|
"Je souffre quand je dois rire
à l'écran" |
|
Conversation avec Catherine Deneuve, co-vedette (avec Jean-Paul
Belmondo) du film de François Truffaut qui sort cette semaine :
"La sirène du Mississippi". Catherine Deneuve est un
cas à part : à l'âge où les jeunes filles à
prétentions cinématographiques ne sont que des starlettes
ou même rien du tout, elle est non seulement une vedette française,
mais un personnage du cinéma à l'échelon international.
Elle est l'une des grandes actrices françaises à avoir eu
droit aux couvertures de magazines aussi prestigieux que "Life",
"Newsweek", "Look". Quand ils parlent d'elle, ses
admirateurs n'hésitent pas à verser dans le lyrisme. Son
dernier metteur en scène, Truffaut lui-même, a dit qu' "elle
est la sirène blonde dont le chant aurait inspiré Giraudoux".
D'autres, à court d'imagination, emploient plus prosaïquement
le terme de "star". Je lui pose la question :
Vous considérez-vous
comme une star ?
Non, je ne peux pas me définir ainsi. Pour moi, c'est un mot démodé.
Il fait partie du folklore américain des années trente.
Il reste encore quelques monstres sacrés. Il n'y en a qu'un en
France : c'est Brigitte Bardot.
De même que I'on dit qu'il
y a ou qu'il n'y a pas d'alternative au gaullisme, y a-t-il une alternative
au bardotisme, et êtes-vous cette alternative ?
Non, parce qu'il n'y aura pas d'autre Bardot. Elle est de ces personnes
qu'on aime ou qu'on n'aime pas. Ce sont des phénomènes de
maintenant, des choses qu'on brûle, mais qu'on ne remplace pas.
Ou, si on les remplace, c'est par quelque chose de complètement
différent.
On vous compare souvent à
Greta Garbo...
Sincèrement, je trouve cela très flatteur, mais un peu léger
: il ne suffit pas de refuser de parler de certaines choses, de vouloir
être tranquille lorsqu'on travaille, de ne pas mélanger vie
professionnelle et vie personnelle, et souhaiter voir le moins de journalistes
possible pour être comparé à Garbo. De plus, je n'aime
pas les comparaisons, sans doute parce que je suis orgueilleuse. Certes,
il y a des actrices que j'aime beaucoup, Katharine Hepburn, Lauren Bacall,
Marilyn Monroe, et, bien sûr, Greta Garbo - vous le voyez, elles
sont d'une autre génération - mais, en ce qui me concerne,
je voudrais être surtout "Deneuve".
On vous dit mystérieuse,
énigmatique, froide, impénétrable. Pourquoi ?
Ceux qui disent cela n'ont qu'une impression superficielle. J'essaie simplement
de me préserver de ce qui m'est odieux. II est évident que
je n'aime pas les gens qui se déshabillent moralement en public,
les déclarations choquantes, indécentes. C'est, sans doute,
à cause de cela qu'on me dit impénétrable. On parle
de mystère dès que quelqu'un refuse de répondre à
certaines questions. Il ne faut pas confondre le mystérieux et
l'étrange. Il y a des femmes qui parlent beaucoup, et qui restent
très mystérieuses.
Mais quand on parle de votre
côté froid, on fait allusion aussi à votre façon
de jouer.
Je sais, on me reproche beaucoup d'avoir un visage plutôt statique,
mais il y a une raison bien simple : quand on joue, on n'est pas différent
de ce qu'on est dans la vie. Si je joue ainsi, c'est que c'est vraiment
ma nature. J'aime assez le comique de situation, mais pas le comique d'expression.
Alors, quelquefois, vous devez
vous forcer pour certaines scènes ?
Bien sûr ! Ainsi, dans "La chamade", où il y a
une scène de fou-rire, j'ai vraiment souffert... C'est fou comme
il est plus difficile de rire que de pleurer...
Vous avez dit un jour : "Je
ne suis pas une vedette populaire"...
C'est vrai, je suis limitée et physiquement et moralement dans
ma façon de jouer... Je sens que, dans certains rôles, je
serais invraisemblable, parce que je suis une jeune fille bien élevée...
Je serais plutôt ce qu'on appelle "bon genre".
Vous arrivez donc à cette
sorte de miracle de ne pas être populaire et d'avoir pourtant une
dimension internationale. Comment l'expliquez-vous ?
Il n'y a pas d'explication. Il faut bien reconnaître que, maintenant,
il ne suffit pas d'être une bonne actrice pour avoir du succès.
C'est triste, mais c'est vrai. Pour ma part, je n'arrive pas à
voir le moment-clé où ma carrière a démarré
; peut-être avec "Les parapluies de Cherbourg", mais après
il y a eu tellement de hasards...

|
|