Ses interviews / Presse 1960-79 / Mademoiselle Age Tendre 1970
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Catherine tout en charme

Elle est blonde, gaie, longue. Qu'une porte s'ouvre, qu'elle entre dans une pièce, jupe de laine noire, chandail tout pareil, agile et mince, souriante - et voilà que d'un coup se produit quelque chose de brillant, de neuf : la délicate Catherine des "Parapluies", la Catherine superbe de "Belle de jour", l'inquiétante jeune femme de "La sirène du Mississipi", porte avec soi, en soi, où qu'elle survienne, cet éclat très particulier, fait de réserve à la fois et de chaleur, de recul et d'appel, qui est le charme, la grâce des êtres réellement exceptionnels. Catherine Deneuve n'entre pas dans une pièce, une chambre, un salon : elle y apparaît.

Tout de suite, elle me dit : "Excusez-moi", puis, comme sans doute j'ai l'air de ne pas bien comprendre à quoi elle fait allusion, précise : "J'ai un peu de retard, quelqu'un me retenait au téléphone". Elle 'assied, bien droite, et m'invite à m'asseoir sur le bord du long canapé de cuir brun qu'elle a fait placer au milieu de son salon ; ses excuses, sachez-le tout de suite, étaient inutiles : elle n'avait nul retard. Ce premier détail compte beaucoup : l'actrice française la plus attachante de cette génération, celle que les cinéastes les plus exigeants (Luis Buñuel, François Truffaut, par exemple) tiennent pour l'une des plus admirables, celle à qui les Américains offrent avec un enthousiasme parfait leur public et leurs studios, est, d'abord, une jeune femme inquiète, fragile, qui a le souci, en toute occasion, de ménager autrui... Vite, avec un rien de nervosité, elle croise sur ses genoux ses longues mains très blanches, puis elle penche la tête un peu (autour du visage, souples, soyeux, très mobiles, des cheveux clairs qui ont recommencé de devenir longs ; dans le visage même, d'une magnifique acuité, deux yeux noisette, attentifs à tout), et sourit.

Il y a cinq ans, Catherine, juste après la sortie des "Parapluies de Cherbourg", vous déclariez : "Disons que j'aimerais pouvoir tourner deux films par an, et qu'il me ferait plaisir, si j'en ai les moyens, bien sûr, de parvenir à être un jour une grande actrice". Vous êtes, aujourd'hui, une grande actrice...
Non, je ne le pense pas ; du moins m'est-il impossible de le penser, et cela est naturel. Qu'est-ce qu'une grande actrice ? Je veux être, avant tout, une actrice : c'est-à-dire un outil, un objet, le plus efficace, le plus malléable possible, au service du cinéaste. Si je suis une vedette, il s'agit là d'une situation que je n'ai pas spécialement cherchée ni préparée - mais qe je ne rejette pas : elle me permet de choisir mes films, elle me donne le loisir (capital !) de dire "oui" ou "non" à un metteur en scène, selon que son travail, ou le scénario qu'il me propose, me plaît ou non. Le métier que je fais m'enchante ; je ne m'y impose qu'une loi, très rigoureuse : il ne faut pas oublier qu'il est des choses qu'on ne peut pas faire, des rôles qu'on ne peut pas jouer.

En cinq ans, dis-je, la toute fragile demoiselle de Cherbourg que vous avez été s'est changée en femme, et en femme très belle...

Là, Catherine a un bref sursaut ; elle me regarde, une seconde, dans une sorte d'absolu étonnement, puis, pour la première fois, éclate de rire :

En femme ? Vous voulez dire : en adulte ? Comme c'est drôle qu'on puisse formuler une telle chose ! J'ai l'impression, au contraire, que je n'arriverai jamais à être adulte : j'ai vingt-six ans, et cet âge me paraît énorme : je vis aujourd'hui comme à dix-neuf ans, en petite fille, ou presque... Les rapports que j'ai avec mes parents, en particulier, sont restés ceux d'une petite fille heureuse qui vit avec sa famille. J'adore ma mère, j'ai besoin de la voir sans cesse. Puis, je dois le reconnaître, affronter les questions, même les plus élémentaires, de la vie quotidienne, voilà pour moi une sérieuse, une immense difficulté... D'autre part, je ne me trouve pas belle, non ; jolie, peut-être ?

Vous êtes belle. Accepteriez-vous, comme vient de le faire l'actrice Liza Minnelli, pour le film d'Otto Preminger, "Junie Moon", de jouer le rôle d'une jeune fille défigurée ?

Le regard noisette, un instant, se retire, s'absente ; Catherine semble tendue, anxieuse. Ce n'est pas qu'elle hésite à répondre : elle voudrait simplement que sa réponse fût précise, honnête.

Défigurée ou enlaidie ? Enlaidie, j'ai non seulement accepté, mais choisi de l'être, pour certaines séquences de mon dernier film, "Tristana", où je joue le rôle d'une jeune fille unijambiste. Défigurée ?... C'est un problème autre. C'est comme de se vieillir très fort, d'un coup. J'ignore si j'en serais capable. Il y a quatre ou cinq ans, Simone Signoret devait, pour le film d'un metteur en scène grec, se vieillir d'une vingtaine d'années : elle avait accepté le rôle ; au bout de quelques journées d'essai, de travail, elle dut y renoncer ; cette comédienne extraordinaire s'est vue, une fois, obligée de dire : "Non, voyez-vous, jouer ce rôle me sera impossible". Je ne saurais sans doute pas accepter d'être défigurée - même pour un rôle magnifique, exceptionnel. Consentir à une mutilation du visage me serait une souffrance trop grande, une aventure trop sévère.

Y a-t-il un être, aujourd'hui, à qui vous manifestiez toute cette tendresse à coup sûr présente en vous, mais que votre nature, un peu froide, toujours réservée, vous amène (on peut le supposer), à ne pas trop montrer ?
La vraie tendresse n'est-elle pas forcément retenue, réservée à quelques-uns ? La mienne va d'abord à mon fils, Christian. Il a huit ans ; il est mignon, compliqué, raisonneur, têtu : un ange ! Vous n'entendez pas tout ce bruit, depuis dix minutes, dans la pièce voisine ? C'est "son" bruit ; il vient de rentrer de l'école.

Telle est Catherine en ce mois de juin 1970, tandis que s'achève le tournage de son nouveau film, "Peau d'âne" : ouverte et secrète à la fois, fort joyeuse dès qu'elle vous parle de son métier, silencieuse avec obstination lorsqu'il s'agit des détails de sa vie, des êtres qui pour elle comptent. Cette longue jeune fille blonde, qui connaît sur le plan professionnel un triomphe complet, il semble qu'il y ait quelque part en elle, flagrante, toujours tue, comme une très légère blessure, très insistante aussi. De la mort de sa sœur, Françoise Dorléac, qu'elle aimait profondément, elle ne parle jamais, à personne ; il est probable pourtant qu'elle y songe sans cesse, et ne l'accepte pas. Aux heures méchantes, aux minutes trop rudes de la vie, "je retourne à mon enfance", dit Catherine : sans doute alors est-ce à Françoise qu'elle pense, à leur adolescence enchantée, à leurs jeux fous, leurs cachotteries sacrées de petites filles. Et le sourire si joli et ambigu de Catherine, cette sorte de mystère en elle et autour d'elle, ses élans de vigueur, de violence et ses brusques retombées, ce côté "insaisissable" de sa personne, ne sont-ils pas, peut-être, une façon de nous dire : "Mais non, je ne souffre pas ! Quelle idée ! De quoi souffrirais-je ?". Cette phrase, le jour où je l'ai vue, Catherine ne l'a pas prononcée ; au moment où nous allions nous séparer, elle a dit :

La vie me fait peur, de plus en plus. Tout me paraît devenir, de mois en mois, plus dur : les gens, l'amour, tout, quoi. Oui, je suis beaucoup plus pessimiste qu'il y a cinq ans.

Et puis, comme pour oublier ces mots au plus vite, elle s'est mise à rire, d'un ton de réelle gaieté.


Par : Guy Abitan
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Films associés : Les parapluies de Cherbourg, Tristana

 



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