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Ses interviews / Presse 1960-79 / Elle 1964 |
Repères
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Catherine Deneuve : 20 ans, des orages sur son histoire d'amour avec Vadim. Un fils de 10 mois (Christian), devenue vedette depuis "Les parapluies de Cherbourg". Mais encore ? Le divan a la couleur du sable. Elle s'y assoit comme une algue tombe. Je suis paresseuse... Lymphatique. Flexible. Fluide. Le visage est lisse. Les gestes longs ne pèsent dans l'espace que ce qu'ils pèseraient dans l'eau. Les cheveux ruissellent. Elle doit avoir les pieds froids : Ophélie a toujours les pieds froids. Je suis frileuse. J'aime le soleil. Le soleil sur la campagne... Les arbres... Watteau la peindrait sur fond de verdure déliée, dans un ciel de Touraine. La lumière tamisée lui sied. Les couleurs à pastel. La mousseline. Le rêve, plus harmonieux que le réel. C'est dommage... C'est dommage que le monde ne soit pas en harmonie comme un rêve bien construit. C'est dommage que le bonheur ne soit pas toujours en équilibre. C'est fatigant. Douloureux. C'est contraire à la beauté. Le bonheur et la beauté vont de pair. Les cris, les heurts, j'ai horreur ! Touchée par la malveillance, elle frémit et fuit comme une sensitive. Devant l'obstacle elle doit se retirer, mais comme la mer se retire, avec une arrière-pensée de retour. Pourquoi combattre alors que le temps peut, plus sûrement, user la montagne ? Ou bien user le désir de la franchir. Je suis patiente pour ce qui me tient à cur. Son amour est absent. Mais son amour reviendra. Il suffit de continuer à vivre avec lui, à vivre de lui, pendant qu'il est ailleurs. Brutalement vidée d'amour, la vie serait insupportable ; avec un amour troublé, elle est seulement douce-amère. Je ne suis pas bien heureuse en ce moment... Mais pas bien désespérée. "Non", le non tranchant comme un couteau de Parque doit l'affoler. Alors, pourquoi se le dire ?... Il garde demain ouvert, chaud, tendre, prêt. Qu'autour d'elle tout soit toujours chaud, tendre, prêt à l'aimer, prêt à être aimé. Hors d'amour, hors d'amitié, hors de sympathie, elle s'étiole, elle s'épuise. La solitude, c'est la détresse. La faim et la soif. Catherine a besoin de plaire, elle se nourrit des autres. Vivre sur soi-même, elle ne peut pas. On a écrit que Vadim l'avait "fabriquée". Peut-être, plus exactement s'est-elle nourrie de lui instinctivement, comme elle se serait nourrie d'un autre, qu'elle aurait aimé. Elle s 'est mise à dépendre de lui pour sa façon d'exister tout comme le lierre dépend de l'arbre : le lierre "épouse" très bien. L'homme que j'aime, je pourrais le suivre n'importe où ! Lui sacrifier tout le reste... même le cinéma. Ne vivre que de lui... Enfin, je le crois... Je la crois assez. Elle aime être dépendante : une vraie "moitié" d'avant la libération de la femme. Pour un homme, quelle aubaine !... Et Catherine a tant besoin d'être heureuse et de rendre heureux, tant besoin d'échanges calmes, de paix tendre, qu'elle est bien capable de s'entêter à faire sans bruit le bonheur d'un homme, par pur égoïsme ! Oh ! pas en s'imposant, non. En s'infiltrant plutôt, en adhérant à ses habitudes, à ses pensées, à son cur; en se modelant sur ses désirs. On a raconté qu'elle s'était "jetée à la tête de Vadim". Je ne la crois pas capable de sauter, haut et fort, pour cueillir un raisin trop vert. Je la crois capable de travailler doucement à mûrir le fruit, pour qu'il tombe seul ! Cette claire jeune femme de vingt ans peut passer, inaperçue, une soirée entière à côté de vous. Catherine, il faut la regarder deux fois, dix fois, cent fois : elle ne rayonne pas comme une rose de printemps, elle rayonne comme une rose d'automne. Je ne suis pas folichonne ! Fin de sève. Le muscle est si mince que le nerf est à fleur de peau, vulnérable en diable. Aussi combien est-elle attentive à se protéger, Catherine ! Comme elle a l'âme vigilante ! Si j'essaie - hélas ! ce côté tristement mufle de la profession - une question cruelle, je sens l'onde d'émotion en elle et puis, tout de suite, le refus, le repli, la digue : elle s'est barricadée dans ce qu'elle veut croire. Son amour reviendra ; sa beauté sera longue ; sa carrière aisée ; son fils heureux. Pourtant, elle demeure inquiète : si j'avais réussi à troubler pour ce soir sa fragile et nécessaire paix ? En la poussant jusqu'au bout de ses émotions, on doit parvenir à faire craquer de façon inattendue, dramatique, son glacis de langueur aimable ; on doit arriver à l'orage, aux larmes romantiques et désespérées de l'ingénue de Cherbourg. Mais à la révolte aussi, au coup de tête "de sécurité", qu'on tente pour sortir du drame. Le drame est mal venu dans l'âme de Catherine. Son état de grâce, c'est l'amour. C'est vrai que, jusqu'ici, l'amour a été mon occupation favorite... Je ne regrette pas. Dans la vie, l'amour mérite une seule place : la première. Catherine ne peut pas plus s'empêcher de chercher à être aimée qu'un ourson d'aller vers le miel. Si j'étais l'homme qu'elle attend, je me méfierais !
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