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Deneuve, toujours Deneuve

Vous pouvez la voir en ce moment dans le dernier film de Dino Risi, "Les âmes perdues", où elle joue le rôle de la femme de Vittorio Gassman, vivant dans un palais étrange et délabré au cœur d'une Venise admirablement photographiée. Elle : Catherine Deneuve, plus belle que jamais dans une histoire fantastique au déroulement surprenant.

Excusez-moi, je suis très en retard.

Elle entre comme une tornade blonde, lunettes noires, manteau gris, bottes de cuir brun, plates (tiens ! elle n'est pas grande), jupe à carreaux, pas de maquillage, pas de manières, la voix est gaie, tandis qu'elle parle aux enfants (sa fille et sa nièce) dans un italien parfait, le téléphone sonne, elle se précipite, c'est sa sœur, elles parlent école, elle cherche une cigarette. "Francesca, vous n'avez pas vu mon fume-cigarette ?" Le voilà, la Kent y trouve sa place éphémère, le geste est joli, un geste de star. Car Catherine Deneuve est une star. Elle le pense. Elle le sait. Et parfois elle en souffre.

Je veux casser l'image qu'on a de moi, explique-t-elle. Les acteurs sont idéalisés, ils sont, obligatoirement, stéréotypés, ce ne sont plus des êtres vivants. Or je déteste les malentendus. Et je déteste décevoir. C'est pourquoi je m'insurge contre cette réputation de froideur. Je sais que je peux être "absente". C'est une attitude. C'est un effort pour une actrice d'être constamment regardée. Il faut le savoir. En fait, je suis très sauvage. J'ai tendance à être réservée. Je n'ai pas envie d'avoir avec les gens des rapports passagers. Je n'aime pas les nouvelles "connaissances" ou alors il faut que ce soit le fruit du hasard, d'une rencontre. Bien que je sois curieuse et attentive, je ne suis pas tellement capable de vivre publiquement, d'être adulée. C'est peut-être une forme d'orgueil aussi : je veux être aimée pour moi-même ! Je préfère être jugée par certains plutôt que d'être adorée par une foule.

Mais tout de même vous êtes sensible à cette admiration ?
Pas du tout. Ça me donnerait plutôt envie de démentir, de dire aux gens qu'il ne faut pas admirer "trop", que souvent ils admirent pour de mauvaises raisons, qu'on ne peut pas admirer quelqu'un qu'on ne connaît pas, etc.

Quelle sorte de gens aimez-vous ?
Je recherche d'abord la rigueur. C'est une chose beaucoup moins répandue qu'on ne le croit. J'en connais combien qui parlent d'or et qui vivent chichement. C'est pourquoi les êtres qui ont l'air d'être en accord avec ce qu'ils disent me frappent. J'aime les gens droits. Les extravertis ne m'attirent pas trop.

Et chez les hommes ?
Je suis très sensible à leur douceur, à leur générosité, et même à une certaine féminité, enfin disons à une sensibilité féminine.

Et la fameuse virilité alors ?
La virilité ? Je ne sais pas très bien ce que c'est. J'apprécie la tendresse et la gentillesse. Pour moi, c'est très important. C'est une qualité de cœur. Et comme telle supérieure à une qualité de tête. Les qualités de tête peuvent bluffer les autres, permettent de "faire bonne impression". Mais on ne peut pas faire semblant d'être généreux. Or quand on vit avec quelqu'un...

Précisément, parlons-en du couple.
Le couple... (un rêve passe) c'est un sujet passionnant mais tellement difficile ! Autant le mariage en soi ne m'a jamais fait rêver, autant le couple est pour moi une idée très forte.

Pourquoi pas le mariage ?
Je ne sais pas pourquoi, mais ce n'est pas par provocation : j'ai été élevée de façon raisonnable et conventionnelle, mais je n'ai jamais éprouvé le besoin du mariage. En revanche je trouve qu'il est difficile d'échapper au couple, peut-être par instinct, peut-être parce que cela correspond à un certain optimisme, à quelque chose de créatif, de vivant, cela va au-delà de la respectabilité. C'est plus que simplement lier deux solitudes, cela reste pour moi l'expérience la plus passionnante au monde. Même si je supporte très bien d'être seule. Même si par moments à deux on est déjà beaucoup... De toute façon, pour moi, la vie privée l'emporte sur tout le reste. J'ai une ambition sociale limitée. Jusqu'ici j'ai eu toujours la chance que les choses se présentent à moi. J'admets que j'ai été très gâtée.

Et si demain c'était, tout à coup, le grand désert professionnel ?
Je me donnerais du mal. Je ne peux pas m'imaginer comme une femme au foyer. J'aime trop ce métier.

Choisissez-vous vos films ?
Bien sûr. Tous les acteurs choisissent. Pour moi il est très difficile de changer d'emploi. Je corresponds, même physiquement, à un certain type de femme bourgeoise. Peut-être y a-t-il d'ailleurs au fond de moi quelque chose qui refuse de changer.

Si on vous proposait un rôle de femme laide, mais intéressant, vous l'accepteriez ?
Si c'est vraiment une femme laide, pourquoi me choisir moi ? Il faudrait qu'on me justifie la proposition autrement Je n'ai pas envie de prouver que je suis une bonne actrice à tout prix. D'ailleurs j'ai joué beaucoup de rôles différents malgré mon physique (grand éclat de rire) : j'ai quand même été prostituée dans "Belle de jour", handicapée dans "Tristana".

Oui, mais toujours belle !
C'est vrai. M'enlaidir n'est pas une chose que je recherche. Peut-être si c'était vraiment un rôle très, très intéressant... Mais c'est très dur pour une femme. Je n'en vois pas la raison. A la limite, je trouve que c'est une malhonnêteté de la part de celui qui vous propose le rôle.

Vous "faites attention", autrement dit vous vous surveillez : régime, gymnastique, rythme de vie, etc.
Par à-coups. Je fais de la danse, des régimes, mais je suis incapable par exemple de me coucher à 8 heures du soir pour avoir le teint frais. J'ai trop besoin de vivre. Quitte à râler le lendemain matin quand je dois me mettre de l'anticerne parce que j'ai veillé trop tard ! Dieu merci je suis assez saine (moitié Normande, moitié Gasconne !), j'ai une excellente santé et une résistance physique énorme. De plus j'avoue que je suis très gourmande, j'adore manger. J'aime tout, c'est dramatique. D'abord la cuisine française, bien sûr, la meilleure au monde, mais aussi les cuisines exotiques : chinoise, italienne, indienne, tout ! Je ne serai jamais adulte ! C'est vrai. je ne me sens pas encore vraiment "dame". Je n'arrive pas à penser à moi en terme de grande personne... grande personne, l'expression même est un aveu, non ? (Rire) Je ne suis pas très raisonnable. Je réfléchis mais je prends souvent de mauvaises... (hésitation : la phrase reste en suspens).

Vous aimez vous gâter ?
Oui, je me gâte beaucoup.

Des remords ?
Plein, mais je ne résiste pas souvent ! Il m'est difficile de ne rien acheter. J'ai des goûts de luxe, je l'admets. Encore que le luxe pour moi soit plutôt une idée associée à quelque chose d'excessif, d'un peu fou : des asperges en janvier, une orchidée, c'est plus une question de moment que d'argent. Je me dis "quelle folie"... et je plonge. J'aime bien faire ce que j'ai envie de faire.

On peut vous arrêter ?
(Moue) J'arrive souvent à convaincre.


Par : Jacqueline Tenret
Photos :


Film associé : Les âmes perdues



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