Ses interviews / Presse 2010-19 / Elle 2010
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

"Je ne suis pas raisonnable du tout"

C'est une star, c'est un mythe, mais aussi une actrice qui adore se faire chahuter par de jeunes cinéastes. Dans "Potiche", de François Ozon, Catherine Deneuve incarne une bourgeoise qui se révolte dans la France des années 70. Avec humour et franchise, elle s'est confiée à Anne Diatkine. Interview.

Qui est l'actrice qui cueille des champignons, déplace des montagnes, plante des tomates et pas n'importe lesquelles, cuisine un risotto (au champagne), va chercher ses petits-enfants à la sortie de l'école, caresse les pieds des bébés dans la rue, tout en étant une star absolue ? Qui peut s'endormir n'importe où, et se recharger comme une pile, mais pas forcément la nuit ? Qui chine chez les brocanteurs, mais ne manque jamais un Salon de l'agriculture et reste très urbaine, malgré sa passion et son érudition pour les jardins ? Qui aime boire, manger, fumer, s'amuser, enfreindre les contraintes, n'en faire qu'à sa tête, ne pas être obsédée par les canons esthétiques, mais symbolise la beauté féminine ? Qui parle si vite qu'on ne peut pas la suivre même si elle oblige tout le monde à avancer au pas de course car, pressée, elle l'est toujours un peu comme si elle devançait le présent, avait la hantise d'être piégée par l'inertie ou redoutait que la mélancolie, le vague à l'âme n'affleure avec la lenteur ? Catherine Deneuve, bien sûr, qui n'a jamais caché qu'elle était drôle, et qu'elle aimait jouer la comédie ou dans des comédies, même si ce n'est pas la première image que les spectateurs ont d'elle. Ont-ils tort ? Pas totalement. Comme tout le monde, mais un peu plus que tout le monde, Catherine Deneuve a plusieurs vies et de nombreux secrets. Il est possible que l'image en papier glacé que les magazines montrent d'elle depuis qu'elle est sous les regards, c'est-à-dire ses 18 ans, lui ait toujours permis de garder son mystère. "Regardez-moi, écoutez-moi, je suis de toute manière ailleurs", semble-t-elle dire. Catherine Deneuve, c'est la discrétion sur sa vie privée et donc sur celle des autres, et on la remercierait presque d'être l'une des dernières qui ne confond pas l'intime et le public, et de préserver la lumière de ce diamant noir de toute vulgarité. Si elle se raconte un jour, le récit sera fragmentaire. Pas par goût du mystère, mais par éthique. Casser son image, l'expression est bien bête, puisque, par définition, les actrices jouent de leur capacité de métamorphose, et Catherine Deneuve ne l'utilise pas pour parler de son travail dans "Potiche", où elle tient le rôle-titre.

Potiche, c'est Suzanne Pujol, épouse popote et poète d'un directeur d'usine de parapluies, qui n'a sa place nulle part, ni à la cuisine ni au Badaboum, la boîte de nuit où son mari entraîne ses maîtresses. Il faudrait demander aux grandes bourgeoises qui ont eu 50 ans dans les années 70 si elles ont le souvenir d'avoir porté la coiffure boule (qui a laissé des traces sur la chevelure de Liliane Bettencourt) que Catherine Deneuve arbore dans le film, et si elles se reconnaissent dans son personnage. Il faudrait demander aussi à François Ozon si les biches se promènent parfois à ses côtés, lorsqu'il court en forêt, car elles font souvent de la figuration intelligente dans les scènes d'ouverture de ses films. "II n'y a pas qu'en Suède ou dans le Connecticut qu'il y a des biches et qu'elles traversent l'autoroute, mais aussi en Normandie. L'hiver, je leur donne du sel", raconte Catherine Deneuve. Pourquoi du sel ? "Pour les nourrir, voyons !" L'entretien a commencé sans qu'on y prenne garde. Nous sommes à l'hôtel Lutetia, à la veille d'une grève, et bien qu'assise Catherine Deneuve semble courir. Si bien qu'elle a toujours une réponse d'avance sur nos questions.

J'ai toujours aimé participer à des comédies. Prendre le pari de faire rire les spectateurs, ce qui est beaucoup plus difficile que de les émouvoir. Rien n'est plus pathétique qu'une comédie qui rate le coche. La fin du tournage de "Potiche" a été insensée. Ozon n'arrêtait pas de dire : "Moteur, moteur !" Je lui répondais : "Attendez, François, je ne suis même pas dans le champ et j'ai mes habits de ville !". "Ce n'est pas grave. Moteur, moteur !". Qu'est-ce qu'on a pu rire. J'aime beaucoup quand les tournages ne nous permettent pas de rentrer chez nous. On est dans notre bulle, on ne coupe pas avec le film, on a le temps de connaître tout le monde, à force de se retrouver.

N'est-ce pas difficile d'atterrir, ensuite ?
Oui, sans doute, puisque les acteurs se posent toujours des questions sur leur vie hors tournage. Il y a toujours un moment, quand on est actrice, où l'on n'aspire qu'à une seule chose : se retrouver. Retrouver ses vrais cheveux, ses vrais goûts.

Dans "Potiche", la reconstitution historique très précise, notamment sur les éléments de décoration, contribue à donner l'impression qu'il s'agit d'un monde révolu depuis longtemps...
Peut-être, mais, pour jouer, j'ai besoin d'imaginer que le personnage déborde de son cadre temporel. La difficulté était de ne pas trop forcer le trait, de ne pas être drôle à tout prix. Il ne fallait pas que Suzanne Pujol soit caricaturale. Je ne suis pas certaine que l'époque ait tant changé. Les femmes participent toujours aussi peu aux conseils d'administration, ce sont toujours essentiellement elles qui sont en charge de l'organisation du quotidien, et quand elles prennent le pouvoir, elles sont souvent attaquées dans leur féminité ou prises à partie pour des motifs qui n'ont rien à voir avec leur fonction. Suzanne Pujol, c'est un peu "Rocky" ou l'histoire d'une success story. Au début, elle n'a rien et son ascension est fulgurante.

Il y a tout de même une signature années 70 qui parcourt tout le film. Avez-vous relevé des anachronismes ?
Non. On s'est beaucoup amusés à soigner le moindre détail, jusqu'à la housse en velours bleu qui recouvre le téléphone, ou la coiffure de ma fille, en Farrah Fawcett. Elle est très bien, ma fille, d'ailleurs, Judith Godrèche ! Suzanne Pujol fait son jogging avec des bigoudis sur la tête, qu'elle recouvre d'une charlotte de douche. C'est une idée que j'ai eue, j'en suis contente. Non qu'on courait toutes attifées ainsi il y a quarante ans. Mais le survêtement Adidas est devenu trop mode aujourd'hui, et si on rajoute à la panoplie un petit bandeau pour tenir les cheveux, l'effet est quasiment chic !

Pour Ozon, ces années semblent appartenir à l'Histoire. Mais pour vous qui les avez connues, est-ce qu'elles vous paraissent proches ? Plus généralement, quand vous voyez par exemple une photo des "Parapluies de Cherbourg", la jeune fille est-elle devenue une autre personne, ou est-elle toujours présente en vous ?
On ne se voit pas changer. C'est toujours par hasard que je retombe sur un vieux film ou une photo, mais si je revois Geneviève, c'est moi, il n'y a pas de distance. Je suis émue par jeune fille et par le film. De même, quand des propos ou des voix de personnes qui ont été proches il y a quarante ans remontent à la conscience, c'est toujours comme si elles me parlaient aujourd'hui. Contrairement à ce qu'on éprouve lorsqu'on regarde un film, on ne peut pas avoir la sensation que ses propres souvenirs sont datés ou appartiennent à une autre époque, et c'est peut-être pour cette raison que nos morts sont toujours vivants en nous. Bien sûr, on peut avoir soudainement conscience qu'on n'a plus 20 ans, ni même 40. Mais, la plupart du temps, il y a un sentiment de permanence. Le temps ne passe pas linéairement, on forme un tout.

Un trait de caractère continu ?
Encore aujourd'hui, ma mère me répète : "Sois raisonnable, ma petite fille". Je lui réponds : "Tu sais quel âge elle a ta petite fille ? Avec le temps, tu aurais pu t'habituer". Mais toute ma vie, je serai toujours sa petite fille !

En quoi êtes-vous déraisonnable ?
Moult choses. Le sommeil, la cigarette, et tout le reste. Je ne renonce pas à grand-chose !

Comment vous décririez-vous dans ces années 70 ?
Cheveux trop longs et trop blonds. Décalée, malgré tout, même si les couvertures de magazines laissent une image un peu rigide. Un côté Belle au bois dormant, je m'étourdissais de travail pour ne pas trop penser, je tournais plusieurs films par an, je crois, et des comédies, également. N'est-ce pas pile l'époque où je tournais "Le Sauvage" ou "Courage, fuyons" ? Dans ma vie, le cinéma n'avait peut-être pas cette importance qu'il a prise aujourd'hui, où je suis capable de me coucher aux aurores parce que je regarde des vieux films. Je sais bien que je peux me le permettre : je suis beaucoup moins contrainte qu'une femme qui se lève à 7 heures pour préparer ses enfants ! J'étais peut-être moins cinéphile jeune, et encore ce n'est pas sûr, car j'ai été formée à bonne école.

Que voulez-vous dire ?
Ma chance d'actrice, c'est d'avoir rencontré de grands cinéastes très tôt, qui m'ont incluse dans leur univers, sans que j'aie à me battre, à en vouloir. Tout me paraissait très normal ! Rencontrer Demy, Polanski, Truffaut, et qu'ils soient aussi brillants et doués. A leur contact, j'ai appris à regarder et à comprendre ce qu'est un plan.

Arnaud Desplechin dit que vous avez un regard de metteur en scène plus que d'actrice, quand vous jouez. Vous comprenez ce qu'il dit ?
Je ne sais pas. Peut-être est-ce dû, justement, à ce sentiment d'isolement sur un plateau, qui fait qu'on observe la scène et qu'on n'est pas uniquement acteur.

Vous voyez beaucoup de classiques ?
Cet été, la fille de Chiara, qui a 7 ans, a découvert beaucoup de Hitchcock en DVD. J'en ai revu avec elle. Parfois, il y a des moments assez privilégiés, pendant les vacances, où les enfants laissent tomber leur attirail électronique et où l'on partage les mêmes goûts. Ce qui me frappe, c'est que mes enfants n'ont pas la même façon d'approcher un film que moi. Contrairement à eux, j'ai vraiment besoin d'aller dans une salle de cinéma pour découvrir un film. Le DVD ou les chaînes cinéphiles sont des aide-mémoire.

Quelles sont vos comédies de prédilection ?
Tout Hawks, bien sûr ! Les Américains, encore aujourd'hui, ont gardé une énergie, un sens du rythme et un culot qui nous manquent.

Qu'est-ce qui vous fait rire ?
Chiara ! Elle a un humour décapant et noir, et plus je lui dis de se taire, plus elle en rajoute. Elle se moque aussi beaucoup d'elle-même. Elle tient ça de son père. Je suis très contente car on va se retrouver sur le prochain film de Christophe Honore. On s'appelle, on se parle beaucoup de la vie, et là, on parlera de travail.


Par : Anne Diatkine
Photos : Carole Bellaïche


Film associé : Potiche



Documents associés