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Catherine Deneuve vue par elle-même

Catherine Deneuve se méfie de ce que les journalistes peuvent lui faire dire. Elle a préféré parler personnellement de ses films, de ses amours, d'elle-même. Cet autoportrait est celui d'une jeune femme qui, tout en sachant très bien ce qu'elle veut, préfère se laisser guider par les circonstances. Pour avoir saisi toutes ses chances, elle s'est retrouvée vedette, un peu par hasard.

J'ai toujours été très indépendante et, mieux vaut l'indiquer tout de suite, j'essaie toujours, lorsque l'on m'interroge, d'être le plus directe et le plus franche possible. Sur certains points, cependant, je préfère demeurer évasive, elliptique - ou simplement réservée. C'est ma nature, et je ne crois pas que l'on change de nature à son gré.

Ce qui vous est trop personnel, il arrive que cela vous brûle un peu et, que pour en parler, on manque de recul et de la réflexion souhaitable.

Je n'ai jamais eu de "vocation" pour le métier que je fais et qui, maintenant je l'avoue, me passionne. Le hasard m'a amenée, très tôt dans la vie, à réfléchir, à faire des choix. Quant aux conséquences de tel ou tel choix, c'est, le plus souvent, affaire de chance et de circonstances - surtout lorsque l'on fait du cinéma !

Il y a des rencontres, il y a des incidents ; il peut y avoir des choses que l'on s'était promis de réaliser depuis longtemps, et d'autres, inattendues, qui surgissent d'un coup et vous séduisent.

Je ne pense pas qu'on puisse diriger sa carrière quand on est comédien : il faut très bien savoir ce que l'on ne veut pas faire. Ce que l'on veut faire, en revanche, reste souvent flou. Il faut savoir qu'il y a des rôles qu'on ne doit pas accepter, qui ne vous conviendront jamais. C'est une discipline plus dure qu'on imagine.

C'est par approche, par "petites touches" qu'une actrice commence à se cerner, à savoir ce qu'elle est et peut entreprendre. En affirmant cela, je ne parle que pour moi-même. Je ne fait état que de ma propre expérience, je n'énonce pas une "loi".

UNE ENFANCE HEUREUSE

Quel bonheur, une enfance comme la mienne ! Je l'ai vécue entourée de mon père, Maurice Dorléac, comédien, ma mère (née Deneuve), et mes trois sœurs. J'en garde le souvenir d'une période où tout me fut charmant, un peu fou, souvent drôle. Imaginez le nombre d'éclats de voix, d'instants de rire, de "grands secrets" murmurés, lorsqu'il y a quatre filles dans une famille.

Je suis née le 22 octobre 1943 dans une délicieuse maison du seizième arrondissement de Paris, maison où chacun aimait chacun, où chacun avait le souci le plus haut de l'individualité (je veux dire : de la sienne comme de celle d'autrui) et c'est là, peu à peu, que j'ai grandi.

Ce n'est un secret pour personne : je me suis découvert très vite toutes sortes d'affinités avec ma sœur aînée, Françoise.

J'ai le souvenir de formidables vacances passées avec elle, l'été, lors de mes "congés scolaires". Nous voyagions ensemble, allions à l'étranger.

Je me souviens qu'un jour, où peut-être je l'avais taquinée plus que d'ordinaire, Françoise - âgée alors de dix ans - entra dans une véritable colère : terrifiante ! Petites filles, nous ne cessions de trouver mille motifs pour nous disputer, nous chamailler. Cette fois-là, elle se précipita vers moi, les ongles en avant, avec une fougue de tigresse et se mit à me tirer les cheveux rageusement, "comme une folle".

Voilà, ce n'est rien - juste une image enfouie loin en moi, juste un souvenir resurgi d'un coup, comme ça, de cette saison d'enfance, exceptionnellement sereine et douce...

Mes parents m'ont toujours tenue à l'écart des scènes de théâtre où j'aurais pu les voir exercer leur métier. Craignaient-ils, pour leurs filles, qu'elles fussent séduites par la désinvolture apparente d'une activité et d'un milieu dont ils connaissaient, eux, la sévérité ? Je ne sais.

Un beau matin, Françoise, d'un air rayonnant, mit quelques affaires dans une valise et s'en fut jouer à travers la France, avec un réel succès, le rôle principal de la pièce de Colette, "Gigi". C'était fait : il y avait, désormais, une nouvelle actrice dans la famille !

Le succès, quasi-immédiat, qu'elle connut, au théâtre d'abord, dut, en tout cas, rassurer mes parents : ils se montrèrent profondément émus, joyeux même, des premiers coups d'éclat de la comédienne Françoise Dorléac, leur fille...

Un soir de juin 59 (je n'avais pas encore 16 ans), Françoise arrive à la maison très excitée. Je ne songeais qu'aux vacances proches, après une année de "seconde" au lycée La Fontaine.

Ma sœur avait à me parler. C'était important, pressant...

- Ecoute, Catherine, j'aimerais te faire rencontrer le producteur du film que je vais bientôt tourner, "Les portes claquent".
- Mais pourquoi veux-tu que je voie ce monsieur ?

Françoise aimait que les choses fussent "vite réglées". Elle ne supportait pas qu'on fît semblant de ne pas comprendre ce qui - pour elle - tenait de l'évidence. A la fois énervée et rieuse, elle m'expliqua ceci :

- C'est très simple, les deux principaux personnages du film sont deux sœurs qui s'adorent et se battent tout le temps. La deuxième comédienne n'est pas encore désignée : j'ai pensé à toi.

C'était simple, en effet. Mais je n'avais jamais songé encore à jouer la comédie.

M'entraînant d'autorité dans sonsillage, et dans ce monde du spectacle où elle évoluait, elle, avec une désinvolture maîtresse, Françoise venait de provoquer en moi un trouble : étais-je faite pour ce métier ? N'était-ce pas là le risque d'une voie fausse, voire d'un chemin sans issue ?

Je l'affirme, aujourd'hui, comme, déjà, je l'éprouvais à l'âge de seize ans : on a quelquefois des envies qui ne sont que des compensations, et il importe d'y prendre garde.

Le film dans lequel Françoise m'avait fait engager était à peine sorti, voici qu'un réalisateur nommé Jean-Gérard Cornu m'adresse te scénario d'un film qu'il a déjà entrepris de mettre en scène, "L'homme à femmes" ; il me demande de lui faire savoir assez rapidement si je veux, ou non, y tenir un rôle, face à l'acteur américain Mel Ferrer (une... célébrité !).

Je demande tout de suite son avis à Françoise.

- Fais ce qu'il te plaira, me dit-elle. A mon avis, tu as tout pour devenir une actrice ; tu es jolie, tu es vive et tu as pour toi une chose qui ne s'acquiert pas : tu es légère. Si ça t'amuse, laisse passer ta chance. L'école, c'est très intéressant, après tout. Et tu n'as pas dix-sept ans.

"Laisse passer ta chance". Que voulait-elle, par ces mots, m'indiquer ? J'ai toujours été intimement curieuse d'autrui. Bien sûr, l'atmosphère d'un plateau de cinéma ne pouvait qu'exciter mon imagination. J'avais là, devant moi, un extraordinaire terrain d'observation.

Mais je dois dire que je n'étais pas du tout sure de moi, pas du tout sure de pouvoir accomplir quelque chose de solide, de positif.

Je suis entrée comme à reculons, dans un monde qui, à la fois, m'attirait et m'effrayait.

Dans la quasi-inconscience de mes dix-sept ans, je ne me rendais pas vraiment compte qu'on s'était mis à m'observer moi aussi ; j'avais besoin d'une secousse et d'une impulsion assez fortes pour me contraindre à faire le "pas en avant" qu'on me suggérait.

En somme, j'avais besoin d'une rencontre.

Cette rencontre eut lieu.

En la personne d'un cinéaste déjà fort connu et dont, en 1960, la censure avait retenu plusieurs mois - avant de les vouer à un succès proche du triomphe - "Les liaisons dangereuses", film tiré du roman de Choderlos de Laclos, avec pour interprètes Gérard Philipe, Jeanne Moreau et Jean-Louis Trintignant. Ce cinéaste était Roger Vadim.

Vadim, une notoriété considérable, tant sur le plan professionnel que sur le plan privé, un homme de cinéma tenu pour très important depuis qu'il avait découvert, puis imposé au monde entier, Brigitte Bardot. Un charme fort, à coup sûr, fait de nonchalance et d'humour, alliés à une fermeté et une vigueur que j'étais loin de détenir. Un assez exceptionnel pouvoir de séduction, aussi. Je le suivis.

Pas dans la perspective qu'on pourrait imaginer; je suivis "l'homme Vadim" et non le metteur en scène si-habile-à-faire-des-vedettes.

Pour vivre auprès de lui, je dus m'éloigner de la "maison Dorléac", ce qui ne se fit pas sans un peu de douleur.

Le côté inquiet de ma nature s'en trouva bientôt accru.

Je crois que Vadim comprit vite que c'était l'individu qui me plaisait et non l'homme de cinéma.

Vadim, à ce moment, avait commencé la réalisation d'un film intitulé "Le vice et la vertu" : il me convinquit d'interpréter le rôle, symbolique, de "la vertu". Rien d'enchanteur, en vérité.

Il voulait me voir devant sa propre caméra. Comment, pour ma part, aurais-je refusé ce qu'il souhaitait. N'avais-je pas choisi de vivre avec lui ?

Avec un certain recul, je m'aperçois que, jusqu'ici, cela a été une "constante" de mon comportement. J'ai toujours fait passer ma vie privée avant les considérations d'ordre professionnel.

Je crois volontiers qu'il y a dans l'existence de chacun des périodes "fastes" et des périodes "tristes". Mais, je voulais éviter ce malentendu : pour moi, "faste" ne signifie pas forcément "succès". Une période faste, c'est une période que je ressens telle intimement, quoi que les autres en pensent.

La réussite professionnelle n'est pas à rejeter, sans doute, mais pour moi, elle ne constitue pas et elle n'a jamais constitué un "but". Par exemple, ces deux dernières années, 1974 et 1975, ont été pour moi des "années fastes", ma satisfaction personnelle étant souvent liée au plaisir de faire certaines choses plus qu'à leur réussite... J'ai tourné deux films en 1974, "Zig-Zig" et "L'agression", un troisième en 1975, "Le sauvage", de Jean-Paul Rappeneau. C'est peut-être épuisant, mais cela me rend heureuse et me donne envie de continuer.

LE CHOC DE MES 30 ANS

J'ai passé trente ans, et, c'est vrai, cela m'a fait un petit choc...

Dans, la vie d'une femme, il y a deux versants : quand on arrive en haut d'un versant, il faut savoir, ensuite, redescendre.

Trente ans, c'est un cap... de plénitude, sans doute. Mais c'est un cap... Il est toujours difficile, pour une femme, pour une actrice surtout, de bien vieillir. Je parle là d'un point de vue superficiel, physique, mais qui compte beaucoup, lorsqu'on fait ce métier. Je pense à de nombreux exemples de femmes qui éprouvent, elles-mêmes, une certaine difficulté à avancer en âge ou dont le public accepte mal qu'elle vieillissent au cinéma. Ce qui me paraît un peu injuste car les hommes, les acteurs, on ne les situe jamais par rapport à leur âge. Pour les femmes, il en va tout autrement.

A la réflexion, il n'y a pas que le franchissement de ce cap qui m'ait ainsi étonnée. Dans ma vie, j'ai peu songé et songe peu à l'avenir. Je ne m'engage jamais dans une entreprise trop longtemps à l'avance : j'aime mieux les choses qui se décident d'elles-mêmes. Je ne dis pas que je suis totalement imprévoyante ni que je me désintéresse d'un futur très proche, mais je suis incapable de faire de longs projets. Je préfère l'improviste, la surprise.

En fait, j'ai toujours eu des difficultés avec mon âge. A vingt-six ans, en 1970, j'avais déjà tourné "Les parapluies de Cherbourg" - le film de Jacques Demy à qui je dois tant - "Benjamin", "La chamade", "La vie de château" (mon "premier Rappeneau", si j'ose dire, et un souvenir de travail merveilleux), "Belle de jour" et " Tristana " (sous la direction d'un homme pour qui j'ai une très grande admiration et qui, par-dessus le marché, est un superbe comique, Luis Buñuel). J'avais fait un premier voyage à Hollywood, pour le film de Stuart Rosenberg, "Folies d'avril", où j'avais eu l'agrément de jouer la comédie face à Jack Lemmon. En 1968, François Truffaut m'avait, lui aussi, éloignée de Paris, de ma vie, de ma famille un assez long temps, pour "La sirène du Mississipi" - où j'eus pour partenaire un garçon avec qui, me semble-t-il, on ne saurait avoir de problèmes, tant il est décontracté, brillant, rapide, amical, Jean-Paul Belmondo.

J'avais donc fait pas mal de choses et je me souviens avoir dit, vers juin 1970 : "Je vis au jour le jour. Repliée, comme ça, sur un milieu familial qui, je dois en convenir, m'est nécessaire. J'ai un mal fou à assumer mes vingt-six ans !..."

II faut dire qu'en ce printemps 1970, j'étais très fatiguée. La lassitude que j'éprouvais était peut-être la cause de mon pessimisme...

De toute façon, je ne pense pas qu'on puisse se refaire : je ne serai jamais une optimiste forcenée, sûrement pas... Pourquoi ? Parce que je sens continuellement que la vie est plus difficile, plus rude... Je ne parle pas spécialement de ma vie, mais de la vie de tous.

Alors quand on me demande de faire un peu "le point" parce que je suis une jeune femme de trente ans, j'éclate de rire. Car je n'ai jamais quitté mon adolescence ! Et j^ai l'impression que je ne la quitterai jamais ! Je vis beaucoup sur mes souvenirs d'enfance, sur le passé. Et je présume que ce n'est pas l'attitude que l'on attend d'une personne "adulte". Ce qui ne m'empêche pas d'essayer d'être lucide, responsable de mes choix et de mes décisions.

Quand à 19 ans, Jacques Demy et Michel Legrand m'ont apporté - et ont connu eux-mêmes - le merveilleux succès des "Parapluies de Cherbourg", j'avais, par ailleurs, l'obligation de faire face à un problème personnel, assez considérable. Mon premier enfant, Christian, venait de naître (le 18 juin 1963) et il accaparait une grande partie de mon temps.

J'allais tourner "Répulsion", sous la direction de Roman Polanski ; je passais des heures et des heures à post-synchroniser un autre film, moins connu, qui s'était glissé entre les deux, "La chasse à l'homme".

Il fallait, pour mener tout cela à bien, une énergie et une vitalité sans faille...

Françoise déclarait à qui voulait l'écouter : "Catherine est la jeune femme la plus resplendissante de tout le quartier, depuis qu'elle a cet enfant..."

Christian, mon fils, est aussi celui de Vadim. Et pour Vadim, je continue d'éprouver une sorte d'affection. Mais, comment dire... il est amoureux, je crois, des institutions. Chaque fois qu'une femme a partagé, fût-ce un temps très bref, son existence, il a voulu l'épouser. Cela le regarde. Il se trouve simplement que je préfère, moi, la vie elle-même et les gens aux institutions. J'ai une réelle admiration pour les enfants, depuis toujours. Quand j'ai appris que j'allais être mère, j'en ai aussitôt ressenti une joie extraordinaire.

Je veux être franche, cependant : pourquoi s'obstiner à lier le mariage et la maternité ?

Quand "Les parapluies de Cherbourg" (dont le tournage avait eu lieu dans des conditions privilégiées) ont obtenu, à Cannes, en mai 64, la Palme d'or, je me suis sentie à la fois ravie et perplexe. "Moi, une vedette ?..." Je n'avais eu ni l'occasion ni le temps d'y penser. La naissance de Christian m'avait délivrée de l'anxiété de l'année précédente, anxiété naturelle, bien sûr, à toute jeune fille ou toute jeune femme qui guette la venue d'un premier enfant... J'avais retrouvé vite ma bonne santé, un aplomb plutôt neuf, et surtout, surtout ma gaieté... "Moi, une vedette ? Pourquoi non ?".

II s'est alors créé pendant un certain temps, entre le public et moi-même, une sorte de confusion. Je suis, je crois l'avoir fait comprendre, d'un naturel réservé. Cela a suffi pour qu'on me jugeât "froide" ou "dure". C'était inexact. J'avais été confrontée à tout ce qu'un film peut avoir d'imprévisible, à tout ce qu'il comporte de problèmes de difficultés, d'accidents. Je suis apparue, quelquefois, comme intransigeante. Mais c'était, là, une attitude dictée par le souci de me donner les plus grandes chances d'éviter ces accidents.

Lorsqu'on participe à la réalisation d'un film, il y a tant d'imprévus, tant de complications qu'il vaut mieux, du moins est-ce mon avis, soulever avant le tournage des questions auxquelles on a pu s'arrêter et réfléchir. N'est-ce pas une exigence légitime ?

On a dit, aussi, que j'étais "inabordable".

Je voudrais m'en expliquer : être inabordable, ce n'est pas la même chose qu'être dure !

Il est exact que je ne me lie pas facilement. Je ne suis pas très expansive, je ne suis pas très ouverte - ce qui ne signifie pas que je ne le sois pas du tout. Je reconnais aussi que je ne suis pas très sociable, ni très mondaine. Encore une fois, il s'agit là d'une question de nature ! Les films qui m'ont conduite à Hollywood, à La Réunion et à Tolède, pendant trois ou quatre années, ont fait que j'ai été une personne difficile à joindre...

Le rôle de Tristana, tourné en Espagne, a - si j'ose m'exprimer ainsi - confirmé cette image que l'on pouvait avoir de moi, celle d'une femme... inabordable. Mais c'est Buñuel, le prodigieux Buñuel, qui en fut, cette fois, en partie responsable. Il ne supporte aucun visiteur lorsqu'il travaille ; c'est une loi pour lui.

Je dois avouer que je le comprends; nous avons eu des moments difficiles : il était porté par son film ; il eût été scandaleux de le distraire.

Comme nous n'avons pas tourné "Tristana" dans l'ordre chronologique, mais dans l'ordre où Buñuel l'a monté, il y a eu beaucoup de journées où j'aurais mal toléré, moi-même, d'être dérangée. Je dus tourner avec des béquilles et une jambe de bois, ce qui n'est ni commode, ni agréable pour une actrice.

Ce rôle de femme méchante, aigrie, exténuée, c'était cependant, bouleversant, extraordinaire, mais, en même temps, terriblement fatigant.

Le film fini, j'ai mis des semaines à me rétablir, à retrouver mon équilibre. Je n'ai pas assisté à la "première", je ne suis allée ni au théâtre, ni au cinéma pendant pas mal de temps. C'était, très exactement, "pour des raisons de santé". Peut-être est-ce le rôle qui m'aura été le plus lourd, le plus douloureux de tous ceux que j'ai tournés, mais je ne le regrette pas...

TRES FIERE DE MON FILS

Dois-je parler des hommes que j'ai connus ? Je veux bien essayer.

A propos de Vadim, je n'ai pas grand-chose à ajouter à ce que j'en-ai déjà dit. Pour moi, il est surtout le père de Christian, qui aura bientôt quatorze ans. Il est grand, beau et doté de pas mal d'humour... Je pense toujours à lui avec fierté.

C'est passionnant d'observer comment un enfant se met à grandir d'un coup, à s'approcher de l'adolescence. Christian, il y a cinq ans, était un "petit garçon" têtu, adorable, raisonneur. A présent, je le regarde avec la même tendresse, mais aussi avec un intérêt différent : il sera bientôt un jeune homme...

Nous avons les meilleurs rapports ; il se confie volontiers à moi ; il me fait part de ses projets, de ses désirs.

J'ai découvert que les enfants, les adolescents d'aujourd'hui ont une "vie sentimentale" très précoce... Il y a trois années de cela, Christian a quitté son cours privé de l'avenue de la Bourdonnais pour une école mixte. Et, dans une école mixte, la vie sentimentale apparaît très vite : il y a là, me semble-t-il, un phénomène assez nouveau et important.

J'imagine parfois Christian âgé de quinze ans ; j'en aurai alors trente-quatre; je serai une mère jeune... et déjà je m'amuse beaucoup à la pensée que des gens se poseront cette question : "Quel est ce grand jeune homme, auprès d'elle ?"

Par quoi suis-je attirée chez un homme ? En vérité, par quelque chose d'assez mystérieux. Cela dépend d'une foule de détails. Le "contact" naît d'un mélange très particulier, un mélange entre ce que l'on imagine de cet homme, de ce que l'on croit deviner en lui et sa sensibilité propre à telle ou telle période de la vie.

Une femme - ou, aussi bien, un homme, je présume - connaît des "saisons" différentes. On n'attend pas toujours la même chose, le même apport, d'une personne. Je crois qu'il en est ainsi pour toute femme.

Il arrive qu'on trouve soudain, en face de soi, un homme qui, en fonction de vos "phases", de vos soucis, de vos souhaits ou de vos problèmes, parvient à créer dans votre existence une façon d'équilibre.

Je le sais, les rencontres de ce genre sont rares, mais n'est-ce pas ce qui fait leur prix ? Ce sont les seules, pour ma part, que je considère comme importantes, parce qu'elles ont tout à la fois quelque chose de durable, d'inattendu et d'enrichissant.

C'est une "chimie" de tous ces détails qui donne naissance, lors d'une première approche, à la possibilité d'une relation qui soit, aussi, un échange... Ce "lien" dépend de circonstances fragiles ! Il y a, par exemple, la manière qu'un homme a de parler, de faire bouger ses mains. Indications imperceptibles, ou presque, parmi des centaines d'autres...

On s'étonne lorsque je dis : "C'est moi qui choisis". Mais je n'ai jamais eu le sentiment de me laisser mener par qui que ce soit. J'ai presque toujours su que je voulais bien "me laisser avoir" ou "avoir moi-même". On décide toujours.

Les femmes qui disent s'être laissé décider savent bien, en elles-mêmes, qu'elles ont décidé de se laisser décider... Ce n'est pas une pirouette de ma part. C'est une attitude sur laquetie je n'ai aucun doute...

Alors, j'ai choisi ma vie, mes films et les divers hommes qui ont pu être associés, soit à ma vie, soit à mes films. Bien sûr, il arrive des "accidents de parcours". Par exemple, je suis incapable d'expliquer ce qui m'a pris lorsque j'ai épousé, à Londres en 1965, le photographe David Bailey.

Je n'ai pas tardé, il est vrai, à demander le divorce. Mais ce mariage, pourquoi ?... Ce ne fut pas un "gag", comme je l'ai entendu dire : j'y avais consenti et, par conséquent, bien réfléchi, d'abord. Ce ne fut, peut-être qu'un élan, une impulsion ou encore autre chose que j'ignore...

C'est à l'automne 70, lors d'un dîner chez Roman Polanski, que j'ai fait la connaissance de Marcello Mastroianni - à Londres où il devait tourner les dernières scènes d'un film. Son rôle dans ce film lui imposait d'avoir la tête rasée et je dois avouer que je ne l'ai pas tout de suite reconnu. Dîner agréable, joyeux même.

Trois semaines plus tard, de retour à Paris, je lis le scénario que Nadine Trintignant (une des mes amies vraies, avec Agnès Varda) a déposé à mon intention chez ma concierge avec ce "mot" rapide : "Oui ou non, cela me serait presque égal. Mais j'aimerais connaître vite ta réponse. J'ai horreur d'attendre".

C'était le scénario de "Ça n'arrive qu'aux autres". Saisie par ce texte, émue, j'appelle, dès le lendemain, Nadine au téléphone : "C'est très beau, cette histoire. Tu as mon accord, c'est oui !".

Nous nous rencontrons, nous parlons de la préparation du film. Nadine avait-elle déjà en tête le nom d'un acteur pour interpréter le rôle masculin ?

"Justement, c'est mon problème, ces jours-ci", me dit-elle. Comme je lui raconte la soirée passée chez Polanski, le mois précédent, elle dit tout à coup : "Eh bien voilà ! Mastroianni... Qu'en penses-tu ?"

Notre métier et le film de Nadine Trintignant nous ont rapprochés. Nous avons commencé à tourner le 4 janvier 1971. Equipe réduite. Le sujet s'y prêtait. Souvent, nous ne disposions que d'une voiture avec un opérateur, un ingénieur du son (on ne peut pas faire entrer tellement de monde dans une voiture). Nadine filmait ou conduisait. Marcello faisait le "clap" ou alors c'était moi.

Le film terminé, Marcello est resté dans ma vie, mais ce qui m'est trop présent, trop récent, trop proche, je redoute toujours de mal l'évoquer. J'aime mieux n'en dire rien ou presque. On comprendra ma réserve.

Je lui dois mon deuxième enfant : une petite fille prénommée Chiara, née le 28 mai 1972 à Paris, dans une clinique de la rue de la Faisanderie. J'ai tenu que cet enfant fût de Marcello. Il a ainsi élargi cette chose qui m'a toujours été précieuse, fondamentale : le "cercle familial", ce "nid" dont je ne cesserai d'avoir besoin.

J'ai donc deux enfants et je suis heureuse de m'être prouvé à moi-même que je pouvais les élever, leur offrir le temps, les soins, la tendresse nécessaires, une utile éducation aussi, sans avoir pour cela eu recours à "un époux".

Mon rapide mariage de 1965 m'a confortée dans la certitude qu'épouser quelqu'un ne vous garantit rien, ni l'amour, ni le bonheur - ce serait même l'inverse. Je connais des femmes mariées depuis longtemps à un même homme. Je reconnais qu'à elles le mariage convient. Moi, il me demeure étranger. Il ne m'a jamais intéressée beaucoup. Je peux vous affirmer que, désormais, il s'agit là pour moi d'une affaire réglée !

Catherine Deneuve par elle-même


Par : Guy Abitan
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