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Confidences de onze heures

Dans son film, Luis Buñuel l'a surnommée "Tristana". Dans la vie, c'est Catherine Deneuve, une femme très belle. Peut-être aussi belle que Greta Garbo. Elle en a la perfection des traits, et surtout l'impassibilité mystérieuse, l'apparente inaccessibilité. Pourtant, Deneuve, contrairement à Garbo, prouve volontiers qu'elle est un être humain, une femme fragile et forte à la fois, lucide et rêveuse, charmante et dure. Bref, une femme, une grande femme, une maîtresse femme.

Commençons par le début. Disons, le début de votre vie. Est-il exact que vous avez été nourrie au biberon jusqu'à l'âge de 7 ans ?
Pas tout à fait exact. Quand j'étais petite, je détestais la viande, je n'avais pas grand appétit, et il était difficile de me faire manger. Alors on me faisait boire du lait, qu'on mettait dans un biberon, car en plus, je ne supportais pas l'odeur.

Et maintenant ?
Ça s'est arrangé, mais j'ai encore des dégoûts. Naturellement j'ai renoncé au biberon... pour garder un peu d'autorité sur mon fils, Christian !

Vous avez dit que vous ne jouiez jamais à la poupée. Que vous étiez toujours plongée dans les livres...
Ah non ! pas dans les livres, je n'ai jamais été une intellectuelle. Je n'aimais pas beaucoup jouer à la poupée, c'est vrai, par comparaison avec mes sœurs qui passaient des heures avec des maisons de poupée, des petites armoires, de la petite vaisselle. Moi, je préférais être auprès de ma mère, la suivre, la regarder. Comme on dit, je vivais dans ses jupes.

Et puis d'un seul coup, vous avez eu envie de vous en échapper...
D'un seul coup, non. C'est venu progressivement. J'avais à peu près 16 ans lorsque j'ai commencé à travailler. Non pas que je l'ai décidé, on l'a décidé pour moi. On, c'est-à-dire le hasard. A partir de ce moment, j'ai ressenti la nécessité de partir, de quitter la maison, la famille, de vivre différemment. Ce n'était pas un acte de volonté, ni même d'indépendance. C'était une envie irrésistible. Je suis très instinctive.

Le hasard en question, il s'appelait comment ?
Il s'appelait "Les portes claquent". On avait besoin d'une jeune fille. J'étais au lycée, c'était la fin de l'année. J'ai profité d'un jeudi pour aller me présenter. Je devais correspondre au personnage, car j'ai été choisie. Je n'avais pas à l'époque l'intention de faire carrière dans le cinéma. J'avais 15 ans 1/2 !

A partir de ce moment, vous avez mis à peu près cinq ans à vous réaliser...
Il s'est passé cinq ans jusqu'aux "Parapluies de Cherbourg". Je n'étais pas tellement "réalisée" à ce moment-là. Le mot est trop fort. Je crois qu'on ne se réalise bien que vers 25 ans. J'ai évolué assez vite, c'est vrai. C'est le métier qui vous y oblige, car il vous réclame un effort permanent, de rester en éveil, de se renouveler, de se perfectionner.

Vous étiez quand même précoce...
Peut-être, mais ça ne veut rien dire. Je n'aime pas tellement les enfants précoces. On s'émerveille, et puis il y a toujours un moment où ça s'arrête et où on s'aligne sur les autres. Ensuite, arrive l'expérience, et tout devient profitable.

Lorsque vous avez tourné "Répulsion", Roman Polanski a déclaré que vous étiez exactement dans la vie le personnage du film.
S'il l'a dit, c'était à des fins publicitaires. Mais je ne crois pas que Roman soit allé jusque-là. Je ne suis pas névrosée à ce point !

Vous l'êtes donc un peu ?
Un peu... comme tout le monde ! Comme tous ceux qui vivent à Paris.

Votre visage est extrêmement calme, paisible...
Je ne le suis pas tellement !

On dit même que vous êtes violente.
Violente, sûrement pas. Je suis nerveuse et inquiète, et je le cache soigneusement. A priori, je préfère dissimuler mes troubles, mes difficultés. Je n'aime pas qu'on puisse deviner mes sentiments au bout de cinq minutes. D'ailleurs, pour mes amis, c'est la même chose. J'aime bien les découvrir peu à peu. Il me faut le temps de les rêver un peu, de les imaginer.

Vous avez dit que ce métier vous avait rendue égoïste...
C'est assez vrai, on devient égoïste, ou plutôt égocentrique. Parce qu'il faut sans cesse se pencher sur soi, se surveiller, se contrôler, s'étudier afin de tirer le meilleur parti de soi-même. A force de se maquiller, de se faire coiffer, de chercher à embellir, on risque également de sombrer dans le narcissisme.

Et dans la vie vous êtes égocentrique ?
Je ne saurais vous répondre. Je sais que je le suis dans le travail, par une sorte d'instinct animal de vouloir bien faire.

Si vous perdiez, le prendriez-vous mal ?
Perdre, qu'est-ce que ça veut dire ? Ce métier n'est pas un jeu où on gagne et où on perd ! La question, c'est de se maintenir en faisant des choses intéressantes. Je voudrais arriver à ce stade qui vous autorise l'échec, où on peut sans trop de risque pour sa carrière se lancer dans des entreprises hasardeuses. Malheureusement dans ce métier, la moindre défaillance coûte cher !

Pourriez-vous envisager le suicide ?
J'y ai pensé comme tout le monde. Vous en dire plus serait indécent.

Estimez-vous avoir reçu beaucoup de coups dans votre vie ?
J'en ai reçu, sans doute pas plus que les autres. Ce qui est curieux, c'est qu'on s'habitue à recevoir des coups, mais pas à avoir mal. Heureusement d'ailleurs. Le contraire signifierait l'indifférence. Ce qui conduit le plus facilement au suicide. Finalement les coups durs vous stimulent, ils vont dans le sens de la vie. Ils vous incitent à avoir envie de recommencer. Ce qui est la preuve qu'on est bien vivant.

Pensez-vous que certains metteurs en scène se soient servis de vous ?
Ils se sont servis de moi. Comme je me suis servie d'eux. D'abord, je les choisis avec attention. Je crois principalement au cinéma d'auteur, quand le metteur en scène est plus qu'un technicien, quand il fait passer dans son travail sa personnalité, sa sensibilité. Dès le moment où je travaille avec lui, ma confiance est totale. Je compte sur lui pour découvrir un de mes visages ignorés, pour m'aider à révéler un nouvel aspect de mon talent. Je me sers du metteur en scène pour mieux me connaître.

Comment vous voyez-vous en tant qu'actrice ?
Je ne me vois pas. Je ne me regarde pas.

Il vous est arrivé de vous tromper. Je pense à "Manon" et à "Mayerling"...
J'ai beaucoup d'estime pour Jean Aurel. Si "Manon" n'est pas une grande réussite, c'est sans doute parce que le metteur en scène n'était pas au meilleur de sa forme. Ni moi non plus. Je ne considère pas "Manon" comme un échec, ou si c'en est un, je ne veux en considérer que l'aspect instructif. Quant à "Mayerling", je savais d'avance quel film ce serait. J'avais envie de faire un film en costumes, de jouer un personnage romantique.

Quels sont vos plus beaux souvenirs de cinéma ?
Le tournage des "Parapluies de Cherbourg" et celui de "La sirène du Mississipi".

De votre expérience aux Etats-Unis, pour "Folies d'avril", qu'avez-vous tiré ?
Des souvenirs d'un autre monde. J'ai découvert ce que c'est que de travailler dans le souci de la rentabilité. Les Américains ne tiennent pas compte du fait que vous êtes une femme. Il faut être debout à l'aube, et toujours sur le plateau, même quand on ne tourne pas. Ce qui est épuisant.

Mais vous êtes résistante ?
Je n'ai pas une très grosse santé, mais je suis nerveuse et plutôt résistante.

Qu'est-ce que vous aimez le mieux dans la vie ?
Vivre, tout simplement. Dans un milieu aimé. J'ai grand besoin d'affection. Je la trouve dans ma famille. Je suis très "famille-famille".

Qu'est-ce que vous aimez le moins ?
Avoir à dominer ma nature, qui est dolente et paresseuse. L'effort physique me coûte beaucoup. Mais je le fais quand même, parce que je l'estime nécessaire.

Vous avez dit que vous n 'accepterez jamais de travailler au cinéma lorsque vous serez vieille.
Je ne pense pas avoir dit ça. Je n'ai que 26 ans. Je ne me sens pas concernée par la vieillesse. J'ai trop d'activités pour penser à ce problème lointain. Qui sait. en vérité, si je ne jouerai pas un jour les grand-mères au cinéma ?

Est-il vrai que vous ayiez peur du crépuscule ?
Oui, c'est un moment que je redoute, que je passe difficilement. Je n'aime pas le noir. Je n'aime pas ce qui s'achève, ce qui se ferme, ce qui s'assombrit. Je suis une fille de la lumière. Ainsi, s'il était six heures du soir, je ne vous parlerais pas comme je vous parle. Les gens font le plus souvent leurs confidences vers six heures du soir. lorsque la journée se termine. Pour moi, la meilleure heure, c'est onze heures du matin.

Catherine Deneuve vedette de "Tristana"


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Films associés : Les portes claquent, La sirène du Mississipi, Les parapluies de Cherbourg, Répulsion, Folies d'avril (April's fools),Mayerling, Manon 70



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