Ses interviews / Presse 1960-79 / Ecran 1978
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

Catherine Deneuve ou le triomphe de l'ambiguïté

Question très originale pour commencer : comment avez-vous débuté au cinéma ? Vous aviez quinze ans, je crois.
Par hasard, comme souvent. Parce que franchement à cet âge-là, à moins d'avoir le feu sacré, c'est un peu particulier quand même de faire du cinéma. On m'a demandé pendant une période de vacances scolaires de faire des essais pour jouer le rôle de ma propre sœur dans un film qui s'appelait "Les portes claquent", j'ai fait des essais, ça a marché, j'ai fait le film et j'ai continué par hasard parce que quelqu'un m'a vue dans le film et m'a dernandé de tourner dans "L'homme à femmes" que j'ai fait également. Et Jacques Demy. ayant vu ce film, par ailleurs assez moyen, m'a proposé "Les parapluies de Cherbourg".

Et vous avez été emballée par ce que vous faisiez ?
Non, pas du tout. Je n'étais pas emballée. Je n'ai pas été vraiment très heureuse. J'étais encore très rêveuse... Ça ne me déplaisait pas, bien sûr, mais ça ne m'apportait pas énormément. Alors, comme je ne savais pas très bien ce que je voulais faire, je me suis laissée porter. J'étais un peu dans la chrysalide. J'attendais, j'étais en sommeil. Jusqu'à ce que je rencontre Jacques Demy et que ça prenne alors un sens très nouveau. Je ne sais pas ce qui se serait passé autrement.

Avant Demy, vous avez tout de même tourné dans "Le vice et la vertu".
Oui, et avant cela, j'avais fait un film qui s'appelait "Et Satan conduit le bal". Dans "Le vice et la vertu", j'étais imposée par Vadirn. Je jouais avec Annie Girardot, qui incarnait le vice, et moi, j'étais la vertu.

"Imperméable et inaltérable", disait Vadim.
Il vaut mieux le dire que le voir, parce que c'est moins évident quand on le voit. Je ne suis pas convaincue que ce seul film que nous ayons tourné ensemble ait été très concluant et je crois qu'il garde un regret de ne pas avoir su mieux m'utiliser. Mais c'était mon premier film important.

Puis, c'est le gros succès des "Parapluies de Cherbourg".
"Les parapluies" a été pour moi le premier film important. Mais non seulement ça : le tournage avait été, avec Demy, vraiment formidable parce que c'était la première fois que quelqu'un me voulait vraiment pour un film. Mais le film a été très difficile à monter. C'était une entreprise que tout le monde jugeait un peu folle et c'est Mag Bodard qui a réussi à faire naître ce projet.

Avez-vous revu le film récemment ?
J'ai revu le film. C'est même un des rares films que j'ai vu plus de deux ou trois fois parce que je l'ai présenté à l'étranger dans l'année qui a suivi sa sortie en France. Et je l'ai revu récemment à la télé, où il passait très bien, contrairement à beaucoup de films.

C'est un film très particulier.
Pour moi, ce n'est pas particulier, parce que je l'ai fait. Quand a commencé le tournage, j'avais déjà assisté à l'enregistrement de la musique, à cette préparation qui m'avait habituée à l'idée de ce film. Donc, quand le tournage a eu lieu, c'était tout à fait naturel de tourner en play-back. Alors que pour les techniciens, ça l'était moins. Quant au public : ça a été une surprise énorme. Mais, pour moi, c'était déjà une chose acquise.

Vous avez tourné quatre filrns avec Demy. C'est le réalisateur pour lequel vous avez travaillé le plus. Y a-t-il une raison particulière ?
Je crois que c'est quelqu'un qui est très fidèle, qui a une idée très romantique des héroïnes au cinéma. Je lui appartiens un peu, nous avons eu notre premier vrai succès, à tous points de vue, même commercial, ensemble. Et alors cela a créé des liens cinématographiques, qu'il a eu envie de continuer. Les autres films que j'ai faits avec Jacques étaient des variafons autour du personnage des "Parapluies", d'un certain idéal féminin. Nous avons tourné quatre films ensemble, mais malheureusement, je crains fort qu'il n'y en ait jamais de cinquième. Parce que c'est quelqu'un qui a les défauts de ses qualités. Et qu'il est très fidèle et très entier et que nous avons eu un différend au sujet d'un projet. Et Jacques aime être suivi et accepté complètement. Quand on lui fait une critique, c'est comme si on remettait l'essentiel en question. C'était un projet également musical, et j'avais envie de faire quelque chose avec lui, mais de différent, et malheureusement, nous ne sommes pas tombés d'accord. Je ne suis pas fâchée avec lui, mais il est fâché avec moi, pour dire les choses clairement.

C'était le projet avec Depardieu ?
Oui, c'est ça. C'était un grand mélo, c'était un beau sujet.

"Les parapluies de Cherbourg" étaient déjà assez mélo.
Oh, mais ça, c'était bien plus mélo. Il fallait vraiment le tourner au second degré.

Après "Les parapluies de Cherbourg", n'avez-vous pas eu de mal à sortir des rôles de "jeunes filles romantiques" ?
Vous savez, j'ai une chance formidable. J'ai toujours eu beaucoup de chance dans ma vie. C'est pour ça que je suis relativement ambitieuse et que je suis moins armée qu'une autre pour les difficultés et l'adversité. Si ça devait devenir difficile, ça serait un problème, parce que je ne suis pas habituée à lutter. J'ai été très gâtée. II se trouve qu'après la sortie des "Parapluies", Polanski m'a proposé "Répulsion" que j'ai tourné l'année d'après. Avant cela, j'ai fait des participations qui utilisaient l'image des "Parapluies" : le film de De Broca, "Un monsieur de compagnie" ou "Les parisiennes", où j'ai fait un sketch. Pour moi, c'était un moyen d'attendre un grand rôle, parce que je trouve qu'une participation dans un film, c'est moins grave. Et j'ai eu de la chance, tout de suite, après ça, de tourner "Répulsion", qui pour moi, a été un film-clef. Mais plus pour mes rapports avec Polanski, plus pour ce que Polanski m'a apporté. Demy et Polanski sont les deux metteurs en scène qui m'ont le plus aidée au tournage. Il y a eu bien sûr d'autres metteurs en scène qui m'ont apporté quelque chose, mais ça a été plus indirect, moins immédiat.

C'est à peu près à cette époque où vous tournez avec Chabrol pour un sketch, avec Kast...
Avec Chabrol j'ai tourné deux jours. Parce que sa femme avait accouché plus tôt que prévu et qu'il voulait une femme enceinte dans le personnage. Chabrol, c'était avant "Les parapluies".

Chabrol, Kast, Demy... en attendant Truffaut, vous voilà un peu dans la "nouvelle vague". Cornment avez-vous ressenti ce mouvement ? Auriez-vous aimé participer davantage ?
Ce n'est pas dans ma nature de participer, je m'en rends compte. Je suis plutôt une observatrice. Plutôt vive dans mes réactions, mais lente dans ma façon de ressentir les choses. Ce n'est pas de la prudence dans rnes rapports avec les gens, mais j'aime bien laisser les gens tranquilles. Ma façon de m'intéresser peut sembler distante, comme ça, a priori. Peut-être est-ce l'attitude que j'aimerais que l'on ait avec moi. Je ne sais pas. Toujours est-il que pour que je me rende compte de ce qui se passait, il aurait fallu que ce soit plus évident à ce moment-là. Si vous voulez, cette somme de noms que vous m'avez donnée représente une partie de la "nouvelle vague". Ma participation avec eux n'a pas été suffisamment importante pour en parler.

A cette époque, vous avez tourné également, à l'étranger, pour Festa-Campanile.
Ça a été une très grosse déception, parce que c'était un sujet superbe et l'adaptation cinématographique en a été très mièvre.

Il vaut mieux alors revenir sur "Répulsion", qui est un véritable chef-d'œuvre. Polanski en parle comme du "paysage d'un cerveau". Est-ce que ce n'est pas difficile d'interpréter un "cerveau" ?
Il ne m'a jamais parlé comme ça au tournage (rire). Ça a été pour moi une expérience très particulière parce que je n'étais pas habituée à voir quelqu'un d'aussi vivant que Polanski. Parce que Polanski est quelqu'un de vivant tout le temps, d'épuisant même. C'est quelqu'un qui s'occupe de tout, qui connaît tout, qui s'intéresse à tout. Que ce soit les lumières, le son, les maquillages. Il a une formation classique réelle, plus une personnalité particulière. C'est un directeur d'acteurs formidable. D'ailleurs, c'est lui-même un acteur avant tout. Je crois que c'est ça qui lui plaît le plus dans son métier.

Et, en tant qu'homme, est-ce que son personnage cinématographique transparaît dans sa personnalité réelle ?
Oh, je dirais que c'est plutôt le contraire, mais enfin, quand je l'ai rencontré, j'ai été très contente de découvrir vite que c'était qu'un qui avait du talent, parce que ça m'a permis d'être plus tolérante. C'est quelqu'un qui pense avoir quelque chose à prouver socialement et il fallait vraiment qu'il réussisse de façon évidente. Sinon, c'est vrai que son personnage, pour ceux qui ne le connaissent pas, était peut-être agaçant, mais il avait bien le talent dont il parlait. Car il est le premier à le dire… Enfin, il était... il y a longtemps que je ne l'ai pas vu... J'ai beaucoup de sympathie pour lui. Pour des raisons évidentes, ou d'autres, plus secrètes.

Après cela, vous faites une volte-face à 180 degrés, et c'est "La vie de château".
Oui, ma première comédie. J'adore ce film. J'adore les comédies. Et c'est très difficile de réussir une comédie qui ait une certaine tenue. Je trouve que c'est ce qu'il y a de plus difficile. Heureusement que j'ai tourné "La vie de château" avec lui, sinon, je n'aurais peut-être pas fait "Le sauvage". Et souvent les rôles qui m'ont le plus séduite étaient des rôles qui, a priori, n'étaient pas pour moi. Au début, Rappeneau n'était pas convaincu, et je le comprends : je n'avais jamais fait de comédie.

Il essuyait les plâtres en quelque sorte. Et "Le sauvage", ça a été la même chose ?
En plus important comme tournage. Mais c'était la même chose. C'est quelqu'un qui écrit des partitions exactes. Il écrit ses films comme on écrit une musique et je suis une interprète très consentante…

Est-ce que vous aviez un critère de choix ? Vous preniez les rôles comme ils vous arrivaient ? Vous arrivait-il d'en rejeter beaucoup ?
Vous savez, je choisissais. Parce qu'on choisit toujours quand même. Même si le choix des acteurs est relatif. Ils choisissent parmi toutes les choses qu'on leur propose. Disons que le choix manifeste le caractère, la responsabilité, le goût. On choisit des choses plutôt que d'autres. On se révèle autant par ses refus que par ses choix.

Ce sont des critères très subjectifs.
Oui, mais enfin, j'ai refusé beaucoup de choses, mais ça n'a pas d'importance. Ce qui est important, c'est de savoir comment on a fait ce qu'on a fait. C'est plus difficile d'accepter que de refuser. Sauf quand c'est tout à fait évident, quand on a la chance que les gens écrivent pour vous, alors là, le problème ne se pose plus.

Vous aviez dit à Guy Braucourt il II a dé|à neuf ans, dans "Cinéma 69", que vous choisissiez plus facilement un tournage en fonction du film, enfin, de l'histoire, et du metteur en scène qu'en fonction de votre rôle dans le film. C'est toujours vrai ?
Oui, parce que, un beau rôle dans un film ne suffit plus. Je ne suis pas une actrice qui fait son "one woman show". Il faut que l'histoire et ie metteur en scène me plaisent. Et de plus en plus, c'est le scénario qui compte.

Plus que le metteur en scène ?
Pas plus que le metteur en scène. Enfin, disons, comme c'est plus rare encore qu'un metteur en scène... Franchement, je pense que quelqu'un qui a fait un bon scénario peut faire un film décevant par rapport au scénario, mais ne peut pas faire vraiment un mauvais film. Je serais vraiment prête à faire confiance à quelqu'un qui aurait écrit un beau sujet et dont ce serait le premier film.

Après le succès de "La vie de château", c'est l'échec des "Créatures" de Varda. Quel genre de créature étiez-vous ?
J'ai été une créature amicale. J'ai tourné en participation par amitié pour Agnès parce que c'était un film assez étrange, franchement. Je jouais une créature muette. J'étais la femme de Piccoli.

En dehors de ce film avec Agnès Varda, vous avez tourné plus tard un film avec Nadine Trintignant. Et cela doit être, sauf erreur, vos deux seuls films avec une femme cinéaste. Quels sont les caractères communs et particuliers (s'il y en a) ?
Pour moi, il n y en a pas. C'est peut-être une question qu'un homme se pose, mais pas une femme. Je ne peux pas dire qu'elles m'ont semblé ni plus faibles, ni plus curieuses de certaines choses, et en revanche moins intéressées par d'autres. Non, j'ai tourné avec ces deux femmes qui étaient toutes les deux des vraies cinéastes et qui avaient déjà fait des films avant.

Et en fonction de la facilité à décrire un personnage féminin ?
C'est particulier. Avec Agnès Varda, j'ai fait une participation. Et avec Nadine, j'ai joué un rôle aussi très particulier puisque j'interprète un personnage qui vit une expérience tragique vécue par elle. Donc, ça a donné des rapports assez particuliers et je ne peux pas savoir si elle me dirigeait comme elle l'aurait fait dans une fiction moins proche d'elle.

Ensuite, vous retrouvez Demy pour "Les demoiselles de Rochefort" et puis, c'est la rencontre avec Buñuel, un autre géant du cinéma. Personnellement, je vois dans "Belle de jour", comme plus tard dans "Tristana", une sorte de retour à la schizophrène que vous étiez dans "Répulsion", mais cette fois-ci une schizophrène sociale, dans la mesure où il y a un décalage énorme entre la personnalité réelle de vos personnages et la respectabilité sociale qu'ils essayent d'afficher.
C'est vrai, "Tristana" m'a plus marquée que "Belle de jour", j'y suis plus attachée. "Belle de jour" est un film qui a existé après, dans l'esprit du public. Et cela, c'est très mystérieux. Parce que c'est un film qui a marché, mais son impact commercial n'a pas été aussi fort que son succès critique. Alors que "Tristana" a été pour moi une expérience beaucoup plus forte. Dans "Belle de jour", ce qui ressort quand on le voit, c'est son côté glacé, sa débauche, sa perversion. Mais c'est un rôle statique. En revanche, "Tristana", où je joue au début le rôle d'une adolescente, qui devient une jeune femme, puis qui devient une femme acariâtre, aigrie, malade, infirme, c'est évidernrnent un rôle beaucoup plus généreux pour une actrice.

Et avec Buñuel, comment se passe un tournage ?
Buñuel, c'est formidable. A la fois, il est drôle, il adore les acteurs, il leur fait confiance et, en même temps, il a beaucoup d'impatience. Il veut les diriger sans avoir à tout expliquer parce qu'il n'aime pas beaucoup parler. Mais on est plus attentif avec lui : c'est formidablement simple et clair. Quand ça va bien, il ne dit rien... On a l'impression qu'il laisse beaucoup de liberté aux acteurs, parce que, en réalité, il n'y a pas beaucoup d'autres possibilités d'interprétation car la forme est classique.

Est-ce que vous préférez qu'on vous laisse faire ou qu'on soit dictatorial ?
J'aime bien qu'on me laisse faire, mais je suis quand même quelqu'un qui a besoin d'être poussé, parce que je suis un peu timide encore. Mais j'aime bien évidemment être libre. Je n'aimerais pas quelqu'un qui m'étoufferait, car je serais blessée. Je suis étonnée quand je vois certains metteurs en scène. Je me dis : comment peut-on être metteur en scène si l'on n'a pas appris avant toute chose à parler aux acteurs ? Un metteur en scène qui ne sait pas parler aux acteurs, c'est quelqu'un qui est infirme, parce que tout ce qu'il fait, tout ce qu'il veut (peu importe la technique), tout passe à travers les acteurs. Il faut apprendre à parler à l'acteur.

A moins que ce ne soit fait exprès, comme Bresson, qui "casse" les acteurs pour obtenir l'effet désiré.
Je n'appelle pas ça de la maladresse, c'est une façon de travailler "contre" l'acteur. C'est comme Clouzot. Ce sont des gens qui ont décidé de se conduire comme ça. Mais ça, on le sait, donc c'est moins grave. Ce qui est grave, ce sont les gens qui ont l'impression d'être comme tout le monde et vous vous apercevez qu'ils sont complètement infirmes, et qu'ils ne peuvent pas parler aux acteurs. Je trouve qu'on devrait apprendre ça aux futurs cinéastes. Nous sommes une race un peu à part…

Un des directeurs d'acteurs les plus attentifs et sensibles à ce niveau-là, c'est Truffaut, avec qui vous avez tourné "La sirène du Missisipi".
Oh ! oui. Lui, c'est quelqu'un qui a pensé à tout, avec qui j'ai vraiment beaucoup beaucoup appris parce qu'il est à la fois très théorique, et en même temps, c'est tout de suite vérifiable. C'est quelqu'un qui vit passionnément son métier.

Vous avez vu "La nuit américaine". Le tournage d'un film de Truffaut ressemble-t-il à ce qu'on voit dans le film.
Oui, ça peut par moments ressembler à ça. Mais pas toujours. Moi, je n'ai tourné qu'une seule fois avec lui. C'est quelqu'un de très gai, qui aime beaucoup rire, beaucoup s'amuser. Il a besoin que l'ambiance du tournage soit formidable, et il a raison. Il sait ce que c'est qu'un plateau, ce que c'est qu'une ambiance. Et pas seulement depuis qu'il est acteur. Je pense qu'il en sait encore plus aujourd'hui, et qu'il écrira là-dessus un jour. Mais déjà, c'est quelqu'un qui s'interroge deux fois plus que qui que ce soit, sur tout ce qui concerne le cinéma, les acteurs le citent d'ailleurs tous comme le réalisateur idéal.

D'ailleurs à ce sujet, à propos du fiIm de Spielberg, il a parlé de la frustration de l'acteur, qui joue quelques minutes dans la journée et passe le plus clair de son temps assis à attendre que ça se passe.
La chose terrible pour un acteur, c'est qu'il est très difficile de combler cette attente. Truffaut, lui, est quand même un acteur épisodique, qui sait que c'est provisoire. Il n'est pas devenu acteur à temps complet. ll a quand même le recul du cinéaste se regardant acteur et il se rend compte que c'est frustrant. Mais il ne saura jamais à quel point parce qu'il ne l'a pas vécu longtemps, et lui, arrive à faire des choses, à lire, à prendre des notes... C'est très difficile pour un acteur de faire quelque chose, surtout qu'on ne sait jamais combien de temps va durer l'attente. On est toujours un peu comme les sportifs au moment du départ : on est toujours tendu. Moi, j'ai une grande forc par rapport a certains parce que j'arrive à dormir. C'est une grande force de récupération parce qu'être acteur est aussi un métier physique.

Avant de rencontrer Truffaut, si l'on continue à suivre votre carrière de façon chronologique, vous avez le temps de quitter Buñuel pour retourner à des rôles de "jeunes fîlles fragiles", dans deux films historiques, d'une part "Benjamin" et d'autre part "Mayerling". Je crois que vous n'avez pas gardé un très bon souvenir du dernier.
"Benjamin", c'était un rôle qui me plaisait beaucoup. C'était une comédie, mais dans un esprit et un ton parliculier.

L'alliage de légèreté et de gravité.
Oui, et d'une certaine dureté, sous son apparence très légère. Par contre, effectivement, "Mayerling"... Et pourtant, il y avait des choses à dire, il y avait certainement des images plus fortes à montrer. Quand il y a beaucoup d'argent, il y a tout de suite trop de choses à respecter. La liberté a un prix…

Je ne sais pas si Terence Young a jamais fait des choses très personnelles.
Vous savez, on peut dire des choses, même si l'on est un bon réalisateur. Même s'il n'est pas un auteur, il a fait des choses qui restent honorables.

Aviez-vous vu le "Mayerling" de Litvak avec Danielle Darrieux ?
Non, je n'ai vu aucun des deux films dont j'ai tourné un remake : "Mayerling" et "Manon".

Après cela, vous vous envolez pour Hollywood et c'est "Folies d'avril".
Ça aurait pu être une comédie, mais malheureusement, j'avais le rôle de la jeune femme romantique… J'aimais le scénario, mais je crois que ce n'était pas comme ça que j'aurais dû commencer là-bas. Et le film a été très ma! sorti en France, en plein été... Ceci dit, quand un film plait vraiment beaucoup, il peut sortir au mois d'août. Alors que là… Le film n'a pas été un triomphe aux Etats-Unis, mais il a quand même marché là-bas. C'est le problème de certaines productions étrangères. Elles sortent en dépit du bon sens. Et je trouve que c'est terrible. On ne respecte pas le minimum de choses que l'on doit faire pour sortir un film. Le film de Risi, "Les âmes perdues" est sorti en France pratiquement sans affiches. Or, à ce moment-là, il y avait un autre film de Gassman, qui s'appelait "Histoire d'aimer", qui couvrait partout.

Le pouvoir des distributeurs est exorbitant. Ils décident du volume de la publicité, ils décident du nombre de salles dans lesquelles sera projeté Ie film… etc.
Le budget de publicité devrait faire partie du coût d'un film au départ, et cela devrait être respecté. C'est dur quand un film auquel on tient sort presque en cachette : il n'a aucune chance sans un minimum de publicité !

Et un tournage à Hollywood, est-ce différent ?
Non, D'abord, j'ai tourné à New York, c'est différent. C'est l'organisation qui m'a plus frappée par rapport à celle des Français... Les deux films que j'ai tournés là-bas étaient moins fantaisistes. Je me levais beaucoup plus tôt, j'avais l'impression de travailler davantage. Pour une nature un peu latine comme moi, ce n'est pas idéal. Quand j'avais fini, il était temps de rentrer en France et je ne me suis jamais attardée à faire du tourisme.

Un véritable boulot en quelque sorte.
Ce n'était pas toujours un vrai boulot, mais je trouvais ça très régulier. Ceci dit, ça me plaisait beaucoup de tourner en anglais. C'est après que l'on se rend compte que ça vous rapporte quelque chose de tourner à l'étranger.

Aux Etats-Unis, vous avez également tourné dans "Hustle" d'Aldrich.
AIdrich, j'avais un peu peur. On m'avait dit qu'il était très dur avec les temmes… Il a été absolument charmant avec moi. Mais alors, j'ai expérimenté quelque chose qui ne m'était jamais arrivé, même en France. C'est que nous avons répété avant de tourner, pendant une semaine, autour d'une table d'abord. Et moi, qui n'avais jamais fait de théâtre, qui n'avais jamais fait ce qu'on appelle une lecture, et je me suis rendue compte que c'était profitable parce que ça m'a donné beaucoup d'aisance après. Ça m'a facilité les choses au tournage. Et devant les techniciens, on n'avait pas besoin de répéter, puisqu'on avait déjà mis en place dans les décors. Je trouve que c'était une très bonne façon de déblayer les scènes, et surtout, ça permet, comme on ne tourne pas dans l'ordre, de construire un personnage et de moins se disperser au tournage. D'autant plus qu'on gagne beaucoup de temps, AIdrich tournant avec plusieurs caméras. Il y a moins de prises et ça donne une certaine vigueur.

Le troisième et dernier film américain, bien que le tournage n'ait pas eu lieu aux Etats-Unis, c'est "Il était une fois la légion".
Je censure totalement. Parce que je n'aime pas dire des choses désagréables et je préfère ne rien dire. Parce que je suis quelqu'un de très véhément et il me serait difficile de faire semblant. Et comme ça s'est très très mal passé, du début jusqu'à la fin... J'ai été vraiment trahie, j'ai été contrainte... La seule chose que j'accepte de dire officiellement, c'est aux acteurs européens qui auraient l'occasion de tourner avec ce cinéaste : Attention. Attention, il faut un scénario définitif avant de signer. C'est la seule chose.

Passons maintenant à "Peau d'âne" que vous avez réactualisé avec Demy. C'est de tous les films que vous avez tournés, celui qui a le plus touché le jeune public.
Ce qui m'étonne, c'est que les enfants m'en parlent encore.

Vous étiez sans doute la princesse idéale.
Sûrement. Avec mes cheveux blonds et puis ces robes couleur de temps, les petites filles coquettes ont beaucoup aimé !

On a déjà parlé de "Ca n'arrive qu'aux autres". Passons à "Liza". "Liza", c'est votre premier contact avec la "bande à Ferreri", avec qui vous tournerez ensuite "Touche pas à la femme blanche". Je parle de "bande à Ferreri" parce que ce sont toujours les mêmes acteurs qui lui font confiance, de film en film, comme Michel Piccoli ou Marcello Mastroianni. Je ne sais pas si c'est votre cas, mais je pense que c'est un metteur en scène auquel on s'attache tout spécialement.
C'est un metteur en scène avec qui les acteurs ont envie de tourner, parce qu'il écrit pour eux, qu'il leur fait totalement confiance, qu'il leur permet d'improviser, de se dépasser. Ferreri est un réalisateur pour qui les acteurs qui tournent des choses plus conventionnelles ont envie de tourner. C'est normal qu'on ait envie de "prendre des vacances" avec lui. D'autant plus que Marco est quelqu'un qui a vraiment un talent très original. Et je comprends qu'à la limite quelqu'un puisse dire : "Si tu veux, je suis libre le mois prochain" parce qu'il est capable ou bien d'ajouter quelque chose dans le film, ou bien de développer un rôle. Il laisse les choses arriver de l'extérieur. Je ne sais pas s'il le fait toujours aujourd'hui. Mais c'était ça. C'est avec lui que j'ai appris à être très décontractée. J'ai vu des choses tellement incroyables et tellement énormes qu'au début j'étais très malheureuse. C'était tellement nouveau, insolite, improvisé, que j'étais très déroutée, et en plus, il gueule énormément. Je peux entendre et voir des choses... Je ne suis pas blasée, mais je suis cool. Très cool.

Après, vous avez tourné un film avec Melville. Ça ne devait pas être la même ambiance.
Pas du tout. Mais, là aussi, c'était une participation. J'avais accepté de tourner ce rôle parce que j'avais un projet de long métrage avec lui. Et nous avions décidé de faire connaissance, avant de nous lancer dans ce projet.

Vous avez tourné aussi avec Bolognini, après cela. Cela fait beaucoup de titans italiens, d'autant plus qu'il y aura le Risi par Ia suite. Que vous apportent les films italiens d'une manière générale ?
J'aime bien. Parce qu'on respire, parce qu'on vit... Je trouve les scénarios, en général, plus travaillés, plus riches. Et puis, le scénario de Risi, par exemple, est un grand scénario.

Bon, très vite, on passera sur cette incursion dans le fantastique qu'est "La femme aux bottes rouges".
C'est un film qui n'a pas marché, mais que j'aime bien. Cette année-là, j'ai tourné deux films que j'ai bien aimés, et qui n'ont pas marché : celui-là et "Zig-Zig". Je reconnais qu'il n'est pas totalement réussi, mais c'est un film auquel je suis attachée.

Vous avez dans "Zig-Zig" un contre-emploi absolument magnifique, puisque vous avez plus ou moins une image hautaine, alors que là, vous descendez dans la rue ; mieux : vous faites le trottoir.
Ça n'a pas été accepté. Pourtant, j'aimais bien l'idée de l'amitié de ces deux filles qui faisaient le trottoir, j'y croyais beaucoup.

Le film vous a-t-il demandé un effort chorégraphique particulier ?
Oui, absolument. Le film ne rend pas (rire) le travail que l'on a fait et qui est énorme. Je n'aime pas parler du travail en général et des efforts... mais j'ai trouvé que les scènes dansées n'étaient pas assez longues dans le film. On ne peut pas les filmer et les jouer comme des scènes normales et l'image n'était pas tout à fait à la hauteur.

Lelouch est arrivé après une série de quetques échecs commerciaux et son film vous a permis de redémarrer.
Vous oubliez "Le sauvage", mais, vous savez, tout ça, c'est le hasard, parce que les échecs commerciaux, c'est une constatation après coup.... Le Lelouch aurait pu être aussi un échec commercial, de même qu'un des films que j'ai faits avant aurait pu marcher. Ça, c'est le hasard des choses, mais il n'y a pas de détermination à faire un film à succès (rire).

Lelouch a tout de même plus l'habitude de rencontrer le succès qu'un Laszlo Szabo…
Oui, mais comme pour moi le choix ne se fait que sur des sujets...

Qu'est-ce qui vous a tentée dans "Si c'était à refaire" ?
Ce qui m'a tenté, c'est de tourner avec Lelouch, qui est quelqu'un qui sert bien les acteurs. C'est très stimulant de travailler avec lui. Je savais que tous les gens qui avaient tourné avec lui avaient été heureux, parce que c'est une expérience un peu particulière. Il tourne lui-même caméra à la main. C'est très vivant, on tourne tout le temps !…

Ensuite, il y a eu Risi : "Les âmes perdues". Vous jouiez encore un personnage vraiment névrosé, que n'aurait pas renié Buñuel. Vous alliez très bien dans ce palais vénitien lui-même assez glacial...
Mais je ne le suis pas. Je ne le suis pas (rire}. Mon personnage n'est pas glacial. On sent bien que c'est quelqu'un qui a les nerfs à fleur de peau. C'est une femme peu banale.

Dont la sexualité est en régression...
C'est comme ces Chinoises à qui on met des chaussures trop petites pour empêcher les pieds de grandir. C'est ce qui lui est arrivé quand elle a épousé cet homme qui a aimé la petite fille et qui refuse la femme.

Pour terminer votre filmographie, vous avez tourné depuis, je crois, deux films : l'un avec Hugo Santiago ("Ecoute voir") et l'autre avec Christian de Chalonge ("L'argent des autres"). D'après ce que je sais du film de Santiago, il essaye de modifier Ie visage de la femme au cinéma dans la mesure où il vous donne un rôle actif... Remarquez, c'est peut-être moins vrai dans votre cas : vous avez rarement eu des rôles vraiment passifs : avec Aldrich peut-être...
Les femmes ont quand même un rôle passif, surtout dans les films d'action, sauf avec Walsh. C'est souvent l'interlude qui fait se relâcher la tension.

Elles sont définies en fonction de l'homme. Mais vous l'avez peut-être été plus rarement que d'autres. Et dans ce film, vous ne l'êtes plus du tout.
Parce que je me défends beaucoup. Non pas en en parlant et en protestant, mais en cherchant les rôles les plus actifs, que ce soit le film de Lelouch ou que ce soit "La femmes aux bottes rouges". Mais il faut bien reconnaître que même dans le film de Santiago, où j'ai un rôle très actif, ce sont des femmes qui sont dans des situations dites "masculines". Ce sont des femmes qui n'ont pas un comportement d'homme, mais qui ont un comportement qui n'est pas celui que l'on a l'habitude de voir au cinéma en général. Que ce soit dans le film de Buñuel ou dans celui de Santiago, puisque je fais un détective privé. C'est vrai, ça existe, mais enfin, c'est rare de voir une femme détective privé.

Cela va nous permettre de partir sur des considérations plus générales. Quelle est, à votre avis, la responsabilité de l'actrice en général dans l'image de la femme que produit la société ?
Je pense que l'actrice peut être consciente ou inconsciente du rôle qu'elle a à jouer, mais qu'il ne faut tout de même pas être trop imbu d'une mission. Parce que je crois que c'est à la fois un métier grave et un métier enfantin... Le cinéma a toujours ressemblé à la société dans laquelle nous vivons, que ce soit par mimétisme ou par réaction. Le cinéma est quand même le reflet d'une société très précisément. A ce niveau-là, on joue toujours un rôle, et je pense qu'il faut le savoir et l'oublier en même temps. Je suis très individualiste et je pense que les rôles que l'on doit jouer doivent être plus fonction de son caractère, da sa nature, et de sa propre évolution. C'est comme ça qu'on peut arriver à donner une image qui correspond à quelque chose que l'on souhaite et être cohérent avec soi-même.

Est-ce que vous ressentez quelque chose au niveau de ce qu'on appelle "le combat féministe" ?
C'est impossible de ne pas Ie ressentir. Même les personnes qui réagissent violemment contre, c'est aussi une façon de le vivre. C'est impossible de ne pas tenir compte d'une réalité. Ce qui m'étonne, ce sont les propos de certaines femmes qui ne se sentent pas directement concernées. Ça me semble aussi inconscient que de dire "politique, connais pas".

Vous vous êtes engagée aux côtés de "Choisir" pourtant.
Oui, à ce momenl-là, parce que c'était un moment important. Mais je veux dire qu'aujourd'hui, je me sens incapable de prendre des responsabilités dans l'action. Ceci dit, ça m'intéresse beaucoup, même si je pense comme beaucoup qu'il y a des excès. Je trouve cela normal, parce qu'il y a en a tellement eu dans l'autre sens... Les choses qui ont été acquises ou gagnées sont capitales. La progression sur l'avortement... Il n'y aurait pas eu toutes les pétitions qu'il y a eu, tous les scandales... il a fallu une certaine violence pour que ça évolue rapidement.

Sans militer officiellement, vous pouvez sans doute faire beaucoup par le choix de vos personnages et de vos scénarios, par l'image que vous projetez de Ia femme.
Oui, c'est ça. Parfois, c'est vrai que j'accepte de faire des choses qui me semblent contradictoires avec ce que je pense ou avec ce qu'on devrait montrer des femmes aujourd'hui. J'accepte l'idée qu'il y a des contradictions dans ce que je fais, dans certains rôles. N'ayant pas la ferveur, par exemple, de Jane Fonda et tenant compte de certaines exigences pratiques. Je n'accepterai jamais des choses vraiment misogynes, mais j'accepte certaines choses dans la mesure où ça ne me semble pas trop grave, c'est vrai.

Comment concevez-vous le rôle du cinéma en élargissant au domaine politique en général ?
Le cinéma, c'est le reflet de quelque chose.

Il ne peut pas faire évoluer les choses ?
Je pense que le cinéma peut faire évoluer, mais surtout, il s'inspire énormément des événements, de la vie des gens, de la politique, donc le cinéma est le reflet de quelque chose qui sert ensuite à être un véhicule pour projeter et avancer en profondeur des idées qui resteraient le privilège de quelques-uns... Mais enfin, je vois plutôt le cinéma comme le reflet de quelque chose de déjà existant en ce qui concerne la politique.

Maintenant, on va rentrer dans des sables un peu mouvants... Est-ce que vous pensez avoir un statut de star ? (si la question a pour vous un sens). Personnellement j'arrive difficilement à me faire une opinion. Je pense que d'une part vous n'en êtes pas une parce que vous n'êtes pas attachée à une mythologie unique et précise. Mais, d'un autre côté, vous avez eu un certain nombre de rôles qui vous donnaient une image assez froide, en retrait...
Et une image sophistiquée.

Il y a une ambiguïté.
Oui, il y a une ambiguïté, c'est vrai. Ce ne sont pas des choses que j'ai construites. Je vis les choses beaucoup plus impulsivement, plus instinctivement qu'on ne le croit peut-être, il n'y a pas de volonté de ma part de vivre dans une tour d'ivoire (d'abord, je ne vis pas dans une tour d'ivoire), mais j'en donne l'impression. Ça doit correspondre sans doute quelque part à une certaine réalité. Peut-être moins d'ailleurs qu'avant. Mais enfin, je ne me vois pas du tout comme une star. Quand je discute avec des gens, je n'ai pas l'impression qu'on s'adresse à moi comme ça : je ne le supporterais pas. J'aime avoir des rapporte assez directs avec les gens. Je pense qu'il n'y a pas de stars en France ni en Europe.

J'ai la possibilité de Ie voir moi-même, il n'y a pas du tout le même contact avec vous quand on vous voit comme ça...
...Que l'idée qu'on peut se faire de moi avant de m'aborder. Oui, sûrement.

Pour la grande majorité, c'est bien évidemment votre image cinématographique qui prime.
Oui, c'est vrai. J'aime bien rêver aussi et j'accepte de faire au cinéma des choses qui sont loin de moi. Mais ça, c'est comme les lectures que l'on choisit. Parfois, on a envie de s'éloigner d'une certaine réalité. Il y a de même certains rôles que j'ai aimé jouer. Je reconnais que ce ne sont pas des personnages réalistes, que ce sont des héroïnes d'une certaine façon.

Vous dites qu'il n'y a pas de stars en France.
Je ne pense pas qu'il y ait vraiment des stars, parce que le système en Europe est différent. Il n'y a pas de studios, il n'y a pas d'exclusivité… etc. Il y a encore des stars en Amérique parce que c'est un mot qui est resté, mais la façon dont travaillent les gens n'a plus rien à avoir avec le star-system. Un système qui était lié à des studios qui avaient des vedettes sous contrat. Parce que les stars ne sont pas toujours les plus sures pour choisir leurs sujets et que le droit de regard sur tout n'est pas toujours positif pour un acteur.

Quand on parle de star, il y a aussi une image extra-cinématographique de la personne.
Bien sûr, une star, pour Ie public, c'est quand il y a identification entre le personnage que l'on joue et l'acteur qui l'interprète, mais enfin, c'est par extension. Et ça ne correspond plus à la réalité du cinéma aujourd'hui.

Les gens sont beaucoup plus proches du cinéma. Il n'y plus cette idéalisation. Elizabeth Taylor, par exemple, a commencé comme star, et son image a totalement changé.
Elle est quand même restée une star parce qu'elle vit le cinéma de façon très particulière. Elle n'agit pas comme le fait Jane Fonda par exemple. Jane Fonda, ou d'autres, vivent le cinéma de très près, rencontrent des scénaristes, se font écrire des sujets, cherchent. Ce sont des gens qui n'attendent pas que les Compagnies leur proposent quelque chose.

Si on en revient à votre cas particulier : bien sûr, on l'a vu, votre personnage change sans cesse d'un film à l'autre, mais voyez-vous une ligne directrice ou non dans les transformations de votre image depuis que vous avez commencé à tourner ?
Je pense que j'évolue dans une direction qui me semble plus réelle aujourd'hui qu'elle ne l'était autrefois, que j'ai l'impression de représenter quelque chose de plus concret pour les gens. Je pense que je fais moins rêver, que je semble plus abordable.

Vous pensez continuer jusqu'au bout dans ce métier ?
Je ne sais pas du tout. Je pense aujourd'hui que oui. Mais peut-être que dans deux ans, je deviendrai... casting director. Qui sait ? Je n'en sais rien. Je n'envisage pas de faire autre chose.

Je vous posais la question parce que les grandes actrices françaises comme Brigitte Bardot, Danielle Darrieux, Michèle Morgan... etc., au bout d'un certain temps, s'arrêtent. Je crois que c'est Simone Signoret qui disait qu'il y a une beauté de l'âge mûr chez les hommes (les tempes argentées... etc.), mais qu'à partir d'un certain âge, on n'arrivait plus à accepter la femme.
Oui, ceci dit, je crois que ça change beaucoup. Les mouvements féministes luttent beaucoup pour donner Ie droit aux femmes de vieillir. Bon, il est évident que le cinéma, il ne faut pas l'oublier, c'est visuel et qu'il serait désagréable de montrer des actrices non pas âgées, mais vieillissantes et supportant mal de vieillir, je veux dire prolongées dans des rôles de femmes mûres et essayant de jouer les vamps. C'est ça qui est en train de disparaître quand même. II est plus difficile pour une actrice de vieillir au cinéma que pour un acteur puisque les rides font encore soi-disant partie du charme masculin, mais ça c'est vieux comme le monde. Ce n'est pas en parlant que ça changera, c'est en habituant les gens à voir d'autres visages. Dans le star-system, une actrice après 35 ans devait trouver un autre emploi. Moi, je fais partie de cette génération de transition parce que je ne suis pas Brigitte Bardot et que je ne suis pas Simone Signoret. Je n'entre pas dans ces types-là. Je fais partie d'une génération d'actrices intermédiaires, qui a profité au début de ce côté "jolies filles au cinéma".

Abordons maintenant un autre sujet : on a beaucoup attaqué les acteurs les plus cotés au box-office en raison du poids qu'ils font peser sur le budget de certains films. Quelle est votre politique à ce niveau-là ?
Je crois que ce sont des choses qu'on dit toujours après, quand le film n'a pas remporté le succès escompté. Les gens intéressés au financernent d'un film sont toujours prêts à dire que le film a coûté trop cher. En effet, quand on paye un acteur très cher et qu'il ne marche pas, c'est toujours trop cher. Mais je pense que souvent, le cas contraire s'est passé. C'est-à-dire qu'on a gagné de l'argent en payant les acteurs le prix qu'ils méritaient, dans la mesure où c'est une industrie et qu'un producteur qui accepte de payer un acteur un certain prix, c'est qu'il pense qu'il va récupérer cet argent-là. Mais il y a un pari. Le pari, c'est risquer de perdre plus qu'on a...

Et la participation ?
Je l'ai fait, je le fais encore, et je le ferai encore. Mais le parti-pris m'agace énormément : on entend systématiquement que les acteurs touchent des salaires très importants. Je ne les trouve pas injustifiés du tout. II y a des acteurs qui sont trop payés, mais c'est quand même un marché qui bouge énormément : je peux prendre un certain chiffre demain et ne plus le prendre dans six mois. Et je peux le reprendre dans deux ans. C'est complètement fluctuant. Pour les films difficiles, je trouve qu'un acteur devrait entrer en participation, pour ne pas peser sur un film dont le succès commercial n'est pas sûr.

Et que pensez-vous du rôle de la télévision dans ce qu'on appelle "la crise du cinéma" ?
Je pense qu'elle a un rôle très important à jouer, et elle ne joue pas le rôle qu'elle doit jouer. La télévision n'est pas honnête, elle devrait faire plus de reportages. Parce que je trouve que c'est vraiment formidable et qu'elle a les moyens techniques de filmer des choses qu'on n'a pas envie de voir au cinéma ou qu'on ne peut pas voir, des films à épisodes par exemple que seule la TV peut faire accepter.

Au niveau des créations originales, on ne vous y volt pas plus qu'on ne vous voit au théâtre.
Ah, mais ça, on ne me verra pas à la télévision tant que ça durera comme ça. Et puis, ce qui m'intéresse, c'est au cinéma que je le trouve.

Aimeriez-vous faire de la mise en scène ?
Je crois qu'il y a toujours un moment ou un autre où un acteur est tellement intéressé à ce qui se passe dans un film qu'il doit y penser. C'est vrai que j'y pense parce que je ne peux pas m'empêcher d'avoir des idées sur autre chose que mon rôle dans un film. Mais ce n'est pas pour autant que je me vois devenir metteur en scène.

D'une manière totalement abstraite, en imaginant que vous puissiez tourner avec qui vous voulez, y a-t-il des cinéastes qui vraiment vous attirent plus que d'autres ?
Ça ne me vient pas immédiatement à l'esprit. Tous les cinéastes qui regardent vraiment les acteurs : Bergman, Cassavetes, Truffaut. A chaque fois que je vois une caméra s'arrêter, que je vois qu'on a su attendre dans un regard, une expression…

Dernière question : iI y a neuf ans, vous aviez parlé à Guy Braucourt d'un projet avec Hitchcock. J'ai l'impression que c'est tombé à l'eau.
Il a renoncé au projet. Pourtant, c'était un beau scénario ! Je l'avais rencontré, on s'était vus. Je sais que beaucoup de gens attendent cela parce que je suis "la blonde glaciale" du cinéma français. Ça me ferait plaisir aussi.

Hitchcock a fait beaucoup pour cette image de "blonde glaciale". Il parlait souvent à propos de Grace Kelly ou d'Eva Marie Saint de "feu sous la glace".
Oui, c'est, vrai. Et je rentre dans cette catégorie de femmes. Peut-être trop même. Peut-être que moi évoluant, je ne le serai plus au moment (rire) où ça pourrait se concrétiser.


Par : Yves Alion


Films associés : Les portes claquent, L'homme à femmes, Les parapluies de Cherbourg, Le vice et la vertu, Et Satan conduit le bal, Un monsieur de compagnie, Les parisiennes, Répulsion, La vie de château, Le sauvage, Les créatures, Les demoiselles de Rochefort, Belle de jour, Ca n'arrive qu'aux autres, Tristana, La sirène du Mississipi, Benjamin, Mayerling, Manon 70, Folies d'avril, La cité des dangers, Il était une fois la légion, Peau d'âne, Liza, Touche pas à la femme blanche, La femme aux bottes rouges, Zig-Zig, Si c'était à refaire, Les âmes perdues, Ecoute voir, L'argent des autres



Documents associés

Enfance 1943-60
Réveil de la Belle au Bois Dormant 1961-64

Roger Vadim
Marcello Mastroianni