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"C'est
l'été de ma vie qui commence" |
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On dit : "Avez-vous vu le
dernier Deneuve" ? Comme on dit le dernier "Buñuel"
ou le dernier "Polanski". Sa présence dans un film attire
autant de spectateurs que le nom des prestigieux metteurs en scène
avec qui elle a tourné. A l'actif de Catherine Deneuve, depuis
1959, quarante et un films avec "March or die" ("Il était
une fois la légion") qui va sortir à Paris le 9 novembre.
Elle a eu 34 ans le 22 octobre : un âge qui est un tournant. Catherine,
baptisée "la plus belle femme du monde" par les Américains,
se cachait derrière ses triomphes de super-star internationale.
Pour la première fois, elle renonce à son mystère
et se confie à Paris Match.
J'ai toujours pensé que mon été
à moi, je le rencontrerais autour de trente-cinq ans. Ce n'est
même plus "bientôt", c'est "tout à l'heure".
La vie d'une femme est un peu comme une montagne... avec deux versants.
Lorsqu'on est arrivé en haut d'un versant, il faut savoir redescendre
l'autre. Je présume que ce n'est pas toujours facile. Quand on
est à la fois une femme et une actrice, on se doit de tenir compte
de son aspect physique, superficiel. Je n'aurais pas de difficulté
à vous indiquer le cas d'actrices dont le public accepte assez
mal qu'elles vieillissent au cinéma, et qui elles-mêmes ont
de sérieux problèmes de ce côté-là.
Ce qui pourrait supprimer d'une certaine façon cette affaire d'âge,
c'est la chose qui me semble la plus importante, une chose très
rare, presque un don : avoir une passion. La mienne ? Je crois que c'est
le cinéma. Ou, parfois, la photographie... C'est peut-être
la même chose. La photo est plus souple, plus rapide. Je me suis
lancée cette année en faisant des reportages sur des enfants
surdoués.
Feriez-vous passer cette passion
qui est aussi votre métier avant votre vie personnelle ?
Non. Ce qui compte pour moi et qui a toujours compté le plus, c'est
ma famille, ce refuge essentiel, ce nid. J'avais le goût de vivre
auprès de mes parents, de mes proches, de me replier sur mes souvenirs
d'enfance. Puis, peu à peu, ma préoccupation première
est devenue l'éducation de mes enfants : encore le même amour
de ma famille. Christian, le fils de Roger Vadim, est un grand et beau
jeune homme qui a eu quatorze ans au printemps dernier. Il est très
gai, doté de pas mal d'humour et je serai fière de l'avoir
bientôt pour compagnon de sortie... Je sais qu'il m'échappera
un jour et même je l'espère bien. Voir les gens heureux ça
me fait toujours plaisir - même s'ils le sont sans moi. Mais je
serais malheureuse s'il prenait le parti d'aller vivre loin, très
loin. Christian a une passion pour les animaux. J'ignore quelle forme
elle prendra. Mais plusieurs fois, il m'a dit qu'il aimerait s'occuper
d'animaux dans des réserves lointaines. Ce n'est, peut-être,
qu'un propos en l'air. J'ai aussi une petite fille, Chiara, née
le 28 mai 1972. Son père est Marcello Mastroianni. Dès l'âge
de trois ans, Chiara m'a troublée énormément : je
la voyais réfléchir, elle posait des questions, elle "réfléchissait"...
On a pu remarquer la présence
à vos côtés de plusieurs hommes. Jamais pourtant vous
ne les avez épousés, sauf l'un d'eux, et presque par "gag",
le photographe David Bailey. Pourquoi ces refus, ce choix ?
On peut vivre avec joie une saison de son existence auprès d'un
homme sans passer toute sa vie avec lui. Une femme qui a des enfants sait
qu'un homme les aime, et il y a parfois une sorte de compétition
entre elle et l'enfant pour l'amour de cet homme. Aussi a-t-on toujours
ce doute : est-ce à cause des enfants qu'un homme reste avec vous.
Lorsque je vivais avec le père de ma fille et que nous avons rompu,
j'ai été en pleine dépression. J'ai eu le sentiment
que c'était pire que de briser un mariage de dix ans. J'aime beaucoup
les hommes, j'aime beaucoup les enfants, mais je me suis rendu compte
que je n'étais pas faite pour cet impossible triangle. J'ai compris
après la naissance de Chiara que quelque chose était changé.
Sans doute était-ce moi qui avais changé ? Je pensais qu'il
valait mieux être franche et reconnaître que je n'étais
plus assez amoureuse du père de ma fille pour poursuivre notre
existence ensemble. Pourtant, pour la première fois, je me trouvais
dans une situation classique : vivre avec le père de mon enfant.
C'était quelque chose que je n'avais jamais connu. J'avais élevé
mon fils toute seule, quand j'étais très jeune. Le mariage,
c'est quoi ? Une institution. J'aime la vie, les gens, j'aime rire, j'ai
pour les enfants une admiration sans borne... Les institutions, elles,
m'ennuient. Je ne suis pas hostile au mariage, disons qu'il ne m'a jamais
intéressée. Et aujourd'hui, je serai catégorique
: il ne m'intéresse plus du tout, mais alors plus du tout. Quant
à ce mariage-éclair de 1965 avec David Bailey, ce ne fut
pas un gag, plutôt un élan, une impulsion. On a raconté
pas mal de sottises là-dessus. Ainsi, je me serais mariée
en blue-jean. Rien de plus faux. Je me suis mariée en robe. Pas
en robe blanche, mais en robe noire. Et ce détail a choqué
beaucoup de gens. Il paraît, allez deviner pourquoi, que le noir
n'est pas une couleur. Avec le blanc, c'est cependant ma couleur favorite.
François Truffaut écrit
de vous : "Belle, Catherine l'est en effet à tel point qu'un
film dont elle est la vedette pourrait se passer de raconter une histoire.
Je suis convaincu que le spectateur trouve son bonheur simplement à
regarder Catherine et que cette contemplation suffit à rembourser
le prix du ticket d'entrée". Pourtant, vous vous obstinez
à nier, à votre propos, le mot de beauté.
Je ne considère pas que je sois belle. Jolie peut-être, mais
non pas belle. La beauté, ce n'est pas moi, c'est autre chose.
Le critique du Time Magazine
qui a vu votre film "March or die" parle d'un phénomène
déroutant, comme si l'on avait affaire non pas à la seule
et séduisante Catherine Deneuve mais à plusieurs Deneuve,
toutes charmeuses mais aussi génératrices d'ambiguïtés,
de mystère. Seriez-vous multiple ?
Oh, je dois être au moins "double", qui sait ?

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