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Catherine Deneuve ou le triomphe
de l'ambiguïté |
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Question très originale
pour commencer : comment avez-vous débuté au cinéma
? Vous aviez quinze ans, je crois.
Par hasard, comme souvent. Parce que franchement à cet âge-là,
à moins d'avoir le feu sacré, c'est un peu particulier quand
même de faire du cinéma. On m'a demandé pendant une
période de vacances scolaires de faire des essais pour jouer le
rôle de ma propre sur dans un film qui s'appelait "Les
portes claquent", j'ai fait des essais, ça a marché,
j'ai fait le film et j'ai continué par hasard parce que quelqu'un
m'a vue dans le film et m'a dernandé de tourner dans "L'homme
à femmes" que j'ai fait également. Et Jacques Demy.
ayant vu ce film, par ailleurs assez moyen, m'a proposé "Les
parapluies de Cherbourg".
Et vous avez été
emballée par ce que vous faisiez ?
Non, pas du tout. Je n'étais pas emballée. Je n'ai pas été
vraiment très heureuse. J'étais encore très rêveuse...
Ça ne me déplaisait pas, bien sûr, mais ça
ne m'apportait pas énormément. Alors, comme je ne savais
pas très bien ce que je voulais faire, je me suis laissée
porter. J'étais un peu dans la chrysalide. J'attendais, j'étais
en sommeil. Jusqu'à ce que je rencontre Jacques Demy et que ça
prenne alors un sens très nouveau. Je ne sais pas ce qui se serait
passé autrement.
Avant Demy, vous avez tout de
même tourné dans "Le vice et la vertu".
Oui, et avant cela, j'avais fait un film qui s'appelait "Et Satan
conduit le bal". Dans "Le vice et la vertu", j'étais
imposée par Vadirn. Je jouais avec Annie Girardot, qui incarnait
le vice, et moi, j'étais la vertu.
"Imperméable et
inaltérable", disait Vadim.
Il vaut mieux le dire que le voir, parce que c'est moins évident
quand on le voit. Je ne suis pas convaincue que ce seul film que nous
ayons tourné ensemble ait été très concluant
et je crois qu'il garde un regret de ne pas avoir su mieux m'utiliser.
Mais c'était mon premier film important.
Puis, c'est le gros succès
des "Parapluies de Cherbourg".
"Les parapluies" a été pour moi le premier film
important. Mais non seulement ça : le tournage avait été,
avec Demy, vraiment formidable parce que c'était la première
fois que quelqu'un me voulait vraiment pour un film. Mais le film a été
très difficile à monter. C'était une entreprise que
tout le monde jugeait un peu folle et c'est Mag Bodard qui a réussi
à faire naître ce projet.
Avez-vous revu le film récemment
?
J'ai revu le film. C'est même un des rares films que j'ai vu plus
de deux ou trois fois parce que je l'ai présenté à
l'étranger dans l'année qui a suivi sa sortie en France.
Et je l'ai revu récemment à la télé, où
il passait très bien, contrairement à beaucoup de films.
C'est un film très particulier.
Pour moi, ce n'est pas particulier, parce que je l'ai fait. Quand a commencé
le tournage, j'avais déjà assisté à l'enregistrement
de la musique, à cette préparation qui m'avait habituée
à l'idée de ce film. Donc, quand le tournage a eu lieu,
c'était tout à fait naturel de tourner en play-back. Alors
que pour les techniciens, ça l'était moins. Quant au public
: ça a été une surprise énorme. Mais, pour
moi, c'était déjà une chose acquise.
Vous avez tourné quatre
filrns avec Demy. C'est le réalisateur pour lequel vous avez travaillé
le plus. Y a-t-il une raison particulière ?
Je crois que c'est quelqu'un qui est très fidèle, qui a
une idée très romantique des héroïnes au cinéma.
Je lui appartiens un peu, nous avons eu notre premier vrai succès,
à tous points de vue, même commercial, ensemble. Et alors
cela a créé des liens cinématographiques, qu'il a
eu envie de continuer. Les autres films que j'ai faits avec Jacques étaient
des variafons autour du personnage des "Parapluies", d'un certain
idéal féminin. Nous avons tourné quatre films ensemble,
mais malheureusement, je crains fort qu'il n'y en ait jamais de cinquième.
Parce que c'est quelqu'un qui a les défauts de ses qualités.
Et qu'il est très fidèle et très entier et que nous
avons eu un différend au sujet d'un projet. Et Jacques aime être
suivi et accepté complètement. Quand on lui fait une critique,
c'est comme si on remettait l'essentiel en question. C'était un
projet également musical, et j'avais envie de faire quelque chose
avec lui, mais de différent, et malheureusement, nous ne sommes
pas tombés d'accord. Je ne suis pas fâchée avec lui,
mais il est fâché avec moi, pour dire les choses clairement.
C'était le projet avec
Depardieu ?
Oui, c'est ça. C'était un grand mélo, c'était
un beau sujet.
"Les parapluies de Cherbourg"
étaient déjà assez mélo.
Oh, mais ça, c'était bien plus mélo. Il fallait vraiment
le tourner au second degré.
Après "Les parapluies
de Cherbourg", n'avez-vous pas eu de mal à sortir des rôles
de "jeunes filles romantiques" ?
Vous savez, j'ai une chance formidable. J'ai toujours eu beaucoup de chance
dans ma vie. C'est pour ça que je suis relativement ambitieuse
et que je suis moins armée qu'une autre pour les difficultés
et l'adversité. Si ça devait devenir difficile, ça
serait un problème, parce que je ne suis pas habituée à
lutter. J'ai été très gâtée. II se trouve
qu'après la sortie des "Parapluies", Polanski m'a proposé
"Répulsion" que j'ai tourné l'année d'après.
Avant cela, j'ai fait des participations qui utilisaient l'image des "Parapluies"
: le film de De Broca, "Un monsieur de compagnie" ou "Les
parisiennes", où j'ai fait un sketch. Pour moi, c'était
un moyen d'attendre un grand rôle, parce que je trouve qu'une participation
dans un film, c'est moins grave. Et j'ai eu de la chance, tout de suite,
après ça, de tourner "Répulsion", qui pour
moi, a été un film-clef. Mais plus pour mes rapports avec
Polanski, plus pour ce que Polanski m'a apporté. Demy et Polanski
sont les deux metteurs en scène qui m'ont le plus aidée
au tournage. Il y a eu bien sûr d'autres metteurs en scène
qui m'ont apporté quelque chose, mais ça a été
plus indirect, moins immédiat.
C'est à peu près
à cette époque où vous tournez avec Chabrol pour
un sketch, avec Kast...
Avec Chabrol j'ai tourné deux jours. Parce que sa femme avait accouché
plus tôt que prévu et qu'il voulait une femme enceinte dans
le personnage. Chabrol, c'était avant "Les parapluies".
Chabrol, Kast, Demy... en attendant
Truffaut, vous voilà un peu dans la "nouvelle vague".
Cornment avez-vous ressenti ce mouvement ? Auriez-vous aimé participer
davantage ?
Ce n'est pas dans ma nature de participer, je m'en rends compte. Je suis
plutôt une observatrice. Plutôt vive dans mes réactions,
mais lente dans ma façon de ressentir les choses. Ce n'est pas
de la prudence dans rnes rapports avec les gens, mais j'aime bien laisser
les gens tranquilles. Ma façon de m'intéresser peut sembler
distante, comme ça, a priori. Peut-être est-ce l'attitude
que j'aimerais que l'on ait avec moi. Je ne sais pas. Toujours est-il
que pour que je me rende compte de ce qui se passait, il aurait fallu
que ce soit plus évident à ce moment-là. Si vous
voulez, cette somme de noms que vous m'avez donnée représente
une partie de la "nouvelle vague". Ma participation avec eux
n'a pas été suffisamment importante pour en parler.
A cette époque, vous
avez tourné également, à l'étranger, pour
Festa-Campanile.
Ça a été une très grosse déception,
parce que c'était un sujet superbe et l'adaptation cinématographique
en a été très mièvre.
Il vaut mieux alors revenir
sur "Répulsion", qui est un véritable chef-d'uvre.
Polanski en parle comme du "paysage d'un cerveau". Est-ce que
ce n'est pas difficile d'interpréter un "cerveau" ?
Il ne m'a jamais parlé comme ça au tournage (rire). Ça
a été pour moi une expérience très particulière
parce que je n'étais pas habituée à voir quelqu'un
d'aussi vivant que Polanski. Parce que Polanski est quelqu'un de vivant
tout le temps, d'épuisant même. C'est quelqu'un qui s'occupe
de tout, qui connaît tout, qui s'intéresse à tout.
Que ce soit les lumières, le son, les maquillages. Il a une formation
classique réelle, plus une personnalité particulière.
C'est un directeur d'acteurs formidable. D'ailleurs, c'est lui-même
un acteur avant tout. Je crois que c'est ça qui lui plaît
le plus dans son métier.
Et, en tant qu'homme, est-ce
que son personnage cinématographique transparaît dans sa
personnalité réelle ?
Oh, je dirais que c'est plutôt le contraire, mais enfin, quand je
l'ai rencontré, j'ai été très contente de
découvrir vite que c'était qu'un qui avait du talent, parce
que ça m'a permis d'être plus tolérante. C'est quelqu'un
qui pense avoir quelque chose à prouver socialement et il fallait
vraiment qu'il réussisse de façon évidente. Sinon,
c'est vrai que son personnage, pour ceux qui ne le connaissent pas, était
peut-être agaçant, mais il avait bien le talent dont il parlait.
Car il est le premier à le dire
Enfin, il était...
il y a longtemps que je ne l'ai pas vu... J'ai beaucoup de sympathie pour
lui. Pour des raisons évidentes, ou d'autres, plus secrètes.
Après cela, vous faites
une volte-face à 180 degrés, et c'est "La vie de château".
Oui, ma première comédie. J'adore ce film. J'adore les comédies.
Et c'est très difficile de réussir une comédie qui
ait une certaine tenue. Je trouve que c'est ce qu'il y a de plus difficile.
Heureusement que j'ai tourné "La vie de château"
avec lui, sinon, je n'aurais peut-être pas fait "Le sauvage".
Et souvent les rôles qui m'ont le plus séduite étaient
des rôles qui, a priori, n'étaient pas pour moi. Au début,
Rappeneau n'était pas convaincu, et je le comprends : je n'avais
jamais fait de comédie.
Il essuyait les plâtres
en quelque sorte. Et "Le sauvage", ça a été
la même chose ?
En plus important comme tournage. Mais c'était la même chose.
C'est quelqu'un qui écrit des partitions exactes. Il écrit
ses films comme on écrit une musique et je suis une interprète
très consentante
Est-ce que vous aviez un critère
de choix ? Vous preniez les rôles comme ils vous arrivaient ? Vous
arrivait-il d'en rejeter beaucoup ?
Vous savez, je choisissais. Parce qu'on choisit toujours quand même.
Même si le choix des acteurs est relatif. Ils choisissent parmi
toutes les choses qu'on leur propose. Disons que le choix manifeste le
caractère, la responsabilité, le goût. On choisit
des choses plutôt que d'autres. On se révèle autant
par ses refus que par ses choix.
Ce sont des critères
très subjectifs.
Oui, mais enfin, j'ai refusé beaucoup de choses, mais ça
n'a pas d'importance. Ce qui est important, c'est de savoir comment on
a fait ce qu'on a fait. C'est plus difficile d'accepter que de refuser.
Sauf quand c'est tout à fait évident, quand on a la chance
que les gens écrivent pour vous, alors là, le problème
ne se pose plus.
Vous aviez dit à Guy
Braucourt il II a dé|à neuf ans, dans "Cinéma
69", que vous choisissiez plus facilement un tournage en fonction
du film, enfin, de l'histoire, et du metteur en scène qu'en fonction
de votre rôle dans le film. C'est toujours vrai ?
Oui, parce que, un beau rôle dans un film ne suffit plus. Je ne
suis pas une actrice qui fait son "one woman show". Il faut
que l'histoire et ie metteur en scène me plaisent. Et de plus en
plus, c'est le scénario qui compte.
Plus que le metteur en scène
?
Pas plus que le metteur en scène. Enfin, disons, comme c'est plus
rare encore qu'un metteur en scène... Franchement, je pense que
quelqu'un qui a fait un bon scénario peut faire un film décevant
par rapport au scénario, mais ne peut pas faire vraiment un mauvais
film. Je serais vraiment prête à faire confiance à
quelqu'un qui aurait écrit un beau sujet et dont ce serait le premier
film.
Après le succès
de "La vie de château", c'est l'échec des "Créatures"
de Varda. Quel genre de créature étiez-vous ?
J'ai été une créature amicale. J'ai tourné
en participation par amitié pour Agnès parce que c'était
un film assez étrange, franchement. Je jouais une créature
muette. J'étais la femme de Piccoli.
En dehors de ce film avec Agnès
Varda, vous avez tourné plus tard un film avec Nadine Trintignant.
Et cela doit être, sauf erreur, vos deux seuls films avec une femme
cinéaste. Quels sont les caractères communs et particuliers
(s'il y en a) ?
Pour moi, il n y en a pas. C'est peut-être une question qu'un homme
se pose, mais pas une femme. Je ne peux pas dire qu'elles m'ont semblé
ni plus faibles, ni plus curieuses de certaines choses, et en revanche
moins intéressées par d'autres. Non, j'ai tourné
avec ces deux femmes qui étaient toutes les deux des vraies cinéastes
et qui avaient déjà fait des films avant.
Et en fonction de la facilité
à décrire un personnage féminin ?
C'est particulier. Avec Agnès Varda, j'ai fait une participation.
Et avec Nadine, j'ai joué un rôle aussi très particulier
puisque j'interprète un personnage qui vit une expérience
tragique vécue par elle. Donc, ça a donné des rapports
assez particuliers et je ne peux pas savoir si elle me dirigeait comme
elle l'aurait fait dans une fiction moins proche d'elle.
Ensuite, vous retrouvez Demy
pour "Les demoiselles de Rochefort" et puis, c'est la rencontre
avec Buñuel, un autre géant du cinéma. Personnellement,
je vois dans "Belle de jour", comme plus tard dans "Tristana",
une sorte de retour à la schizophrène que vous étiez
dans "Répulsion", mais cette fois-ci une schizophrène
sociale, dans la mesure où il y a un décalage énorme
entre la personnalité réelle de vos personnages et la respectabilité
sociale qu'ils essayent d'afficher.
C'est vrai, "Tristana" m'a plus marquée que "Belle
de jour", j'y suis plus attachée. "Belle de jour"
est un film qui a existé après, dans l'esprit du public.
Et cela, c'est très mystérieux. Parce que c'est un film
qui a marché, mais son impact commercial n'a pas été
aussi fort que son succès critique. Alors que "Tristana"
a été pour moi une expérience beaucoup plus forte.
Dans "Belle de jour", ce qui ressort quand on le voit, c'est
son côté glacé, sa débauche, sa perversion.
Mais c'est un rôle statique. En revanche, "Tristana",
où je joue au début le rôle d'une adolescente, qui
devient une jeune femme, puis qui devient une femme acariâtre, aigrie,
malade, infirme, c'est évidernrnent un rôle beaucoup plus
généreux pour une actrice.
Et avec Buñuel, comment
se passe un tournage ?
Buñuel, c'est formidable. A la fois, il est drôle, il adore
les acteurs, il leur fait confiance et, en même temps, il a beaucoup
d'impatience. Il veut les diriger sans avoir à tout expliquer parce
qu'il n'aime pas beaucoup parler. Mais on est plus attentif avec lui :
c'est formidablement simple et clair. Quand ça va bien, il ne dit
rien... On a l'impression qu'il laisse beaucoup de liberté aux
acteurs, parce que, en réalité, il n'y a pas beaucoup d'autres
possibilités d'interprétation car la forme est classique.
Est-ce que vous préférez
qu'on vous laisse faire ou qu'on soit dictatorial ?
J'aime bien qu'on me laisse faire, mais je suis quand même quelqu'un
qui a besoin d'être poussé, parce que je suis un peu timide
encore. Mais j'aime bien évidemment être libre. Je n'aimerais
pas quelqu'un qui m'étoufferait, car je serais blessée.
Je suis étonnée quand je vois certains metteurs en scène.
Je me dis : comment peut-on être metteur en scène si l'on
n'a pas appris avant toute chose à parler aux acteurs ? Un metteur
en scène qui ne sait pas parler aux acteurs, c'est quelqu'un qui
est infirme, parce que tout ce qu'il fait, tout ce qu'il veut (peu importe
la technique), tout passe à travers les acteurs. Il faut apprendre
à parler à l'acteur.
A moins que ce ne soit fait
exprès, comme Bresson, qui "casse" les acteurs pour obtenir
l'effet désiré.
Je n'appelle pas ça de la maladresse, c'est une façon de
travailler "contre" l'acteur. C'est comme Clouzot. Ce sont des
gens qui ont décidé de se conduire comme ça. Mais
ça, on le sait, donc c'est moins grave. Ce qui est grave, ce sont
les gens qui ont l'impression d'être comme tout le monde et vous
vous apercevez qu'ils sont complètement infirmes, et qu'ils ne
peuvent pas parler aux acteurs. Je trouve qu'on devrait apprendre ça
aux futurs cinéastes. Nous sommes une race un peu à part
Un des directeurs d'acteurs
les plus attentifs et sensibles à ce niveau-là, c'est Truffaut,
avec qui vous avez tourné "La sirène du Missisipi".
Oh ! oui. Lui, c'est quelqu'un qui a pensé à tout, avec
qui j'ai vraiment beaucoup beaucoup appris parce qu'il est à la
fois très théorique, et en même temps, c'est tout
de suite vérifiable. C'est quelqu'un qui vit passionnément
son métier.
Vous avez vu "La nuit américaine".
Le tournage d'un film de Truffaut ressemble-t-il à ce qu'on voit
dans le film.
Oui, ça peut par moments ressembler à ça. Mais pas
toujours. Moi, je n'ai tourné qu'une seule fois avec lui. C'est
quelqu'un de très gai, qui aime beaucoup rire, beaucoup s'amuser.
Il a besoin que l'ambiance du tournage soit formidable, et il a raison.
Il sait ce que c'est qu'un plateau, ce que c'est qu'une ambiance. Et pas
seulement depuis qu'il est acteur. Je pense qu'il en sait encore plus
aujourd'hui, et qu'il écrira là-dessus un jour. Mais déjà,
c'est quelqu'un qui s'interroge deux fois plus que qui que ce soit, sur
tout ce qui concerne le cinéma, les acteurs le citent d'ailleurs
tous comme le réalisateur idéal.
D'ailleurs à ce sujet,
à propos du fiIm de Spielberg, il a parlé de la frustration
de l'acteur, qui joue quelques minutes dans la journée et passe
le plus clair de son temps assis à attendre que ça se passe.
La chose terrible pour un acteur, c'est qu'il est très difficile
de combler cette attente. Truffaut, lui, est quand même un acteur
épisodique, qui sait que c'est provisoire. Il n'est pas devenu
acteur à temps complet. ll a quand même le recul du cinéaste
se regardant acteur et il se rend compte que c'est frustrant. Mais il
ne saura jamais à quel point parce qu'il ne l'a pas vécu
longtemps, et lui, arrive à faire des choses, à lire, à
prendre des notes... C'est très difficile pour un acteur de faire
quelque chose, surtout qu'on ne sait jamais combien de temps va durer
l'attente. On est toujours un peu comme les sportifs au moment du départ
: on est toujours tendu. Moi, j'ai une grande forc par rapport a certains
parce que j'arrive à dormir. C'est une grande force de récupération
parce qu'être acteur est aussi un métier physique.
Avant de rencontrer Truffaut,
si l'on continue à suivre votre carrière de façon
chronologique, vous avez le temps de quitter Buñuel pour retourner
à des rôles de "jeunes fîlles fragiles",
dans deux films historiques, d'une part "Benjamin" et d'autre
part "Mayerling". Je crois que vous n'avez pas gardé
un très bon souvenir du dernier.
"Benjamin", c'était un rôle qui me plaisait beaucoup.
C'était une comédie, mais dans un esprit et un ton parliculier.
L'alliage de légèreté
et de gravité.
Oui, et d'une certaine dureté, sous son apparence très légère.
Par contre, effectivement, "Mayerling"... Et pourtant, il y
avait des choses à dire, il y avait certainement des images plus
fortes à montrer. Quand il y a beaucoup d'argent, il y a tout de
suite trop de choses à respecter. La liberté a un prix
Je ne sais pas si Terence Young
a jamais fait des choses très personnelles.
Vous savez, on peut dire des choses, même si l'on est un bon réalisateur.
Même s'il n'est pas un auteur, il a fait des choses qui restent
honorables.
Aviez-vous vu le "Mayerling"
de Litvak avec Danielle Darrieux ?
Non, je n'ai vu aucun des deux films dont j'ai tourné un remake
: "Mayerling" et "Manon".
Après cela, vous vous
envolez pour Hollywood et c'est "Folies d'avril".
Ça aurait pu être une comédie, mais malheureusement,
j'avais le rôle de la jeune femme romantique
J'aimais le scénario,
mais je crois que ce n'était pas comme ça que j'aurais dû
commencer là-bas. Et le film a été très ma!
sorti en France, en plein été... Ceci dit, quand un film
plait vraiment beaucoup, il peut sortir au mois d'août. Alors que
là
Le film n'a pas été un triomphe aux Etats-Unis,
mais il a quand même marché là-bas. C'est le problème
de certaines productions étrangères. Elles sortent en dépit
du bon sens. Et je trouve que c'est terrible. On ne respecte pas le minimum
de choses que l'on doit faire pour sortir un film. Le film de Risi, "Les
âmes perdues" est sorti en France pratiquement sans affiches.
Or, à ce moment-là, il y avait un autre film de Gassman,
qui s'appelait "Histoire d'aimer", qui couvrait partout.
Le pouvoir des distributeurs
est exorbitant. Ils décident du volume de la publicité,
ils décident du nombre de salles dans lesquelles sera projeté
Ie film
etc.
Le budget de publicité devrait faire partie du coût d'un
film au départ, et cela devrait être respecté. C'est
dur quand un film auquel on tient sort presque en cachette : il n'a aucune
chance sans un minimum de publicité !
Et un tournage à Hollywood,
est-ce différent ?
Non, D'abord, j'ai tourné à New York, c'est différent.
C'est l'organisation qui m'a plus frappée par rapport à
celle des Français... Les deux films que j'ai tournés là-bas
étaient moins fantaisistes. Je me levais beaucoup plus tôt,
j'avais l'impression de travailler davantage. Pour une nature un peu latine
comme moi, ce n'est pas idéal. Quand j'avais fini, il était
temps de rentrer en France et je ne me suis jamais attardée à
faire du tourisme.
Un véritable boulot en
quelque sorte.
Ce n'était pas toujours un vrai boulot, mais je trouvais ça
très régulier. Ceci dit, ça me plaisait beaucoup
de tourner en anglais. C'est après que l'on se rend compte que
ça vous rapporte quelque chose de tourner à l'étranger.
Aux Etats-Unis, vous avez également
tourné dans "Hustle" d'Aldrich.
AIdrich, j'avais un peu peur. On m'avait dit qu'il était très
dur avec les temmes
Il a été absolument charmant avec
moi. Mais alors, j'ai expérimenté quelque chose qui ne m'était
jamais arrivé, même en France. C'est que nous avons répété
avant de tourner, pendant une semaine, autour d'une table d'abord. Et
moi, qui n'avais jamais fait de théâtre, qui n'avais jamais
fait ce qu'on appelle une lecture, et je me suis rendue compte que c'était
profitable parce que ça m'a donné beaucoup d'aisance après.
Ça m'a facilité les choses au tournage. Et devant les techniciens,
on n'avait pas besoin de répéter, puisqu'on avait déjà
mis en place dans les décors. Je trouve que c'était une
très bonne façon de déblayer les scènes, et
surtout, ça permet, comme on ne tourne pas dans l'ordre, de construire
un personnage et de moins se disperser au tournage. D'autant plus qu'on
gagne beaucoup de temps, AIdrich tournant avec plusieurs caméras.
Il y a moins de prises et ça donne une certaine vigueur.
Le troisième et dernier
film américain, bien que le tournage n'ait pas eu lieu aux Etats-Unis,
c'est "Il était une fois la légion".
Je censure totalement. Parce que je n'aime pas dire des choses désagréables
et je préfère ne rien dire. Parce que je suis quelqu'un
de très véhément et il me serait difficile de faire
semblant. Et comme ça s'est très très mal passé,
du début jusqu'à la fin... J'ai été vraiment
trahie, j'ai été contrainte... La seule chose que j'accepte
de dire officiellement, c'est aux acteurs européens qui auraient
l'occasion de tourner avec ce cinéaste : Attention. Attention,
il faut un scénario définitif avant de signer. C'est la
seule chose.
Passons maintenant à
"Peau d'âne" que vous avez réactualisé avec
Demy. C'est de tous les films que vous avez tournés, celui qui
a le plus touché le jeune public.
Ce qui m'étonne, c'est que les enfants m'en parlent encore.
Vous étiez sans doute
la princesse idéale.
Sûrement. Avec mes cheveux blonds et puis ces robes couleur de temps,
les petites filles coquettes ont beaucoup aimé !
On a déjà parlé
de "Ca n'arrive qu'aux autres". Passons à "Liza".
"Liza", c'est votre premier contact avec la "bande à
Ferreri", avec qui vous tournerez ensuite "Touche pas à
la femme blanche". Je parle de "bande à Ferreri"
parce que ce sont toujours les mêmes acteurs qui lui font confiance,
de film en film, comme Michel Piccoli ou Marcello Mastroianni. Je ne sais
pas si c'est votre cas, mais je pense que c'est un metteur en scène
auquel on s'attache tout spécialement.
C'est un metteur en scène avec qui les acteurs ont envie de tourner,
parce qu'il écrit pour eux, qu'il leur fait totalement confiance,
qu'il leur permet d'improviser, de se dépasser. Ferreri est un
réalisateur pour qui les acteurs qui tournent des choses plus conventionnelles
ont envie de tourner. C'est normal qu'on ait envie de "prendre des
vacances" avec lui. D'autant plus que Marco est quelqu'un qui a vraiment
un talent très original. Et je comprends qu'à la limite
quelqu'un puisse dire : "Si tu veux, je suis libre le mois prochain"
parce qu'il est capable ou bien d'ajouter quelque chose dans le film,
ou bien de développer un rôle. Il laisse les choses arriver
de l'extérieur. Je ne sais pas s'il le fait toujours aujourd'hui.
Mais c'était ça. C'est avec lui que j'ai appris à
être très décontractée. J'ai vu des choses
tellement incroyables et tellement énormes qu'au début j'étais
très malheureuse. C'était tellement nouveau, insolite, improvisé,
que j'étais très déroutée, et en plus, il
gueule énormément. Je peux entendre et voir des choses...
Je ne suis pas blasée, mais je suis cool. Très cool.
Après, vous avez tourné
un film avec Melville. Ça ne devait pas être la même
ambiance.
Pas du tout. Mais, là aussi, c'était une participation.
J'avais accepté de tourner ce rôle parce que j'avais un projet
de long métrage avec lui. Et nous avions décidé de
faire connaissance, avant de nous lancer dans ce projet.
Vous avez tourné aussi
avec Bolognini, après cela. Cela fait beaucoup de titans italiens,
d'autant plus qu'il y aura le Risi par Ia suite. Que vous apportent les
films italiens d'une manière générale ?
J'aime bien. Parce qu'on respire, parce qu'on vit... Je trouve les scénarios,
en général, plus travaillés, plus riches. Et puis,
le scénario de Risi, par exemple, est un grand scénario.
Bon, très vite, on passera
sur cette incursion dans le fantastique qu'est "La femme aux bottes
rouges".
C'est un film qui n'a pas marché, mais que j'aime bien. Cette année-là,
j'ai tourné deux films que j'ai bien aimés, et qui n'ont
pas marché : celui-là et "Zig-Zig". Je reconnais
qu'il n'est pas totalement réussi, mais c'est un film auquel je
suis attachée.
Vous avez dans "Zig-Zig"
un contre-emploi absolument magnifique, puisque vous avez plus ou moins
une image hautaine, alors que là, vous descendez dans la rue ;
mieux : vous faites le trottoir.
Ça n'a pas été accepté. Pourtant, j'aimais
bien l'idée de l'amitié de ces deux filles qui faisaient
le trottoir, j'y croyais beaucoup.
Le film vous a-t-il demandé
un effort chorégraphique particulier ?
Oui, absolument. Le film ne rend pas (rire) le travail que l'on a fait
et qui est énorme. Je n'aime pas parler du travail en général
et des efforts... mais j'ai trouvé que les scènes dansées
n'étaient pas assez longues dans le film. On ne peut pas les filmer
et les jouer comme des scènes normales et l'image n'était
pas tout à fait à la hauteur.
Lelouch est arrivé après
une série de quetques échecs commerciaux et son film vous
a permis de redémarrer.
Vous oubliez "Le sauvage", mais, vous savez, tout ça,
c'est le hasard, parce que les échecs commerciaux, c'est une constatation
après coup.... Le Lelouch aurait pu être aussi un échec
commercial, de même qu'un des films que j'ai faits avant aurait
pu marcher. Ça, c'est le hasard des choses, mais il n'y a pas de
détermination à faire un film à succès (rire).
Lelouch a tout de même
plus l'habitude de rencontrer le succès qu'un Laszlo Szabo
Oui, mais comme pour moi le choix ne se fait que sur des sujets...
Qu'est-ce qui vous a tentée
dans "Si c'était à refaire" ?
Ce qui m'a tenté, c'est de tourner avec Lelouch, qui est quelqu'un
qui sert bien les acteurs. C'est très stimulant de travailler avec
lui. Je savais que tous les gens qui avaient tourné avec lui avaient
été heureux, parce que c'est une expérience un peu
particulière. Il tourne lui-même caméra à la
main. C'est très vivant, on tourne tout le temps !
Ensuite, il y a eu Risi : "Les
âmes perdues". Vous jouiez encore un personnage vraiment névrosé,
que n'aurait pas renié Buñuel. Vous alliez très bien
dans ce palais vénitien lui-même assez glacial...
Mais je ne le suis pas. Je ne le suis pas (rire}. Mon personnage n'est
pas glacial. On sent bien que c'est quelqu'un qui a les nerfs à
fleur de peau. C'est une femme peu banale.
Dont la sexualité est
en régression...
C'est comme ces Chinoises à qui on met des chaussures trop petites
pour empêcher les pieds de grandir. C'est ce qui lui est arrivé
quand elle a épousé cet homme qui a aimé la petite
fille et qui refuse la femme.
Pour terminer votre filmographie,
vous avez tourné depuis, je crois, deux films : l'un avec Hugo
Santiago ("Ecoute voir") et l'autre avec Christian de Chalonge
("L'argent des autres"). D'après ce que je sais du film
de Santiago, il essaye de modifier Ie visage de la femme au cinéma
dans la mesure où il vous donne un rôle actif... Remarquez,
c'est peut-être moins vrai dans votre cas : vous avez rarement eu
des rôles vraiment passifs : avec Aldrich peut-être...
Les femmes ont quand même un rôle passif, surtout dans les
films d'action, sauf avec Walsh. C'est souvent l'interlude qui fait se
relâcher la tension.
Elles sont définies en
fonction de l'homme. Mais vous l'avez peut-être été
plus rarement que d'autres. Et dans ce film, vous ne l'êtes plus
du tout.
Parce que je me défends beaucoup. Non pas en en parlant et en protestant,
mais en cherchant les rôles les plus actifs, que ce soit le film
de Lelouch ou que ce soit "La femmes aux bottes rouges". Mais
il faut bien reconnaître que même dans le film de Santiago,
où j'ai un rôle très actif, ce sont des femmes qui
sont dans des situations dites "masculines". Ce sont des femmes
qui n'ont pas un comportement d'homme, mais qui ont un comportement qui
n'est pas celui que l'on a l'habitude de voir au cinéma en général.
Que ce soit dans le film de Buñuel ou dans celui de Santiago, puisque
je fais un détective privé. C'est vrai, ça existe,
mais enfin, c'est rare de voir une femme détective privé.
Cela va nous permettre de partir
sur des considérations plus générales. Quelle est,
à votre avis, la responsabilité de l'actrice en général
dans l'image de la femme que produit la société ?
Je pense que l'actrice peut être consciente ou inconsciente du rôle
qu'elle a à jouer, mais qu'il ne faut tout de même pas être
trop imbu d'une mission. Parce que je crois que c'est à la fois
un métier grave et un métier enfantin... Le cinéma
a toujours ressemblé à la société dans laquelle
nous vivons, que ce soit par mimétisme ou par réaction.
Le cinéma est quand même le reflet d'une société
très précisément. A ce niveau-là, on joue
toujours un rôle, et je pense qu'il faut le savoir et l'oublier
en même temps. Je suis très individualiste et je pense que
les rôles que l'on doit jouer doivent être plus fonction de
son caractère, da sa nature, et de sa propre évolution.
C'est comme ça qu'on peut arriver à donner une image qui
correspond à quelque chose que l'on souhaite et être cohérent
avec soi-même.
Est-ce que vous ressentez quelque
chose au niveau de ce qu'on appelle "le combat féministe"
?
C'est impossible de ne pas Ie ressentir. Même les personnes qui
réagissent violemment contre, c'est aussi une façon de le
vivre. C'est impossible de ne pas tenir compte d'une réalité.
Ce qui m'étonne, ce sont les propos de certaines femmes qui ne
se sentent pas directement concernées. Ça me semble aussi
inconscient que de dire "politique, connais pas".
Vous vous êtes engagée
aux côtés de "Choisir" pourtant.
Oui, à ce momenl-là, parce que c'était un moment
important. Mais je veux dire qu'aujourd'hui, je me sens incapable de prendre
des responsabilités dans l'action. Ceci dit, ça m'intéresse
beaucoup, même si je pense comme beaucoup qu'il y a des excès.
Je trouve cela normal, parce qu'il y a en a tellement eu dans l'autre
sens... Les choses qui ont été acquises ou gagnées
sont capitales. La progression sur l'avortement... Il n'y aurait pas eu
toutes les pétitions qu'il y a eu, tous les scandales... il a fallu
une certaine violence pour que ça évolue rapidement.
Sans militer officiellement,
vous pouvez sans doute faire beaucoup par le choix de vos personnages
et de vos scénarios, par l'image que vous projetez de Ia femme.
Oui, c'est ça. Parfois, c'est vrai que j'accepte de faire des choses
qui me semblent contradictoires avec ce que je pense ou avec ce qu'on
devrait montrer des femmes aujourd'hui. J'accepte l'idée qu'il
y a des contradictions dans ce que je fais, dans certains rôles.
N'ayant pas la ferveur, par exemple, de Jane Fonda et tenant compte de
certaines exigences pratiques. Je n'accepterai jamais des choses vraiment
misogynes, mais j'accepte certaines choses dans la mesure où ça
ne me semble pas trop grave, c'est vrai.
Comment concevez-vous le rôle
du cinéma en élargissant au domaine politique en général
?
Le cinéma, c'est le reflet de quelque chose.
Il ne peut pas faire évoluer
les choses ?
Je pense que le cinéma peut faire évoluer, mais surtout,
il s'inspire énormément des événements, de
la vie des gens, de la politique, donc le cinéma est le reflet
de quelque chose qui sert ensuite à être un véhicule
pour projeter et avancer en profondeur des idées qui resteraient
le privilège de quelques-uns... Mais enfin, je vois plutôt
le cinéma comme le reflet de quelque chose de déjà
existant en ce qui concerne la politique.
Maintenant, on va rentrer dans
des sables un peu mouvants... Est-ce que vous pensez avoir un statut de
star ? (si la question a pour vous un sens). Personnellement j'arrive
difficilement à me faire une opinion. Je pense que d'une part vous
n'en êtes pas une parce que vous n'êtes pas attachée
à une mythologie unique et précise. Mais, d'un autre côté,
vous avez eu un certain nombre de rôles qui vous donnaient une image
assez froide, en retrait...
Et une image sophistiquée.
Il y a une ambiguïté.
Oui, il y a une ambiguïté, c'est vrai. Ce ne sont pas des
choses que j'ai construites. Je vis les choses beaucoup plus impulsivement,
plus instinctivement qu'on ne le croit peut-être, il n'y a pas de
volonté de ma part de vivre dans une tour d'ivoire (d'abord, je
ne vis pas dans une tour d'ivoire), mais j'en donne l'impression. Ça
doit correspondre sans doute quelque part à une certaine réalité.
Peut-être moins d'ailleurs qu'avant. Mais enfin, je ne me vois pas
du tout comme une star. Quand je discute avec des gens, je n'ai pas l'impression
qu'on s'adresse à moi comme ça : je ne le supporterais pas.
J'aime avoir des rapporte assez directs avec les gens. Je pense qu'il
n'y a pas de stars en France ni en Europe.
J'ai la possibilité de
Ie voir moi-même, il n'y a pas du tout le même contact avec
vous quand on vous voit comme ça...
...Que l'idée qu'on peut se faire de moi avant de m'aborder. Oui,
sûrement.
Pour la grande majorité,
c'est bien évidemment votre image cinématographique qui
prime.
Oui, c'est vrai. J'aime bien rêver aussi et j'accepte de faire au
cinéma des choses qui sont loin de moi. Mais ça, c'est comme
les lectures que l'on choisit. Parfois, on a envie de s'éloigner
d'une certaine réalité. Il y a de même certains rôles
que j'ai aimé jouer. Je reconnais que ce ne sont pas des personnages
réalistes, que ce sont des héroïnes d'une certaine
façon.
Vous dites qu'il n'y a pas de
stars en France.
Je ne pense pas qu'il y ait vraiment des stars, parce que le système
en Europe est différent. Il n'y a pas de studios, il n'y a pas
d'exclusivité
etc. Il y a encore des stars en Amérique
parce que c'est un mot qui est resté, mais la façon dont
travaillent les gens n'a plus rien à avoir avec le star-system.
Un système qui était lié à des studios qui
avaient des vedettes sous contrat. Parce que les stars ne sont pas toujours
les plus sures pour choisir leurs sujets et que le droit de regard sur
tout n'est pas toujours positif pour un acteur.
Quand on parle de star, il y
a aussi une image extra-cinématographique de la personne.
Bien sûr, une star, pour Ie public, c'est quand il y a identification
entre le personnage que l'on joue et l'acteur qui l'interprète,
mais enfin, c'est par extension. Et ça ne correspond plus à
la réalité du cinéma aujourd'hui.
Les gens sont beaucoup plus
proches du cinéma. Il n'y plus cette idéalisation. Elizabeth
Taylor, par exemple, a commencé comme star, et son image a totalement
changé.
Elle est quand même restée une star parce qu'elle vit le
cinéma de façon très particulière. Elle n'agit
pas comme le fait Jane Fonda par exemple. Jane Fonda, ou d'autres, vivent
le cinéma de très près, rencontrent des scénaristes,
se font écrire des sujets, cherchent. Ce sont des gens qui n'attendent
pas que les Compagnies leur proposent quelque chose.
Si on en revient à votre
cas particulier : bien sûr, on l'a vu, votre personnage change sans
cesse d'un film à l'autre, mais voyez-vous une ligne directrice
ou non dans les transformations de votre image depuis que vous avez commencé
à tourner ?
Je pense que j'évolue dans une direction qui me semble plus réelle
aujourd'hui qu'elle ne l'était autrefois, que j'ai l'impression
de représenter quelque chose de plus concret pour les gens. Je
pense que je fais moins rêver, que je semble plus abordable.
Vous pensez continuer jusqu'au
bout dans ce métier ?
Je ne sais pas du tout. Je pense aujourd'hui que oui. Mais peut-être
que dans deux ans, je deviendrai... casting director. Qui sait ? Je n'en
sais rien. Je n'envisage pas de faire autre chose.
Je vous posais la question parce
que les grandes actrices françaises comme Brigitte Bardot, Danielle
Darrieux, Michèle Morgan... etc., au bout d'un certain temps, s'arrêtent.
Je crois que c'est Simone Signoret qui disait qu'il y a une beauté
de l'âge mûr chez les hommes (les tempes argentées...
etc.), mais qu'à partir d'un certain âge, on n'arrivait plus
à accepter la femme.
Oui, ceci dit, je crois que ça change beaucoup. Les mouvements
féministes luttent beaucoup pour donner Ie droit aux femmes de
vieillir. Bon, il est évident que le cinéma, il ne faut
pas l'oublier, c'est visuel et qu'il serait désagréable
de montrer des actrices non pas âgées, mais vieillissantes
et supportant mal de vieillir, je veux dire prolongées dans des
rôles de femmes mûres et essayant de jouer les vamps. C'est
ça qui est en train de disparaître quand même. II est
plus difficile pour une actrice de vieillir au cinéma que pour
un acteur puisque les rides font encore soi-disant partie du charme masculin,
mais ça c'est vieux comme le monde. Ce n'est pas en parlant que
ça changera, c'est en habituant les gens à voir d'autres
visages. Dans le star-system, une actrice après 35 ans devait trouver
un autre emploi. Moi, je fais partie de cette génération
de transition parce que je ne suis pas Brigitte Bardot et que je ne suis
pas Simone Signoret. Je n'entre pas dans ces types-là. Je fais
partie d'une génération d'actrices intermédiaires,
qui a profité au début de ce côté "jolies
filles au cinéma".
Abordons maintenant un autre
sujet : on a beaucoup attaqué les acteurs les plus cotés
au box-office en raison du poids qu'ils font peser sur le budget de certains
films. Quelle est votre politique à ce niveau-là ?
Je crois que ce sont des choses qu'on dit toujours après, quand
le film n'a pas remporté le succès escompté. Les
gens intéressés au financernent d'un film sont toujours
prêts à dire que le film a coûté trop cher.
En effet, quand on paye un acteur très cher et qu'il ne marche
pas, c'est toujours trop cher. Mais je pense que souvent, le cas contraire
s'est passé. C'est-à-dire qu'on a gagné de l'argent
en payant les acteurs le prix qu'ils méritaient, dans la mesure
où c'est une industrie et qu'un producteur qui accepte de payer
un acteur un certain prix, c'est qu'il pense qu'il va récupérer
cet argent-là. Mais il y a un pari. Le pari, c'est risquer de perdre
plus qu'on a...
Et la participation ?
Je l'ai fait, je le fais encore, et je le ferai encore. Mais le parti-pris
m'agace énormément : on entend systématiquement que
les acteurs touchent des salaires très importants. Je ne les trouve
pas injustifiés du tout. II y a des acteurs qui sont trop payés,
mais c'est quand même un marché qui bouge énormément
: je peux prendre un certain chiffre demain et ne plus le prendre dans
six mois. Et je peux le reprendre dans deux ans. C'est complètement
fluctuant. Pour les films difficiles, je trouve qu'un acteur devrait entrer
en participation, pour ne pas peser sur un film dont le succès
commercial n'est pas sûr.
Et que pensez-vous du rôle
de la télévision dans ce qu'on appelle "la crise du
cinéma" ?
Je pense qu'elle a un rôle très important à jouer,
et elle ne joue pas le rôle qu'elle doit jouer. La télévision
n'est pas honnête, elle devrait faire plus de reportages. Parce
que je trouve que c'est vraiment formidable et qu'elle a les moyens techniques
de filmer des choses qu'on n'a pas envie de voir au cinéma ou qu'on
ne peut pas voir, des films à épisodes par exemple que seule
la TV peut faire accepter.
Au niveau des créations
originales, on ne vous y volt pas plus qu'on ne vous voit au théâtre.
Ah, mais ça, on ne me verra pas à la télévision
tant que ça durera comme ça. Et puis, ce qui m'intéresse,
c'est au cinéma que je le trouve.
Aimeriez-vous faire de la mise
en scène ?
Je crois qu'il y a toujours un moment ou un autre où un acteur
est tellement intéressé à ce qui se passe dans un
film qu'il doit y penser. C'est vrai que j'y pense parce que je ne peux
pas m'empêcher d'avoir des idées sur autre chose que mon
rôle dans un film. Mais ce n'est pas pour autant que je me vois
devenir metteur en scène.
D'une manière totalement
abstraite, en imaginant que vous puissiez tourner avec qui vous voulez,
y a-t-il des cinéastes qui vraiment vous attirent plus que d'autres
?
Ça ne me vient pas immédiatement à l'esprit. Tous
les cinéastes qui regardent vraiment les acteurs : Bergman, Cassavetes,
Truffaut. A chaque fois que je vois une caméra s'arrêter,
que je vois qu'on a su attendre dans un regard, une expression
Dernière question : iI
y a neuf ans, vous aviez parlé à Guy Braucourt d'un projet
avec Hitchcock. J'ai l'impression que c'est tombé à l'eau.
Il a renoncé au projet. Pourtant, c'était un beau scénario
! Je l'avais rencontré, on s'était vus. Je sais que beaucoup
de gens attendent cela parce que je suis "la blonde glaciale"
du cinéma français. Ça me ferait plaisir aussi.
Hitchcock a fait beaucoup pour
cette image de "blonde glaciale". Il parlait souvent à
propos de Grace Kelly ou d'Eva Marie Saint de "feu sous la glace".
Oui, c'est, vrai. Et je rentre dans cette catégorie de femmes.
Peut-être trop même. Peut-être que moi évoluant,
je ne le serai plus au moment (rire) où ça pourrait se concrétiser.

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Par : Yves Alion
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