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Catherine Deneuve, êtes-vous
féministe ? Bien entendu ! |
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Elle offre l'image d'une certaine
fragilité. Elle appelle la protection masculine. C'est peut-être
vrai au cinéma. Dans la vie, Catherine Deneuve mène sa barque
avec détermination et rigueur. Elle se dit et se veut libérée,
et elle s'explique à ce propos.
Catherine Deneuve m'ouvre elle-même
la porte de son appartement, un enfant sur les bras. Sa blondeur transparente
se polarise, entière, dans ses cheveux en raison des lumières
qu'elle vient d'allumer derrière elle dans le salon. Non, ce n'est
pas du cinéma. Elle ne flotte plus dans la sphère abstraite
d'une salle obscure et d'un écran. Elle détache avec tendresse
les petits bras de sa dernière fille, trop étroitement noués
autour de son cou, pour me recevoir. Elle me dit bonjour. Elle sourit.
Elle existe enfin, charnelle, épanouie.
Oui, elle est très belle.
Plus capiteuse que son image de star. Avec de grandes jambes dans un pantalon
éléphant, des hanches dessinées, une poitrine haute
encore arrondie par un pull-over à grosses mailles, au large décolleté.
On m'avait dit : "Deneuve
? Hum... difficile !" J'aime les gens que j'ai choisis, difficiles
ou pas. Les autres d'ailleurs se trompent. Les hommes surtout en matière
de femmes. Ce qui les attire chez Catherine Deneuve à l'écran
? La blondeur et la fragilité faites femme, sur laquelle - ils
en rêvent ! - ils pourraient exercer leur mâle pouvoir de
domination et de protection. Drôle, très drôle !
Votre époque, Catherine
Deneuve, vous convient-elle ? Etes-vous quelqu'un de moderne ? N'avez-vous
aucune nostalgie de certains moments de l'Histoire ?
Non, vraiment pas. Je suis quelqu'un d'aujourd'hui. Une femme concernée
par le vingtième siècle. Même si j'ai le goût
du traditionnel, de la province, de la campagne, des enfants, de l'amitié,
je me sens parfaitement à l'aise dans le monde actuel. C'est une
époque de transition passionnante. J'assume les difficultés
particulières d'une génération de femmes qui ont
encore besoin de s'affirmer pour acquérir la place qui leur revient
mais, c'est intéressant de lutter, de conquérir cette place.
Dans vingt ans - il faut le temps d'une génération complète
- (elle réfléchit les yeux levés), j'aurai... cinquante
ans. Ça ira, je verrai, je l'espère, une époque où
les relations humaines - surtout les rapports hommes-femmes - auront sans
doute complètement changé. C'est évident qu'ils doivent
changer.
Bien avant cette prise de conscience
d'une certaine masse de femmes qui ont uvré ces dernières
années pour ce que l'on nomme la libération de la femme,
vous avez été, vous, Catherine Deneuve, une sorte de pionnière
; vous avez montré que vous vous sentiez le droit de disposer de
vous-même ; vous avez été indépendante vis-à-vis
des hommes, courageuse à prouver, au sein d'une société
entravée par ses préjugés et ses tabous, que vous
entendiez vous assumer entièrement : être femme, amante,
mère, comédienne, sans avoir de comptes à rendre
sur votre façon de vivre. Ce qui semble une détermination,
en est-elle vraiment une ou est-ce le hasard de la vie qui vous a contrainte
à cette conduite ?
J'ai toujours eu le privilège d'avoir mon indépendance financière.
C'est le début et la première des libertés pour la
femme. Je n'ai jamais travaillé dans le seul but de gagner de l'argent
mais, depuis le début de ma carrière, celui-ci m'a assuré
totalement cette indépendance. Je ne sais pas vraiment ce que j'aurais
fait si j'avais été obligée de travailler pour élever
mon fils. Il faut donc que je sois très honnête sur ce sujet.
Disons que j'ai des rapports très naturels avec l'argent comme
avec les hommes d'ailleurs. Les rapports humains doivent comporter ces
échanges à égalité en matière de sexe.
Cela devrait être toujours possible. Etant égoïste,
je me demande si j'aurais pu faire un travail plus difficile. Je suis
incapable de me violenter pour faire des choses que je n'aime pas. La
question ne s'est pas posée. C'est tout. D'une certaine manière,
je ne mérite pas les louanges que l'on veut bien m'accorder en
ce domaine.
Je crois, cependant, que vous
avez ri au nez de Vadim (c'est tout au moins ce qu'une certaine opinion
imagine et le souvenir que j'en ai) quand il vous a demandé de
l'épouser. Aviez-vous, à ce moment-là, quelque chose
contre le mariage et, aujourd'hui, pensez-vous que ce soit plus que jamais
une institution démodée ?
Je n'ai pas ri au nez de Vadim : c'est absolument faux. Simplement, je
n'ai pas trouvé, à ce moment-là, le mariage indispensable.
Avoir un enfant sans être mariée, je l'ai vraiment voulu.
Je n'ai pas pensé à l'opinion publique. J'estime que mes
décisions dans le domaine privé n'appartiennent qu'à
moi.
Etes-vous, malgré votre
choix courageux, fragile vis-à-vis des autres, de la société
en général et des hommes en particulier ? Ou vous sentez-vous
parfaitement armée vis-à-vis d'eux ?
Je suis plus déterminée lorsque j'en parle que je ne le
suis en réalité. Je suis plutôt fragile, impulsive,
c'est facile à déceler. Mais je ne me trouve pas plus en
difficulté devant un homme que devant une femme. Tout est question
d'état d'esprit, de disponibilité, de concessions. Je ne
suis ni pour ni contre le mariage. Je suis seulement pour les attachements
réussis et contre tout ce qui tente artificiellement de solidifier
des liens à vie pour le malheur de l'un ou de l'autre ou des deux
antagonistes. Je veux que l'autre puisse partir en toute liberté
s'il n'est pas heureux. C'est faire preuve d'une exigence très
supérieure à toute autre en matière d'amour. Cela
n'empêche pas le mariage de rester une chose extraordinaire au vrai
sens du terme. Il deviendra de plus en plus romantique. Cet état,
à mon avis exceptionnel, ne m'a pas tenté dans les circonstances
où il s'est offert à moi. C'est tout. Il est un fait certain
: dans le domaine du commun, cette institution tentera de plus en plus
à disparaître.
Catherine Deneuve, êtes-vous
féministe au vrai sens du terme ?
Bien entendu. Même sans militer, on ne peut pas ne pas l'être.
Il est indispensable de se sentir concernée puisqu'on l'est implicitement.
Je n'ai pas besoin de vous dire comment je juge les femmes qui ne le sont
pas. Beaucoup restent sous-développées. Elles ne doivent
plus l'être. Elles doivent atteindre, enfin, la maturité
pour une vie plus humaine et plus heureuse.
N'avez-vous pas malgré
tout, sans militer, le désir de jouer vous-même un rôle
actif dans l'évolution de cette société, en particulier
en ce qui concerne les relations hommes-femmes ?
C'est une question personnelle que toutes les femmes, un peu sensées,
se posent. J'en suis très consciente. Mais déjà nous
sommes nous, à trente ans, débordées par une nouvelle
génération qui, elle, ne se pose même plus la question.
En ce sens. Dieu merci, nous sommes déjà démodées.
Vous avez été
mère deux fois, l'avez-vous désiré ? Etait-ce à
votre avis très important dans la vie d'une femme et dans la vôtre
?
C'est la seule expérience irremplaçable, un accomplissement
; également une joie égoïste avec comme résultat
deux enfants vraiment désirés.
Cette expérience vous
a-t-elle changée et votre deuxième maternité a-t-elle
été très différente de la première
?
La deuxième a été plus belle et plus réussie.
J'étais extrêmement jeune quand j'ai eu mon fils. Je n'ai
peut-être pas alors mesuré toute l'importance de cette naissance.
Pour ma fille, j'étais plus consciente, mieux préparée,
l'ambiance était extraordinaire, l'atmosphère très
familiale. C'est notre médecin de famille qui m'a accouchée.
Un homme sensationnel pour qui j'ai une très grande admiration
et en qui j'ai une confiance totale. Et puis, j'ai vu naître ma
fille, ce qui n'avait pas été le cas pour mon premier bébé.
Et ça, c'est la chose la plus fantastique du monde.
Il n'y a pas de rivalité
entre vos enfants ?
Ce ne serait pas tout à fait normal s'il n'y en avait pas. Mon
fils, qui a douze ans, n'a pas encore complètement accepté
l'intrusion de sa petite sur. Il est forcément un peu jaloux.
Quand elle sera en âge d'être sous sa protection, quand elle
ne sera plus un bébé, cela changera sans doute.
Une femme comme vous peut-elle
allègrement mener tout de front : sa carrière et l'éducation
de ses enfants, tout en conservant à sa vie personnelle, à
sa vie de femme, suffisamment d'attention et de liberté ?
J'essaie d'organiser ma vie. Je suis très maternelle et il y a
des moments où je souffre d'être obligée pour mon
travail de m'éloigner de mes enfants. Mais je sais que je n'irai
plus au bout du monde, que je ne m'embarquerai pas sur un voilier pour
partir à l'aventure, que je ne serai ni hippie ni droguée,
parce que j'aime mes enfants et que rester auprès d'eux, les aimer,
les entourer, me semble désormais important pour eux et pour moi.
Vous avez vécu, Catherine
Deneuve, avec un Anglais et un Italien : n'est-ce pas un problème
supplémentaire en matière de couple de tomber amoureuse
d'un étranger ? Catherine éclate
de rire comme si cette constatation résultait de circonstances
et de faits qu'elle juge, aujourd'hui, les plus incongrus du monde. Elle
semble soudain juger avec des yeux différents ses emballements
et ses amours, non sans un humour certain. Une pointe aussi de mélancolie
pour jauger cette "ferveur" retombée dont parlait Gide.
C'est arrivé comme ça. Je n'ai pas d'explication à
ces choix successifs. Je suis vulnérable au coup de foudre. Mais
le problème de langage et de communication est un handicap redoutable
pour l'entente d'un couple. C'est vrai.
Qu'est-ce que l'amour pour vous
Catherine Deneuve ?
Il est à mes yeux si vaste, qu'il est bien difficile à définir.
C'est une façon d'appréhender la vie. C'est pour moi une
faculté à la fois émotionnelle et passionnelle. Aimer
est pourtant un choix, une joie pleine, irrésistible. Aussi un
don de soi, une curiosité des autres. Je crois pouvoir ajouter
que, malgré tout, je suis assez égoïste. Mais, en fin
de compte, c'est aussi une grande force.
De savoir aimer ou d'être
égoïste ?
Les deux ont un étrange pouvoir.
Etes-vous plus mère qu'amante
?
Pour l'instant, oui, peut-être.
Vous ne vivez plus avec Marcello
Mastroianni ?
Nous sommes séparés. Notre vie commune s'est soldée
par un échec et... je n'aime pas les échecs. Ne pas avoir
la même éducation, les mêmes racines, la même
langue, oui que d'écueils...
Catherine Deneuve est devenue très grave soudain.
Elle est émue, et je ne suis pas loin de penser que cet échec
est un vrai chagrin. Une ombre passe sur son visage. Sa voix change.
De plus, par rapport à ma fille, je n'ai pas
cet échec.
L'amour, en fin de compte, n'est-il
pas toujours un échec puisqu'il ne sait en aucun cas être
parfait, mais en même temps ne reste-t-il pas un enrichissement
même s'il est en fin de compte douloureux ?
Toutes les souffrances enrichissent. Mais mieux vaut souffrir d'avoir
aimé que de ne pas connaître l'amour. Heureusement, sans
être gaie dans la vie, je suis saine et équilibrée.
Suffisamment pour faire de l'autocritique. Je me sens responsable aujourd'hui
de cet échec surtout en raison de l'enfant.
Est-il si difficile aujourd'hui
d'être une mère célibataire ?
Ce n'est pas pour moi, vous le savez, un problème financier. Il
s'agit évidemment d'autres choses : le patronyme, l'absence du
père, la responsabilité de ce choix, mettre une unique signature
au bas d'un carnet de notes, etc... Tous ces détails sont autant
de problèmes pour l'enfant. Mais je suis pour la lucidité
quel qu'en soit le prix. Même si je me suis trompée, il y
a eu toutes ces heures, tous ces mois de complicité et en fin de
compte de bonheur. Le fait de n'être pas mariée est évidemment
plus dangereux, mais tellement plus excitant. En définitive, je
ne pourrai pas m'habituer à l'idée que quelqu'un ne pourrait
pas me quitter ou que je ne pourrai pas le faire moi-même en raison
d'un contrat sur le papier. C'est une difficulté supplémentaire,
un risque, une tentative périlleuse mais tellement fantastique
si elle réussit !
Vos relations se poursuivent-elles
avec Vadim et Marcello Mastroianni en raison de vos enfants ?
Oui, bien sûr, mais de loin en loin. Mon fils aîné
ne voit pas tellement son père. Il est lui-même très
occupé, il voyage beaucoup. Il a lui-même quatre enfants.
Pensez-vous, Catherine Deneuve,
que vous deviendrez en amour quelqu'un de plus sage ?
L'expérience évidemment assagit, mais j'ai trente ans et
je ne changerai pas de nature. J'ai toujours les mêmes réactions.
Je ne pense pas que les années pourront m'enlever la foi dans les
êtres et ce don de l'emballement que j'ai envers et contre tout.
J'aime le hasard, le dérisoire, le désinvolte, l'insolite
dans la vie, comme je l'aime au cinéma.
Le soir est totalement tombé.
Il est tard. Les lumières mouillées de la ville filtrent
avec d'étranges reflets sous les petites lattes de bambou qui voilent
à la chinoise l'immense baie vitrée surplombant du quatrième
étage l'une des plus belles avenues de Paris. Dans la pièce
contiguë au salon tranquille où nous nous entretenons, on
entend les enfants qui regardent la télévision. Catherine
dit : "D'habitude, je déteste les entrevues, mais avec vous
cela n'en était plus une. J'ai beaucoup aimé bavarder".
Je lui confie que je suis invitée à dîner. Elle me
propose d'appeler un taxi et me dit soudain : "Ce soir, exceptionnellement,
je regarderai le programme T.V.".
En arrivant chez mes amis, par hasard, j'ai aperçu
le début du film sur le petit écran : on passait "Camarades",
un film italien avec, au générique... Marcello Mastroianni.

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Par : Anne Germain
Photos :
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