[Il manque le début de l'interview]
Roger est le père de
mon fils Christian et, de ce fait, nous nous voyons souvent.
Ensuite, au moment de faire
des photos avec la petite Chiara, vous appellez votre ex-mari David Bailey
?
Ecoutez je crois qu'il est impossible, à moins qu'il ne s'agisse
d'un lien passionnel et physique, que Ie jour où il y a rupture
entre un homme et une femme, tout soit rompu et qu'il n'en reste rien.
Je pense, au contraire, que I'unique forme d'amitié possible entre
un homme et une femme est celui qui naît après un rapport
complet auquel on a mis fin parce qu'il ne répondait pas à
ce qu'on en attendait. Cela ne signifie pas qu'on ne puisse pas continuer
à aimer une personne dont on cesse d'être amoureux. Sincèrement.
Je ne puis envisager de ne plus aimer les hommes que j'ai aimés.
Ils sont toujours les mêmes, ceux que j'ai connus et aimés.
La véritable amitié entre un homme et une femme, elle ne
vient qu'après I'amour. Tout Ie monde ne pense pas comme vous,
en Italie, au contraire, on dit que, quand I'amour a existé entre
un homme et une femme, I'amitié n'est plus possible ou alors elle
devient très rare et très difficile. L'amitié entre
un homme et une femme qui naît ainsi, de rien, n'est pas une amitié.
Selon moi, ce n'est que de I'amour platonique, de I'amour masqué,
étouffé. Mais, en Italie, les rapports entre hommes et femmes
sont tellement spéciaux, tellement différents. Les liens
du mariage, là-bas, sont une chose épouvantable. Jusqu'il
y a trois ans, on ne pouvait divorcer, c'est abominable ! Les Italiens
ne s'en rendent pas compte mais ce sont des choses qui, vues de I'étranger,
sont monstrueuses, scandaleuses, vraiment scandaleuses ! C'est un attentat
à la liberté individuelle. On parlait de liberté
au sujet des pays d'Amérique Latine alors qu'en Italie, on ne pouvait
pas divorcer. C'est honteux d'obliger les jeunes à faire ce choix
définitif dans la vie. C'est vraiment Ie purgatoire sur la terre...
Pourtant, vous avez bien épousé David
Bailey à la sauvette ?
II n'existe pas de règles. D'aucuns se marient en 48 heures quand
d'autres y mettent quinze ans.
Pourquoi I'avez-vous épousé
?
La vie était difficile pour nous deux : il travaillait en Angleterre,
moi en France et Ie mariage a été une tentative supplémentaire
pour réussir à vivre ensemble.
Le même problème
se pose avec Marcello Mastroianni, même si depuis peu, il travaille
en France. Mastroianni est paresseux et tous ses amis sont en Italie.
Comment, paresseux ? Ils me font rire avec toutes ces histoires sur la
paresse de Marcello, lui qui travaille vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Je n'ai jamais vu quelqu'un travailler autant que lui.
Fachée ?
Enfin ! II est italien et je suis parisienne, alors ? Que voulez-vous
savoir ? Ma vie avec Marcello ? Je ne répondrai jamais.
Vous êtes libre de ne
pas répondre. Je peux quand même vous poser des questions
?
Certes. J'aurais peut-être pu vous répondre. On ne sait jamais
!
Comment occupez-vous vos journées
?
D'une façon absolument normale. J'ai deux enfants qui me prennent
beaucoup de temps. Et puis, je suis dispersée, je gaspille beaucoup
de mon temps, à petites doses. Je suis tout Ie contraire de Marcello
qui ne s'occupe que de choses importantes. Et voilà où iI
est paresseux : si une chose n'est pas importante, il ne remuera même
pas Ie petit doigt.
J'ai lu que vous consacriez
beaucoup de temps à vos enfants ?
C'est vrai, je suis amoureuse de mes enfants.
Quand nous avons vu les premières
photos de votre fille, nous avons tous ri tant elle ressemblait à
Mastroianni.
Vous devriez la voir à présent ! Vous auriez encore bien
plus de raisons de rire. On dirait qu'elle a été décalquée
sur lui : les yeux, Ie nez, la bouche, vraiment pareils.
Et I'autre ?
II me ressemble un peu et beaucoup à Vadim. Je vous Ie présenterai.
II est très timide et n'aime pas se montrer.
Si vous deviez quitter Ie cinéma,
que voudriez-vous faire ?
Je n'y songe jamais. Je ne suis pas masochiste. C'est comme si une personne
en bonne santé pensait au jour où elle va tomber malade.
C'est insensé.
Vous êtes née pour
Ie cinéma ?
Non. Quand j'étais plus jeune, peut-être aurais-je pu faire
autre chose si j'en avais eu I'occasion. A présent, c'est trop
tard.
Vous avez commencé très
jeune, à 18 ans. Votre premier succès, vous l'avez connu
dans "Le vice et la vertu", de Vadim. Ensuite, vous êtes
passée chez Roman Polanski, Luis Buñuel, François
Truffaut, Marco Ferreri, tous des réalisateurs de premier plan,
géniaux, contestés. Qu'avez-vous retiré de ces differentes
expériences ?
Je ne suis pas aussi avide de "prendre" que vous semblez Ie
dire. Je donne aussi beaucoup. II y a toujours un échange. J'ai
eu la chance de débuter avec un réalisateur important. Pour
une jeune actrice, plus tôt elle peut faire son éducation,
mieux c'est : elle peut ainsi suivre Ie bon chemin. C'est comme avoir
de bons parents. Ces réalisateurs m'ont, certes, appris beaucoup
mais je suis incapable de dire : Truffaut m'a enseigné ceci, Buñuel,
cela. Disons que, petit à petit, je me suis aperçue que
les choses devenaient plus claires, que chaque film tourné me permettait
de gravir un échelon. Je n'ai jamais songé au cinéma
comme à un moyen de faire de l'argent ou de devenir vedette. Pour
moi. Ie cinéma est un moyen de connaître la vie. Non pas
que ce soit un engagement moral ou politique mais, pour une femme, c'est
une expérience enrichissante.
Les réalisateurs avec
lesquels vous avez travaillé sont très différents
les uns des autres ?
Ferreri et Buñuel ont une manière de diriger assez semblable.
Ils ont en commun l'amour des acteurs et Ie goût de I'insolite.
J'aime Luis Buñuel et j'adore Marco Ferreri. Ils font confiance
à I'acteur, Ie laissent libre de créer son personnage. Prenons,
par exemple, Ferreri et "La grande bouffe" : quatre grands acteurs
qui travaillent ensemble, voilà une entreprise difficile... aussi
difficile que de travailler avec quatres actrices. Ferreri les a laissés
libres et ils ont donné le maximum...
Est-il vrai que Ferreri improvise
sans cesse ?
En partie. Mais iI a toujours un canevas et si quelque chose ne va pas,
il reprend les rênes en mains. Je pense qu'un réalisateur
ne doit pas avoir une idée précise détaillée
de son film. Le film est une création libre, c'est un spectacle
visuel dans lequel les acteurs ont autant d'importance que Ie réalisateur.
Quand je pense à ces réalisateurs qui rudoyent les acteurs,
comme Clouzot... Je ne travaillerai jamais avec Clouzot, il est terrifiant...
On raconte pourtant que, sur
Ie plateau, vous êtes très tâtillonne, très
précise, un peu irritante en somme.
Vraiment ? Et pourtant je travaille avec Ferreri qui est Ie plus grand...
Désordonné ?
Plus que cela. II est Ie plus grand créateur de désordre
que je connaisse. II a besoin de ce désordre parce qu'il s'y trouve
bien, il a besoin de cette folie.
Et vous vous y trouvez bien
?
Très bien. J'exige la précision pour certaines choses, c'est
vrai. Je veux, par exemple, que tout ce qui concerne Ie maquillage, la
coiffure, les vêtements soit parfait ! Si quelque chose ne va pas,
je n'ai aucun scrupule à envoyer quelqu'un au diable. Dans la vie
aussi, j'accorde beaucoup d'importance aux détails mais j'ai compris
qu'au cinéma, Ie désordre ne comptait pas. Quand un film
est terminé, Ie désordre n'existe plus. C'est comme dans
un ballet : tout doit être magnifique et sembler n'avoir demandé
aucun effort. Evidemment, pour y arriver, iI faut du métier et
de la passion. Sans passion, il est inutile de vouloir faire du cinéma.
On peut dire que vous êtes
l'actrice de Ferreri. D'où vient cet amour professionnel ?
Je I'ignore, je crois simplement qu'il a confiance en moi. II me stimule,
me confie des responsabilités et quand tout est fini, j'ai I'impression
que j'aurais pu encore donner plus. Avec Marco, on a constamment I'impression
de faire quelque chose de vivant. d'inachevé. C'est une sorte de
jeu très sérieux.
"Belle de jour", "Répulsion",
"La chamade", "Liza", "Les parapluies de Cherbourg",
"Tristana", autant de personnages, autant de femmes si différentes
les unes des autres. De laquelle vous sentez-vous la plus proche ?
De toutes et d'aucune. II m'est bien difficile de répondre. "Belle
de jour", ce n'est certainement pas moi, mais Ie personnage est tel
qu'iI est parce que je lui ai donné la vie, donc il y a en lui
quelque chose de moi. Cela m'arrive à chaque fois.
Et après ? Vous reste-t-il
quelque chose de vos personnages ?
Après ? Non. Je peux évidemment subir l'influence d'une
scène que j'ai tournée. Je peux être déprimee
ou excitée mais il ne m'est jamais arrivée de...
Et pendant Ie tournage du film
?
Par moments...
Des moments pendant lesquels
vous "vivez" vraiment la vie de Belle de jour ou de Tristana
?
Oui, en cours de tournage, oui. Une chose qui compte beaucoup au cinéma,
c'est l'intensité. Le moment magique, disons le moment artistique
est si bref qu'il est absolument nécessaire d'y arriver remontée
au maximum.
Comment auriez-vous résolu
les problèmes de vos personnages ? L'auriez-vous fait de la même
façon que dans les films ?
Franchement. je ne me suis jamais posée la question. Séverine
dans "Belle de jour" fréquentait les maisons closes,
Tristana était une fille malheureuse, Uza une femme-animal
Comment faire ? En lisant Ie scénario, je ne me suis jamais demandée
: "Et si cela m'arrivait ?".
Quand un personnage vous plaît,
en tombez-vous amoureuse ?
Je pense que c'est une erreur de tomber amoureux du personnage que I'on
interprète. II serait plus logique que ce soit des personnes avec
lesquelles on travaille. On travaille avec des êtres humains, non
pas avec des paroles, avec des personnes vivantes et non avec des personnages.
Quel est Ie personnage que vous
avez interpreté auquel vous restez Ie plus attachée ?
La jeune fille des "Parapluies de Cherbourg".
Pourquoi ?
Parce que Ie film était beau, réussi, joyeux, lyrique. Je
l'aime encore comme au premier jour.
Savez-vous qu'en 1969, la revue
américaine "Look" vous a présentée comme
"Ia plus belle femme du monde" ?
Croyez-vous que cela ait pu me faire un effet quelconque et que je me
sois regardée dans un miroir en disant : "Catherine, t'es
la plus belle femme du monde" ? Pas du tout. Je ne me suis pas vue
différemment des autres jours. Ce n'est là qu'un système
sophistiqué pour lancer un produit. Depuis ce jour, cependant,
les gens me regardent et se disent : voici une des plus belles femmes
du monde. C'est la force des journaux, ils disent ce qu'ils veulent et
ceux qui les lisent sont persuadés que derrière ce qui est
écrit, il y a toujours un fond de vérité. Je pense
qu'aujourd'hui, pour un homme d'affaires, être propriétaire
d'un journal, c'est le sommet de la puissance.
Look a dit que vous étiez
la plus belle femme du monde. C'est un compliment. Que préférez-vous,
une critique ou un compliment ?
Je préfère une critique qui ne soit pas banale, c'est plus
intéressant, mais dire qu'un compliment ne me fait pas plaisir
serait mentir.
Vous avez eu droit a quelques
critiques : tel film n'a pas marché, tel autre était une
erreur !
Certainement. Je considère cependant les films qui n'ont pas marché
non pas comme des erreurs mais comme des insuccès, c'est différent.
II est fréquent qu'un film ne puisse satisfaire à la fois
l'acteur, Ie public et les distributeurs et bien souvent les goûts
du public sont différents de ceux des critiques.
Est-il vrai que vous préférez
tourner un film avec un réalisateur débutant qui a quelque
chose à dire plutôt qu'avec une valeur consacrée capable,
certes, mais un peu à court d'idées ?
C'est vrai jusqu'à un certain point. Je me refuserais à
travailler avec un jeune inconnu ou un réalisateur médiocre
parce que, pour une actrice confirmée, Ie risque à courir
est trop grand. On ne pardonne pas ses erreurs à une actrice connue.
Les films à distribution importante deviennent des affaires financières,
il y a beaucoup d'argent en jeu, on joue gros. Pour un jeune qui en est
à ses premières armes, tout est plus facile : si ça
marche, tant mieux, sinon il sera toujours possible de recommencer. On
pardonne beaucoup à un jeune.
Vous avez pourtant toujours
tourne des films non commerciaux avec des réalisateurs bizarres,
controversés. Peut-être "Mayerling" a-t-il été
votre seul film commercial. Pourquoi I'avez-vous fait ?
C'était comme une fable, cela me plaisait.
Une fable qui n'a rien apporté
à I'histoire du cinéma. Je pense que n'importe quel film,
même s'il ne marche pas, même s'il est une erreur, devrait
avoir comme but de devenir quelque chose de nouveau, de différent.
Vous voulez dire un film d'auteur ? Je suis bien d'accord pour dire que
des films comme "Mayerling" n'apportent rien de nouveau au cinéma
mais les écarter systématiquement n'aurait pas de sens.
Si I'on vous disait : "Catherine,
tu as carte blanche, choisis Ie réalisateur, Ie sujet, Ie partenaire".
Que feriez-vous ?
Ce que je fais actuellement : un film policier avec un réalisateur
hongrois qui vit en France, Laszlo Szabo. Le partenaire ? Je ne Ie connais
pas encore.
Mastroianni ?
Non, nous avons trop travaillé ensemble, Marcello et moi II faut
stopper maintenant.
Ensuite ?
Je ne veux pas faire de projets à longue échéance.
Vous ne voulez pas savoir ce
que vous ferez dans un an ?
Non. Cela m'épouvante.
Vous fêterez cette année
votre trentième anniversaire. C'est un cap important. Cela vous
épouvante-t-il ?
Oui, je n'ai pas I'impression d'avoir cet âge et je me dis toujours
: "Attention, tu as 30 ans, tu dois être sérieuse !"
II me semble que vous êtes
pourtant assez sérieuse ?
Pas beaucoup. Pas assez. Je m'habille avec une élégance
sans éclat, je vis dans une maison "solide" mais tout
cela ne correspond pas à ce que je suis en réalité.
C'est cette Deneuve-Ià
que j'aurais voulu connaitre. Mais à peine parle-t-on de la Deneuve
privée que vous vous roulez en boule comme un hérisson.
Vous n'avez rien voulu me dire au sujet des hommes ni sur votre vie avec
Mastroianni ?
Tout a été écrit, lisez ce que vous voulez, ce ne
sont que des stupidités.
Démentez, defendez-vous.
En France, j'ai fait un procès à certains journaux, mais
en Italie, il semble qu'il existe deux sortes de journaux seulement :
ceux qui fouillent dans l'intimité de Paul ou Jacques, qui font
un article à propos d'un baiser ou d'un souper à deux, qui
mettent un homme dans Ie lit d'une femme ou vice-versa, qui sont dégoûtants,
et les autres.
Mais Ie public aime ces choses.
II aime certaines personnes et veut toujours en savoir plus...
D'accord. Mais pourquoi faut-il que ce soit une compétition entre
journaux, une course au pire scandale, en partant toujours du bas ? En
France on peut poursuivre ceux qui font des photos sans l'accord de l'intéressé.
Théoriquement en Italie
aussi, mais ça n'arrive pas.
Je me souviens que quand j'ai accouché ici à Paris, les
"paparazzi" s'étaient postés sur les toits. Pour
photographier quoi ? Une ombre derriere une fenêtre ? Ils avaient
des téléobjectifs qui ressemblaient à des canons.
J'ai appelé la police qui les a tous fait fuir. Si j'étais
riche, j'ouvrirais une souscription pour bannir journalistes et paparazzi.
II vaut mieux que je parte...
Non, non
Changeons de sujet. Quelle différence
y a-t-il pour vous quand vous vous promenez aux Champs-Elysées
ou Via Veneto ?
Via Veneto, les gens vous touchent, vous prennent la main, vous arrêtent.
Si vous portez des lunettes solaires, ils vous suivent jusqu'à
ce qu'ils aient découvert qui vous êtes. C'est amusant, sympathique
et c'est un signe que I'on est aimé mais c'est terriblement fatiguant.
A Paris, on vous salue, on s'arrête pour vous regarder mais on ne
viole pas votre intimité...
Que préférez-vous
?
Vivre à Paris et passer mes vacances en Italie. L'ltalie me plaît
mais à petites doses.
Est-il vrai que vous êtes
une bonne cuisinière ?
Oui, j'aime cuisiner. Quand je ne travaille pas, c'est mon hobby.
Qu'allez-vous faire ce soir
?
Je vais souper chez une amie. D'habitude, je vais souper chez des amis
ou bien je vais à la campagne.
Vous n'aimez pas rester seule
?
Je me sens un peu perdue. Voulez-vous voir mon fils ?
Volontiers...
Christian ! Christian !
Bonjour Christian. Comment vas-tu ?
Très bien. Tu as interviewé maman ?
Oui, nous avons terminé..
Elle t'a plu ?
Beaucoup, elle est très belle.
Je trouve aussi. Ciao.
Ciao.

|