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Entretien
avec Catherine Deneuve |
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J'ai le souvenir dans "Le
vice et la vertu" (un de vos premiers films et votre premier rôle
un peu important en 1962) d'une adolescente très gauche et dont
je ne pensais absolument pas qu'elle allait faire une carrière
Vous n'êtes pas le seul ! Mais aujourd'hui je trouve bien
que cela ait commencé ainsi.
Et comment la métamorphose
s'est-elle effectuée ?
C'est difficile à déterminer à présent, mais
je crois que l'événement qui a vraiment eu le plus d'importance
pour moi a été ma rencontre avec Jacques Demy, je ne parle
pas seulement du film "Les parapluies de Cherbourg", mais du
contact avec un réalisateur qui m'a beaucoup appris. Demy et ensuite
Polanski m'ont fait un bien énorme parce que ce sont des gens qui
aiment les acteurs, qui aiment parler de cinéma avec vous, qui
vous aident vraiment. Et j'ai pris conscience de ce que j'avais envie
de faire, de ce que je pouvais faire, de ce qu'il fallait faire avec "Les
parapluies de Cherbourg". J'ai commencé à être
de plus en plus difficile et de plus en plus critique, et alors survient
un moment où l'on a la chance de pouvoir choisir ses films, de
pouvoir même provoquer certaines choses, et à partir de ce
moment tout devient plus facile.
Le succès d'un film très
particulier comme "Les parapluies de Cherbourg" ne risquait-il
pas de vous imposer, vous presque débutante, dans un style un peu
"rose bonbon", sans que cela soit imputable à Demy, mais
plutôt au regard du public et des producteurs ?
On m'a proposé, c'est vrai, deux ou trois participations dans des
films où je représentais un peu le personnage des "Parapluies
de Cherbourg". Mais je n'en ai pas tellement souffert dans la mesure
où je savais, moi, que j'avais envie de faire autre chose. Et je
n'ai pas eu le temps de me sentir cataloguée parce qu'un an après
Polanski m'a demandé de faire "Répulsion" pour
m'avoir vue dans le film de Demy, ce qui peut paraître étrange...
L'essentiel dans ce métier, c'est, d'une part, de connaître
ses possibilités et, d'autre part, d'avoir envie d'essayer de faire
autre chose de très différent. Personnellement, je vois
assez bien dans quels rôles je suis plausible et dans quel genre
je ne le serais plus, mais je suis prête à prendre des risques
pour changer, pour échapper au confort.
Accepter "Répulsion"
était un risque ?
Non, en ce sens que j'avais une foi aveugle en Polanski, bien que je n'aie
vu "Le couteau dans l'eau" qu'une fois le contrat signé
; mais l'enthousiasme tient une grande part dans mes décisions
et je n'hésiterai jamais, aujourd'hui encore, à faire un
film avec un jeune metteur en scène, même s'il en est à
son premier film, comme Rappeneau avec "La vie de château".
Mais il y avait tout de même le danger, si le film n'avait pas marché,
de tomber dans le grotesque, comme avec un film d'horreur de mauvaise
qualité.
Et c'est loin d'avoir été
le cas ! Mais en parlant de risque, je pensais plutôt à votre
personnage, à la représentation que le public avait de vous.
Ah ! Mais je ne me vois pas comme un "personnage" et je refuse
absolument d'avoir ainsi une représentation de moi-même...
Cela ne m'intéresse pas et ce n'est pas du tout de cette façon
que je veux travailler ni que j'envisage ma carrière ! Quant à
savoir comment le public me voit, je n'en sais rien, je ne me pose pas
la question. J'estime que la vie va trop vite, qu'il, y a déjà
beaucoup de choses plus graves auxquelles il faut faire attention dans
ce métier pour que l'on s'attache à ce genre de soucis.
Stuart Rosenberg, le metteur
en scène de "April fools", disait que vous avez cette
"qualité exceptionnelle qu'est la vulnérabilité".
Qu'en pensez-vous ?
Si c'est comme cela que lui me voit, je pense que ce n'est sûrement
pas tout à fait faux... Oui, dans la vie, je suis peut-être
assez vulnérable, mais dans quelle proportion cela entre-t-il dans
ma personnalité, je l'ignore...
En fait, il y a un mélange
de vulnérabilité et de force, de dureté parfois,
dans votre image à l'écran, qu'il s'agisse de "Répulsion",
de "Benjamin", de "La chamade". Vous dominez souvent
vos partenaires masculins et vous n'avez jamais joué un rôle
de femme-objet
C'est très bien ce mélange dont vous parlez, voilà
qui me plait beaucoup, car j'aime l'ambiguïté ! Quant à
jouer la femme-objet, je ne sais pas si cela me plairait tellement...
Mais vous savez, en général, je n'ai pas une idée
précise d'un personnage et je ne refuse a priori aucun genre, aucun
rôle. Parce que pour mol, le contact avec le metteur en scène
et l'intérêt de l'histoire que l'on me propose comptent plus
que mon rôle et je trouve qu'un grand rôle dans une histoire
moyenne n'est pas très intéressant, alors qu'un rôle
même secondaire dans une excellente histoire peut vous apporter
énormément. Aussi, lorsqu'il m'arrive de refuser un projet
ou de faire des réserves sur un scénario, c'est presque
toujours par rapport à l'histoire et non par rapport à mon
personnage dans le film.
Est-ce que c'est pareil pour
vous de jouer "Répulsion" ou "La vie de château",
les films de Demy ou "Belle de jour" ?
Pas tout à fait, mais pour moi il est toujours aussi agréable
de faire des choses qui sont si fortes, de tenir des rôles qui sont
si dessinés, ce que l'on appelle des héroïnes. Même
dans "Benjamin" où j'ai tourné pendant trois semaines
un rôle épisodique, il y avait une progression qui faisait
de ce personnage une héroïne, et cela c'est formidable pour
une actrice, car l'on sent qu'il ya une courbe à suivre, une évolution
psychologique à rendre, en somme quelqu'un que vous faites vivre
à travers vous.
Vous n'avez jamais retrouvé
encore un rôle comparable à celui que Rappeneau vous avait
donné dans "La vie de château", un rôle dans
le ton de la comédie américaine d'avant-guerre, comme vous
le disait Gilles Jacob ?
Non, mais j'en ai très envie, et surtout de faire une autre comédie
avec Rappeneau. Mais s'il n'a pas fait de film depuis "La vie de
château", c'est parce qu'il ne le veut pas et qu'il travaille
très lentement. Il prépare tout seul un film important sur
lequel il a passé des mois et à présent il essaie
de le mettre sur pied. J'ai beaucoup aimé travailler avec lui,
car il a un ton, un style formidable, et j'étais d'autant plus
contente que personne n'aurait écrit pour moi ce personnage qui
a surpris beaucoup de gens. C'est pourquoi je dois faire attention et
essayer de lire beaucoup de scénarios et projets, car je sais qu'il
y a des choses que l'on ne me proposera peut-être pas a priori et
que j'ai envie de faire, qui m'amuseraient.
Et "La sirène du
Mississipi", qu'est-ce que cela a été pour vous ?
D'abord la réalisation du souhait de beaucoup d'actrices un peu
partout dans le monde : tourner avec Truffaut. Il y a ainsi des réalisateurs
avec qui toutes les femmes ont envie de faire un film : Cukor aux Etats-Unis,
Visconti en ltalie et Truffaut en France
Cela a donc été
une chance formidable pour moi de travailler avec lui et Belmondo, et
l'on ne peut pas dire que c'était un film risqué au départ
! Mais d'un autre côté, je serais presque triste en me disant
: " Mais après, qui ?
" Et puis, là encore,
c'était un personnage nouveau pour moi : celui d'une aventurière,
avec des traits qui étaient loin de moi, mais dans un climat si
étrange que le film n'entre dans aucun genre. C'est une histoire
d'amour très pathétique, très passionnée,
très romantique - et cela correspond tout à fait à
la personnalité de Truffaut, ce romantisme - avec des éléments
comme l'aventure, l'intrigue policière, qui viennent se mêler
à cela
Mais j'ai assez de mal à parler de ce film
parce que le tournage a été merveilleux, facile, agréable,
sans aucun problème, dans une ambiance formidable, avec une confiance
totale
C'est comme le bonheur en fin de compte, cela ne se raconte
pas : il faut le vivre ou en être témoin pour comprendre.
Même chose pour les rapports avec Belmondo : nous ne nous connaissions
pas mais il n'y a eu aucune gêne, aucune timidité ou raideur
entre nous. Il faut dire qu'en plus de toutes ses qualités, il
en possède une au suprême degré : la décontraction
; à ce point-là, je n'avais jamais vu cela ! Il enchanterait
les Américains qui sont tellement à la recherche de ce côté
" relax " comme ils disent.
A propos des Américains,
comment cela s'est-il passé pour vous à Hollywood avec "April's
fools" ?
Je n'ai pas été tellement dépaysée là-bas,
malgré les moyens et les proportions énormes de tout (studios,
équipe, etc.) parce que Stuart Rosenberg est un meneur en scène
qui connaît et admire beaucoup le cinéma européen
et qu'il tourne et dirige d'une façon simple et rapide qui ne pose
pas de problème d'adaptation pour le comédien. Et puis le
sujet en lui-même - comédie intime à trois, quatre
personnages - n'appelle pas la mise en route de tout l'appareil de la
production américaine.
Est-ce que l'on a utilisé
le fait que vous soyez française pour ce premier rôle à
Hollywood ?
Oui, puisque je joue une Française mariée à un Américain
et qui s'ennuie dans ce pays étranger pour elle... Et puis il y
a un autre Français dans l'histoire, que joue Charles Boyer.
Mais êtes-vous allée
faire ce film comme une expérience isolée ou bien vous a-t-on
offert un contrat ?
J'ai toujours refusé les contrats pour plusieurs films parce que
c'est très dangereux et je trouve qu'il vaut mieux choisir et s'engager
pour chaque film que l'on a envie de faire, se réservant ainsi
la possibilité de refuser. En outre, ce système des contrats
n'a plus tellement lieu d'être dans la mesure où la façon
de travailler aux États-Unis ne correspond absolument plus à
celle de l'âge d'or d'Hollywood où, effectivement, les firmes
tenaient les vedettes par des contrats draconiens de plusieurs années...
Moi, je veux être disponible, je veux pouvoir accepter au dernier
moment un film qui m'emballera.
Et l'idée de faire carrière
aux Etats-Unis ?
Mon ambition n'a jamais été d'aller m'installer là-bas,
car je ne crois pas tellement à l'exportation pour un acteur. Chaque
acteur, qu'il le ressente ou non, est un produit de son pays et, exception
faite des Anglo-Saxons (grâce à la langue, grâce au
tempérament) qui réussissent sans problèmes aux États-Unis,
il est difficile pour un Européen de s'adapter totalement. Ce qu'il
faut, c'est le jour où l'on vous propose un beau rôle ne
pas hésiter à l'accepter, à prendre le risque, à
tenter un peu l'aventure... Personnellement, j'estime très important
de faire de temps en temps un film en langue anglaise - je ne dis pas
forcément "américain", mais de langue anglaise
- à cause de la façon dont ces films sont distribués
dans le monde, permettant à un acteur (ou à un réalisateur)
d'atteindre un vaste public international. C'est aussi pour cela que j'ai
accepté de faire "Mayerling", que je trouvais être
par ailleurs une grande et belle histoire d'amour romantique ; cela dit,
le film n'est pas tout à fait ce qu'il aurait dû être,
ce n'est pas une chose dont je sois particulièrement fière.
Je ne regrette cependant pas d'avoir tourné "Mayerling",
car c'est un film qui a connu un succès populaire, alors que j'avais
souvent fait auparavant des choses que tout le monde ne peut pas voir.
Mais attention : je ne dis pas que je l'ai fait dans cette optique-là,
parce que ce serait une censure monstrueuse que d'accepter un rôle
en fonction de l'âge ou du genre de public que l'on peut toucher
; mais après tout, c'est ce qui s'est dégagé de positif
pour moi dans cette expérience.
Considérez-vous l'échec
d'un film dont vous êtes vedette comme un échec pour Catherine
Deneuve, ou bien, de façon plus extérieur, comme l'échec
du réalisateur ? Je pense plus spécialement aux "Créatures",
à "Manon 70"
Evidemment comme un échec pour mol, d'autant que, le plus souvent,
j'ai accepté le rôle parce que je faisais entière
confiance au réalisateur ou parce que je l'estimais et l'admirais.
Ce qui ne veut pas dire que je me sente responsable de l'échec
d'un film comme "Les créatures", qui a été
accueilli de façon très injuste, car on ne s'est pas seulement
contenté d'assassiner le film mais aussi Agnès Varda qui
n'a rien pu faire depuis en France ! Mais je préfère ne
pas en parler, car cela me rendrait très agressive à l'égard
de gens qui font de la critique de façon très méprisable...
Par contre, je me sens beaucoup plus responsable de "Manon 70"
: je trouve que j'ai eu raison de faire un film avec Aurel parce que "De
l'amour" était un excellent film et raison de vouloir jouer
"Manon" parce que c'est une histoire formidable, mais le résultat
est un film un peu raté. Il n'empêche que je ne regrette
pas cette erreur, que je ne veux pas refuser d'assumer d'une façon
générale les erreurs que j'ai commises, et en ce qui concerne
"Manon" notamment je tiens à ce que cela soit dit.
Et inversement, pour "vos"
succès, puisque l'on peut considérer que "vous"
avez eu quatre prix Delluc, une Palme d'Or à Cannes, un Lion d'Or
à Venise
Ah ! là, non ! J'estime que je fais partie d'un ensemble, d'une
équipe qui dépend du metteur en scène, et qu'un film
n'est jamais le film d'une vedette ou d'un couple de vedettes, mais toujours
et avant tout celui d'un réalisateur. Je ne me considère
en aucun cas comme l'élément porteur, comme le flambeau
d'un film, et les récompenses dont vous parlez, ce sont Demy, Rappeneau,
Buñuel et Deville qui les ont méritées par leur travail...
Pour "April's fools", c'est autre chose : le film sort sans
doute ces jours-ci aux États-Unis et là-bas, le seul verdict
réside dans le succès ou l'insuccès commercial, le
reste importe peu !
Des journaux américains,
et par ricochet certains journaux français ont parlé de
votre façon de jouer à la star lors de votre séjour
à Hollywood, notamment à cause de votre refus d'accorder
des interviews, de poser pour les photographes
Voici un exemple de ce snobisme journalistique qui s'exerce surtout aux
États-Unis et qui consiste à s'emparer d'un détail
pour le monter en épingle et le répandre dans tous les journaux
! J'ai simplement précisé en arrivant là-bas que
je n'accepterais pas de rencontrer tout le monde sytématiquement,
que je voulais avoir un droit de regard sur tout ce qui me concernait
afin que l'on ne m'entraîne pas sans cesse dans des réceptions,
conférences de presse ou cocktails. Ce qui ne m'a pas empêchée,
pendant des journées de travail très fatigantes qui représentaient
douze heures hors de chez moi, de rencontrer énormément
de gens, d'accorder des entretiens - mais toujours dans le cadre du tournage
- et en refusant effectivement la plupart des photos que l'on me demandait
de faire, car j'estime qu'il faut être très difficile sur
ce plan et puis je n'aime pas poser. Il ne s'agissait donc pas d'une attitude
de ma part, car je vis exactement de ta même façon à
Paris, sortant assez peu, à la fois par goût et par manque
de temps. Pourquoi irais-je perdre des heures et des soirées dans
des cocktails alors que j'ai si peu de temps à consacrer à
mes amis ? Quant à vouloir créer une espèce d'image
de moi-même, de Catherine Deneuve star, c'est précisément
ce que je refuse, le côté fabriqué des choses...
Mais il y a des mots qui reviennent
toujours à votre propos : "mystérieuse et inaccessible",
"inaccessible et secrète"
Parce que l'on associe trop facilement le mystère à l'inconnu,
au simple refus de se livrer, de trop parler. Ce n'est pas du tout la
même chose : le mystère, c'est un phénomène
au deuxième degré alors que l'inconnu tient seulement dans
le fait que l'on ne peut pas tout savoir des gens. Pour ma part, il est
exact que je suis très catégorique à ce propos, si
j'accepte la discussion pour. tout ce qui concerne mon travail, je refuse
absolument de parler de ma vie privée ou que l'on prenne des photos
de mon fils, des choses comme cela qui n'appartiennent qu'à moi
et ne regardent ni les journalistes ni le public qui va voir les films
où je joue.
Vous avez tout de même
la réputation de ne pas trop accorder d'interviews, je veux dire
même sur le plan professionnel
Oui, c'est exact. Car j'estime qu'il ne faut pas accepter n'importe quoi,
il ne faut pas trop donner. De même qu'il est nécessaire
ne pas être trop vu à la télévision, il importe
de choisir ses interviews pour ne pas fatiguer les gens, pour ne pas user
leur faculté d'attention, pour préserver un potentiel de
curiosité indispensable... Je ne dis pas que l'on peut toujours
exercer ce contrôle, parce qu'il y a des périodes où
l'on éprouve le besoin ou l'envie de parler et d'autre non, mais
iI faut se garder de donner l'impression d'être trop facile, d'être
trop bavard, et autant que possible, si on a des choses à dire,
que ce soient des choses intéressantes.
Vous avez dit à Gilles
Jacob que vous étiez trop fermée, trop pudique
Oui, même dans mon travail, même sur le plateau. J'ai fait
beaucoup de progrès depuis mes débuts parce que je lutte
contre cela, mais je le suis encore un peu trop. J'ai du mal à
m'exprimer à fond en tant qu'actrice, à me libérer
totalement de moi-même et parfois je me sens assez guindée.
Cela me gêne beaucoup, car je trouve que c'est un grave défaut
d'orgueil.
D'orgueil ou de timidité
?
Les deux à la fois sans doute, car - je l'ai remarqué pas
seulement chez moi mais chez beaucoup de gens - la timité et l'orgueil
voisinent souvent.
Et des rôles comme "Répulsion"
et "Belle de jour" ne vous ont-ils pas amené à
forcer votre pudeur ?
Eh bien, curieusement, les choses excessives me semblent presque moins
difficiles à faire avec mon caractère. Et j'ai beaucoup
plus de mal lorsqu'il s'agit d'un personnage réaliste et moderne,
car je me sens trop engagée moi-même, avec des choses qui
sont trop proches de ma propre personnalité. C'est de l'ordre,
si vous voulez, du refus de me livrer, alors qu'en jouant des rôles
excessifs je m'éloigne de moi-même, j'ai moins conscience
de m'abandonner, de me découvrir... Par ailleurs, les scènes
physiques ne me gênent pas, au contraire, elles m'aident à
vaincre mon côté renfermé, à sortir de moi-même,
tout en préservant ce qui tient plus profondément à
ma personnalité... C'est ainsi, à force de jouer - et notamment
de jouer ce qui va contre ma nature - de me critiquer et d'essayer de
me comprendre, que je finirai par vraiment me connaître.
Dans une émission de
télévision qui lui était consacrée récemment,
Annie Girardot définissait la star comme quelqu'un qui doit être
prêt constamment. Qu'en pensez-vous ?
Je dois dire tout d'abord que cette notion de star me paraît très
abstraite et qu'il faudrait en discuter pour chaque cas particulier. Ensuite,
à mon avis, je crois que ce à quoi l'on pense quand on parle
de star n'existe plus ; songez à une Jean Harlow, à une
Marilyn Monroe, et voyez comment Elizabeth Taylor peut se montrer aujourd'hui,
quels propos violents et libres elle peut tenir, voyez comme Julie Andrews
ou Barbra Streisand consentent d'être vues, comme elles sont acceptées
avec leur personnalité de femmes, leur naturel... En fait de star,
iI ne subsiste plus de la grande période d'Hollywood et de sa mythologie
que de la poudre d'étoiles. Cela dit, je trouve que l'on tombe
en Europe dans l'excès contraire, avec le côté "je
vous montre comment je suis chez moi, en train de faire la cuisine, avec
mon fils qui joue sur la pelouse ", ce côté à
la bonne franquette dont j'ai horreur ! De toute façon, pour ma
part, je refuse d'être en représentation dans la vie, je
ne veux pas être toujours apprêtée, mais pouvoir librement
me promener, m'habiller comme je veux, en somme être naturelle.
Mais en même temps je ne refuserai pas de jouer le jeu quand il
le faut, car par son métier, par l'image qu'elle donne d'elle-même,
une actrice se doit de se montrer aussi dans la vie à son avantage,
très belle, très arrangée, très sophistiquée
même, cela fait partie de sa personnalité. C'est aussi une
question de respect pour le public, ne pas avoir l'air de dire : que la
représentation que je vous donne sur l'écran vous suffise...
Mais surtout ne pas être esclave du rôle.
Comment voyez-vous la suite
de votre carrière ?
Au jour le jour... Je reste convaincue que la vie est faite de rencontres,
de hasards qui m'ont assez bien servie jusqu'à présent...
Pourtant, il semble que vous
dirigiez votre carrière aussi bien que Jeanne Moreau qui applique
- ou du moins appliquait à un moment donné - une sorte de
politique des auteurs pour tourner
Ah ! Je trouve extraordinaire d'avoir une ambition de qualité comme
cela et de choisir comme elle le fait. J'ai énormément d'admiration
pour sa carrière et pour la façon dont elle se tient elle-même
et si, pour une raison ou pour une autre, elle ne pouvait plus le faire
ce serait vraiment injuste pour elle et guère encourageant pour
les autres actrices en général... Il ne faut cependant pas
non plus que ce soit trop contrôlé, car alors cela devient
irritant, et puis cela dépend aussi du tempérament : chez
moi, ce n'est pas aussi précis, mais il y a des gens avec qui j'ai
envie de travailler...
Il a été question
d'un film avec Hitchcock
on vous voit très bien dans son
univers.
Oui, Demy me dit cela depuis qu'il me connaît : "Tu devrais
rencontrer Hitchcock, tu devrais tourner avec lui, je suis sûr que
tu es une actrice pour lui..." Et un jour, je l'ai rencontré,
nous avons parlé longuement et nous avons effectivement un projet
ensemble... Je ne peux pas vous en dire plus, car ce n'est pas plus précis
que cela pour le moment.

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Spécial acteurs français

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Par : Guy Braucourt
Photos :
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Films associés
: La
sirène du Mississipi, Le
vice et la vertu, Les
parapluies de Cherbourg, Répulsion,
La
vie de château, Folies
d'avril (April's fools), Benjamin
ou les mémoires d'un puceau, Mayerling,
Les
créatures, Manon
70, Belle
de jour



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