Ses interviews / Presse 1980-89 / L'Autre Journal 1984
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Catherine Deneuve : une star sans cinéma

Une parole rapide qui revient sur un terme jugé imprécis, le temps d'un échange de mots, le double congédié…

Je me sens trahie lorsque, dans les entretiens publiés par les journaux, je retrouve des mots que j'ai dits sans en retrouver le sens. Le plus important, ce peut être l'hésitation qui précède une réponse, l'intonation qui la colore, la moue qui l'accompagne. La plupart du temps, les journalistes se contentent de retranscrire un entretien : ils ne l'écrivent pas. Je ne me sens jamais trahie lorsque je suis interprétée par une écriture. J'aime retrouver ce que j'ai dit au travers du prisme de celui qui a regardé, écouté et qui, s'il est un témoin attentif, comme tout témoin, ne se bornera pas à relater, mais interprétera. Surtout pour des acteurs, peut-être : il faudrait retrouver des couleurs, des tons, des esquisses, et, le plus souvent, tout est plat, gris, banal. Il m'arrive d'éprouver une grande lassitude, de la tristesse aussi, à voir que j'ai abîmé des choses auxquelles je tenais parce que j'en ai parlé trop vite, de manière trop superficielle...

On rejoint là votre souci de ne pas être complaisante en livrant en pâture au public des anecdotes, des éléments de vie intime, de résister à toute cette grossièreté de la transparence, de l'indiscrétion au nom de l'"authenticité"...
Oui, encore que je livre des choses très personnelles, mais pas au sens où on l'entend généralement. Je suis farouche, là-dessus. D'autant que ce n'est pas une décision que j'ai prise du jour au lendemain, sur un coup de tête. Très tôt, j'ai été confrontée à la brutalité, à l'injustice des manipulations dont j'étais l'objet. J'ai décidé, très vite, de tout faire pour m'en préserver. Ce qui me tient à cœur, ce sur quoi je réfléchis, je ne veux pas l'expédier en deux ou trois phrases. Je ne veux pas aller dans le sens du compromis avec le public. On court le risque, sinon, de devenir prisonnier des images, ou plutôt des clichés, qu'on a imprudemment distribués un peu partout. Et, pour finir, on devient ce qu'on dit.

On a pourtant le sentiment qu'une célébrité comme la vôtre vous laisse très peu d'autonomie par rapport à votre propre image...
Par moments, je me sens aux limites de la schizophrénie. Je n'en suis pas encore à parler de moi à la troisième personne, mais il y a un authentique et profond dédoublement : lorsque je me vois en projection, quand je vois mon image sur l'écran, ce n'est pas moi que je regarde. Ou ce que je vois de moi, c'est tout ce que je repousse, tout ce que je n'aime pas. Je n'ai aucun attendrissement, aucune indulgence pour la personne que je vois à l'écran. De toute façon... j'ai très peu d'indulgence pour moi.

Et quand les autres vous regardent, qui regardent-ils, vous le savez ?
L'image que je présente dans un contexte professionnel me protège, m'enveloppe : j'en suis peut-être un peu prisonnière, mais elle me protège. Plus qu'elle ne m'isole. En revanche, dans ma vie, je ne vois que des gens que je connais bien, des amis de longue date. Et là, je ne suis plus du tout actrice : c'est peut-être étonnant, mais je ne pense jamais à ça dans la vie ! En fait, il y a très peu de gens que j'ai envie de rencontrer. Bien sûr, il y a toujours le hasard de la rencontre, une personne qui me plaît, le charme qui opère... Mais, sinon, plus j'admire les gens, moins j'ai envie de les rencontrer. Je sais que la rencontre sera rapide, éphémère, et qu'elle ne saura jamais être à la hauteur de l'image que j'ai de cette personne. Pas parce que je risque d'être déçue, non, mais parce que ce que je connais d'elle, au travers d'une œuvre, d'une lecture, est beaucoup plus important. Et je suis d'autant moins avide de ces contacts que je n'ai pas le temps. L'essentiel, dans l'amitié, si essentielle dans ma vie, c'est le temps. Des amis, il faut les voir : les voir souvent, très régulièrement...

Il y a des gestes, des moments anodins qui témoignent, à leur façon, de la liberté : se promener dans la rue, boire un verre à la terrasse d'un café.
Mais je le fais ! Et c'est très important, pour moi. Il est vrai qu'on me remarque, mais ça disparaît très vite. J'ai une présence qui est à la fois évidente et qui se fond très vite. Il y a la surprise quand on me reconnaît, et après... on m'oublie ! Vous savez, les gens sont plus timides, peut-être plus discrets, qu'on ne le croit.

Vous pouvez ne pas aimer qu'on vous regarde…
... et adorer observer, oui, absolument ! J'ai toujours été ainsi. Petite fille, je ne parlais pas, je regardais. Je rêvais, et j'observais énormément. Ma sœur parlait beaucoup, gigotait, gesticulait. Moi, j'étais timide, je me cachais derrière elle, et je regardais autour de moi.

C'est un beau renversement, ou une belle revanche, que de faire un métier de représentation...
Encore que la représentation au cinéma est beaucoup plus abstraite, indirecte qu'au théâtre, par exemple...

Théâtre dont vous avez peur ?
Je ne supporte pas la présence physique des spectateurs. J'ai l'impression que, jamais, je ne pourrais dominer le trac qui m'envahit, sentir les gens dans le noir, qui vous regardent...

Les acteurs qui sont à la fois comédiens de théâtre et acteurs de cinéma...
... Ils ont l'air très heureux, très épanouis !

Ils vous semblent plus "complets" ?
Eux-mêmes, je ne sais pas, mais je crois qu'ils ont une expérience plus satisfaisante, moins frustrante. Parce que le cinéma est frustrant. Au départ, je n'ai pas fait du cinéma pour de bonnes raisons ; je ne l'ai pas choisi, ça a été décidé. Sans doute devait-il y avoir quoique chose qui, secrètement, me plaisait mais, jusqu'à ma rencontre avec Jacques Demy, j'avais de nombreuses réticences. Je n'étais pas passionnée ; j'étais timide, je me sentais maladroite... Mais comme je ne savais pas ce que je voulais faire et que j'étais de nature un peu inquiète, ce monde-là a dû me convenir, qui recouvrait immédiatement une reconnaissance des adultes - un monde assez rassurant...

Un monde de l'image, comme celui de l'enfance ?
Tout à fait, j'y suis restée !... C'est pour ça que j'aime le cinéma : au cinéma, on joue ; au théâtre, on travaille...

Avez-vous des réticences qui demeurent ?
Elles portent sur la transposition de ce qu'on a aimé, imaginé, et qu'on retrouve sur l'écran, forcément différent, parce qu'on est passé par toutes sortes de contraintes techniques... Sur la difficulté à accepter l'idée qu'il faut s'abandonner, tout en restant très lucide. Mais jamais vous ne savez ce qui sera gardé, retenu de ce que vous avez fait.

De même que vous discutez des scénarios avec le réalisateur, vous arrive-t-il d'assister au montage, par exemple ?
Non, jamais ! Ça ne sert à rien, ce n'est plus là où ça se passe ! C'est ce qui donne au film son poli, mais ce n'est pas le montage qui fait le film, ou alors ce serait réduire le film à sa technique. Or, quand les metteurs en scène sont vraiment des auteurs, ils ont une vision, une représentation de leur film avant même qu'il soit tourné, et c'est cela qui est déterminant. Il y a aussi quelque chose d'essentiel dans le moment du tournage, dans les rapports, dans ce qui va ou ne va pas prendre... Voilà pourquoi il faut un scénario impeccable, ce qui est trop peu souvent le cas : il y a tant de problèmes qui surgissent, d'embûches imprévues durant un tournage. Au fond, le cinéma, c'est un métier de perpétuels compromis : avec le temps, avec les partenaires, avec les techniciens... Et, parfois, le résultat peut être fulgurant, surprenant. J'aime bien travailler en équipe, mais souvent j'envie celui qui écrit ou peint, seul. Avec toute l'angoisse, sans doute, d'être pleinement et seul responsable de ce qu'il crée, mais de ce qu'il maîtrise. Cela dit, l'aspect collectif du film permet aussi de diluer les responsabilités de chacun - ce qui entretient le côté enfantin dont nous parlions tout à l'heure : on peut toujours dire que c'est la faute de quelqu'un d'autre !

Lorsque vous vous repportez aux films que vous avez tournés, ce sont les films du réalisateur, ou les vôtres ?
Le film du réalisateur, jamais le mien. Il faut que je vous l'avoue : devant un film que je n'aime pas, je ne me dis jamais que ce film est mauvais parce que je n'y suis pas bonne. Je me dis : ce film est mauvais et, en plus, je n'y suis pas bonne ! Ou, pire encore : ce film est vraiment mauvais, la preuve, même les acteurs y sont mauvais !!

Y a-t-il des metteurs en scène avec qui vous regrettez, mais profondément, de ne pas avoir tourné ?
Hitchcock. Pas seulement parce que je l'admire et que j'aime beaucoup ses films, mais parce que je pense que ça aurait été très bien pour moi. Je pense que ça aurait été assez juste. Je le regrette, d'autant que nous avions un projet ensemble et puis... Il y a aussi Kazan. J'aime la sensualité dans ses films, une sensualité que je ressens assez peu, finalement, dans les films américains. Chez lui, elle est très présente, très brûlante... C'est très rare de bien rendre compte de la sensualité, de la sexualité au cinéma et je trouve que Kazan y arrive de façon remarquable.

Vous parliez tout à l'heure de celui qui écrit. Vous avez enregistré, pour les éditions des Femmes, un texte de Marguerite Duras...
C'est un curieux pari de monologuer à partir d'un texte qui n'est pas fait pour cela - encore que Marguerite Duras ait réécrit "Les petits chevaux de Tarquinia" pour la cassette. C'est une expérience passionnante et difficile de n'avoir aucune béquille, aucun support d'image. Le danger est de se laisser bercer par sa propre voix : on aime bien s'entendre, d'autant que j'ai choisi ce livre parce que Marguerite Duras est un auteur non seulement à lire, mais à dire. Ce qui m'a plu, aussi, c'était de renouer avec l'idée de raconter une histoire, tout en gardant une certaine distance. A la fois d'être là et un peu au-delà.

En jouant sur la disparition de l'image, en vous en émancipant, enfin ?
La voix devient alors très physique, et je crois qu'elle entretient un rapport privilégié avec l'imaginaire : elle permet de projeter l'image de quelqu'un qui ne vous l'impose plus, son image. Vous pouvez enfin choisir. Le plaisir que j'ai pris à enregistrer cette cassette est aussi lié au fait que personne ne me dirigeait, que je pouvais travailler à mon rythme, avec mes faiblesses, mes limites, comme quelque chose qui allait vraiment venir de moi.

Vous avez dit quelque part que vous achetiez beaucoup plus de livres que vous n'en lisiez ?...
J'adore les livres, les mots, les caractères, le graphisme, les couvertures, le papier. Le livre est pour moi un objet magique, je l'aime comme je peux aimer un tableau. Et si j'achète des livres que je n'ai pas le temps de lire, parce que je lis beaucoup moins que je ne le voudrais, je m'assure que je les lirai un jour. J'ai besoin de leur présence, de savoir qu'ils sont là, au cas où j'aurais besoin d'eux.

Votre lecture privilégie-t-elle l'image, ou êtes-vous d'abord sensible au travail de l'écriture, au travail sur le matériau de la langue ?
C'est difficile à dire : je suis sensible à ce travail mais, tout de suite, je traduis le texte en images.

Dans les moments de désespoir, il y a parfois un texte, une musique, un air d'opéra qui sont des refuges, des compagnons dont la présence soulage, apaise...
Dans ces moments-là, je n'ai même pas cette aide. Parce que c'est très violent, très physique : la musique, sûrement pas ; la lecture, j'en suis incapable. Je suis agitée, ou prostrée, mais rien ne peut me venir en aide. Une caresse peut-être, ou dormir. Je suis inconsolable...

Vous comprenez pourquoi c'est aussi important pour vous, les livres ?
Leur présence me rassure. Quand je commande un livre qui n'arrive pas, ou dont on me dit qu'il est épuisé, ça me touche beaucoup, il me le faut, et je suis capable de me donner énormément de mal pour l'obtenir. Ce livre, quand je veux l'avoir, me devient indispensable.

Ce n'est pas de l'ordre du caprice ?
Pas du tout ! C'est un vrai besoin, un besoin de le posséder - ou d'être possédée par lui ! Je ne peux pas partir en voyage sans en emporter avec moi. Et quand je peux lire autant que je le veux, le plaisir que j'y prends est immense. Mais il faut que je sois coupée de mon univers, de mes enfants, de ma maison. Il faut que je me rende entièrement disponible. J'aime le calme, le silence. Et comme, en même temps, je n'aime pas beaucoup bavarder, que je ne supporte pas de me retrouver avec des gens avec qui je n'ai pas envie d'être - c'est quelque chose qui me fait vraiment déprimer, qui peut m'affecter profondément - alors je reste seule, avec un livre. C'est une façon d'être seule et de se supporter... J'aime beaucoup les lettres, les correspondances. Il y a quelque chose de très troublant à découvrir une intimité et à se dire, en même temps, que ces textes n'ont peut-être pas été écrits pour être lus. Il y a une vraie violence, dans cette sensation d'intrusion...


Par : Michel Field


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