Ses interviews / Presse 1960-79 / Ciné Télé Revue 1963
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"Oui, je vis chez Vadim, je suis sa fiancée, non ?"

"Je déteste l'algèbre", dit Catherine Deneuve en tortillant une mèche de ses cheveux blonds. Pourtant, elle n'était pas vraiment mauvaise, à l'école.

Je travaillais, dit-elle. Je n'ai jamais eu mon bac, mais je ne le cache pas. Je n'avais que seize ans et demi, il y a deux ans et demi, et il me restait encore un an et demi à faire. Avec les concours et tout cela. Alors, j'ai abandonné. De toute manière, la plupart des gens oublient ce qu'ils ont appris à l'école, c'est ça qui me console. Les femmes surtout.

Catherine Deneuve, la découverte n°3 de Vadim, portait une robe de soie très légère qui semblait caresser son jeune corps. Elle donnait l'impression de ne rien avoir en-dessous. Elle n'a certes besoin ni de gaine ni de soutien-gorge, ça se voyait. Elle n'avait pas de bas non plus ; par contre, ses yeux étaient lourdement maquillés tandis qu'un soupçon de rouge visait à rendre ses lèvres plus sensuelles.

Elle avait pourtant l'air d'une petite fille qui serait trop vite devenue une femme. Tandis que nous parlions, elle brossait distraitement sur une toile un portrait d'elle-même. Je le lui enlevai avec l'envie de la réprimander comme on le ferait à une écolière.

J'étais venue la voir avenue Ingres après avoir rencontré sa sœur, Françoise Dorléac, qui m'avait dit : "Jamais, je ne pardonnerai à Vadim ce qu'il lui a fait. Il lui a enlevé l'âme du corps et il l'a remplacée par une autre. Maintenant, elle ressemble plus à Brigitte Bardot et Annette Vadim qu'à elle-même".

Et Françoise d'ajouter : "Elle n'a jamais rien pris au sérieux. Pour elle, tout est un jeu. Elle joue à la vie pour s'en amuser, mais cela ne justifie pas Vadim".

J'étais déjà venue dans l'appartement de l'avenue Ingres et j'y avals rencontré la mère de Roger Vadim qui m'avait dit : "Le pauvre garçon, il a beaucoup souffert à cause de Brigitte Bardot. Je pense que son mariage aura été une leçon et qu'il sera plus prudent cette fois. Cette Catherine est gentille, mais ce n'est pas sérieux". Mme Vadim mère se trompait.

Catherine faisait marcher un disque quand je suis arrivée. Elle me demanda si j'aimais la musique, manifestement pour dire quelque chose. Vadim arriva peu après moi. "On fait une interview", lui dit Catherine. Il nous envoya dans la pièce voisine, une petite chambre qui avait peut-être servi de nursery à Annette. Je demandai à Catherine si elle l'aimait : Vadim.

Naturellement, répondit-elle, sinon je ne serais pas ici. Je ne suis pas trop jeune.

Vous vivez ici ?

Oui.

Votre sœur est plus âgée que vous et elle vit toujours chez vos parents.

Oui, mais Françoise n'est pas fiancée, elle. Moi, oui.

Vous épouserez Vadim ?

Sans doute.

Quelle impression ça vous fait-il de vivre ici après Brigitte et Annette ?

Je n'y pense pas.

Qu'est-ce que vous pensez de Brigitte ?

Elle a beaucoup de talent. Annette est très belle, mais elle ne semble pas avoir de caractère. Nous sommes bonnes amies.

Sans que je l'interroge, elle se mit à parler du mariage :

Les gens ont des idées tellement différentes à propos du mariage. A Hollywood, on se marie trois ou quatre fois. Est-ce qu'il ne vaut pas mieux ne pas se marier ? A la fin, ça revient au même pourvu qu'on rencontre l'homme avec qui on veut vivre... Vadim me dit que je lui rappelle Audrey Hepburn à ses débuts. Mais si ma carrière d'actrice devait brutalement finir demain, je n'en aurais pas de peine. J'aime ce travail, mais il y a autre chose dans la vie. Une famille, par exemple. Je voudrais tout de même bien vivre un jour comme tout le monde.

Vous l'appelez Vadim ?

Oui. Après tout, c'est son prénom. Son nom, c'est Plemyannikoff.

Soudain, Vadim entra en coup de vent. Il me demanda si, en partant, je ne voulais pas déposer Catherine au George V. Il ajouta : " Nous devons rencontrer un producteur américain. Je serai en retard. Voulez-vous le lui expliquer ? "

Il me montra le téléphone. L'Américain était au téléphone et ne parlait guère le français. Je traduisis. La communication terminée, Vadim me dit :

"Après tout, j'emmènerai Catherine là-bas moi-même". Cela, c'est tout Vadim. Tout le jeu de Vadim. " Il avait des millions de rêves dans la tête, dit de lui sa mère. Il sait ce qu'il fait et ses rêves deviennent réalité. Ce qu'il aime, c'est la beauté ".

La beauté du corps féminin. De la jeunesse : Brigitte Bardot à quinze ans et demi. D'elle, Mme Vadim m'avait dit : "Il était fou d'elle. Elle était venue habiter avec nous. Puis ils se sont mariés. Quant à Annette, Vadim voulait trouver quelqu'un pour remplacer l'Image qu'il avait de Brigitte. Elle était le mieux dans le genre".

Annette avait dix-sept ans. Catherine avait seize ans quand il la rencontra.

"J'ai de grands projets pour elle, me dit Vadim. Il y a dans sa beauté une fraîcheur, une naïveté qui doivent donner sur un écran. Je suis aussi excité à son sujet que je l'étais au sujet de Brigitte. Brigitte a fait du chemin depuis que nous avons commencé à travailler ensemble. Maintenant, elle peut faire ce qu'elle veut. Je crois qu'il en sera de même avec Catherine. Elle est encore très jeune, mais c'est le bel âge pour commencer. Il faut sortir les acteurs d'eux-mêmes et les guider. Mais, pour cela, iI faut continuellement être avec eux. C'est pourquoi je veux vivre avec la fille que j'ai choisie pour la modeler vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Quand on a passé la nuit ensemble, on parle ensemble, le matin, à la table du petit déjeuner".

Mme Vadim mère intervint : "Aucune d'elles n'était intellectuelle. Je ne me rappelle pas avoir jamais vu Brigitte avec un journal. Mais ces filles sont nées pour être des actrices, pas des génies...."

Je parlai de nouveau de Brigitte à Catherine :

Nous sommes allés la voir dans sa maison de Saint-Tropez, Vadim et mol, il n'y a pas longtemps, dit-elle. On y a déjeuné. Brigitte a de jolies robes. J'aime les jolies robes. J'achète les miennes dans le même magasin qu'elle. J'aime m'habiller. Je suis coquette dans l'âme.

Je lui demandai perfidement si elle lisait les journaux. Elle hésita et rejeta en arrière sa blonde chevelure à la B.B.

Je ne comprends pas grand-chose à la politique, dit-elle. Mais je lis. Des livres : Camus, puis cet Américain, Faulkner.

Shakespeare ? demandai-je.

Pas encore.

Dickens ?

Qui est-ce ?... J'apprendrai l'anglais à la première occasion. En Amérique, ils ne connaissent pas le français. Vadim, naturellement, parle parfaitement anglais [je songeai à son "jeu", quand il m'avait fait répondre au téléphone au producteur américain].

Si vous me parliez de vous ?

Mon père et ma mère sont acteurs. Lui, c'est Maurice Dorléac. Elle, Renée Simonot, mais, son vrai nom, c'est Renée Deneuve, c'est pour cela que j'ai pris Deneuve comme nom... J'allais encore à l'école quand on m'a offert mon premier rôle au cinéma. Ma sœur Françoise commençait sa carrière, mais, moi, ça ne m'Intéressait guère. Mais, dans une famille d'acteurs, on n'y échappe pas. J'avais quinze ans. Le film s'appelait "Les petits chats". Personne ne l'a vu parce que la censure l'a interdit. Puis je suis retournée à l'école, mais l'année suivante. J'étais de nouveau dans un film : "Les portes claquent"... Je n'avais plus le temps d'aller à l'école, quoi, puis je détestais l'algèbre. Alors, j'ai rencontré Vadim et je suis allée avec lui...

Elle a quitté la maison de ses parents pour vivre avec Vadim. Elle le raconte comme la chose la plus naturelle du monde. Selon Françoise Dorléac, son père a pris cela philosophiquement, mais sa mère en a été malheureuse. Françoise, elle, hausse les épaules de l'air de dire : "C'est la vie". Mais elle ajoute pensivement : "Je ne comprendrai jamais ce Vadim. Espérons que tout ça finira bien".

Catherine, elle, explique :

Je fais ce que Vadim dit, parce qu'il sait mieux que moi et que je l'aime. Mais ne me parlez pas de l'avenir. C'est déjà bien de songer au présent, non ? La vie est longue et pleine de surprises.

Le visage de Vadim passa à la porte. Il lança : "O.K. ?" à la cantonade puis, à Catherine : "Il faudrait que tu te changes. On doit voir ce type".

Catherine appela la bonne et enleva ses chaussures. C'était comme si elle allait se changer là devant moi. En gagnant le hall, elle déboutonnait sa robe…


Par : H. G.


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