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Ses interviews / Presse 2000-09 / Vogue 2003 |
Repères
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Elle est l'autre blonde mythique du cinéma. Entre rôles joués et vie fantasmée, Catherine Deneuve reste une destination inconnue. Il ne s'agira pas de Catherine Deneuve. Il sera question de Catherine D. Ou peut-être même de C.D. Ou tout simplement d'elle. Un personnage tellement connu et tellement caché que mieux vaut l'inventer. Bribes d'histoires et rêves éparpillés autour d'un moment volé, de propos perdus. L'ESCRIMEUSE. Elle regretterait le temps des duels. Le temps ou les dettes d'honneur se réglaient sur le pré, où il y avait des comptes à demander et à rendre. Mais cette époque épique a-t-elle jamais existé ? C.D. en plastron blanc, le masque grillagé qu'elle ajuste, et le fleuret qui mouchette l'air de son envie de faire rendre gorge à la calomnie. Se battre. Gagner, perdre. Un monde dans lequel on l'imagine mal. On la voit plutôt, dame masquée, y assistant de loin, âme disjointe et il matois, prétexte et enjeu de ces combats de coqs à ergots affûtés. Les prétendants qui s'embrochent et elle, cur battant pour le plus faible, qui repart pourtant avec le soudard sanglant. Fut-elle jamais ainsi ? Ne l'est-elle plus ? On peut aimer les belles bagarres, ne jamais se tromper de cause et pourtant refuser de s'avancer poitrine découverte au-devant des poignards dressés. L'AYATOLLAH. Elle s'interdirait le pouvoir par crainte de finir despote. Elle dit même "ayatollah". Catherine D. en autocrate aux ongles griffus, en reine mère ingrate et venimeuse faisant valser les courtisans au gré de ses palinodies. C.D. en mère impérieuse d'une religion délirante, de celles qui voilent les tchadors et cisaillent les strings qui dépassent. Difficile à imaginer. Plutôt une envie d'absolu déçue qui se transforme en éloignement rétif. Un accompagnement indolent des combats d'une génération. Et, encore, cette défiance devant le surpouvoir des acteurs, beaux parleurs jamais payeurs. Catherine D., parents centre gauche, mère très catho, un premier amoureux objecteur de conscience au temps de la guerre d'Algérie, un féminisme de longue haleine, une proximité avec la gauche de gouvernement mais un refus de pétitionner, d'apparaître sur les listes de soutien, même si elle apprécia Mitterrand, Lang, Jospin... Le refus de se compromettre avec quelqu'un d'autre qu'elle-même, le refus surtout de ne plus s'appartenir. Elle dit : "Je suis plutôt pour une forme d'équité et de justice". Elle dit : "Je n'aimerais pas vivre dans un pays où on ne paye pas d'impôts". Une citoyenne attentive et informée qui se définit comme "républicaine-anarchiste". Mais qui a peu de chances d'entamer, sur le tard, une carrière de dictateur. LA MÉI.ANCOLIQUE. Elle fut tellement dépeinte en blonde bourgeoise, rêvant sous les tilleuls à des adultères impossibles du côté des tennis qu'on avait fini par la prendre à revers pour une bonne nature. Pour une fourchette alerte et une gaie compagne, pour une amante intense et une profiteuse de la vie. Surtout pas pour une autodestructrice qui se noie dans tous les alcools, juste pour une gourmande, buvant deux-trois verres d'un château-margaux, jamais toute la bouteille de gin. Surtout pas pour une paniquée métaphysique qui se paye des coups de grisou charbonneux quand l'idée de la mort, de l'infinie disparition de soi et des siens, ouvre des abîmes insondables, creuse des galeries dans le mental friable des âmes faibles. Elle dit : "J'ai un fond mélancolique". Elle dit encore : "J'ai des difficultés à vivre, moi aussi". Elle y oppose sa sur disparue, Françoise Dorléac, son côté enjoué qui jurait avec ses timidités à elle, ses hésitations. Et puis, vite, elle se reprend. Elle appartient à une génération où, pour vivre malheureux, on préférait vivre caché. Elle préfère "en dire le moins possible". Elle en fait "une question de fierté". Elle a scrupuleusement évité les divans, quand la moindre starlette fait commerce de son analyse. Elle se méfie des "gazouillis", ne parle "vraiment" qu'à quelques proches. De cette mélancolie que le temps n'effeuille pas. "De la vie qui est une chose très existante, mais qui est aussi une souffrance". Et là, on croirait entendre François Truffaut, une scène de "La femme d'à côté", Fanny Ardant, les tennis, l'adultère, les tilleuls. L'HOMME. On en parle tellement comme la quintessence de la femme française, avec des F majuscules aussi étouffants que fougasse en bouche, qu'il fut assez amusant de l'entendre se définir comme un homme. C'était au temps du "Dernier métro" et c'était par opposition à la part féminine que Depardieu s'inventait et brandissait avec le même appétit qu'un Obélix, son cuissot de sanglier. Une femme qui rote, qui pète, qui sent l'ail et le vin. Un homme qui voile ses yeux clairs de lunettes noires, qui a la blondeur tellement parfaite qu'on en a oublié qu'elle ne le fut pas de toute éternité, qui porte-jarretelles et qui voit de grosses mains d'empoigneur remonter sous sa jupe. Catherine D., l'homme. En symbiose avec un Gainsbourg en bas résille. Moins en phase avec un Delon éternel macho, qui ne revendique que sur le tard ses années Visconti, à l'heure où la nostalgie devient ce qu'elle était. Quand C.D., elle, ne prédit pas la mort du cinéma, continue à tourner avec Lars Van Trier, avec Benoît Jacquot, et ne traite pas ses récentes incursions télé comme des soldes fin de séries. LA TORTUREE. Il doit être terrible pour une actrice de se voir sempiternellement renvoyée à une scène de référence, à un instant fondateur. Ne nous en privons pas. C'était dans "Belle de jour", la scène de flagellation, le cocher (ou était-ce le mari ?) qui brandit son fouet. Et elle, l'épaule dévoilée, le regard biaisé, étonnée du plaisir à venir, cette part noire du continent immergé des désirs inaboutis. Elle sait magnifiquement entretenir cette délicieuse confusion entre rôles joués et vie fantasmée. Etre à la fois cette maîtresse en artifices, cette dévastatrice des sentiments, puis s'en retourner cultiver son jardin secret. Elle redit : "On parle beaucoup trop de soi". Elle ne se voit pas en héroïne d'un roman de Christine Angot, mais admet : "C'est gonflé. C'est une uvre". Et d'enchaîner sur Catherine Millet : "C'est audacieux, c'est honnête, ça peut être libérateur, même s'il y a forcément du sordide". Et d'ajouter, l'épaule couverte, le regard assuré, les lunettes remontées : "Quoi de plus mystérieux et de plus excitant que la sexualité des gens ?" Et puis, la seule blonde hitchcockienne qui n'ait jamais été sadisée par l'oncle Alfred passe à autre chose. Parle du livre qu'elle emporte pour un voyage au Japon. Il s'agit d'un ouvrage de Philippe Roth. "La Tache". Référence au sperme présidentiel sur la robe de Monica L. Puis elle évoque son éducation catholique qui l'a "bien perturbée", sa mère si croyante qu'elle lui reproche encore de ne pas avoir fait baptiser ses enfants. Et puis ce temps qu'il faut après ça, pour que le plaisir germe sur un terreau de culpabilité. LA JARDINIERE. Madame D. a un appartement place Saint-Sulpice,
une maison en Normandie. Elle fait la navette. Elle dit : "Vivre
à la campagne ? Il y a trop de choses qui me manqueraient. Comme
les relations aux autres... " Ses envies de nomadisme sont satisfaites
par ses tournages, par les festivals où on l'invite. Elle aurait
bien vécu à San Fransisco, elle ne se serait jamais établie
à New York. Elle est le luxe et l'élégance d'un vieux
pays, elle a un côté ultra-citadin, ultra-sophistiqué,
mais on l'imagine sans peine tailler ses rosiers, cuire ses confitures,
biner ses plates-bandes. Ongles en deuil dans la terre grasse. Retour
à la matrice universelle. Enterrer la vie, laisser germer la mort.
Des proches qui disparaissent, le temps qui reste à aimer. Elle
dit : "II est plus facile de supporter sa douleur que celle des autres".
Elle ajoute : "Mon seuil de résistance est assez élevé".
Mais elle précise : "Je pense que je n'aurais pas résisté
à la torture". Un autre fouet qui cingle... Elle ne veut pas
parler de la mort de Marie Trintignant, de Nadine qu'elle avait connue
au moment d'un premier drame, au moment du tournage du film sur son bébé
mort. Elle dit : "C'est une déflagration, ça m'accompagne,
ça prend beaucoup de place". Elle ajoute : "Ce n'est
pas une histoire d'amour, c'est une histoire de possession". Elle
sait qu'on ne peut être dans la douleur de l'autre, que les réactions
peuvent surprendre, les thérapies étonner, que la haine,
la vengeance peuvent survenir, mais que l'amitié se doit d'accompagner
fidèlement. Dans les cimetières, dans les jardins, dans
les maisons. Fenêtre ouverte sur les nuits chaudes. Comme cet été.
Quand Catherine D. ne dormait pas. Quand elle vivait la nuit. "En
vampire". Quand la brûlure de vivre suffoquait la campagne
et que son sang continuait à battre, puissant, secret. |
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