Ses interviews / Presse 1960-79 / Un Jour 1971
Repères
  Biographie
Famille
 
  Presse 2010-2019
Presse 2000-2009
Presse 1990-1999
Presse 1980-1989
Presse 1960-1979
Radio et télévision
Livres
  Hommages
Dessins
Photos
  Caractère
Centres d'intérêt
Opinions
Engagements
 

Mode de vie
Style
Coups de cœur
Sorties et voyages

Catherine Deneuve à cœur ouvert

Patrick Buriez a tendu un miroir à la plus secrète de nos vedettes. Elle s'y est regardée, et, pour la première fois, elle s'est racontée.

La princesse entra, hésita pour s'asseoir, choisit une chaise en face de la mienne. "C'est mieux pour parler", dit-elle. Puis elle se tut. Les yeux grand ouverts, elle attendit. Quelques heures passèrent - qui devaient bien être deux bonnes minutes d'horloge - au cours desquelles je m'aperçus d'une chose absolument unique au monde : elle ne cligne jamais des yeux. Puis elle sortit de son sac une boîte ancienne en or, y prit une cigarette, l'alluma et, ensuite, m'en offrit une. Nous fumâmes. Il était 14 h, dans un restaurant chinois de la rue du Dragon, à Paris. Les conversations autour de nous avaient cessé, les anges passaient en rangs serrés, c'était l'enfer. Alors arriva vers nous le sauveur. C'était un asiatique d'assez forte corpulence. Il s'inclina avec modération, tendit la carte et s'écria, mais à mi-voix : "Je vous conseille le canard laqué, mademoiselle Deneuve". Catherine Deneuve ne suivit pas son conseil, s'en excusa avec grâce, demanda un pâté impérial et commença enfin l'interview : "Vous avez aimé "Peau d'Ane" ?" me demanda-t-elle.

Ma réponse, "Oui", signifiait : aucune autre actrice n'aurait pu jouer comme vous le rôle de cette princesse amoureuse de son père et qu'un prince charmant sauve in extremis d'une incestueuse passion et d'un mariage, somme toute, scandaleux. Vous avez fait d'un film réussi un enchantement. Hier soir, dans cette salle de projection privée, lorsque la lumière s'est rallumée, toute cette assemblée de grandes personnes s'était transformée en un parterre d'enfants émerveillés. Souffrez, que je vous baise la main. Voulez-vous m'épouser ?

Mais cela aurait été trop long à dire, un peu ennuyeux et, n'est-ce pas, sans intérêt, puisque c'est plutôt pour qu'elïe dise ce qu'elle pense de la vie, de l'amour, de la mort, du cinéma, de l'éducation des enfants, du pâté impérial, de la liberté sexuelle et de la famille que je l'avais invitée à déjeuner.

Je m'en suis donc tenu à ce "oui" un peu plat - quoique lourd de sens - et vous propose à présent d'écouter comme je l'ai fait, en solo, la voix délicieuse d'une fille de 27 ans, mariée, divorcée, mère d'un garçon de 7 ans, belle à mourir, qui vit sans homme, qui a eu une tragédie dans sa vie, qui est sans doute la meilleure actrice française, qui s'appelle de son vrai nom Catherine Dorléac, qui ne ferme jamais les yeux, au restaurant en tout cas, et qui vous raconte la vraie Catherine Deneuve...

Si on me demandait de raconter ma vie, comme ça, en cinq minutes, comme devant un tribunal par exemple, voilà, eh bien, je dirais ceci : je suis née dans une famille très unie, j'ai eu une enfance très privilégiée à cause de ça. On était un clan. Quatre enfants : quatre filles. Moi, j'étais la troisième. Tous les six, avec mes parents, on n'a jamais été riches, mais on vivait sur nous-mêmes, on était en milieu fermé, protégé, c'était bien.

J'allais au lycée La Fontaine, c'était à côté de la maison, je n'étais pas mauvaise. Un jour, quand j'étais en seconde, on m'a proposé de tourner dans un film, "Les portes claquent", avec ma sœur, Françoise Dorléac. J'y suis allée. On commence toujours comme ça à faire du cinéma, parce que quelqu'un vous a trouvée jolie à 15 ans. Des fois, comme pour moi, ça continue après... C'est tout ce que je dirais si j'avais à faire un résumé... Non, il faudrait que je parle aussi de mon fils... Alors, voilà, un beau jour, je suis partie de chez mes parents. Je les ai laissés. Ils étaient tristes, et moi aussi, mais j'étais vraiment trop amoureuse d'un monsieur - Vadim - alors je suis allée vivre avec lui et j'ai travaillé, toujours le cinéma, et j'ai eu un enfant, Christian, qui est très beau et très intelligent, qui va à l'école et qui travaille comme un petit chef.

En ce moment, oui, ça marche très bien, je tourne, avec des metteurs en scène que je peux choisir, des films que je peux choisir. Non, je n'ai pas d'argent, je ne possède rien, je dépense tout. Quand on gagne beaucoup, on donne plus à ceux à qui on doit donner que quand on gagne peu, c'est la seule différence. Et puis, je dépense pour moi aussi, je vis très bien. Ça va. L'argent, de toute façon, ne m'a jamais épatée. Ça, il faut que je le dise parce que c'est très important dans ma vie, il y a très peu de choses qui m'épatent. Même les gens les plus extraordinaires que j'ai rencontrés - prenez Buñuel par exemple - je les admire, mais ils ne m'épatent jamais. Non, vraiment, la seule chose qui m'épate, c'est une femme enceinte. C'est vraiment le mystère, l'étonnement complet, une femme enceinte. La mort aussi, ça m'étonne toujours. C'est pour moi la chose la plus anti-naturelle au monde. Quelqu'un qui meurt, c'est quelqu'un à qui il est arrivé quelque chose d'exceptionnel. Je ne peux pas m'y faire.

Quand j'ai commencé à être connue, j'étais gênée, ça me semblait une situation tout à fait fausse - et déplaisante : j'étais une débutante à qui on s'intéressait parce qu'elle avait une vie un peu scandaleuse. J'étais une de ces actrices qu'on voit plus souvent dans les magazines que dans les films. C'est affreux.

Avec Vadim, on parlait beaucoup de nous, d'abord parce que lui était célèbre et avait été marié à des femmes célèbres. Et aussi parce qu'un journaliste avait écrit que je voulais un enfant mais que je refusais de me marier. J'étais la première à dire cela, paraît-il. Aujourd'hui, je ne sais plus si je l'ai vraiment dit. En tout cas, Vadim n'a pas dû me le demander au bon moment ; ou bien il l'a fait trop tard, et je suis orgueilleuse, il faut que je le dise aussi. Vous savez, une femme qui dit à l'homme qu'elle aime : "Je ne veux pas me marier", il ne faut jamais la croire...

Non, je n'en veux jamais à un homme que j'ai aimé. Tous les hommes que j'ai eus dans ma vie sont uniques et irremplaçables. Le seul que j'ai épousé - et dont j'ai divorcé d'ailleurs - David Bailey, j'ai vraiment eu le coup de foudre pour lui. On s'est mariés en moins de quinze jours. J'avais vu des photos qu'iï avait faites et que je trouvais extraordinaires. Aussi, quand on m'a demandé de poser pour un magazine américain en me laissant le choix du photographe, j'ai demandé que ce soit lui... Ce magazine c'était "Play Boy" et les photos devaient être très "sexy". Je me demande encore comment je me suis laissée convaincre de faire ça ! C'est peut-être la seule chose que je regrette dans toute ma vie. C'est vrai, je n'ai jamais de regrets, mais là, non, c'était trop bête... Donc, ce garçon qui est devenu mon mari, j'étais presque nue la première fois qu'il a posé les yeux sur moi... C'était d'autant plus faux comme situation que je déteste la nudité. C'est le contraire de l'érotisme.

Si je me trouve belle ? Non, sûrement pas. Je me vois 365 jours par an, il est impossible que je me trouve belle ; jolie, oui, et encore pas tous les jours. Enfin, disons que je suis jolie. C'est ma sœur qui était belle, Françoise. C'était une star. Elle avait deux ans de plus que moi, elle me disait toujours qu'il n'y a que les stars qui sont vraiment belles. Je ne peux pas parler d'elle. Pour moi, il y a surtout, dans le cinéma, Marlène et Marilyn. Garbo, aussi, bien sûr, mais j'ai chez moi des "posters" des deux premières seulement. Vous avez revu Marlène dans ses vieux films ? C'est un génie. C'est vrai qu'être actrice, c'est un beau métier; mais moi, j'aime trop le cinéma pour n'être que ça, je ferai un jour de la mise en scène ou de la production, j'en suis sûre. J'ai envie d'aller plus loin.

Oui, je joue des personnages très différents dans chacun de mes films. Entre les héroïnes de Buñuel ("Belle de jour", "Tristana") et les jeunes filles un peu féériques de Demy ("Les parapluies de Cherbourg", "Les demoiselles de Rochefort", "Peau d'âne"), il y a évidemment un monde. Pour moi, ce n'est, au fond, pas tellement opposé. La pureté ressemble souvent à l'extrême perversité. Quelqu'un m'a dit l'autre jour un vers très joli : "Et c'est d'avoir mordu dans tout le mal qui vous a fait une bouche si pure". Je ne me fais pas trop d'illusions : si l'on me choisit pour l'un et l'autre emploi, c'est surtout que j'ai toujours les yeux grand ouverts, moins que Jackie Kennedy tout de même ! Et qu'on peut mettre tant d'intentions dans un regard très attentif...

C'est sans doute aussi à cause de ce regard qu'on dit souvent que je suis froide, déterminée. C'est une erreur, je suis lucide, terriblement lucide et c'est tout le contraire de la froideur. C'est connaître ses limites, donc justement savoir jusqu'où peuvent vous mener vos impulsions. Et je ne vis que par impulsions. Je suis toujours capable, et je le sais, de tout plaquer et de partir à l'autre bout du monde d'une seconde à l'autre : pour un amour, pour une passion, pour un regard.



Par : Patrick Buriez
Photos :


Films associés : Peau d'âne



Documents associés