice qu'on vous présente comme une femme si rangée, si bon genre, qui ne dit rien et qui a l'air blanche comme neige, eh bien, elle est autre chose..." Alors que tout ça, le côté "blanche comme neige", ce sont les projections de ces journalistes sur moi. Moi, je ne me suis jamais présentée comme une sainte. J'ai eu une vie privée assez secrète, donc ce n'est pas aujourd'hui que je vais commencer à dire des choses. Mais je n'ai jamais prétendu être un puits de vertu. C'est dans leurs têtes. J'ai donc trouvé ça assez minable, d'autant plus que je me souviens très bien qu'au début Khalifa n'était pas présenté comme il l'est aujourd'hui... C'était un homme intelligent, jeune, assez raffiné. Personne ne disait que c'était l'éminence grise de qui que ce soit. Il était présenté comme un type formidable, qui allait monter des studios, investir beaucoup dans le cinéma français. On nous a sortis, Gérard Depardieu et moi, d'une soirée où étaient présents Sting, Bono, et beaucoup d'autres stars anglaises et américaines. Moi, je n'avais rien demandé. Je ne suis pas allée chercher M. Khalifa en lui disant : "Qu'est-ce que vous me donneriez pour que je vienne à votre soirée ?" Ce sont des gens qui viennent vous voir. C'est très différent. Je ne dis pas que c'était la meilleure des choses à faire, mais il ne faut pas inverser le sens des événements.

Sur le plan de la vie privée, vous êtes à l'opposé d'une actrice comme Romy Schneider, qui vivait presque à nu, toujours exposée. Comment deux stars peuvent-elles vivre aussi différemment leurs relations avec la presse ?
Romy Schneider ne vivait pas dans son pays. Elle était écorchée. Le français n'était pas sa langue. Elle a vécu des histoires très douloureuses et excessives. Elle n'avait pas les bases que j'avais, moi, sans doute, c'est-à-dire être une actrice française en France, à Paris, avec des amis très sûrs. Quand elle avait des problèmes, elle devait être complètement déracinée. Et puis, je ne sais pas... Nous n'avons pas eu du tout la même vie. Si j'ai vécu de grandes histoires d'amour avec des hommes, c'est resté extrêmement secret. Bien sûr, il y a eu des photos, mais jamais d'articles ou de déclarations, ni du côté de ces hommes ni du mien. C'est une question de caractère. Mais ne croyez pas... J'ai beaucoup souffert, j'ai vécu des choses très difficiles, des moments extrêmement douloureux. Je ne crois pas avoir souffert plus qu'elle; simplement, je garde tout pour moi. Je ne crois pas que Romy Schneider appelait Paris Match pour se confier, mais elle se protégeait moins, certainement. J'ai vraiment le goût du secret.

C'est ce qui donne de vous l'image d'une femme forte, maîtresse de son image et de son destin...
Le goût du secret n'est pas une qualité, c'est un fait. Quand j'ai sorti mes carnets de tournage, j'ai été critiquée par certains de façon violente. "Oh, ce n'est que ça..." Je reconnais que ce n'est pas grand-chose par rapport au nombre de films que j'ai faits et de cinéastes que j'ai rencontrés. Mais je n'allais pas me mettre à fabriquer de faux agendas. Je n'ai rien enlevé de ce qui était dans mes carnets, mais certains ont été agacés que je n'en rajoute pas. Ils auraient voulu avoir des ombres de détails sur ma vie personnelle. Qui je voyais à l'époque ? Est-ce que j'étais amoureuse ? Est-ce que je souffrais ? Est-ce que je faisais une dépression ? Pourquoi ? Avec qui ?, etc.

Vous en voulez parfois à ceux qui vous reprochent ce côté "service minimum" ?
Non, je n'ai ni attirance ni dégoût pour la presse. Mais, aujourd'hui, même les journaux qui ont l'air de dénoncer les atteintes à la vie privée s'en servent, avec beaucoup d'hypocrisie. Des hebdomadaires d'information sont tombés là-dedans. Sans doute y a-t-il une panique par rapport aux ventes ! Enfin... J'ai un mépris, il faut que j'accepte d'utiliser ce mot, qui est vrai, pour une certaine presse. Mais je traite tout ça surtout par l'ignorance. Quand il m'est arrivé de trouver ça excessif, j'ai demandé des droits de réponse, c'est tout. Mais je ne me suis jamais dit: "Comment faire pour échapper aux paparazzi ?" C'est dans ma nature, je vais dans des endroits quand les gens n'y sont pas, je ne suis pas, contrairement à ce que l'on dit, très social people. À l'exception des défilés de quelques amis, je ne sors pas beaucoup. Je vais dans les festivals, mais plutôt à l'étranger, parce que j'aime voir des films. Je ne vais pas sur la Côte d'Azur l'été ou à Deauville l'hiver. Ce n'est pas le secret pour le secret, ou pour cacher des choses honteuses. C'est simplement pour ma tranquillité, pour avoir l'impression de vivre à peu près normalement. Je sors, je vais au cinéma dans des salles normales, je vis dans mon quartier...

Son portable sonne : "Excusez-moi". Elle fixe un rendez-vous pour le soir, puis raccroche et m'explique : "Je vais voir cette pièce qui porte mon nom, et que je n'ai pas encore vue". Quand je lui annonce que nous avons terminé, elle décroche son micro cravate et me dit, maternelle : "C'est très bien, mais j'espère qu'il aura marché quand même, votre petit appareil".


Par : Thomas Doustaly
Photos : Jean-Baptiste Mondino


Film associé : Palais Royal



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