Ses interviews / Presse 1960-79 / Le Soir Illustré 1974
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Catherine Deneuve, êtes-vous féministe ? Bien entendu !

Elle offre l'image d'une certaine fragilité. Elle appelle la protection masculine. C'est peut-être vrai au cinéma. Dans la vie, Catherine Deneuve mène sa barque avec détermination et rigueur. Elle se dit et se veut libérée, et elle s'explique à ce propos.

Catherine Deneuve m'ouvre elle-même la porte de son appartement, un enfant sur les bras. Sa blondeur transparente se polarise, entière, dans ses cheveux en raison des lumières qu'elle vient d'allumer derrière elle dans le salon. Non, ce n'est pas du cinéma. Elle ne flotte plus dans la sphère abstraite d'une salle obscure et d'un écran. Elle détache avec tendresse les petits bras de sa dernière fille, trop étroitement noués autour de son cou, pour me recevoir. Elle me dit bonjour. Elle sourit. Elle existe enfin, charnelle, épanouie.

Oui, elle est très belle. Plus capiteuse que son image de star. Avec de grandes jambes dans un pantalon éléphant, des hanches dessinées, une poitrine haute encore arrondie par un pull-over à grosses mailles, au large décolleté.

On m'avait dit : "Deneuve ? Hum... difficile !" J'aime les gens que j'ai choisis, difficiles ou pas. Les autres d'ailleurs se trompent. Les hommes surtout en matière de femmes. Ce qui les attire chez Catherine Deneuve à l'écran ? La blondeur et la fragilité faites femme, sur laquelle - ils en rêvent ! - ils pourraient exercer leur mâle pouvoir de domination et de protection. Drôle, très drôle !

Votre époque, Catherine Deneuve, vous convient-elle ? Etes-vous quelqu'un de moderne ? N'avez-vous aucune nostalgie de certains moments de l'Histoire ?
Non, vraiment pas. Je suis quelqu'un d'aujourd'hui. Une femme concernée par le vingtième siècle. Même si j'ai le goût du traditionnel, de la province, de la campagne, des enfants, de l'amitié, je me sens parfaitement à l'aise dans le monde actuel. C'est une époque de transition passionnante. J'assume les difficultés particulières d'une génération de femmes qui ont encore besoin de s'affirmer pour acquérir la place qui leur revient mais, c'est intéressant de lutter, de conquérir cette place. Dans vingt ans - il faut le temps d'une génération complète - (elle réfléchit les yeux levés), j'aurai... cinquante ans. Ça ira, je verrai, je l'espère, une époque où les relations humaines - surtout les rapports hommes-femmes - auront sans doute complètement changé. C'est évident qu'ils doivent changer.

Bien avant cette prise de conscience d'une certaine masse de femmes qui ont œuvré ces dernières années pour ce que l'on nomme la libération de la femme, vous avez été, vous, Catherine Deneuve, une sorte de pionnière ; vous avez montré que vous vous sentiez le droit de disposer de vous-même ; vous avez été indépendante vis-à-vis des hommes, courageuse à prouver, au sein d'une société entravée par ses préjugés et ses tabous, que vous entendiez vous assumer entièrement : être femme, amante, mère, comédienne, sans avoir de comptes à rendre sur votre façon de vivre. Ce qui semble une détermination, en est-elle vraiment une ou est-ce le hasard de la vie qui vous a contrainte à cette conduite ?
J'ai toujours eu le privilège d'avoir mon indépendance financière. C'est le début et la première des libertés pour la femme. Je n'ai jamais travaillé dans le seul but de gagner de l'argent mais, depuis le début de ma carrière, celui-ci m'a assuré totalement cette indépendance. Je ne sais pas vraiment ce que j'aurais fait si j'avais été obligée de travailler pour élever mon fils. Il faut donc que je sois très honnête sur ce sujet. Disons que j'ai des rapports très naturels avec l'argent comme avec les hommes d'ailleurs. Les rapports humains doivent comporter ces échanges à égalité en matière de sexe. Cela devrait être toujours possible. Etant égoïste, je me demande si j'aurais pu faire un travail plus difficile. Je suis incapable de me violenter pour faire des choses que je n'aime pas. La question ne s'est pas posée. C'est tout. D'une certaine manière, je ne mérite pas les louanges que l'on veut bien m'accorder en ce domaine.

Je crois, cependant, que vous avez ri au nez de Vadim (c'est tout au moins ce qu'une certaine opinion imagine et le souvenir que j'en ai) quand il vous a demandé de l'épouser. Aviez-vous, à ce moment-là, quelque chose contre le mariage et, aujourd'hui, pensez-vous que ce soit plus que jamais une institution démodée ?
Je n'ai pas ri au nez de Vadim : c'est absolument faux. Simplement, je n'ai pas trouvé, à ce moment-là, le mariage indispensable. Avoir un enfant sans être mariée, je l'ai vraiment voulu. Je n'ai pas pensé à l'opinion publique. J'estime que mes décisions dans le domaine privé n'appartiennent qu'à moi.

Etes-vous, malgré votre choix courageux, fragile vis-à-vis des autres, de la société en général et des hommes en particulier ? Ou vous sentez-vous parfaitement armée vis-à-vis d'eux ?
Je suis plus déterminée lorsque j'en parle que je ne le suis en réalité. Je suis plutôt fragile, impulsive, c'est facile à déceler. Mais je ne me trouve pas plus en difficulté devant un homme que devant une femme. Tout est question d'état d'esprit, de disponibilité, de concessions. Je ne suis ni pour ni contre le mariage. Je suis seulement pour les attachements réussis et contre tout ce qui tente artificiellement de solidifier des liens à vie pour le malheur de l'un ou de l'autre ou des deux antagonistes. Je veux que l'autre puisse partir en toute liberté s'il n'est pas heureux. C'est faire preuve d'une exigence très supérieure à toute autre en matière d'amour. Cela n'empêche pas le mariage de rester une chose extraordinaire au vrai sens du terme. Il deviendra de plus en plus romantique. Cet état, à mon avis exceptionnel, ne m'a pas tenté dans les circonstances où il s'est offert à moi. C'est tout. Il est un fait certain : dans le domaine du commun, cette institution tentera de plus en plus à disparaître.

Catherine Deneuve, êtes-vous féministe au vrai sens du terme ?
Bien entendu. Même sans militer, on ne peut pas ne pas l'être. Il est indispensable de se sentir concernée puisqu'on l'est implicitement. Je n'ai pas besoin de vous dire comment je juge les femmes qui ne le sont pas. Beaucoup restent sous-développées. Elles ne doivent plus l'être. Elles doivent atteindre, enfin, la maturité pour une vie plus humaine et plus heureuse.

N'avez-vous pas malgré tout, sans militer, le désir de jouer vous-même un rôle actif dans l'évolution de cette société, en particulier en ce qui concerne les relations hommes-femmes ?
C'est une question personnelle que toutes les femmes, un peu sensées, se posent. J'en suis très consciente. Mais déjà nous sommes nous, à trente ans, débordées par une nouvelle génération qui, elle, ne se pose même plus la question. En ce sens. Dieu merci, nous sommes déjà démodées.

Vous avez été mère deux fois, l'avez-vous désiré ? Etait-ce à votre avis très important dans la vie d'une femme et dans la vôtre ?
C'est la seule expérience irremplaçable, un accomplissement ; également une joie égoïste avec comme résultat deux enfants vraiment désirés.

Cette expérience vous a-t-elle changée et votre deuxième maternité a-t-elle été très différente de la première ?
La deuxième a été plus belle et plus réussie. J'étais extrêmement jeune quand j'ai eu mon fils. Je n'ai peut-être pas alors mesuré toute l'importance de cette naissance. Pour ma fille, j'étais plus consciente, mieux préparée, l'ambiance était extraordinaire, l'atmosphère très familiale. C'est notre médecin de famille qui m'a accouchée. Un homme sensationnel pour qui j'ai une très grande admiration et en qui j'ai une confiance totale. Et puis, j'ai vu naître ma fille, ce qui n'avait pas été le cas pour mon premier bébé. Et ça, c'est la chose la plus fantastique du monde.

Il n'y a pas de rivalité entre vos enfants ?
Ce ne serait pas tout à fait normal s'il n'y en avait pas. Mon fils, qui a douze ans, n'a pas encore complètement accepté l'intrusion de sa petite sœur. Il est forcément un peu jaloux. Quand elle sera en âge d'être sous sa protection, quand elle ne sera plus un bébé, cela changera sans doute.

Une femme comme vous peut-elle allègrement mener tout de front : sa carrière et l'éducation de ses enfants, tout en conservant à sa vie personnelle, à sa vie de femme, suffisamment d'attention et de liberté ?
J'essaie d'organiser ma vie. Je suis très maternelle et il y a des moments où je souffre d'être obligée pour mon travail de m'éloigner de mes enfants. Mais je sais que je n'irai plus au bout du monde, que je ne m'embarquerai pas sur un voilier pour partir à l'aventure, que je ne serai ni hippie ni droguée, parce que j'aime mes enfants et que rester auprès d'eux, les aimer, les entourer, me semble désormais important pour eux et pour moi.

Vous avez vécu, Catherine Deneuve, avec un Anglais et un Italien : n'est-ce pas un problème supplémentaire en matière de couple de tomber amoureuse d'un étranger ? Catherine éclate de rire comme si cette constatation résultait de circonstances et de faits qu'elle juge, aujourd'hui, les plus incongrus du monde. Elle semble soudain juger avec des yeux différents ses emballements et ses amours, non sans un humour certain. Une pointe aussi de mélancolie pour jauger cette "ferveur" retombée dont parlait Gide.
C'est arrivé comme ça. Je n'ai pas d'explication à ces choix successifs. Je suis vulnérable au coup de foudre. Mais le problème de langage et de communication est un handicap redoutable pour l'entente d'un couple. C'est vrai.

Qu'est-ce que l'amour pour vous Catherine Deneuve ?
Il est à mes yeux si vaste, qu'il est bien difficile à définir. C'est une façon d'appréhender la vie. C'est pour moi une faculté à la fois émotionnelle et passionnelle. Aimer est pourtant un choix, une joie pleine, irrésistible. Aussi un don de soi, une curiosité des autres. Je crois pouvoir ajouter que, malgré tout, je suis assez égoïste. Mais, en fin de compte, c'est aussi une grande force.

De savoir aimer ou d'être égoïste ?
Les deux ont un étrange pouvoir.

Etes-vous plus mère qu'amante ?
Pour l'instant, oui, peut-être.

Vous ne vivez plus avec Marcello Mastroianni ?
Nous sommes séparés. Notre vie commune s'est soldée par un échec et... je n'aime pas les échecs. Ne pas avoir la même éducation, les mêmes racines, la même langue, oui que d'écueils...

Catherine Deneuve est devenue très grave soudain. Elle est émue, et je ne suis pas loin de penser que cet échec est un vrai chagrin. Une ombre passe sur son visage. Sa voix change.

De plus, par rapport à ma fille, je n'ai pas cet échec.

L'amour, en fin de compte, n'est-il pas toujours un échec puisqu'il ne sait en aucun cas être parfait, mais en même temps ne reste-t-il pas un enrichissement même s'il est en fin de compte douloureux ?
Toutes les souffrances enrichissent. Mais mieux vaut souffrir d'avoir aimé que de ne pas connaître l'amour. Heureusement, sans être gaie dans la vie, je suis saine et équilibrée. Suffisamment pour faire de l'autocritique. Je me sens responsable aujourd'hui de cet échec surtout en raison de l'enfant.

Est-il si difficile aujourd'hui d'être une mère célibataire ?
Ce n'est pas pour moi, vous le savez, un problème financier. Il s'agit évidemment d'autres choses : le patronyme, l'absence du père, la responsabilité de ce choix, mettre une unique signature au bas d'un carnet de notes, etc... Tous ces détails sont autant de problèmes pour l'enfant. Mais je suis pour la lucidité quel qu'en soit le prix. Même si je me suis trompée, il y a eu toutes ces heures, tous ces mois de complicité et en fin de compte de bonheur. Le fait de n'être pas mariée est évidemment plus dangereux, mais tellement plus excitant. En définitive, je ne pourrai pas m'habituer à l'idée que quelqu'un ne pourrait pas me quitter ou que je ne pourrai pas le faire moi-même en raison d'un contrat sur le papier. C'est une difficulté supplémentaire, un risque, une tentative périlleuse mais tellement fantastique si elle réussit !

Vos relations se poursuivent-elles avec Vadim et Marcello Mastroianni en raison de vos enfants ?
Oui, bien sûr, mais de loin en loin. Mon fils aîné ne voit pas tellement son père. Il est lui-même très occupé, il voyage beaucoup. Il a lui-même quatre enfants.

Pensez-vous, Catherine Deneuve, que vous deviendrez en amour quelqu'un de plus sage ?
L'expérience évidemment assagit, mais j'ai trente ans et je ne changerai pas de nature. J'ai toujours les mêmes réactions. Je ne pense pas que les années pourront m'enlever la foi dans les êtres et ce don de l'emballement que j'ai envers et contre tout. J'aime le hasard, le dérisoire, le désinvolte, l'insolite dans la vie, comme je l'aime au cinéma.

Le soir est totalement tombé. Il est tard. Les lumières mouillées de la ville filtrent avec d'étranges reflets sous les petites lattes de bambou qui voilent à la chinoise l'immense baie vitrée surplombant du quatrième étage l'une des plus belles avenues de Paris. Dans la pièce contiguë au salon tranquille où nous nous entretenons, on entend les enfants qui regardent la télévision. Catherine dit : "D'habitude, je déteste les entrevues, mais avec vous cela n'en était plus une. J'ai beaucoup aimé bavarder". Je lui confie que je suis invitée à dîner. Elle me propose d'appeler un taxi et me dit soudain : "Ce soir, exceptionnellement, je regarderai le programme T.V.".

En arrivant chez mes amis, par hasard, j'ai aperçu le début du film sur le petit écran : on passait "Camarades", un film italien avec, au générique... Marcello Mastroianni.


Par : Anne Germain
Photos :


Film associé :

Catherine Deneuve avec sa fille Chiara - photo David Bailey



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